Mardi 19 au Mercredi 20 Février 2019

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MARDI 19 FÉVRIER 2019

En ce début d’après-midi ensoleillé, Eun-jung et Aimé attendent Hyun-ae et les filles devant des tasses fumantes au Coffebee de Donggyo-dong. Un peu fébrile au souvenir de sa conversation téléphonique de la veille avec Dounia, il ne cesse de scruter la rue au travers des baies vitrées.

Hyun-ae entre dans la salle, suivie de Dounia et Na-ri se tenant par la main. Impulsive, Dounia s'élance vers son père en le voyant et les deux s'étreignent sans prendre attention à Eun-jung qui s'est brusquement redressée, visage décomposé, en voyant apparaitre Na-ri.

S’arrêtant net à l’entrée derrière Hyun-ae, Na-ri se statufie, époustouflée et hagarde. Son cœur bat à rompre, tout son être est pris dans un gouffre d’émotions violentes ; surprise, soulagement, rage et incompréhension. Une tension extrême s’empare d’elle tandis qu’elle regarde tour à tour Dounia, Aimé et Eun-jung… Et soudain une seule chose domine : la peur. Une peur immense, incontrôlable… Non… Elle ne la perdra pas !

Soudain Na-ri s'élance vers Eun-jung et la pousse violemment par les épaules en hurlant !

Tous voient sans comprendre celle-ci projetée durement au sol, renversant des chaises, puis Na-ri se pencher sur elle et hurler encore en levant le poing. Elle aurait frappé si Dounia ne s’était interposé en criant son nom. Le visage chargé de peur et d’incompréhension de son amie remplissant soudainement son champ de vison, Na-ri tremblante de rage semble revenir au monde. Elle la regarde dans les yeux et brusquement attrape sa main pour l'entrainer en courant hors du café.

Aimé tente de les suivre mais elles ont déjà disparu. Revenant à l'intérieur du café, il aide Hyun-ae à soutenir Eun-jung, livide et tremblante, incapable de se tenir debout.

………………….

Tirant toujours Dounia par le bras dans sa course, Na-ri fini par ralentir puis s'arrêter dans une ruelle. Tentant de reprendre son souffle, Dounia la voit s'accroupir en se prenant la tête dans les mains et pousser encore un long cri se terminant par un gémissement. Affolée, elle s'accroupit à ses côtés et enlace ses épaules :

— Na-ri ! Na-ri ! Qu'est-ce qu'il y a Na-ri !

Na-ri hoquette, essaie de dire quelque chose sans y arriver puis fini par relever un visage au regard désespéré vers son amie.

— 우리 엄마 였어! Eomma ! (C’était ma mère. Ma mère !)

Elle éclate en sanglots.

………………….

Pendant ce temps, portant presque Eun-jung en état de choc, Hyun-ae et Aimé l'allongent sur son lit. Angoissé, Aimé lui tient la main tandis qu'Hyun-ae va mouiller une serviette pour lui éponger le front.

………………….

Un peu plus tard sur le boulevard Seongsan-ro…

Enlacées sur un banc, Dounia et Na-ri attendent un bus. Na-ri ne pleure plus mais son regard éperdu et sa main accrochée au bras de Dounia disent sa détresse.

………………….

En fin d’après-midi, Aimé et Dounia parlent au téléphone. Lui est debout dans le salon chez Eun-jung et sa fille assise dans la chambre des filles chez Hyun-ae avec la tête de Na-ri, allongée, sur ses cuisses, bras enlaçant sa taille.

— Ça va papa, on est chez Hyun-ae. Na-ri s'est endormie. Comment va sa mère ?

— Sa m… Tu dis que ton amie est la fille d’Eun-jung ?!

— C’est ce que Na-ri dit. Pourtant elle m’avait dit que sa mère était morte. J’y comprends rien.

— Eun-jung s’est calmée… Elle a l’air très choqué… Elle m’avait dit qu’elle a une fille de ton âge qu’elle n’a pas vu depuis deux ans. C’est une triste histoire, je te raconterais. Pauvre gosse, elle doit être bouleversée… Veille bien sur elle. Elle ne doit pas rester seule.

