Lundi 18 Février 2019

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LUNDI 18 FÉVRIER 2019

Au petit matin, Hyun-ae frappe à la porte de Na-ri. Pas bien réveillée, Dounia qui l'accompagne lui demande.

— Pourquoi on vient aussi tôt Eonni.

— Sa grand-mère va tous les matins à 5 heures au marché. Elle reviendra bientôt. Elle fait peur tu sais… explique Hyun-ae avec une grimace. 나리! ... (Na-ri ! C’est Hyun-ae ! Ouvre la porte, je suis avec Dounia.)

Dounia regarde autour d’elle, pas tranquille.

— Elle habite vraiment ici Na-ri ? C’est la zone…

— 나리! … (Na-ri ! Dounia n'a pas de cancer. Son père me l’a dit. Je l’ai rencontré. Ouvre la porte Na-ri.)

Un bruit provenant de l’intérieur se fait enfin entendre puis la porte s’ouvre pour laisser passer la tête de Na-ri. Cheveux en bataille, yeux cernés, elle a visiblement peu ou pas dormi mais son regard luit d’un éclat d’espoir.

— 뭐? … (Quoi ? C’est vrai ?)

Na-ri voit alors le sourire radieux de Dounia et accepte la bonne nouvelle avec un immense soulagement. Poussant un petit cri, elle saute dans les bras de son amie qui la serre fort. Les deux filles entament une danse de joie mais Dounia relâche subitement son étreinte en voyant Na-ri grimacer alors qu’elle s’agrippe à son bras. Hyun-ae l’a vu aussi. Elle relève la manche de Na-ri et découvre de gros hématomes violacés sur les avant-bras de sa jeune protégée. Pour la première fois, Dounia voit la colère assombrir le visage de Hyun-ae.

Soudain, une voix retentit au bout du couloir, c’est Byun Bong-ae qui rentre du marché.

— 야 ! 당신! (Hé ! Vous !)

— 나리에 … (Qu’avez-vous fait à Na-ri ! Cessez de la battre !), l’interpelle vivement Hyun-ae.

Mais la vielle mégère ne veut rien entendre. Fonçant comme un taureau, entre chez elle en bousculant tout le monde, jette son sac de courses au sol, disparait dans la chambre de Na-ri et en ressort pour lancer dans le couloir ses vêtements.

— 그 작은 … (Tu la veux cette Batarde ? Prends là ! Je ne veux plus la revoir !)

Na-ri a si peu d’affaires que trois voyages suffisent à la vielle mégère pour vider sa chambre avant de claquer la porte. Devant la mine effarée de Dounia, Na-ri sourit en haussant les épaules, fataliste. Hyun-ae tente de la rassurer.

— Ne t’inquiète pas, ce n’est pas la première fois. Na-ri a l’habitude. Allez les filles, rentrons à la maison. Gaja. (Allons-y.)

Les trois s’éloignent dans le couloir délabré, portant chacune un grand sac plastique réutilisable aux motifs floraux…

— 이번에는 … (Cette fois je ne reviendrais plus jamais. Je peux rester chez toi Eonni ?)

— 당신이 … (Aussi longtemps que tu voudras.), rassure l’adulte en posant une main sur son épaule. Allons à la maison.

………………….

Un peu plus tard chez Hyun-ae, Dounia peinée la regarde passer du baume sur les hématomes marquant les avant-bras de Na-ri ; la vieille garce n’y a pas été de main morte. Na-ri grimaçant parfois tout en en s’arque boutant, Dounia pose une main légère sur ses reins.

— Tu as mal au dos aussi Na-ri ?

Na-ri tourne la tête vers elle et acquiesce d’un hochement de tête.

— Je vais regarder.

Na-ri sort son tee-shirt de son jeans. Dounia l’aide, le soulève avec le sweat-shirt et pousse un gémissement en découvrant juste au-dessus des reins de Na-ri une longue marque violette en travers de son dos. La révolte gronde instantanément en elle.

— Putain mais c’est pas vrai ! Eonni, regarde ! Elle est folle sa grand-mère !!

— C’est la première fois qu’elle tape aussi fort…, s’inquiète Hyun-ae tout en soignant Na-ri. 나리 … (Na-ri, avec quoi grand-mère t’a frappée ?)

