Vendredi 1er au Samedi 16 Mars 2019

20 minutes de lecture

VENDREDI 1er MARS 2019

Au petit matin, Aimé sort discrètement de l'appartement et prend un taxi pour l'aéroport après avoir laissé un mot laconique sur la table de la cuisine.

« Eun-jung. Merci pour tout… Prends soin de Dounia s’il te plait. Je t’aime. Aimé. »

Au réveil, Eun-jung découvre qu'Aimé est parti. Après avoir lu son message, elle réussit tant bien que mal à maitriser sa colère et calmer son inquiétude pour allumer le PC d’Aimé qu’elle découvre heureusement sans mot de passe. Elle ouvre sa boite E-mail et repère très vite plusieurs messages non lus de son hématologue qui lui demande de prendre contact d'urgence car les derniers résultats d'analyses fait avant de partir ne sont pas bons. Elle fouille alors dans ses affaires et comprend qu'il est parti sans ses médicaments... Inquiète, elle compose le numéro affiché sur les E-mails et attend… assez longtemps, avant qu’une standardiste ne réponde :

— L’IPC j’écoute ?

— Bonjour ! I’m Chae … (Je suis Chae Eun-jung. Je vous appelle de Corée. Je voudrais parler au docteur Hospitalet.)

— Oui… Vous êtes bien à l’Hôpital. L’institut Paoli Calmette, c’est ça.

— I know! I want … (Je sais ! Je veux parler au docteur M. Hospitalet.)

— Heu… Il y a beaucoup de docteurs à l’hôpital… Wète plise… (Attendez s’il vous plait.)

La voix se fait lointaine dans l’écouteur…

— Radouj ! Tu parles anglais toi ? Prends-là ! J’y comprends rien…

… puis de nouveau proche :

— Aille passe you quelqu’un. Ne quittez pas…

La dénommée Radouj semble beaucoup plus à l’aise en anglais :

— Hello, can I help you? (Bonjour, puis-je vous aider ?)

— Hello. I call … (Bonjour. J’appelle de Corée. Je voudrais parler au Docteur M. Hospitalet.)

— Le docteur Hospitalet ? Okay. Don't … (D’accord. Ne quittez pas, je transfère l’appel vers sa secrétaire.)

Eun-jung n’attend cette fois que trois sonneries :

— Secrétariat du Docteur Hospitalet, j’écoute ?

— Bonjour ! I’m … (Bonjour ! Je suis Chae Eun-jung. J’appelle depuis la Corée. Je vous appelle au sujet de Aimé Battini. Je voudrais…)

— Aimé Battini ? Attendez, s’il vous plait ! Ne quittez pas, je vous passe le Docteur Hospitalet !

Quelques secondes plus tard, Eun-jung est surprise d’entendre une voix de femme, très douce :

— Allo ? Bonjour. Ma secrétaire me dit que vous avez des nouvelles de Mr Battini ?

— Bonjour docteur. Oui… I’m a friend of Aimé. (Je suis une amie d’Aimé.)

— Je dois absolument lui parler. Pourquoi ne répond-t-il pas à mes emails ? Savez-vous où je peux le joindre ? Où est-t-il ?

— I call you from Korea… (Je vous appelle de Corée…)

— En Corée ?... Puis, après un court silence : What is he doing there? (Que fait-il là-bas ?)

— It’s a long story … (C’est une longue histoire… Docteur… Aimé est parti, nous ne savons pas où, en laissant ses médicaments.)

— Depuis quand ? Il doit absolument prendre son Jakavi. Une interruption de 24 à 48 heures n’est pas dramatique en soit mais ce ne serait pas le bon moment. Cela fait trois semaines que j’essaie de le joindre pour lui dire d’augmenter la dose d’Hydrea. Les derniers résultats d’analyse ne sont pas très bons… Savez-vous s’il a amené ses médicaments avec lui en Corée.

— Yes. I know … (Oui. Je sais qu’il a de l’Hydrea et qu’il prenait deux cachets de Jakavi par jour. Ce qui m’ennuie, c’est qu’il a tout laissé et disparu depuis ce matin.)

— Que lui arrive-t-il... Are you close to him? (Êtes-vous proche de lui ?)

— Yes. I can say that ... (Oui, je peux dire ça… Il est très important pour moi…et plus encore pour sa fille qui est ici avec nous.)