— Ne t’inquiète pas pour ça papa. Tu sais… comment dire. On ne se connait que depuis quelques jours mais on est comme des sœurs. On a vraiment besoin l’une de l’autre. Papa… Je me fiche du BAC et du Lycée. Je ne repartirais pas avec toi.

— Je vois… De toute façon, il faudra bien que tu rentres avant la fin de ton visa mais on en reparlera. Je suis heureux que tu ais trouvé quelqu’un d’aussi proche... Je vais rester encore un peu moi aussi. On s’appelle demain, d’accord ?

— Papa… Je t’aime très fort.

— Nado nae ttal... (Moi aussi ma fille, moi aussi.)

Aimé rend son téléphone à Hyun-ae qui sort de la chambre de Eun-jung en fermant doucement la porte.

— Je crois qu’elle s'est endormie.

— Na-ri aussi. Dounia vient de me dire qu'elles sont chez vous et... que Na-ri est sa fille.

— Je pensais à quelque chose comme ça…

Hyun-ae va chercher deux bières au frigo, en donne une à Aimé et s'affale sur le canapé.

— Buvons, la nuit va être longue. Si ça ne vous dérange pas, je préfère que nous restions tous les deux à veiller sur Chae Eun-jung. Elle a l'air vraiment choquée. Na-ri est forte et Dounia s'occupera bien d'elle. Elles sont très attachées vous savez.

— Oui, j'ai cru comprendre. C'est... C'est incroyable que Dounia et moi ayons par hasard rencontré mère et fille séparément.

— Assez oui... Vous étiez au courant pour Na-ri ?

— Oui. Je ne connais pas toute l'histoire mais Eun-jung m'en a parlé. Elle porte un énorme fardeau de culpabilité depuis deux ans, même si le père de Na-ri a sa part de responsabilité.

— Que voulez-vous dire ?

— Il semble que ce soit lui qui l'ait mise à la porte et qu'il lui ait interdit de voir leur fille en la menaçant de mort.

— Ah… Ce n'est pas impossible, les hommes d'ici peuvent se montrer durs.

— Ceux d’ailleurs aussi... Vous le connaissez son père ?

— Non, il est décédé il y a un an. Un accident de la route.

— Mon dieu... Pauvre gosse, je comprends mieux sa réaction.

— Oui, la vie de Na-ri est plutôt dure. Si vous connaissiez sa grand-mère… Na-ri s'est complètement refermée sur elle-même depuis la mort de son père, c'est la colère et la violence qui lui ont permis de tenir le coup.

— Ça peut se comprendre.

— Mais elle a beaucoup changé depuis sa rencontre avec Dounia.

— Ah bon ?

— Oui, c'est encore fragile mais elle recommence doucement à se sociabiliser. Ce serait une catastrophe pour Na-ri si Dounia repartait tout de suite, surtout maintenant.

Hyun-ae regarde Aimé, semble hésiter puis se lance :

— Je suis désolé de ne rien vous avoir dit avant-hier. J’avais peur que votre fille ne disparaisse trop vite de la vie de Na-ri… Je vais peut-être trop loin mais... ne pourriez-vous pas lui permettre de rester ? Son visa est encore valable plus de deux mois je crois. Ne pouvez-vous pas la laisser rester jusque-là ? Elle habitera chez moi. Je vous promets de prendre soin d'elle.

— Elle a déjà décidé de rester… Vous savez, même si j'avais été contre, ça n’aurait rien changé. Non seulement Dounia est majeure mais en plus elle est assez têtue. Et puis elle sait très bien que je n'irais jamais à l'encontre de ses décisions. Je lui fais confiance.

— Si tous les pères étaient comme vous...

— Oh, beaucoup me traitent de laxiste.

— C’est l’argument favori des despotes… Allons dormir. Si le canapé ne vous dérange pas, je vais veiller sur Eun-jung dans sa chambre.

