Jeudi 28 Février 2019

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JEUDI 28 FÉVRIER 2019

L’aube est proche mais Aimé ne dort toujours pas. Il embrasse une dernière fois le front d’Eun-jung, ose une légère caresse dans les cheveux de Hyun-ae et sort doucement du lit sans réveiller les amantes endormies. Il s’habille en silence, prend les clefs de la voiture et sort de l’appartement.

Aimé roule sans but. Arrivé en périphérie de la ville, il sort des grands axes et roule de plus en plus rapidement sur de petites routes sinueuses devenant bientôt chemins de terre et débouche au hasard dans une vaste carrière déserte dont les pistes larges et bien entretenues l’incitent à attaquer plus sérieusement. On découvre alors chez lui une vraie maitrise du pilotage ; choisissant ses trajectoires, il freine énergiquement et place dès l'entrée des virages sa lourde berline dans une dérive qu'il entretient du volant et de l’accélérateur, la prononçant ou la réduisant en fonction de l'angle de la courbe se déroulant devant son pare-brise.

Une voiture de police arrive en surplomb de la carrière et s’arrête. Deux agents en sortent, observent de loin puis, surpris et intrigués, filment avec un téléphone portable cette drôle d’auto de luxe couverte de poussière virevoltant hargneusement de virage en virage.

Retrouvant réflexes et automatismes qu’il croyait oubliés, Aimé bientôt se défoule pour de bon. Il exulte au volant. Cette sensation de contrôle absolu lui devient soudain primordiale alors ignorant le vacarme des graviers frappant la tôle, il raccourcit plus encore ses zones de freinage, place à des vitesses de plus en plus élevées son auto dans des glisses de plus en plus amples, l’extirpe des virages par les vigoureuses accélérations des 330 chevaux du 6 cylindre en ligne. Aimé revit. Il reconstruit son assurance, rassemble courbe après courbe les lambeaux de fierté qui lui reste. Il commence peu à peu à se sentir redevenir homme quand soudain le virage devant lui est traversé par une large flaque d’eau boueuse et son auto part brusquement en aquaplaning… Impossible de la placer correctement ! Impuissant, il la sent sous-virer dangereusement en direction du vide et, ses roues retrouvant la terre sèche, ce n’est que le pur réflexe tirer brusquement sur le frein à main tout en donnant un violent coup de volant dans le sens du virage qui le sauve de la catastrophe. L’auto part dans un long tête-à-queue qu’il tente sans succès de contrôler par une furieuse accélération et… s’arrête in extrémis au bord du ravin.

Dans l’habitacle enveloppé de poussière, c’est soudain le silence après la furie. Les seuls bruits qu’Aimé perçoit son ceux de sa respiration et du moteur tournant au ralenti. Ce n’est qu’alors qu’il se préoccupe des douleurs dans sa poitrine et son bras droit. Pourtant ça fait un bon moment qu’elles sont là, plus fortes que jamais auparavant, mais il les avait ignorées tant son exutoire lui était vital. Son bras droit devenu subitement inerte, il fouille fébrilement ses poches de la main gauche mais doit vite se rendre à l’évidence ; il a négligé de prendre la Trinitrine ! Son cœur battant à toute allure, il se sent soudain partir, au bord de l’évanouissement. Il a l’impression de glisser inexorablement dans un puits sans fond et se sait trop faible pour s’accrocher à son bord. La peur l’envahit : « Ça y est… C’est pour de bon cette fois… » Alors des regards souriants s’imposent à lui ; celui impertinent de Hee-jung, ceux intense de Na-ri, affectueux de Hyun-ae et tendre de sa fille. Et enfin, celui amoureux de Eun-jung murmurant à son oreille : « Salanghae ». Une dernière pensée lui vient, juste avant de perdre connaissance :

« Mais quel con je suis ! »

Quelques secondes à peine et lentement Aimé revient à lui. La douleur s’est estompée, son bras droit refonctionne. Percevant de nouveau le moteur ronronner au ralenti, il s’ébroue, respire un grand coup et va pour repartir quand une voiture de police l’en empêche en surgissant devant son capot, toute sirène hurlante.

………………….