— So, please help me. (Alors aidez-moi s’il vous plait.) Il doit absolument suivre les nouvelles posologies. C’est pareil pour le Jakavi ; 2 fois 20mg chaque jour. Il doit juste prendre 3 fois 500mg d’Hydrea par jour au lieu de 2. 3 Hydrea instead of 2. Il connait.

— Arasso. Oh sorry … (D’accord. Oh pardon… Bien compris. Merci docteur. Heu docteur ? Si je peux… Êtes-vous proche de lui ?)

— Don’t worry … (Ne vous en faites pas, c’est strictement professionnel. Je vous envoie mon numéro de mobile par SMS. N’hésitez pas à m’appeler quand vous avez des nouvelles.)

Eun-jung raccroche et réfléchit un court instant avant de faire une rapide recherche sur le net et composer un autre numéro. Le service de renseignements de l’aéroport d’Incheon est efficace ; elle a immédiatement confirmation qu’Aimé a bien prit le premier avion du matin pour la France. Elle rappelle l’IPC :

— Doctor ? … (Docteur ? Il est en vol pour la France.)

………………….

Arrivant en Taxi à son mobile home en début d’après-midi heure locale, Aimé ouvre toutes les fenêtres pour l’aérer puis s’asseyant sur la banquette du séjour, allume son vieux téléphone portable resté là. L’appareil se met à bipper sans discontinuer tant il reçoit de messages. Las, Aimé va pour le jeter à ses côtés quand il reçoit un appel.

— Monsieur Battini ?

— Oui…

— Vous avez rendez-vous à 15 heures pour une consultation avec le Dr Hospitalet.

— Pardon ? Mais je n’étais pas au courant !

— Eh bien moi non plus… Mais vous devez être là.

— Ecoutez, je viens juste de rentrer après 16 heures de voyage et je suis vraiment fatigué. Je viendrais demain.

— Ne quittez pas, je vous passe le Docteur.

— Monsieur Battini ? Il est 14h07, vous avez le temps d’être là pour 15h si vous partez immédiatement. Je vous attends ! Ne trainez pas, j’ai d’autres patients que vous.

Le ton du médecin est sans réplique… Soudain pressé, Aimé ferme portes et fenêtres du mobile home et saute dans sa voiture.

………………….

Assis l’air un peu penaud devant son bureau, Aimé écoute tête baissée le sermon de son hématologue.

— Je ne vous pensais pas aussi irresponsable Monsieur Battini. Vous trouvez peut-être plaisant de partir à l’autre bout du monde sans prévenir mais moi, cela ne m’amuse pas du tout !

Une infirmière entre dans le bureau, la doctoresse se lève.

— Suivez-moi, nous allons vous faire une prise de sang.

Les trois entrent dans le cabinet de consultation et, tandis que l’infirmière peine à trouver une veine apparente sur les bras d’Aimé, M. Hospitalet continue :

— N’avez-vous pas lu mes Emails ? Et votre téléphone, vous ne l’aviez pas avec vous ? Mais qu’aviez-vous donc de si urgent à faire en Corée ?

— Chercher ma fille… Elle avait disparu mais je l’ai retrouvée… à Séoul.

— Ah… Avez-vous au moins pris votre traitement ?

Aimé fait une légère grimace alors que l’infirmière le pique infructueusement une deuxième fois dans le creux du coude. Il la rassure :

— Ne vous en faites pas, personne ne trouve facilement mes veines. Puis au docteur : Oui… Enfin… Jusqu’à hier soir. Les médicaments qu’il me reste sont en Corée. Je… J’ai oublié de les prendre ce matin. Je suis rentré un peu précipitament…

— Votre fille sait-elle où vous êtes en ce moment ?

— Heu… Non… Elle est restée à Séoul, tout va bien pour elle.

L’aiguille s’enfonce cette fois près du poignet et le sang rougit enfin le fin tuyau transparent pour aller remplir un premier tube. La doctoresse compose un numéro sur son portable et Aimé a la grande surprise de l’entendre dire :

— Chae Eun-jung? M. Battini … (M. Battini est ici à mon cabinet. Rassurez sa fille s’il vous plait.)

Tandis qu’un troisième tube se remplit, la doctoresse tend son téléphone à Aimé :

— Tenez, quelqu’un voudrait vous parler.

— C’est Eun-jung ? Non… pas maintenant.

M. Hospitalet reste bras tendu quelques secondes puis, après qu’un quatrième tube se soit remplit, parle au combiné :

— Il semble que votre ami boude. He makes a face. (Il fait la tête.)