— Pas du tout. Heu… Si je peux me permettre ; La ressemblance est frappante.

Hyun-ae sourit sans répondre.

— Désolé… Vous devez entendre ce genre de bêtise à longueur de journée. Pardonnez-moi.

— Dounia m’a dit que vous l’aimez beaucoup… Bae Doo-na.

Aimé sourit à son tour.

— Oui… C’est le moins que l’on puisse dire… Je la considère comme une des toutes meilleures actrices au monde. Je ne la connais que par les personnages qu’elle a incarnés au cinéma mais il m’est évident qu’elle est une personne très intelligente, ouverte d’esprit et surtout profondément humaine. C’est une très belle personne, au propre comme au figuré, tout simplement un modèle…

Hyun-ae le regarde un court instant dans les yeux en silence puis, faisant une moue impressionnée :

— Et bien… Voilà une belle déclaration d’amour.

— Oui… Mais platonique. Je ne pourrais l’imaginer autrement qu’en amie tant je me sentirais humble et perfectible à ses côtés si nous devions nous croiser … Heureusement, cela n’arrivera pas ! Termine-t-il avec un petit rire.

— 누가… (Qui sait…) Bonne nuit, Dounia « abeoji » (Père de Dounia) Votre fille est vraiment quelqu'un de bien.

— Je sais. Bonne nuit… Heu pardon… Comment dois-je vous appeler, Hyun-aesshi ?

Elle sourit.

— Le « sshi » est de trop... Aimé. Hyun-ae suffira.

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MERCREDI 20 FÉVRIER 2019

En milieu de matinée, Aimé entre dans l’appartement de Eun-jung en portant un sac de provisions. Hyun-ae l’entend et sort de la chambre.

— Elle dort ?

— Non. Elle n’a quasiment pas fermé l’œil de la nuit. Je vais aller chercher des somnifères. Son manque de réaction m’inquiète. Il faut qu’elle sorte ce qu’elle a…

Aimé fait une grimace inquiète.

— Elle doit encore être sous le choc. J’ai dit aux gens du Guest house qu’elle est malade. J’ai pris du poulet frit et de la bière. Mangez, je vais aller la voir un moment.

— Plus tard. Je vais à la pharmacie avant que vous ne partiez voir les filles.

Aimé gratte à la porte et entre dans la chambre. Eun-jung lui tourne le dos. Il fait le tour du lit et découvre son visage avec un serrement de cœur. Il est sans expression, ses yeux grands ouverts restant fixés sur le mur en face. Il s’agenouille près d’elle, prend sa main dans une des siennes et en caresse doucement le dos.

Un moment passe ainsi avant qu’elle ne tourne vers lui un regard vide de tout éclat qui le bouleverse. Eun-jung regarde les larmes couler des yeux d’Aimé, libère sa main des siennes et vient essuyer du bout des doigts ses joues. Elle le fait machinalement, comme on époussèterait un habit, puis retourne à son mur en face. Pas une seule seconde son visage n’a exprimé la moindre émotion.

— Eun-jung… Je vais aller voir Dounia. Veux-tu que j’apporte quelque chose à Na-ri ?

Le mouvement de négation d’Eun-jung est à peine perceptible.

— Eun-jung… Je…

Aimé s’insulte mentalement ; il n’y a rien à dire. C’est trop tôt. Par contre… il y a peut-être une chose à faire. Il se lève, va au séjour fouiller dans la poche de son manteau et revient avec son lecteur MP3. Il redresse délicatement la tête de Eun-jung qui se laisse faire, lui positionne les écouteurs dans les oreilles puis sélectionne une playlist.

Hyun-ae revenue trouve Aimé assit au bord du lit, une main d’Eun-jung dans la sienne tandis qu’il caresse légèrement de l’autre ses cheveux comme il le ferait pour une enfant. Les yeux d’Eun-jung sont fermés mais elle ne dort pas ; des gouttes claires perlent de ses paupières.

Hyun-ae fait signe à Aimé de le suivre dans le séjour.