— 큰 ... (Un gros balai.)

Hyun-ae aide Dounia à dénuder plus haut le dos blessé et d’autres marques plus anciennes apparaissent. La colère la gagne pour de bon.

— 나는 … (Je ne veux plus que tu retournes la voir ! Elle va te tuer un jour !)

— 괜찮아 … (Ça va bien, Eonni. Ça ne fait pas trop mal.)

Na-ri pose une main apaisante sur le bras de Dounia prête à pleurer et lui dit doucement :

— Ça va bien Dounia.

Celle-ci fait un effort pour se ressaisir et s’exclame avec un enthousiasme exagéré :

— Na-ri ! Tu commences à parler français !? T’es trop forte ! Tu vas voir, bientôt je parlerais coréen aussi ! Ulineun… (On va…) apprendre ensemble, promis ?

Dounia tend sa main petit doigt en avant. Na-ri l’accroche du sien et leurs deux pouces se rejoignent en guise de promesse.

………………….

Plus tard…

Ayant persuadé Dounia de parler à son père, Hyun-ae compose le numéro de Eun-jung.

— 채은정? ... (Chae Eun-jung ? Bonjour c'est Lee Hyun-ae. On s’est rencontré hier. J'ai retrouvé Dounia.)

— 어? 이미? (Hein ? Déjà ?)

— 네… 그녀는… (Oui... Elle va bien. Je lui ai dit qu'elle n'a pas de cancer. Elle voudrait parler à son père.)

— 그가 … (Attendez, je crois qu’il est dans sa chambre.)

On entend toquer à une porte tandis que Hyun-ae tend son téléphone à une Dounia plutôt boudeuse.

— Aimé! Come! ... (Aimé ! Viens. Dounia est au téléphone !)

— C’est vrai ? Allo ! Dounia ?

— Bonjour papa…

Aimé qui s’était pourtant promis de rester maitre de lui, ne peut s’empêcher un mouvement d’humeur.

— Tu sais le souci que je me suis fait ? T’as fait n’importe quoi là !

— Hé papa ! Continue de me parler comme ça si tu ne veux plus me voir!

Il reprend, plus calme, après un court silence.

— Pardon… Tu n’as pas…

— Je sais, Eonni me l’a dit.

— Eonni ? Tu parles de Lee Hyun-ae ?

— Oui. Elle est super gentille. Tout va bien pour moi. Je me suis fait une amie aussi.

— Je suis soulagé de savoir que tu vas bien. C’est bien, on va pouvoir rentrer l’esprit tranquille, hein chérie ? Dis-moi où tu es.

— Je ne rentre pas…

— Dounia…. Écoute, on parlera de ça tranquillement, d’accord ?

Dounia tend brusquement le téléphone à Hyun-ae et va s’assoir près de Na-ri, renfrognée et déterminée.

— Allo ? Dounia ? Dounia !

— Aimé ? Dounia boude. Je crois qu’il vaut mieux la laisser tranquille pour aujourd’hui, annonce Hyun-ae d’une voix calme.

— Mais je…

— Elle est un peu perturbée maintenant. Écoutez, je pense que le mieux serait de vous rencontrer dans un café. Je l’accompagnerais. Passer-moi Chae Eun-jung, nous allons fixer un rendez-vous.

Son téléphone étant sur haut-parleur, Eun-jung qui a suivi la conversation intervient, énervée :

— 여보세요? ... (Allo ? Dites... Vous ne pouvez pas l'empêcher de voir sa fille !)

— 나는 아무것도 … (Je n’empêche rien. J’essaie d’éviter que Dounia ne se braque. Prenons rendez-vous pour demain dans un café près de chez vous.), réplique fermement Hyun-ae.

— 좋아 ... (D'accord... Disons 14h30 au Cofeebe à Donggyo-dong. Je vous envoie l'adresse.)

Dounia regarde avec appréhension Hyun-ae se tourner vers elle et lui annoncer d’un ton calme mais sans réplique.

— Dounia, on va voir ton père demain. 나리. 내일 … (Na-ri. Demain, on va tous voir son père.)

………………….