Milieu de matinée dans un poste de Police en périphérie ouest de la ville…

Eun-jung, Na-ri et Dounia arrivent en Taxi. Conduite auprès d’Aimé à sa demande, Eun-jung explose en le découvrant derrière les barreaux :

— AIMÉ! ..... What … (Qu'est-ce que tu as fait ! J'en ai marre de te courir après ! Arrête de t'enfuir comme un lâche ! Je ne supporte pas de me réveiller seule sans savoir où tu es parti ! J'en ai marre !) Puis, s’adressant au chef accourant : 도대체 … (Qu'a fait cet idiot ?)

— 그는 위험한 … (Il a été arrêté pour conduite dangereuse. On a filmé sa voiture faisant des dérapages incontrôlés. C'est un miracle qu'il n'ait pas eu d'accident. En plus il n'a pas de permis valide.)

— What did … (Qu'est-ce que tu as fait avec la voiture de Hyun-ae ?!) S’écrie soudain Eun-jung, furieuse.

Suit un petit moment d’affolement quand Eun-jung saisit la matraque du gardien négligemment posée sur son bureau pour se ruer contre les barreaux, essayant vainement d’atteindre Aimé.

— 날 위해 … (Ouvrez-moi la porte ! Je vais le tuer cet imbécile !)

Heureusement pour Aimé, elle est vite maitrisée par Na-ri et Dounia, puis désarmée par les policiers.

Quelques minutes plus tard…

Calmée, Eun-jung assise devant son bureau écoute les explications conciliantes du chef. Na-ri et Dounia l’encadrent debout, prêtes à intervenir au cas où…

— 부인, 문제가 … (Écoutez Madame, l'affaire n'est peut-être pas si grave que ça. La seule chose certaine est qu’il est en infraction pour avoir conduit sans permis international. Il nous a présenté ce qui semble être un permis de son pays mais ce n'est pas valide en Corée. Pour ce qui concerne l'accusation de conduite dangereuse, elle n'a pas été constatée sur une route publique et ne tombe pas sous le coup de la loi. Mais j'ai besoin d'une explication. Regardez.)

Le chef tourne vers elle l’écran de son ordinateur et lance la vidéo prise par ses collègues. Tandis que Eun-jung et Na-ri découvrent bouche bée les embardées de la voiture toute neuve de l’ami de Hyun-ae glissant rageusement de virage en virage, le chef exprime son soupçon :

— 미안하지만 … (Je suis désolé mais pour moi, votre ami ne peut être que sous l'emprise d'alcool ou de drogue pour avoir un comportement aussi suicidaire au volant. Une prise de sang a déjà été faite, nous attendons les résultats.)

Tous sont alors surpris par la réaction de Dounia qui s’exclame en souriant :

— Wouaaa Papaaaaaa ! Trop coool ! … (Eun-jung, je ne savais pas qu’il assurait autant sur la terre !)

— Dounia! … (Dounia ! Tu dis quoi là ?)

— Mais regarde ces travers ! Wow ! Ça c'est du pilotage ! Comme en Rallye !

Eun-jung la regarde, surprise.

— What ... Are … (Quoi... Tu dis que c'est maîtrisé ça ? Le chef pense que ton père est saoul ou drogué.)

— Pas du tout ! Papa ne conduit jamais comme ça s'il n'est pas en pleine possession de ses moyens. C'est vrai que ça fait longtemps... ça devait le démanger. Please … (Traduit s'il te plait Eun-jung, je vais lui expliquer.)

— 추장 … (Chef. La fille de mon ami voudrait vous dire quelque chose. Vous permettez que je traduise ?)

Le chef acquiesçant, Dounia le regarde dans les yeux et :

— Timjangnim! … (Chef ! Papa pas saoul ! Papa s'amuse!) Il faisait des rallyes avant alors dès fois il a besoin de retrouver les sensations du pilotage. Je vais avec lui parfois, j’aime bien. Il peut aller vraiment très vite mais je n’ai jamais peur à côté de lui. Dis bien au chef qu’il choisit toujours des petites routes sans aucune circulation, souvent en pleine nuit dans des endroits déserts.

………………….