— Je ne sais pas ce que vous lui faites écouter mais je suis vraiment soulagée de la voir pleurer.

— Rien n’est plus libérateur d’émotions que la musique. C’est une playlist de mes chansons préférées. Eun-jung la connait, je lui en ai fait une copie. D’ailleurs…

Aimé se dirige vers la chaine HiFi et prend la clé USB restée en place.

— La copie d’Eun-jung… C’est pour Na-ri.

— Il n’est pas certain qu’elle ait envie de l’écouter…

— Pas besoin de lui dire d’où elle provient… Avec un peu de chance, ce sera leur premier lien de réconciliation…

………………….

Sortant de la station de métro de Susaek-dong, Aimé est accueilli par les filles. Il veut prendre Dounia dans ses bras mais celle-ci le repousse gentiment.

— Papa… Je te présente mon amie Na-ri.

— Bonjour Na-ri. Annyeonghaseyo.

— 안영 … (Bonjour père de Dounia.), le salue Na-ri en s’inclinant respectueusement.

Aimé regarde la jeune coréenne en souriant mais son cœur se serre devant son regard éteint, sans expression… comme celui de sa mère.

— C’est donc toi Na-ri…

Les trois traversent un boulevard puis s’engagent dans une rue se faisant soudain étroite, bordée à droite par un long mur surmonté de barbelés et à gauche par une interminable palissade de chantier. Le lieu n’est pas très rassurant, de nombreux encombrants sont empilés au bord de la ruelle. Assez vite, les pas d’Aimé commencent à s’alourdir, son souffle s’accélérer. Il ralentit la cadence et les filles le distancent d’une vingtaine de mètres.

Les premières maisons apparaissant ne sont pas plus engageantes ; délabrées, abandonnées pour la plupart et Aimé commence à se demander s’il est bien prudent de laisser Dounia dans un tel endroit. Quand apparait l’immeuble de Na-ri, il est franchement anxieux en constatant sa décrépitude. Na-ri se retourne et son visage exprime pour la première fois une émotion en voyant le père de son amie peiner ; elle semble un peu inquiète. Dounia s’arrête aussi et fronce les sourcils.

— Ça va papa ?

— Oui…, répond-t-il dans un souffle avant de rajouter en arrivant à son niveau : Dounia… Tu es sûre que ça va ici… Le coin me parait…

— C’est un peu bizarre mais ça va, le rassure sa fille. Et fait, si j’ai bien compris beaucoup de maisons sont abandonnées car elles vont être détruites pour construire des immeubles.

S’étant avancée, Na-ri tourne au coin de la rue et… aperçoit Ha-ru et Dong-yul qui les attendent devant chez Hyun-ae ! Affolée, elle leur fait signe de partir mais c’est trop tard. Ils accourent déjà pour tomber nez à nez avec Dounia et Aimé. Celui-ci se réjouit intérieurement en voyant le sourire radieux de sa fille à la vue du plus grand des deux garçons…

— Ce sont des amis papa. Je te présente Ha-ru et Dong-yul.

Embarrassés, les deux garçons s’inclinent bien bas pour le saluer avec une belle synchronisation :

— 안녕하세요 … (Bonjour Monsieur !)

— Annyeonghaseyo. (Bonjour.)

Brisant le silence gêné qui s’installe, Na-ri agacée apostrophe Ha-ru à mi-voix :

— 왜 여기 있니? … (Pourquoi vous êtes là ? C'est le père de Dounia !)

— 당신은 … (Tu ne réponds pas à mes messages…)

Tirant son copain par la manche, Dounia tout sourire se rapproche de son père.

— Dong-yul parle anglais Papa.

— Hi! I’m Aimé … (Salut ! Je suis Aimé, le père de Dounia. C’est bien de voir que Dounia a déjà autant d’amis.)

— Hello Sir … (Bonjour Monsieur… Enchanté de faire votre connaissance. Heu… Je pense que nous devrions y aller maintenant.)

— No! Wait … (Non ! Attends une minute.)