Au Seoul i Guest house, Eun-jung rejoint Aimé fumant une cigarette sous l’escalier.

— ‘’Aimé… Tu ne penses pas que Hyun-ae est un peu… weird ?’’

— Bizarre ? Je ne sais pas… Pourquoi ?

— Finding Dounia … (Trouver Dounia juste après que l’on se rencontre… C’est étrange, n’est-ce pas ? Hier, j’ai senti qu’elle nous cachait quelque chose.)

— C’est possible… Peut-être qu‘elle voulait simplement avertir Dounia avant. Je ne crois pas qu’elle soit tordue.

— Tordue… Twisted? What…

— Pardon… Au sens figuré, tordu veut dire quelqu’un qui a… heu… A devious … (Une façon de penser sournoise.)

— ‘’C'est ça que j'aimais dans les cours français.’’ You always … (Vous avez toujours un mot ou une expression pour décrire précisément une situation ou un caractère spécifique.)

— Peut-être… Mais il semble que ce soit une langue difficile à bien maitriser. This is why … (C’est pour cela que l’Anglais a gagné au niveau international. Les Français ne sont pas très contents de ça… Tu sais, les Anglais sont historiquement nos meilleurs ennemis… Une étrange relation d’amour/haine réunit nos deux pays.)

— That’s funny… (C’est drôle…) ‘’Tu dois être heureux… pour Dounia.’’

— Oui, soulagé surtout. On va pouvoir rentrer vite.

Eun-jung le regarde, surprise.

— Vous… rentrez en France bientôt ?

— Dans deux ou trois jours je pense. Dounia a le lycée et je dois reprendre le travail.

Un silence s’installe. Aimé dans ses pensées ne remarque pas la cigarette d’Eun-jung trembler légèrement entre ses doigts, ni le ton un peu sec sur lequel elle prend congé.

— Et bien bon voyage Mister Salang.

À peine surpris, il regarde Eun-jung écraser sa cigarette dans l’énorme cendrier avant de grimper vivement les escaliers vers la réception. Retournant à ses pensées, il se roule une autre cigarette. Derrière son comptoir de réception, Eun-jung essaie de se concentrer sur son travail mais n’y arrive pas. Elle est fébrile, en colère contre elle-même tandis qu’elle marmonne :

— 왜 이렇게입니까 … (Pourquoi suis-je comme ça ? Et lui… Il arrive, chamboule tout et puis s'en va... Ah ! Ça m’énerve !)

………………….

Hérissé de haut building modernes, le quartier de Sangam-dong où se situe le lycée de Na-ri accueille aussi un restaurant Fast Food réputé chez les jeunes ; le Bass Burger. Accompagné de Dong-yul et Ha-ru, les filles y mangent des hamburgers pour le déjeuner. Assis en face de Dounia, Dong-yul la regarde se régaler. Son sourire n’a plus rien de séducteur, il est sous le charme, en admiration devant le naturel et l’enthousiasme de la jeune française.

De son côté, Dounia sourit intérieurement en remarquant le comportement inconscient de Na-ri. Restant de marbre devant les regards chaleureux que lui lance Ha-ru, elle fait pourtant preuve à son égard de ces petites attentions déjà remarquées ; elle lui donne une serviette en papier avant qu’il n’ait le temps de la prendre lui-même, remplit son verre d’eau ou même transfère d’autorité une partie de ses frites dans son assiette.

L’ex-amie d’enfance devenue ennemie de Na-ri, Han Hee-jung entre dans le restaurant accompagnée de deux amies. Depuis le comptoir, elle regarde avec un mélange de haine et de mépris Na-ri et Dounia assises de dos, qui ne l’ont pas vue. Ses deux acolytes la suivant comme son ombre, elle va ensuite s’assoir dans un recoin où elle peut observer sans être repérée.

Dounia se levant peu après pour aller aux toilettes, Hee-jung attend un petit moment puis la rejoint pour l’apostropher violemment alors que celle-ci se lave les mains.

— 당신은 … (Tu es qui toi ? Tu fais quoi avec Na-ri ?)

— Joesonghabnida… Moleugess-eoyo. (Je suis désolée… Je ne comprends pas.), répond respectueusement Dounia sur la défensive.