Eun-jung semble alors parler assez longuement et Aimé commence à s'inquiéter de l'air soucieux que prend son médecin avant de raccrocher...

— Vous avez consulté là-bas pour des problèmes cardiaques ?

— Oui… J’ai des douleurs dans la poitrine et dans le bras droit au moindre effort un peu brusque. Cela m’arrive depuis longtemps mais ça devient de plus en plus fréquent et de plus en plus intense.

Plus tard, Aimé est allongé torse nu sur une table d’auscultation tandis que la doctoresse lui ôte les électrodes en ordonnant à l’infirmière :

— Envoyez le résultat de l’ECG au secrétariat du service cardiologie de la Timone. Je les ai prévenus, ils attendent.

Plus tard…

Seul dans la salle d’auscultation, Aimé remet son pullover puis rejoint le bureau mitoyen du Dr. Hospitalet. Celle-ci raccroche le téléphone et le regarde d’un air inquiet.

— Vous prenez vraiment des risques inconsidérés… Une ambulance va vous conduire à l’hôpital de la Timone. Vous y passerez la nuit. Ils vous feront une coronarographie à la première heure demain matin.

—Là ? Tout de suite ? Ce n’est pas possible.

— Bien sûr que c’est possible ! Vous pouvez succomber à un AVC à tout moment !

— Non… Dites-moi où et à quelle heure je dois être ce soir et j’y serais mais je dois d’abord passer chez moi.

Elle le regarde avec un air de totale incompréhension.

— Écoutez docteur, ça fait au moins deux ans que j’ai ce problème et j’ai appris depuis à le gérer. Cela ne m’est jamais arrivé en conduisant et je sais très bien ce que je peux et ce que je ne dois pas faire. S’il vous plait. Faites-moi confiance… pour ça au moins.

— Vous êtes vraiment incroyable… Peut-être le patient le plus ingérable que j’ai jamais eue… D’accord… Faites comme bon vous semble. Voici les ordonnances pour renouveler votre traitement. Nous verrons comment les choses évoluent mais il est probable que vous devrez bientôt prendre de l’Aranesp 300, une injection par semaine. C’est un EPO qui fera remonter votre taux de globules rouges et reposera un peux votre rate… Elle a bien gonflé depuis la dernière fois. Voici votre traitement pour ce soir. Ils vous donneront ce qu’il faut à la Timone si vous devez y rester plusieurs jours.

Aimé se lève et s’apprête à partir quand :

— Mr Battini… Je pense que vous ayez trouvé quelqu’un de précieux à l’autre bout du monde. Ne la laissez pas s’épuiser à vous courir après…

-------------------------------------------

SAMEDI 2 MARS 2019

Début de matinée au service de chirurgie cardiaque de l’hôpital de la Timone...

Quasiment ligoté sur une table d’auscultation, Aimé regarde sans pouvoir les interpréter les images de ses artères défilant sur le moniteur. Au niveau du poignet, une sorte de gaine s’enfonce dans une artère de son bras droit immobilisé. Manipulant avec des gestes sûr et rapides le câble rigide coulissant dans la gaine, le spécialiste annonce très vite :

— Pas de stent pour vous M. Battini. Je peux d’ores et déjà vous annoncer une opération. Double pontage c’est sûr, peut être triple, le chirurgien décidera.

………………….

Installé dans une chambre à un seul lit, Aimé téléphone à sa fille.

— Bonjour chérie.

— Papa ! T’es vraiment nul des fois…

— Désolé d’être parti comme ça…

— Ce n’est pas à moi qu’il faut dire ça, c’est à Eun-jung. Pourquoi tu refuses de lui parler ?

— Notre histoire ne mènerait nulle part…

— Qu’est-ce qui te fait dire ça ? C’est à cause de moi ? Je suis désolée papa. Je sais que j’ai été jalouse et égoïste pendant des années mais maintenant c’est fini. Vraiment. Je suis même heureuse pour toi. S’il te plait papa… En plus j’aime beaucoup Eun-jung, vraiment.

— Écoute Dounia, je…

— Non papa ! C’est toi qui vas m’écouter ! Je sais que c’est à cause de moi que tu fais ça et ça me rend malade de voir Eun-jung dans cet état ! Tu ne réalises pas le mal que tu lui fais, que tu nous fais à tous. J’ose même plus regarder Na-ri en face.