Na-ri et Ha-ru ouvrent de grands yeux en voyant Dounia s’accrocher au bras d’un Dong-yul rougissant subitement jusqu’aux oreilles pour déclarer, radieuse :

— Il est mignon hein papa ? C’est mon boy-friend.

— Enfin ! Je commençais à désespérer, s’exclame en riant son père.

Tous regardent ébahis Aimé prendre la main de Dong-yul pour la serrer chaleureusement…

— I would very … (J'apprécierais beaucoup que vous restiez avec nous. Sinon la conversation sera difficile ...)

— Euh… Yes. Let … (Euh… Oui. Laissez-moi parler à mes amis.) 그는 … (Il veut qu'on reste... Restons. On peut sauter les cours cet après-midi.)

………………….

Sur la table basse du séjour de Hyun-ae, les restes d’un festin de pizzas. Aimé est installé dans le fauteuil de Hyun-ae, les garçons dans le canapé et les filles assises sur des coussin au sol, Na-ri dos appuyé contre les tibias de Ha-ru et Dounia joue posée sur un genou de son copain.

Les quatre jeunes regardent sur l’écran du PC, Moon-young sourire à He-soo avant de lui dire : « 나는 나의 어머니를 찾았다 ». Le film se termine. Aimé surveille Na-ri du coin de l’œil, craignant un peu sa réaction mais son visage est impénétrable. Elle se tourne vers Dounia.

— 당신이 … (C'est à cause de ce film que tu es venue à Séoul ?)

— She asks … (Elle demande si c'est à cause de ce film que t’es venue ici.), traduit Dong-yul.

— Ye Na-ri, confirme Dounia. I really … (Oui Na-ri. Je me suis vraiment sentie très proche de Moon-young quand j'étais à l'hôpital pour ma chimiothérapie.)

— What?! What do… (Quoi ?! Que…)

Dounia donne une petite tape sur le genou de son amoureux.

— Translate first … (Traduit d'abord Dong-yul. C’est ton travail aujourd’hui.)

Il s’exécute…

— 아. 두니 아는 화학 요법을 받기 위해 병원에있을 때 문영이와 매우 가까웠다 고 말했다.

…puis se penche vers Dounia en lui posant la main sur l’épaule.

— You did’nt … (Tu ne m’avais pas dit…)

— I'm telling you now … (Je te le dis maintenant. C'était il y a deux ans ... six mois difficiles ...), répond-t-elle d’un air sombre avant que son visage ne s’éclaire subitement d’un sourire : But all is … (Mais tout va bien maintenant !)

— 그녀는 …(Elle a eu un cancer il y a deux ans.), explique Na-ri à Ha-ru.

Dong-yul regarde le bonnet que Dounia ne quitte jamais. Il a toujours imaginé qu’elle devait avoir dessous les cheveux très courts mais là… une image s’impose à son esprit. Il tend la main vers sa tête :

— Are you sure … (Tu es sûre que tout va bien ?)

— Dong-yul ! s’écrie Na-ri en saisissant vivement son poignet.

Soudain affolée, Dounia saute sur ses pieds et reste debout, de dos, n’osant affronter le regard des garçons. Na-ri l’a déjà rejoint d’un bon et la prend dans ses bras, regardant Dong-yul d’un air furieux. Une tension silencieuse s’installe. Aimé se redresse dans son fauteuil.

— Dounia.

Sa fille le regarde, anxieuse.

— Explique-leur. Ils vont se faire des idées sinon.

Na-ri entraine Dounia vers le canapé, fait signe à Ha-ru de se pousser et s’assied à ses côtés, tirant Dounia pour la faire s’assoir près d’elle, à l’opposé de Dong-yul. Mais celle-ci se dégage doucement et vient se mettre debout face aux garçons, fataliste :

— Dis-leur toi papa.