Sur l’autoroute menant à Séoul, le moteur de la BMW ronronne discrètement. Au volant, Eun-jung jette de fréquents coups d’œil à Aimé installé sur le siège passager. Derrière, Na-ri fascinée passe en boucle sur son téléphone la vidéo des exploits d’Aimé que le policier a bien voulu lui copier. Fière de son papa, Dounia lui fait stopper la vidéo pour expliquer, s’aidant de gestes :

— Sometime, I miss beose. Alors naneun dis “Appa, take me to school!” We are late. So, dad drive like crazy! Igeo daebag! (Parfois je rate le bus. Alors je demande à mon père de m’emmener à l’école. Comme on est en retard, il roule à fond ! C’est génial !)

Eun-jung regarde Dounia dans le rétroviseur intérieur.

— May he never … (Qu'il ne s'amuse jamais de faire ça ici ! Les caméras de la police sont partout à Séoul.)

— Né…. Aleumdaun eommaneun. (Oui…. Belle maman.) Dis… Dès fois tu me fais peur un peu... Tu voulais vraiment matraquer papa tout à l’heure ?

— No, no! Do … (Non, non ! Ne t’inquiète pas. Il vaut mieux faire un peu de cinéma dans certaines situations. Je suis bonne actrice, hein ?) Répond Eun-jung en riant avant de s’adresser à Aimé : Fortunately … (Heureusement, les analyses étaient négatives, sinon tu aurais pu aller en prison pour plusieurs mois ! Et ne prends plus jamais le volant ici ! La punition sera bien plus qu'une amende si tu es pris.)

Regard perdu dans le paysage défilant par la fenêtre, Aimé ne réagit pas. Anxieuse, Eun-jung le surveille du coin de l’œil ; son sourire n’est que de façade, il est manifestement désespéré. Un violent remord l’envahit alors qu’elle se remémore le regard brillant de son homme posé sur elle tandis qu’elle se laissait aimer par Hyun-ae. Une pensée angoissante s’impose à son esprit :

"이 광기를 절대 받아들이지 말았어야 했는데..."

(« Je n’aurais jamais dû accepter cette folie… »)

………………….

En début d’après-midi chez Hyun-ae…

Dans le séjour, Na-ri et Dounia occupent le canapé, nez plongés dans leurs manuels, répétant assidument mots et syllabes difficiles à prononcer pour chacune. Debout près d’elles, Hee-jung scrute le comportement des adultes ; quelque chose ne tourne pas rond entre eux… Assis sur le bord du fauteuil, dos tout raide, Aimé regarde dans le vide, visiblement sous tension. Depuis la cuisine où elle prépare le repas collectif, Eun-jung le regarde régulièrement, inquiète, anxieuse comme une enfant prise en faute. Hyun-ae qui l’aide la regarde au contraire avec des étoiles dans les yeux ; celles d’un amour enfin accompli…

Aimé sort dans le jardin, Hee-jung attend quelques secondes et le rejoint. Elle s’approche à ses côtés, le regarde en silence rouler puis allumer sa cigarette et la lui pique soudain des mains d’un geste vif et précis. Profitant de la surprise d’Aimé, elle tire rapidement une bouffée.

— It is first time ... (C’est la première fois… Vous et moi... Seuls)

Elle tire une autre bouffée puis lui rend la cigarette en expirant la fumée avec un grand sourire satisfait.

— Thank you, Ahjusshi … (Merci Monsieur ! C’est bon.)

— You are … (Tu es trop jeune pour fumer !) C’est stupide à ton âge…

— Stupid? Maybe ... (Stupide ? Peut-être... Dites-moi monsieur ; pourquoi… seuls les adultes… peuvent être stupides ? Moi... Je suis adolescente... N'ai-je pas aussi le droit d'être stupide ?)

Un peu surpris par la vivacité d’esprit de cette gamine qu’il connait peu, Aimé la regarde et s’irrite de son sourire arrogant.

— Arasso, … (D’accord, d’accord ! Tu as raison !) Tu es du genre à avoir toujours raison toi, hein ? Tsss. Ces gosses…

— What? Speak English Ahjusshi! (Quoi ? Parle Anglais Monsieur !) S’agace Eun-jung.