Mais son assaillante n’a cure de sa politesse et lève soudain le poing.

— 왜 그녀와 … (Pourquoi tu traines avec elle ? Chienne !)

C’est à ce moment précis que Na-ri ouvre la porte des toilettes et voit rouge ! Elle s’élance sur Hee-jung et lance un coup de pied retourné au plexus. Celle-ci sait aussi se battre. Elle esquive mais trop tard, reçoit quand même le coup sur le flanc et tombe à la renverse. Na-ri lui saute dessus et les deux roulent au sol.

Effarée, Dounia tente de les séparer lorsqu’elles se relèvent mais elle reçoit dans l’épaule le coup de poing de Na-ri destiné à son adversaire et se retrouve au sol. Na-ri veut l’aider à se relever mais Hee-jung lui saute dessus et les deux adversaires luttent en s’empoignant les cheveux.

Assise en tailleur par terre, Dounia soudain explose : elle pose ses deux mains au sol, bras tendus, et hurle :

— STOOOOOOOOP !

Les deux assaillantes sont si surprises qu’elles s’immobilisent et la regardent sans réagir se relever, les séparer et saisir leurs deux poignets.

Dans la salle, les garçons ont la surprise de voir Dounia sortir des toilettes comme une furie, entrainant les deux ennemies ébouriffées derrière elle hors du restaurant. Là elle les lâche, se retourne vers elles et les engueule copieusement en criant.

— Vous allez arrêter vos conneries maintenant ! Vous êtes trop connes si vous ne savez pas régler vos problèmes en parlant ! Je sais que vous étiez amies avant ! STOP, STOP, STOP !

Puis elle s’adresse à Dong-yul, sorti précipitamment avec Ha-ru et les deux copines de Hee-jung.

— Dong-yul, translate ! (Traduit Dong-yul !), ordonne-t-elle en maitrisant sa colère, avant de s’adresser aux deux ennemies : I know you were best friends! Are you stupid not to talk?

— 그녀는 … (Elle dit que vous étiez amies et que c'est stupide de ne plus vous parler.)

— You must stop this! RIGHT NOW!

— 당신은 … (Vous devez arrêter ça. Tout de suite.)

— 지금? (Maintenant ?)

— Oui Na-ri ; maintenant !

Les paroles de Dounia semblent avoir plus d’effet sur Hee-jung que sur Na-ri, un peu abasourdie de se faire engueuler par son amie. Hee-jung se tourne vers son ennemie :

— 그녀가 … (Elle a raison. Viens.)

Les voyant s’éloigner se regardant en chien de Faïence, tous sauf Dounia semblent inquiets.

— They will fight… (Elles vont se battre…)

— Let them fight! ... (Laisse-les se battre ! Elles se parleront après.)

Dong-yul stoppe les filles et Ha-ru qui semblent vouloir les suivre.

— Dounia가 … (Dounia a raison. Laissons-les s‘expliquer)

Le groupe regagne la salle du restaurant. Peut-être dans espoir d’une réconciliation, les deux amies de Hee-jung viennent s’installer auprès des trois autres.

………………….

Assises sur un banc du Parc de Guryong, Na-ri et Hee-jung n’osent se regarder. Il n’y a subitement plus de colère en elles, plus de ressentiment, juste une impression de gâchis, peut-être du remords. Hee-jung la première exprime sa frustration :

— 아버지가 … (Après la mort de ton père, tu m'as brusquement rejetée. Je ne comprends toujours pas pourquoi.)

Na-ri regarde au loin.

— 나는 … (J'ai tout rejeté, je ne voulais plus voir personne.)

— 그것은 … (Ça m’a blessée. On partageait tout.)

— 미안해 … (Pardon Hee-jung. J‘avais tant de haine en moi que j'ai construit un mur… Pour me protéger et vous protéger aussi… mes amis. Je vous aurait fait du mal.)

— 이해합니다 ... (Je comprends... Je suis désolée...)

Elles restent silencieuses un instant puis Hee-jung demande, avec une pointe de jalousie dans la voix :

— 하지만이 … (Mais c'est qui cette fille ?)

— 현상. (Un phénomène.), répond Na-ri subitement souriante.