Aimé termine ses explications :

— I was at work when … (J'étais au travail lorsque j'ai reçu un appel de l'hôpital me disant que ce n'était pas une tumeur cancéreuse. J'étais tellement soulagé ! J'ai essayé de l'appeler mais son téléphone était éteint. Je suis rentré à la maison comme un fou mais Dounia n'était pas là. Elle m’avait laissé un mot marqué : "Je suis allé chercher Moon-young."… Elle était déjà dans l'avion pour Séoul.) She’s a bit crazy, right? (Elle est un peu folle, non ?)

Dong-yul fini de traduire à voix basse puis les garçons regardent alternativement Dounia et Aimé, l’air incrédules. Puis Ha-ru cherche ses mots en Anglais pour demander directement à Dounia.

— Why… you not wait… results? (Pourquoi… tu n’as pas attendu… résultats ?)

— I think I was scared ... (Je crois que j’avais peur… de ne jamais pouvoir revenir ici, à Séoul.)

— I never asked you ... (Je ne t'ai jamais demandé mais... pourquoi la Corée ? Pourquoi Séoul ?) Demande Dong-yul.

Dounia hausse les épaules.

— Why? Because I'm a fan … (Pourquoi ? Parce-que je suis fan... Ça a commencé avec la Kpop... BTS, puis les films et les dramas et puis tout le reste. Je ne sais pas vraiment pourquoi... C'est comme ça.)

Puis elle arrache brusquement son bonnet et regarde anxieusement Dong-yul.

— And it’s the same for that ... (Et c’est pareil pour ça. Je ne sais pas pourquoi je l'ai fait. Je suis stupide, non ?)

Le cœur d’Aimé se serre en découvrant le petit centimètre de cheveux ayant commencé à repousser sur la tête de sa fille. Les deux garçons aussi ont un air surpris et peiné. Aimé explique.

— It was a … (C'était un acte symbolique et inconscient de lutte contre la maladie.)

Dong-yul traduit et tous le regardent sans comprendre.

— Two years ago … (Il y a deux ans, lorsque ses cheveux ont commencé à tomber suite à la chimiothérapie, elle m’a demandé de lui raser la tête. Elle ne voulait pas subir ça de la maladie. Elle préférait le décider elle-même.)

— C’est moi qui l’avais demandé ? Je ne m’en souviens plus…

— Oui. Don't you … (Vous ne trouvez pas que c'est très courageux ?)

Soudain, Dong-yul se lève. Il s’avance vers Dounia, lui saisit les épaules et déclare d’une voix forte en lui souriant :

— YES! She’s … (OUI ! Elle est très courageuse ! Je suis fier de ma copine !)

Puis, surprenant tout le monde il lui fait un gros bisou sur le crâne avant de l’enlacer en regardant Aimé, inclinant respectueusement la tête :

— 미안한 계부. (Pardon beau-papa.)

— I'm just asking you … (Je ne te demande qu’une chose : soit gentil avec ma fille.) Le rassure Aimé avec un sourire.

………………….

Les quatre jeunes raccompagnent Aimé jusque l’entrée du Métro. Aimé fait signe à Na-ri de le suivre à l’écart. Il lui tend la clé USB.

— Tiens Na-ri. Omma… joh-ahaneun… nolae. Yongseo. (Maman… préféré… chansons. Pardonne.)

Na-ri le regarde dans les yeux quelques secondes puis incline légèrement la tête et va rejoindre le groupe, clé USB en main. Aimé est soulagé ; elle ne l’a pas jetée… pour l’instant.

………………….

Ce soir-là chez Hyun-ae…

Au coin cuisine, Dounia coupe le réchaud, verse l’eau bouillante dans deux bols de Ramyun déjà posés sur un plateau avec des baguettes, casse un œuf dans chacun, rajoute un peu de cive déjà émincée et ferme les couvercles. Puis elle prend deux bières au frigo et les pose sur le plateau avant d’apporter le tout sur la table basse. Déjà assise à sa place, Na-ri la regarde en souriant, écouteurs aux oreilles. La clé USB d’Aimé est branchée à son téléphone via un adaptateur. Les deux attendent exactement 3 minutes puis commencent à manger, se régalant visiblement.