— Dounia…

— On n’était pas bien comme ça, tous ensemble ? On commençait à être heureux et maintenant j’ai peur que tu détruises tout en t’enfuyant. Reviens papa !

— Dounia, Dounia ! Écoute-moi un peu. Je suis à l’hôpital… Ils vont m’opérer du cœur après-demain.

— Hein ?... PAPA !

— Ne t’affole pas chérie. En fait ce n’est pas vraiment le cœur. Lui va bien mais j’ai les trois artères coronaires presque bouchées, ils vont faire des pontages. C’est une opération assez lourde mais pas du tout risquée, d’accord ? Dounia… Dounia !

— Aimé! What's going on? (Aimé ! Que se passe-t-il ?)

— Eun-jung… Everything is fine. (Tout va bien.)

— No, it is not fine … (Non, ça ne va pas ! Dounia s'est effondrée en larmes ! Dis-moi !)

— Je dois être opéré après-demain... du coeur.

— What ? (Quoi ?)

— Not really in … (Pas vraiment au coeur. Ils vont faire un triple pontage coronarien.) C’est une opération simple.

— What do you … (Comment ça, une simple opération ! Je connais quelqu'un qui a eu ça. Tu vas rester au moins 2 mois à l'hôpital ! Ils vont stopper ton cœur !)

Aimé est pris d’un petit rire.

— Ah bon ? Je ne savais pas. Ma foi… Ce sera une expérience intéressante…

— An experiment … (Une expérience ? Tu es vraiment fou…) Puis, sa voix devenue lointaine : 야, 현애아 … He makes me crazy. (Tiens Hyun-ae, parles-lui toi. Il me rend folle.)

— Aimé ? Que peut-on faire pour toi ? As-tu besoin de quelque chose ?

— Tout va bien Hyun-ae. Ce n’est pas si dramatique. Je n’ai besoin de rien… à part de Kimchi peut être. Ah oui ! Je veux du Pa Kimchi ! C’est mon préféré avec du riz et des feuilles de Kim à l’huile d’olive et au thé vert… Mmmm, ça me manque déjà.

— D’accord, on va t’apporter ça…

— Hé ! Je plaisante ! Sérieusement, je vais bien… Je n’aurai pas de téléphone pendant quelque temps. Ne vous affolez pas, on pourra communiquer par Email. J’ai emprunté le PC de Dounia.

— D’accord, Na-ri veut te parler.

— D’accord… Attend Hyun-ae ! En fait tu peux faire quelque chose pour moi… Prends bien soin des filles s’il te plait. De Eun-jung aussi, oui… surtout…

— Ne t’inquiète pas pour ça. Je te passe Na-ri.

— 빨리 돌아와… Appa. (Reviens vite… Papa.)

Aimé sent son cœur s’emballer ; jamais il n’aurait imaginé entendre Na-ri l’appeler ainsi ! Il va pour dire quelque chose de gentil, mais il entend des éclats de voix dans l’écouteur et soudain la voix de Hee-jung, forte :

— Fighting Ahjusshi ! (Courage Monsieur !)

Puis c’est celle de sa fille.

— Papa… Je t’aime. Tiens-nous au courant, d’accord ?

— Oui. Je vais rester quelques jours en soins intensifs mais je vous fais signe dès que j’en sort. Je t’aime ma fille.

— Salanghae… Appa.

-----------------------------------

DIMANCHE 3 MARS 2019

Milieu d’après-midi, dans sa chambre d’hôpital à la Timone…

Avant de devoir la laisser de côté pour plusieurs jours, Aimé jette un dernier coup d’œil à sa boite Email. Ayant déjà répondu a de nombreux messages d’Eun-jung, de Na-ri et de sa fille tout au long de la journée, il est heureux de découvrir le tout premier message de Hyun-ae et Hee-jung.

« Bonjour Aimé,

Hee-jung a beaucoup insisté pour que je traduise ce qui vient ci-dessous en respectant scrupuleusement les formes. Ne t’inquiète pas pour les filles.

Lee Hyun-ae.

…………………………

Ahjusshi,

J’ai longtemps hésité à te le dire mais mon père est mort devant moi d’un AVC… C’était pendant une promenade dans la colline, j’étais seule avec lui. Je n’avais que 8 ans mais je m’en souviens comme si c’était hier tellement cela a été atroce d’assister à son dernier souffle sans pouvoir rien faire… Alors Aimé… Ne mourrez pas s’il vous plait. Dounia ne s’en remettrait pas et nous non plus. On a tous besoin de vous ici.