— You, young people… (Vous les jeunes, vous quittez à peine le sein de maman que vous croyez déjà tout savoir ! Vas-y ! Fume ! Soit stupide autant que tu veux !) S’énerve Aimé.

Hee-jung le regarde d’un air furibond.

— You … (Vous êtes le stupide, monsieur !) Puis, criant presque en le tirant par la manche : Come on, 씨 바보! (Venez, monsieur le stupide !)

Un peu éberlué par son aplomb, Aimé se laisse entrainer jusque dans l’atelier de Hyun-ae. Il n’y était jamais venu et découvre le lieu avec étonnement, regardant d’un œil curieux les tableaux. Mais il n’a pas le temps de s’y attarder car Hee-jung l’entraine au font de l’atelier, devant une toile de taille modeste couverte d’un vieux drap tout barbouillé de couleurs que la jeune fille ôte d’un geste vif. Aimé est soudain saisi de stupeur…

C’est si réaliste, si criant de vérité… comme si l’artiste avait été avec eux cette nuit ! Tout est là ; la ferveur érotico-amoureuse de Hyun-ae, l’extase de Eun-jung, son amour pour lui tout comme celui qu’il éprouve pour elle et puis… si flagrante, si grotesque à ses yeux, l’expression de son impuissance. Pendant de longues secondes, il détaille tout ça en silence, cœur serré, puis soudain semble se recroqueviller sur lui-même comme un ballon de baudruche qui se dégonfle. Il va pour s’enfuir encore mais Hee-jung a anticipé la chose et le stoppe d’un cri alors qu’il se retourne à peine :

— AHJUSSHI !

Elle l’attrape fermement par le bras, le force à regarder encore puis, pointant d’un index impérieux les personnages à mesure qu’elle les nomme :

— Look! You love … (Regardez ! Vous aimez Eun-jung et Hyun-ae aime aussi Eun-jung. D’accord… Mais qui Eun-jung aime-t-elle le plus ? Vous ! Eun-jung vous aime, Monsieur !)

Elle se tait soudain, ne sachant si elle doit, si elle peut se permettre de dire ce qu’elle a envie de dire ensuite… Elle se décide subitement, pointe un index véhément entre les cuisses de l’homme du tableau.

- And this… (Et ça...)

Elle hésite encore un instant puis, la colère la rendant audacieuse, ose pointer son doigt entre les cuisses d’Aimé et crie presque :

— This… Nobody … (Ça… Tout le monde s'en fiche ! Eun-jung la première !) Puis, utilisant subitement une forme familière : 당신이 … (Son bonheur devrait te rendre heureux si tu l'aimes vraiment… Imbécile.)

Sz-

Ne sachant trop s’il doit être plus abasourdi que dévasté de honte, Aimé regarde sans réagir cette trop clairvoyante gamine sortir de l’atelier en claquant la porte… puis la réouvrant pour rajouter, plus douce :

— Old jerk … (Vieux con…)

La porte se referme.

Aimé reste seul à regarder le tableau et son esprit retrouve peu à peu lucidité. Sondant son cœur au plus profond, il réalise que celui-ci n’éprouve qu’amour et tendresse alors que lui reviennent en mémoire le souvenir des soupirs d’Eun-jung prenant du plaisir entre les bras de Hyun-ae. Non, ce n’est pas cette évocation qui le glace encore d’effroi ; c’est peut-être celle de la main de la femme qu’il aime venant inconsciemment s’agripper à son entre jambes lors de sa jouissance. Et même ça… Il prend une grande respiration, recouvre soigneusement le tableau et sort de l’atelier.

Dehors, Hee-jung l’attend l’air de rien, debout, nonchalamment appuyée contre le mur de la petite maison. Aimé vient à ses côtés, roule une cigarette en silence, l’allume et la tend à la jeune fille. Hee-jung la refuse, un peu boudeuse. Alors il tire une bouffée puis sort de sa poche son vieux lecteur MP3, l’allume et sélectionne une playlist nommée Eekwol qu’il met en route. Il tend à Hee-jung les écouteurs et pose le lecteur dans sa main.