— 나는 당신을 … (Je veux bien te croire. On dirait qu'elle n'a peur de rien. Elle sait se battre ?)

Na-ri éclate de rire :

— 전혀 ! ... (Même pas ! Elle est faible !)

— 하지만 … (Mais qu'est-ce que tu fiches avec elle ?)

—- 나도 몰라 … (Je ne sais pas… Elle m‘apaise. Je l'ai injustement tabassée la première fois que je l'ai vue. C'est peut-être pour ça...)

Hee-jung s’étonne :

— 당신은 … (Tu l'as tabassée ? Et elle est quand même devenue ton amie ?)

— 예. 그녀는… (Oui. Elle est très têtue !), s’exclame Na-ri en riant avant de continuer, plus sérieuse.) 나도 몰라 … (Je ne sais pas… Je me sens libre avec elle. Peut-être parce qu'elle est étrangère. Et puis on n'a pas besoin de mot pour se comprendre.)

— 내가 참조 ... (Je vois…)

Hee-jung se lève. Les deux se regardent en silence, leurs yeux disant une certaine tristesse nostalgique. Hee-jung se reprend en premier :

— 곧 수업으로 … (Je dois bientôt retourner en cours. Tu ne reviendras plus au lycée ?)

— 나도 몰라 … (Je ne sais pas. Peut être mais pas tout de suite.)

— 가자. (Allons-y.)

Elles retournent au restaurant près de leurs amis en sachant une chose ; rien ne sera plus jamais comme avant mais elles sont désormais sans haine ni rancune pour l’autre.

………………….

Une aire du Parc Owl est réservée aux exercices physiques. Sur un banc, Na-ri et Ha-ru regardent au loin Dong-yul aider Dounia à faire des tractions sur un des instruments de torture. Na-ri parle pour tenter d’effacer la tension qui s’est installée entre eux.

— 오늘 … (Vous n'avez pas cours cet après-midi ?)

— 체육 … (Education physique. On s’en fout… Ça s’est bien passé avec Hee-jung ?)

— 예. Dounia … (Oui. Dounia avait raison. Elle avait juste besoin de parler.)

— 우리 … (On avait tous besoin que tu nous parles...)

Na-ri retire vivement sa main que Ha-ru vient de prendre.

— 정지! (Arrête !)

— 죄송합니다 ... (Pardon... Ça fait près d’un an que j'attends que tu reviennes parmi nous.)

— 그렇게 … (C'est pas une raison pour me coller comme ça.)

— 우리는 … (On sortait ensemble avant...)

Le ton de Na-ri se fait amer.

— 같이 나가? ... (Sortir ensemble ? Ah oui c’est vrai... On s‘était embrassé le jour de la mort de mon père...)

— 나를 … (Pour moi rien n'a changé...)

— 나를 … (Pour moi tout a changé !)

— 알았어 … (Ok, j’ai compris.)

Les deux se taisent. Na-ri cherche Dounia du regard. Elle ne la voit plus mais aperçoit Dong-yul un peu plus loin à l’orée du bois, en partie caché par un buisson. Intriguée elle fait quelques pas en avant et… découvre qu’il avance lentement son visage de celui de Dounia adossée à un tronc d’arbre ! Furieuse, elle va pour crier son nom mais se retient, stupéfaite, en voyant son amie passer ses bras autour du cou du garçon et parcourir d’elle-même en un seul élan les quelques centimètres séparant ses lèvres de celles de Dong-yul…

Abasourdie, Na-ri ne peut s’empêcher de les regarder s’embrasser pendant quelques secondes avec un mélange d’incompréhension totale et de colère, avant de revenir précipitamment à sa place. Ha-ru s’avance à son tour, jette un coup d’œil et revient en souriant s’assoir près de Na-ri. Il va pour commenter l’affaire en plaisantant mais s’abstient en voyant l’expression troublée et furieuse de Na-ri. Pour l’apaiser, il prend sa main. Na-ri le laisse faire quelques secondes avant de la retirer brutalement en criant :

— DOUNIA ! GAJA ! (PARTONS !)

Na-ri prend Dounia, accourue, par la main et l’entraine derrière elle, presque en marche forcée. Sans trop chercher à comprendre la soudaine précipitation de son amie, Dounia, radieuse, se retourne pour faire un grand signe de main aux garçons.