Soudain, les sourcils de Na-ri se froncent tandis qu’elle penche la tête de côté. Elle ôte un des écouteurs et le tend à Dounia.

— 이 … (C'est quoi cette musique ?)

— C’est à mon père, les chansons qu’il aime. Nae abeoji. (Mon père.)

— 누가 노래합니까? (Qui chante ?) ‘’Singer ? J’aime.’’

— C’est Pomme. Apple… Wait…

Dounia ouvre un traducteur dans son smartphone.

— Sagwa. (Pomme.) Attends…

Dounia cherche encore et lance une vidéo YouTube qu’elle montre à Na-ri. Le MV de « On brûlera » présente Pomme chantant en justaucorps noir sur un fond vert. Partout sur son corps de gros escargots. Na-ri sourit… puis éclate de rire en réalisant que ceux-ci, bien vivants, se promènent lentement.

— 그녀는 … (Elle est folle ! C’est répugnant !)

Puis redevenant sérieuse, elle semble se concentrer sur la musique.

— ‘’Ippo… belle… voice.’’ 그녀는 … (De quoi parle-t-elle ?)

Dounia ne comprenant pas, elle insiste.

— Lyrics ? (Paroles ?)

— Après, on mange d’abord. Meog-eo ! (Mange !)

Plus tard…

Dounia installée devant le PC de Hyun-ae donne à Na-ri une feuille qu’elle vient d’imprimer. C’est la traduction approximative en coréen des paroles de la chanson. Na-ri lit :

« 우리 둘 …

(On brûlera toutes les deux

En enfer, mon ange

J'ai prévu nos adieux

À la Terre, mon ange

Et je veux partir avec toi

Je veux mourir dans tes bras) »

Na-ri pointe un doigt au ciel.

— ‘’Wae ? Pourquoi… hell.’’ (… l’enfer.)

— Parce qu’elle aime une fille… Attends…

Dounia tape sa réponse sur l’appli de traduction de son téléphone et Na-ri fait soudain de gros yeux.

— 정말 ? (Vraiment ?) ‘’Pomme… Lesbian ?’’

Dounia hausse les épaules puis tape encore.

« Dans ses chansons, elle aime les deux. »

« 그녀의 … »

Devant la mine dégoutée de Na-ri, Dounia rajoute.

« C’est un problème pour toi ? J’ai des amis lesbiennes et gays. »

« 이것이 … »

Na-ri regarde fixement Dounia en silence. Dounia regarde son amie ; elle est tendue. Puis Na-ri lui prend le téléphone, inverse le sens de traduction, saisit et Dounia peut lire :

« 그리고 너? »

« Et toi ? »

Dounia sourit :

« Que les garçons… »

« 남자 만 ... »

Puis rajoute :

« … jusqu’à maintenant. »

« … 지금까지. »

Na-ri regarde Dounia, comprend que celle-ci la taquine et contrariée, lui refile une belle tape sur l’épaule. Dounia éclate de rire puis saisit encore :

« Mais c’est vrai que j’ai des amies lesbiennes.

Cela n'a pas d'importance pour moi. » « 하지만 … »

Na-ri regarde Dounia dans les yeux et hoche lentement la tête en faisant une grimace perplexe.

………………….

Chez Eun-jung, Hyun-ae se réveille en milieu de nuit. Inquiète de ne pas voir son hôte à ses côtés, elle va au séjour et la trouve assise sur le canapé écouteurs aux oreilles, une bouteille de soju à demi vide dans la main et les yeux baignés de larmes. Avec douceur mais fermeté, Hyun-ae lui enlève la bouteille des mains puis s’assied à côté pour l’attirer contre elle.

Plus tard, les deux femmes sont allongées côte à côte dans le lit, Eun-jung tournée face au mur. Regardant le plafond, Hyun-ae dit.

— 시간이 ... (Cela prendra du temps.)

Eun-jung se tourne vers elle.

— 뭐? (Quoi ?)

— 나리가 … (Na-ri reviendra vers vous.)

— 그녀에게 … (Tu es quoi pour elle ?)