AHJUSSHI !

Même vieux et fatigué c’est toi qu’on veut comme mâle du clan ! Alors tiens bon et reviens vite. Voilà mon numéro de portable, je répondrais toujours pour toi : 00 82…

Han Hee-jung. »

Surpris d’être aussi ému, Aimé lit et relit les phrases chaleureuses de cette gamine qui à peine trois jours plus tôt, l’avait crument obligé à faire face à ses déficiences. Impulsif, il prend son téléphone et compose son numéro.

— 안녕하세요! (Bonjour !)

— Bonjour Hee-jung, c’est Aimé… Ahjusshi. Are you … (Es-tu seule ? J’ai quelque chose à te dire.)

— 잠깐만. Wait. (Attend une minute. Attend.)

Aimé entend quelques pas précipités, une porte s’ouvrir et se refermer puis :

— Okay Ahjusshi. There is nobody here. (C’est bon Monsieur. Il n’y a personne ici.)

— Merci Hee-jung. Thank you … (Merci beaucoup pour tes encouragements. Ils m'ont vraiment touché.)

— Hey Ahjusshi … (Hé Monsieur. C’est normal. Vous êtes le père de mon amie !)

— I'm not just … (Je ne parle pas que de maintenant. Pour la dernière fois aussi... Le tableau.)

— Ah ... (Ah... J'ai eu un peu peur… de vous avoir blessé...)

— It's not you … (Ce n'est pas toi qui m’as blessé, c'est la vérité. C'est pour ça que je t'appelle... J'ai besoin d'entendre la vérité parfois, même si elle fait mal.)

— I… I do not understand. (Je… Je ne comprends pas.)

— I think I will … (Je pense devoir rester plusieurs mois à l’hôpital et je vais parfois avoir besoin de parler, besoin d'une personne à qui me confier. Voudrais-tu être cette personne ?)

— But ... Ahjusshi ... Why me? (Mais... Ahjusshi... Pourquoi moi ?)

— Because you will …(Parce que toi, tu me diras toujours la vérité. Aussi parce que Hyun-ae dirait tout à Eun-jung et qu'elle en souffrirait, pareil pour Na-ri et Dounia.)

— Ah… Okay … (Ah… D’accord… Mais toi aussi ! Tu devras aussi m'écouter quand j'en aurais marre. Marché conclu ?)

— Deal… (Marché conclu... As-tu écouté Eekwol ? Qu'en penses-tu ?)

— She is … (Elle est vraiment super ! Où as-tu trouvé ses chansons ?)

— On YouTube ... (Sur YouTube... Elle est Native Canadienne et lutte pour la reconnaissance de son peuple. Écoute, je n'ai pas beaucoup de rap mais je vais dire à Dounia de te laisser mon lecteur MP3. Il y a des choses qui devraient te plaire dedans. Milck par exemple, je suis certain que tu aimeras. Merci encore Hee-jung... Tu es vraiment une fille bien. À la prochaine.)

------------------------------------

LUNDI 4 MARS 2019

Réveillée en milieu de nuit par les légers gémissements d’Eun-jung partageant son lit, Hyun-ae va pour la prendre dans ses bras quand elle réalise que celle-ci dort d’un sommeil agité. Angoissée par les mauvaises nouvelles reçues d’Aimé, Eun-jung a mis si longtemps à s’endormir que Hyun-ae prend mille précautions pour ne pas la réveiller alors qu’elle sort du lit, enfile un peignoir et quitte la chambre. Assise à son bureau, éclairée par une simple lampe de chevet, Hee-jung lève vers elle un visage fatigué mais souriant. Hyun-ae se sert un verre d’eau et la rejoint.

— 아직 안 자 … (Tu ne dors pas encore ... Que fais-tu ?)

— 나는 랩을 쓰기 ... (J'écris un rap... Enfin, j'essaye.)

Hyun-ae sourit d’un air entendu comme si elle s’y attendait et s’approche d’elle.

— 당신이 ... (Alors tu l'as trouvé... C'est bien.)

— 나는 무엇을 찾았나요? (Trouvé quoi ?)

Hyun-ae se penche vers Hee-jung et lui fait un bisou sur le sommet du crâne.

— 너의 표현수단 … (Ton moyen d'expression, ma belle. Tu as tellement de choses à dire.)