— Dounia m’a dit que tu aimes le RAP, ça devrait te plaire. Tell the … (Dis aux autres que je vais me promener, veux-tu ?)

L’ébauche d’un remords titille Hee-jung tandis qu’elle le regarde partir, dos vouté :

"그와 조금 힘들게 갔을지도..."

("J'y suis peut-être allée un peu fort...")

Puis elle met les écouteurs à ses oreilles et sa tête se penche un peu de côté tandis qu’elle fronce légèrement les sourcils de surprise.

………………….

Dans le séjour, Hee-jung trouve tout le monde rassemblé autour du bureau de Hyun-ae à regarder l’écran de son PC. Soucieuse, Eun-jung se tourne vers elle.

— Aimé는 … (Aimé n'est pas avec toi ?)

— 아니, … (Non, il est allé se promener. Vous regardez quoi ?)

— 그의 … (Sa conduite stupide. Regarde ça...) Puis s’adressant à Hyun-ae : 그가 당신 … (J'espère qu'il n'a pas abimé la voiture de ton ami... Je suis prête à assumer les coûts…)

— 그거 … (Laisse tomber. Mon ami ne sait que faire de son argent.)

Sur l’écran du PC, la lourde berline aborde trop vite une large flaque d’eau masquée par l’entrée d’un virage et semble filer tout droit vers le vide. Hee-jung s’écrie :

— 오 ! 그는 … (Oh ! Il va tomber dans le ravin ! Ouf ! Non... C'est vraiment n'importe quoi...)

— 정말 멋진 … (Moi je trouve ça cool, dit Na-ri. T'as vu comment il l'a rattrapée au dernier moment ?)

— 하지만 그만 … (Mais arrête ! C'est bien un comportement de mec ! Un truc du genre ; "M’en fiche d’en avoir une petite ; regardez ma grosse bagnole !" Ça me fait penser à l'autre enculé avec sa moto...)

— 남자 ... (Les hommes... Même les plus doux restent des "mecs". Affirme Hyun-ae. Ils ont besoin de dominer, de se sentir forts, puissants.)

— 안타깝게도... (C'est malheureux... Et c'est toujours nous qui payons les pots cassés...) Confirme Eun-jung.

— 그래 ... (Ouais... Non seulement ils pissent à côté de la lunette mais en plus c'est les nous, les femmes qui devons nettoyer...) Insiste Hee-jung.

Na-ri remarque soudain que Dounia n’est plus à ses côtés. Elle se retourne et voit le visage de son amie rempli de douleur et de colère. Chaque réflexion semble la frapper plus sûrement qu’un coup de poing et la fait se reculer.

— 중지 ... (Arrêtez...)

— 무엇 스톱! … (Quoi, arrêtez ! S’emporte Hee-jung. Il faudrait la leur couper ! Ça leur apprendrait peut-être à nous respecter !)

Dounia soudain explose.

— Putain mais STOP ! STOOOOOP !

Elle s’approche de Hee-jung à la toucher.

— Et toi ! Il faudrait te couper quoi pour que t’arrêtes de dire des conneries ?!!!

— Dounia…

— Quoi Eonni ! Désolé mais vous me faites toutes chier avec vos généralités à la con ! Les hommes ci, les hommes ça ! Vous êtes aussi connes qu’eux si vous vous obstinez à tous les mettre dans le même sac. C’est de mon père que vous parlez là et moi mon père je l’aime ! MERDE !

Regard luisant de colère, Dounia prend son manteau et se dirige à pas forcés vers la porte. Elle l’ouvre en grand mais avant de sortir, se retourne et s’adresse à Hee-jung.

— Tu sais Hee-jung, mon père il a peut-être besoin de compenser un truc en conduisant comme ça mais il n’a jamais frappé personne lui ! Puis, un peu calmée après avoir prise une grosse bouffée d’air frais. Et puis ça va peut-être te surprendre mais je l’ai toujours connu s’asseyant sur les toilettes pour pisser. Il dit que c'est le minimum de respect que les hommes devraient tous avoir envers les femmes.