Hyun-ae se tourne vers elle en souriant.

— 우리는 … (On se tutoie ? Enchantée. Je m'appelle Hyun-ae, Lee Hyun-ae. Na-ri m’appelle Eonni. Elle habite chez moi en ce moment.)

— 뭐? ... (Quoi ? Mais où est son père ?), s’écrie Eun-jung, affolée.

— 어떻게 … (Comment, tu ne sais pas ? Il est décédé.)

Eun-jung reste sans voix. Hyun-ae continue.

— 거의 … (Un accident de voiture il y a près d’un an. Depuis, Na-ri vit avec sa grand-mère mais ça se passe mal.)

Eun-jung se redresse et la regarde, horrifiée.

— 나리가 … (Na-ri habite seule avec cette vieille garce ?)

Hyun-ae se redresse aussi et lui pose une main rassurante sur l’épaule.

— 모든 … (Tout va bien. Elle se réfugie chez moi quand ça va mal et y habite même depuis que Dounia a débarqué dans sa vie. Et puis maintenant sa mère est là...)

Se cachant le visage des mains, Eun-jung s’effondre sur l’oreiller.

— 그녀는 … (Elle ne voudra plus de moi...)

— 하지만 … (Mais si… Elle aura juste besoin de temps.)

— 나는 … (Je n'oserais jamais la regarder dans les yeux... Je... Je l'ai abandonnée.)

— 남편이 … (Ce n’est pas ton mari qui t’a chassé ?)

Les sourcils d’Eun-jung se froncent.

— Aimé가 … (Aimé parle trop... Il t’a dit quoi ?)

— 더 이상은 … (Rien de plus.)

Eun-jung lentement tourne le dos à Hyun-ae.

— 그 이유를 … (Sais-tu pourquoi ? Je l’ai trompé… Avec une femme.)

Hyun-ae regarde le plafond, mains croisées derrière la tête.

— 그래서 … (Et alors ? Quel est le problème ? Je n’ai jamais aimé les hommes.)

Eun-jung se tourne brusquement vers elle et la regarde intensément.

— 나리… 당신... (Na-ri… Tu…)

— 예 저는 … (Oui je suis lesbienne, mais je ne toucherais jamais à ta fille ! affirme Hyun-ae agacé. Ne tombe pas dans ce genre de cliché. Je l'aide parce qu'elle a besoin de quelqu'un et que c'est une chouette gamine, courageuse et intelligente. Rien de plus !)

— 죄송합니다. (Pardon.)

— 나리에게는 … (La vie était dure pour Na-ri mais ça va mieux maintenant. Sa rencontre avec Dounia lui fait beaucoup de bien.)

— Aimé는 어디에 … (Où est Aimé ? Il est parti ?)

— 그는 그들을 … (Il est allé les voir. Il te plait ?)

— 뭐 ? 아니 … (Quoi ? Non… Oui… Non, je m’en fiche… Il va partir.)

— 나는 Dounia … (Moi je veux que Dounia reste. Pour Na-ri.)

— 그는 좋은 … (C’est une bonne personne ?)

— 예. (Oui.)

그의 아버지도 … (Son père aussi…)

Les deux femmes se taisent, Hyun-ae regardant fixement Eun-jung qui s’est laissée retomber sur le dos, larmes coulant à nouveau de ses yeux fermés. Hyun-ae se penche sur elle, essuie doucement ses joues du bout des doigts, puis la surprend en effleurant légèrement ses lèvres d’un bref baiser avant de s’écarter prestement.

— 아무것도 ... (Ne dis rien... Je ne recommencerais jamais sans ta permission.)

Eun-jung se redresse et la regarde, plus surprise que vraiment contrariée.

— 지금 … (Je n'ai vraiment pas besoin de ça en ce moment.)

— 죄송합니다 … (Désolée... Je voulais juste que tu saches que tu me plais beaucoup.)

Eun-jung la regarde longuement dans les yeux, puis se laisse aller sur le dos.

— 괜찮아 ... (D’accord. Maintenant je sais...)

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