— Salut les gars ! À bientôt !

………………….

Un peu plus tard chez Hyun-ae… Voyant Na-ri faire la gueule à Dounia, chacune assise à une extrémité du canapé, Hyun-ae aide les filles à crever l’abcès. Elle demande à Dounia.

— Que se passe-t-il entre vous deux ?

— Je ne sais pas. Je ne comprends pas pourquoi elle est comme ça. Demande-lui ce que j’ai fait de mal s’il te plait.

— 나리 … (Que se passe-t-il Na-ri ? Dounia ne comprend pas. Pourquoi es-tu fâchée ?)

— 나는 … (J’aime pas les garces. C’est tout !), répond la jeune coréenne, énervée.

— 그녀는 … (Qu’a-t-elle fait ?)

Soudain volubile, Na-ri laisse s’exprimer son courroux :

— 그녀는 … (Elle s’est jetée sur Dong-yul pour l’embrasser ! Tu te rends compte, c’est juste la troisième fois qu’elle le voit ! Ils vont faire quoi la prochaine fois, hein ? Ils vont baiser ?!)

— 나는 … (Je ne crois pas, non.), répond calmement Hyun-ae en souriant, avant de traduire pour Dounia : Na-ri est un peu choquée que tu ais embrassé Dong-yul dès votre troisième rencontre.

Dounia ouvre de grands yeux surpris :

— Ah bon ? Mais pourquoi ?

— Elle a peur que les choses aillent trop vite entre vous. Tu comprends ce que je veux dire… Que ça te donne une mauvaise réputation.

— Ce n’est pas parce qu’on s’est fait un bisou que je vais sauter dans son lit ! s’agace-t-elle. Dis-lui qu’elle se trompe si elle croit que je suis une fille facile !

— 그녀는 쉬운 … (Elle dit qu’elle n’est pas une fille facile. Tu sais Na-ri, en France on s’embrasse plus facilement qu’ici. Un baiser ne signifie peut-être pas pour elle le même engagement que pour toi.)

Na-ri regarde Hyun-ae, dubitative…

— 이 프랑스 … (Ils sont bizarres ces français…)

…puis regarde Dounia.

— 아라 소! ... (Arasso ! Dis-lui quand même de faire attention. Je ne voudrais pas que Dong-yul se fasse des idées. Dounia ! Dis-moi s’il va trop loin. Je lui casserais la figure !)

— Na-ri te demande de la prévenir si Dong-yul t’embête. Elle lui cassera la figure, traduit Hyun-ae en riant.

— Oh la, la ! Quelle histoire pour un bisou ! Dis Eonni, demande-lui si elle a déjà embrassé Ha-ru…

— 하루에게 키스 한 적이 있나요?

— 안돼! … (Jamais ! Non, non !)

— Je suis sûre que t’as jamais embrassé personne. Je vais te montrer comment faire ! ‘’Dounia kiseu Na-ri !’’ Popo ! (Bisou !)

Hyun-ae sourit en regardant Na-ri s’enfuir en criant, poursuivie par Dounia lui lançant des baiser à la volée.

………………….

Début de soirée chez Eun-jung à Donggyo-dong. Celle-ci en long tablier bordeau s’affaire dans le coin cuisine, soulevant fréquemment le couvercle de la petite marmite sur le feu pour humer, parfois goûter ce qu’elle prépare. Couverts et accompagnements sont déjà présents sur la table basse poussée au milieu de la pièce.

On toque à la porte. Eun-jung ôte son tablier, va ouvrir et se trouve nez à nez avec une plante en pot tendue à bout de bras par Aimé, tout sourire.

— Bonsoir Eun-jung. J’ai vu que tu aimes les fleurs.

— Oh, Camellias! ... (Oh, un Camélia ! Merci Aimé. Quelle couleur ?)

— Le vendeur m’a dit rouge.

Les deux entrent. Eun-jung va poser le pot de Camélia sur un guéridon à côté du canapé tandis qu’Aimé enfile des sandales.

— I’ll choose … (Je lui choisirais une bonne place demain.) ‘’Tu connais le… meaning (signification) des camellias rouges ?’’