— 아... (Ah... Je ne sais pas trop. C'est déjà dur de trouver les mots justes. Mais il faut en plus qu’ils s'accordent avec le rythme et qu’ils riment… ça je n’y arrive pas.)

— 당신은 … (Tu es peut-être trop ambitieuse pour une première. Oublie les rimes, concentre-toi sur les mots et le rythme.)

— 이게 내가 한거야... (C'est ce que j'ai fait...)

Hee-jung se laisse aller contre Hyun-ae. Les deux restent ainsi silencieuses un moment, Hyun-ae caressant d’une main légère le visage et le cou de Hee-jung.

— 그것은 … (Ça parle de quoi ?)

Hee-jung se redresse.

— 에이메가 생각났다... (Je pensais à Aimé... Tu veux lire ?)

— 지금은 아닙니다 … (Pas maintenant. Quand tu auras fini. À demain.)

Hee-jung relève la tête en souriant pour accueillir le baiser de Hyun-ae sur son front.

— 내일 봐, 언니. (À demain Eonni.)

………………….

Eun-jung sort de la chambre de Hyun-ae et voit Hee-jung endormie sur le bureau. Elle s’approche, la réveille doucement pour l’accompagner et la coucher à la place qu’elle occupait dans le lit de Hyun-ae avant de revenir préparer du thé. Sortant de la salle de bain, Hyun-ae la trouve occupée à lire une feuille couverte par l’écriture de Hee-jung. Elle se sert un thé et vient s’assoir près d’elle.

— 이게 뭐야? (C'est quoi ?)

— 희 - 정가 쓴 … (C'est Hee-jung qui l'a écrit, je crois. C'est une sorte de réquisitoire contre les machos, assez... virulent !)

— 보여줘? (Fais voir ?)

Hyun-ae lit à voix haute :

엉덩이를 내려 놔

(Pose ton cul.)

"당신이 남자라면 엉덩이를 내려. 포즈, 포즈, 포즈, 포즈 니 엉덩이

(Pose ton cul si t'es un homme. Pose, pose, pose, pose ton cul)

(………..)

덕분에 사랑 ...

(Merci amour...)

— 덕분에 ... (Merci mon amour ? Drôle de chanson d'amour...)

— 그것은 … (C'est autre chose je pense : Merci Aimé.)

---------------------------------

JEUDI 8 MARS 2019

Fin de matinée à l’hôpital de la Timone…

Aimé est dans son lit, l’air fatigué. Un médecin et un interne entrent pour inspecter deux poches accrochées à son lit d’où sortent deux tuyaux transparents de la taille d’un petit doigt qui s’enfoncent dans sa poitrine.

— Ça y est ? Vous allez m’enlever ces deux derniers fichus drains ?

Le médecin fait une grimace encourageante.

— Un oui. L’autre donne trop. Vous devrez le garder encore un ou deux jours pour éviter que le liquide lymphatique ne s’accumule dans votre poitrine. Puis, après avoir saisi un tuyau d’une poigne ferme : Allez-y, expirez profondément et bloquez votre respiration.

Aimé s’exécute et le médecin extrait d’un seul coup la dizaine de centimètres de tuyau souple enfoncée dans sa poitrine avant que l’interne n’appuie fermement sur la plaie avec un tampon de gaze imbibé de produit désinfectant.

— Et voilà… Vous devez vous sentir plus à l’aise, non ?

— Pas vraiment… C’est l’autre qui frotte douloureusement contre une côte…

— Ah… Pas de bol… Allez ! Un peu de courage ! Vous serez bientôt sorti d’ici.

………………….

Son lit redressé au maximum, Aimé allume le PC de sa fille et ouvre sa boite mail. Un sourire efface immédiatement son humeur sombre : Il a reçu un email de Hee-jung. Il l’ouvre et ne découvre qu’un message laconique :

« Anyeong! Open the video link!

I writed this thinking of you, Ahjusshi! »

(Salut ! Ouvre le lien vidéo !

J'ai écrit ça en pensant à toi, Ahjusshi !)