Dounia sort. Na-ri la suit après avoir lancé un regard lourd de reproches à sa mère et à Hyun-ae. Hee-jung va s’assoir sur le divan, regrettant déjà d’avoir laissé s’exprimer sa rage contre MM sur le dos d’Aimé.

………………….

Plus tard au soleil couchant, Na-ri et Dounia entrent chez Hyun-ae, visiblement inquiètes.

— 엄마! Dounia… (Maman ! Le père de Dounia... il a disparu.)

— 당신은 … (Comment ça disparu !)

— 윤 배-JA … (Yoon Bae-ja l'a vu monter dans la colline avec des bouteilles de Soju. On l'a cherché partout avec Dounia mais il est introuvable.)

— 밤이 내리고… (La nuit tombe... Prenons des lampes et allons-y toutes.) Décide Hyun-ae.

Alors que la meute déboule dans la rue, Hee-jung tapote l’épaule de Dounia qui se retourne vers elle.

— Pardon Dounia… It was not ... (Ce n’était pas ton père…)

Sans répondre, Dounia lui prend le bras et elles pressent ensemble le pas pour rejoindre les autres.

………………….

Balayée par les faisceaux lumineux de leurs lampes, la petite colline résonne des appels des louves cherchant Aimé en deux groupes distincts ; les plus âgées se sont réservé leur versant Ouest plus facile tandis que les jeunes, guidés par Na-ri connaissant les lieux par cœur, partent vers l’Est sur le versant du quartier de Jeungsan-dong.

Inquiète, Eun-jung remonte vers le sommet de la colline laissant à Hyun-ae le soin de chercher en lisière des bâtiments. Celle-ci arrive bientôt près de la sépulture de Mme Park. Elle la dépasse de quelques mètres puis revient sur ses pas, alertée par une odeur inhabituelle ici : la cigarette. Elle en est certaine ; il est là tout près mais pourtant ne répond pas à ses appels. En contrebas du petit rocher se trouve un arbre au tronc se perdant dans un buisson. Hyun-ae descend le talus, contourne le buisson et éclaire enfin le visage d’Aimé de sa lampe. Assis adossé au tronc, il la regarde d’un air perdu… A ses pieds, deux bouteilles de Soju vides.

Hyun-ae va pour appeler Eun-jung en criant mais elle se ravise. Les nuages découvrant enfin lune, elle éteint sa lampe et vient s’accroupir devant lui.

— Que fais-tu Aimé… Tout le monde s’inquiète.

Il ne répond pas mais ses yeux se remplissent de larmes silencieuses alors Hyun-ae sort son téléphone de sa poche et envoie un SMS aux autres :

« 찾았어요. 그는 괜찮습니다. 돌아와. 잠시 후 만나 뵙겠습니다. »

("Je l'ai trouvé. Il va bien. Rentrez. On vous rejoindra dans un petit moment.")

Puis elle prend une main d’Aimé dans les siennes.

— Mianhae Aimé… Mais je ne regrette rien. Je ne pensais pas que tu vivrais cela aussi mal… ça me désole mais je ne changerais rien. J’aime Eun-jung peut être autant que tu l’aimes. Tu sais qu’elle t’aime, que jamais elle ne nous mettra en compétition alors s’il te plait, mets ton égo masculin de côté et accepte. Tu dois m’accepter comme je t’accepte.

Aimé se ressaisit. Il libère sa main des siennes pour s’essuyer les joues et, regard se perdant dans le vide :

— Tu te trompes...

— Je ne crois pas Aimé…

— Si… Puis la regardant dans les yeux : Bien sûr que mon égo masculin en a pris un coup mais ce n’est pas ça le problème... Tout à l’heure, Hee-jung m’a montré ta dernière peinture…

Il sourit en voyant une pointe inquiétude naitre dans son regard.

— Le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle était prémonitoire… Tu es vraiment quelqu’un… Crois-moi Hyun-ae : de ma vie, je n’ai peut-être jamais ressenti autant de tendresse et d’amour qu’en vous regardant vous aimer Eun-jung et toi. Vraiment, Hyun-ae. Ce n’est pas votre amour qui me détruit, et dans le fond… je commence à comprendre que ce n’est pas mon impuissance non plus.

— Alors qu’est-ce qui te détruit. Parle s’il te plait.