— Heu… Non.

— Wait a minute… (Attend une minute…)

Eun-jung va chercher bières et soju au frigo tandis qu’Aimé s’assied sur un coussin. Il attend patiemment sa réponse tandis qu’elle apporte deux bols de riz sur la table puis coupe le feu, enfile des gants de cuisine, vient poser la marmitte fumante sur la table, ôte ses gants qu’elle retourne ranger à leur place avant de revenir enfin s’assoir en face de lui. Alors, le regardant dans les yeux avec un drôle de petit sourire :

— In the language of flowers … (Dans le langage des fleurs, cela signifie que tu admires la personne que tu aimes.)

Puis elle se penche vivement en avant, soudain aguicheuse.

— Je suis si heureuse que tu m’admires, Aimé…

— Heu… Eun-jung, je…, bégaie Aimé, fortement perturbé.

Grand sourire aux lèvres, elle ouvre le couvercle de la marmite et continue comme si de rien n’était.

— ‘’J’ai fait ragout kimchi pour toi.’’ You can't go … (Tu ne peux pas rentrer chez toi sans goûter à la cuisine familiale coréenne.)

Satisfaite, Eun-jung regarde Aimé manger d’un bon appétit ; il aime. Régulièrement elle remplit son verre, trinque avec lui mais cette fois boit modérément de son côté. L’ambiance est agréable, les deux conversent en souriant. L’alcool aidant, la complicité affective liant déjà ces deux-là s’accroît peu à peu.

Le repas terminé, Eun-jung débarrasse tandis qu’Aimé fait la vaisselle. Eun-jung en profite pour le taquiner joyeusement, lui donnant de petites tapes sur l’épaule sous prétexte qu’il nettoie mal, Aimé ne protestant que lorsqu’elle lui donne au passage une petite tape sur les fesses. Ils finissent par s’installer sur le canapé, une bière à la main.

— Did you bring … (As-tu apporté ce que je t’ai demandé ?)

— Oh oui ! Je l’avais oublié.

Posant tout deux leurs canettes sur la table basse, Aimé sort de sa poche une clé USB qu’elle va connecter à une petite chaine Hifi avant d’appuyer sur la télécommande qu’elle garde en main. Puis elle revient… s’allonger sur le canapé, utilisant comme oreiller la cuisse d’Aimé !

Crispé, il regarde son visage avec un air de surprise un peu contrariée mais elle ne semble pas se préoccuper de lui, écoutant yeux fermés Rennie Wang chanter « Time after time ». Alors peu à peu il se détend sans pour autant la quitter du regard, détaillant chaque parcelle de son profil.

Eun-jung se cale plus confortablement contre lui, posant une main sur son genou alors Aimé s’autorise enfin un moment de relâchement. Il laisse sa main légère envelopper l’épaule d’Eun-jung et sa nuque venir reposer contre le dossier du canapé. Yeux fermés, il savoure intensément ce bonheur simple depuis trop longtemps oublié d’une tendre intimité affective bercée par la complainte de Rachel Varghese chantant ‘’Kya Karein’’.

Le temps se suspend.

Respirant l’instant de toute son âme, Aimé refuse de quitter l’univers suave qui le baigne et n’ouvre pas les yeux lorsque Eun-jung se redresse pour boire une gorgée de bière, sa main se contentant de s’écarter un instant avant de revenir trouver sa place, si naturelle, sur son épaule. Bientôt, elle a soif encore. Aimé écarte à nouveau sa main pour la laisser se redresser et… soudain ouvre grand les yeux en se raidissant ; ayant saisit fermement son visage des deux mains, Eun-jung vient de joindre sa bouche à la sienne !

D’abord il reste passif, malgré lui envouté par la tendre souplesse qui se meut lentement contre ses lèvres… Puis il reprend brutalement ses esprits lorsque Eun-jung semble se laisser emporter par ce qu’il n’ose imaginer désir…

Brusquement repoussée en arrière, Eun-jung refuse l’énorme frustration qu’elle sent monter en elle. Elle revient à la charge mais cette fois Aimé se dégage en sautant sur ses pieds, la bousculant au passage. Elle agenouillée sur le canapé et lui debout, ils s’affrontent du regard à peine une seconde avant qu’elle n’explose, furieuse :

— What’s … (Mais qu’est-ce qu’il t’arrive !!!)