Aimé s’exécute et une page YouTube intitulée « HeeJung 엉덩이 아래로 넣어 (Feat 릴 체리) /HeeJung - Put Your Ass Down (Feat Lil Cherry) » s’ouvre dans son navigateur internet. Il met en route la vidéo. Sur fond gris uniforme, un micro de studio pro. Arrive par la gauche une jeune femme en tenue décontractée qui se place devant le micro, à l’aise :

— Yum. What’s good, it’s Lil Cherry. 일주일 전… (Miam. Ce qui est bon, c'est Lil Cherry. Il y a un moment, j'ai rencontré une fille. Elle avait un air cool et beaucoup de choses à dire. J'y ai filé mon numéro et elle m'a envoyé un truc il y a 3 jours. On vient juste de finir de bosser dessus, je l'ai aidée pour la musique. Vous allez voir, c'est du tout bon. Viens !)

Hee-jung apparait, assez timide, en uniforme de lycéenne et le beat démarre.

— 여기 … (Voici HeeJung. La chanson s’appelle : Pose ton cul.)

(Lil Cherry)

"당신이 남자라면 엉덩이를 내려. 포즈, 포즈, 포즈, 포즈 니 엉덩이

(Pose ton cul si t'es un homme. Pose, pose, pose, pose ton cul)

당신이 알고 싶다면, 여성의 삶에 대해.

변기에 엉덩이를 대십시오. 동료들의 오줌 속에서.

(Si tu veux savoir de la vie des femmes.

Pose ton cul sur la lunette. Dans la pisse de tes congénères.)

당신이 당신의 어머니와 자매를 사랑한다면. 변기에 엉덩이를 대십시오. 당신은 더 옆에 오줌 것입니다.

(Si t'aimes ta mère et tes sœurs. Pose ton cul sur la lunette.

Tu pisseras plus à côté.)

(Ensemble.)

당신이 남자라면 당신의 엉덩이를 누워. 포즈, 포즈, 포즈, 포즈 니 엉덩이

(Pose ton cul si t'es un homme. Pose, pose, pose, pose ton cul.)

(Hee-Jung.)

당신은 남자, 남편, 남자입니다. 아내를 때린 당신.

그리고 매일 당신의 아이를 때리고.

(Toi l'homme, le mari, le mâle. Toi qui bastonnes ta femme.

Et chaque jour claque tes gosses.)

하루가 오기 싫다면. 어디 하나가 당신의 거시기를 잘라 것입니다.

변기에 엉덩이를 대십시오.

(Si tu ne veux pas que le moment vienne où on te tranchera la bite.

Pose ton cul sur la lunette.)

(Ensemble.)

당신이 남자라면 당신의 엉덩이를 누워. 포즈, 포즈, 포즈, 포즈 니 엉덩이

(Pose ton cul si t'es un homme. Pose, pose, pose, pose ton cul.)

(Lil Cherry)

남자들이 있다. 큰, 강한, 강력한. 중요하지 않습니다.

(Des hommes il en est. Des grands, des forts, des puissants. Tellement insignifiants.)

(Hee-Jung.)

다른 사람들은 약해 보입니다. 어린아이처럼 운다.

그러나 영혼의 너무 좋아요. Yo Ahjusshi!

(D'autres ont l'air faibles. Pleurant comme des enfants.

Pourtant si grands de l'âme. Yo Ahjusshi !)

(Ensemble.)

당신이 남자라면 당신의 엉덩이를 누워. 포즈, 포즈, 포즈, 포즈 니 엉덩이

(Pose ton cul si t'es un homme. Pose, pose, pose, pose ton cul.) »

얘들아, 우리는 지겹다! 당신의 스플래시에 질려. 더러운 팬티와 쓰레기에서.

(Hé les mecs y'en a marre ! Ras le bol de vos éclaboussures. De vos slips sales et d’vos ordures.)

이봐 소녀들 일어나! 세상을 움직이게 하는 종류.

그것은 "그"가 아니라 "그녀"입니다.

(Hé les meufs réveillez-vous ! S'il est un genre qui fait avancer le monde.

C’est pas le "IL", c’est bien le "ELLE

(Hee-Jung, à capella)

당신이 남자라면 당신의 엉덩이를 누워. 포즈, 포즈, 포즈, 포즈 니 엉덩이

(Pose ton cul si t'es un homme. Pose, pose, pose, pose ton cul.) »

Les toutes dernières images montrent les deux filles, heureuses se faisant une chaleureuse accolade avant que Hee-jung n’approche son visage de la caméra pour dire.

고마워 Ahjusshi ! 우리는 너를 사랑해 !

(Merci Ahjusshi ! On t’aime !)