S’agitant soudain, il frappe du plat de la main sa poitrine au niveau de son cœur.

— C’est que tout ça… Tout ce bonheur putain ! Que tout ça arrive maintenant… C’est tard… trop tard.

— Qu’est-ce que tu racontes Aimé !

— Je suis près de la fin… Ne me demande pas pourquoi, je le sais, c’est tout… Puis avec un sourire amer : Crever maintenant serait ironique ; pour quelqu’un qui a toujours crié haut et fort que les différences entre humains ne sont rien comparé à leurs ressemblances, je me sens tellement largué ici, étranger à tout…

La colère enfle dans l’esprit de Hyun-ae à mesure qu’elle tente d’assimiler le raisonnement d’Aimé, pour elle totalement farfelu et destructeur. Soudain elle ne peut plus se retenir.

— Eun-jung a raison ! Tu donnes envie de te gifler en parlant comme ça !

Elle se lève, le regarde un moment d’un air furibond et attrapant sa main, tire de toutes ses forces pour le faire se lever à son tour.

— Viens ! Allez ! Bouge !

Le trainant derrière elle, elle grimpe en dérapant les quelques mètres de talus les séparant de la sépulture de Mme Park. Arrivés devant, elle pointe du doigt le petit monticule de terre.

— Tu sais ce que c’est ça ? Puis, le ton de sa voix s’apaisant peu à peu : C’est la tombe d’une personne dont tu n’as même pas le dixième du courage. Elle s’appelait Mme Park. Elle avait 74 ans quand elle a décidé que le moment était venu pour elle. Elle est partie seule, en silence, sans se plaindre, sans pleurer sur son sort ni accuser quiconque, après une vie de souffrance que tu ne peux même pas imaginer. Et tu sais qu’elle est la toute première personne que ta fille a rencontré en arrivant en Corée ? Oui c’est elle… la grand-mère de cœur de Na-ri. Et le lendemain, Dounia apprenait que cette femme qui l’avait accueillie avec tant de bonté s’est suicidée le soir même de leur rencontre, qu’elle l’a fait car elle estimait qu’il était temps pour elle de quitter ce monde dignement… pour ne pas être à la charge des autres.

Bouleversé de découvrir cette douleur que sa fille lui avait caché, Aimé se laisse tomber à genoux. Hyun-ae s’accroupit près de lui et, pose une main sur son épaule.

— Putain Aimé ! Vivre ou mourir, c’est encore ton choix ! Suicide-toi si tu veux ! Ou bien soigne-toi correctement. C’est insupportable de te voir dériver comme ça sans réagir !

Puis, d’un ton beaucoup plus doux alors que les larmes d’Aimé jaillissent, incontrôlables.

— Et ne me parle plus d’étranger. En pleurant sur cette tombe, ta fille est entrée dans l’histoire de ce pays… Toi aussi maintenant…

Hyun-ae le regarde en silence un long moment avant de poser une main sur son épaule. C’est alors qu’elle s’aperçoit de la présence d’Eun-jung à quelques mètres sur sa gauche. Ses yeux brillants montrent qu’elle est là depuis un bon moment. Hyun-ae lui faisant un signe de tête rassurant, Eun-jung se détourne et s’éloigne, son pas s’accélérant au rythme de ses sanglots quand elle est assez loin pour ne pas être entendue d’Aimé.

………………….

Devant la maison de Hyun-ae, Eun-jung et Aimé montent dans un taxi qui s’en va sous les regards un peu anxieux de celle-ci et des filles.

………………….

À Donggyo-dong, Aimé et Eun-jung sont couchés. Elle voudrait se serrer contre lui mais le sent crispé et n’ose pas. Rongée de culpabilité, elle ouvre la bouche pour parler mais il la stoppe en posant un doigt léger sur ses lèvres.

— Eun-jung… Tu n’as rien à te reprocher. Vraiment rien… Essayons de dormir, je suis épuisé.

Avec le cœur aussi lourd et son esprit remplit de confusion, Eun-jung s’apprête à passer une nuit blanche mais elle finit pourtant par rapidement s'effondrer dans un sommeil pesant.

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