Aimé ne peut répondre. Cœur battant, il détourne son regard en passant une main dans ses cheveux.

— Since the first day … (Depuis le premier jour, tu n'arrêtes pas de me regarder avec des yeux énamourés et maintenant tu me rejettes ?!)

— I …………

— What the fuck … (Putain mais à quoi tu joues avec moi Aimé !!!)

Soudain très agité, il se tourne d’un côté à l’autre, bafouille sans oser la regarder…

— Eun-jung I… I… Ah merde!!!

…puis hurle presque.

— Je ne peux pas ! I can’t …. (Je ne peux pas ! Je ne peux plus baiser !!!!)

Eun-jung est si abasourdie que sa frustration tombe d’un coup. Elle reste quelques secondes sans réagir à le regarder marcher vers le vestibule avant que de sauter vivement du canapé, courir à lui et sans hésiter, lui refiler une gifle magistrale !

— Don't run away! ... (Ne t’enfuis pas ! Tu ne peux pas ! Es-tu un lâche ?)

Puis contenant sa colère, elle saisit son poignet.

— Come on. (Viens.)

Elle tire Aimé jusqu’au canapé, l’y jette littéralement, prend au frigo deux bouteilles de soju et deux bières qu’elle pose sur la table basse sur laquelle elle s’assied face à lui. Ouvrant une bouteille, elle remplit à raz-bord de soju un verre qu’elle tend à Aimé, en renversant un peu sur sa cuisse. N’osant toujours la regarder, il prend le verre et le vide cul sec. Elle ouvre alors une canette de bière qu’elle lui tend avant de faire de même avec une cigarette allumée.

Tête baissée, il tire une bouffée et ose articuler trois mots.

— Tu ne fumes pas chez toi.

Elle le regarde intensément sans répondre puis respire un bon coup et :

— Ce soir oui…

Elle se sert son verre de soju qu’elle vide cul sec, s’ouvre sa bière, s’allume sa cigarette et le regarde fixement. Il finit par céder…

— I am impotent… sexually. (Je suis impuissant… sexuellement.)

Il n’a qu’une envie en cet instant c’est de courir se cacher, de s’enfuir loin d’elle mais il ne peut la laisser ainsi ; il lui doit bien des explications. Il prend une grande inspiration et ose enfin la regarder dans les yeux.

— Nous sommes une famille à cancer. J’ai eu le mien l’an dernier. La prostate. An aggressive one… (Un agressif…) Il a été soigné avec une radiothérapie mais je suis encore sous traitement hormonal. Now … (Maintenant, mes hormones mâles sont proches de zéro. Je me sens toujours faible et fatigué.) J’ai perdu plus de 5 kilos de muscles. Je perds mes poils, mes seins grossissent. It's like a menopause … (C’est comme une ménopause : bouffées de chaleur, pas de libido, forte sensibilité émotionnelle… C’est ce que je suis… là, maintenant.)

Eun-jung ouvre la bouche sur un long silence puis :

— So, that's why you cry like a child... (C’est donc pour ça que tu pleures comme un enfant…)

Les deux se taisent un long moment, fumant et buvant tout en évitant croiser le regard de l’autre. Puis Eun-jung jette son mégot dans sa canette vide et voyant les yeux mouillés d’Aimé, elle vient s’assoir près de lui, passe un bras sur son dos et l’attire doucement contre elle, sa tête reposant sur son épaule.

Plus tard…

Ils boivent encore, surtout Aimé.

Plus tard encore…

Aimé fin saoul dort, allongé sur le canapé, tête reposant sur les cuisses d’Eun-jung, visage enfoui contre son ventre tel un enfant. Caressant ses cheveux, celle-ci repense aux médicaments qu’elle a vu dans sa chambre ; rien ne semblait correspondre à un cancer de la prostate d’après ses recherches… Se pourrait-il qu’il en ait… Non. Cela lui semble impossible.

Eun-jung soulève doucement la tête d’Aimé, se redresse, glisse un coussin dessous et le couvre d’une couette avant de rejoindre son lit.

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