Aimé regarde une deuxième fois la vidéo quand une jeune aide-soignante aux yeux légèrement bridés entre dans la chambre. Surprise, la jeune femme se penche vers l’écran du PC :

— Hé ?! Mais c’est Lil !

Elle éclate de rire et regarde Aimé, surprise.

— Vous regardez ça vous ! Vous aimez Lil Cherry ?

— Je ne connaissais pas… Par contre, Hee-jung, l’autre rappeuse, est une amie. Elle a écrit les paroles. C’est son tout premier rap.

La jeune femme regarde Aimé d’un air septique. Il se met à rire.

— Vous ne me croyez pas ?

— Pardon monsieur mais on rencontre tellement de mythomanes ici…

Attendez la fin. Vous comprenez le Hangul ?

— Ma mère est Coréenne.

— Alors attendez encore un peu… Voilà là ! Vous avez entendu ? Elle a bien dit : « Gomawo Ahjusshi », hein ? Puis, prenant un air très fier de lui : Eh bien Ahjusshi c’est moi.

Elle pouffe de rire, moqueuse.

— Vous savez ce que veut dire Ahjusshi ?

— Oui ! C’est Monsieur ! Mais elle aime m’appeler comme ça… Ou alors vieux con quand je l’énerve. Puis, soudain vexé par l’air dubitatif de la jeune femme : Arasso, arasso. Je suis un menteur. C’est bon… Oubliez ça. Ga…

Un froid s’installe. Tandis qu’elle change ses draps, Aimé assis dans le fauteuil à côté du lit compose un numéro.

— Allo ? Hee-jung ? Comment ça va ma belle ! I'm alright … (Moi ça va. Ils m’ont retiré un tuyau mais pas celui qui me fait mal, les cons... Bravo Hee-jung ! Ton rap est super ! C'est qui la fille avec toi ?... Lil Cherry ? Elle a l'air connue... Non pas moi, une jeune femme qui travaille ici à l'hôpital la connait... Ah t’es avec elle là ? Donne-lui le bonjour de ma part. Tes paroles ? Je n'ai pas tout bien compris mais elles semblent percutantes, j'adore... Juste un truc, dans la dernière phrase avant le refrain, tu devrais rajouter "Iel" : Ce n’est pas le "Il", c'est bien le "Elle" ou le "Iel"... "Iel" ? C'est comme ça qu'on dit pour les garçons nés dans un corps de fille... Oui... Eux ne pissent jamais à côté, la vie est trop dure avec eux pour qu'ils ne respectent pas cela. Ah... Hee-jung ? Attend une minute.

Un court silence s’installe tandis qu’il regarde la jeune femme restant debout à attendre…

— Hee-jung … (Hee-jung, tu vas recevoir un nom et un n° de téléphone par SMS. Prends un selfie avec ton amie et signez-le avant de l'envoyer à ce numéro. C'est pour une fan Marseillaise de Lil Cherry. Fais-le s'il te plait, elle s'occupe bien de moi.)

Aimé raccroche puis regarde l’aide-soignante interloquée.

— Donnez-moi votre nom et votre n° de téléphone.

— Hein ? Mais non…

— Attendez…

Il sélectionne sa boite SMS, en crée un, choisit Hee-jung en destinataire et tend son téléphone à la jeune femme en laissant vide la zone de texte en lui disant d’un ton bougon :

— Eh bien, la confiance règne à Marseille… Allez-y, écrivez-les et envoyez le message puis vous le supprimerez vous-même. Puis comme elle hésite, il fait mine de lancer son téléphone sur le lit : Bon, si ça ne vous intéresse pas…

— Si, si ! Attendez !

La jeune femme s’exécute et rend son téléphone à Aimé avant de sortir de la chambre d’un pas pressé. Un peu dépité, Aimé regarde par la fenêtre les montagnes entourant la ville. Quelques minutes plus tard, la jeune aide-soignante entre en trombe dans la chambre :

— 아저씨! … (Ahjusshi ! J'ai reçu le selfie !) C'était vrai alors ! Vous connaissez vraiment Lil Cherry ? C'est ma rappeuse préférée !

— Non, je ne la connais pas. Je vous l’ai dit, c’est Hee-jung qui est une amie, enfin… plus précisément une amie de ma fille. Vous verrez, elle sera célèbre dans quelques années.

— C’est possible, la vidéo cartonne déjà, regardez : déjà plus de 2000 vues en quelques heures !

----------------------------------------

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Laurent T. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0