Vendredi 25 au Jeudi 31 Janvier 2019

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VENDREDI 25 JANVIER 2019

Dans le noir, deux souffles de course distincts s’amplifient en alternance. La lumière peu à peu apparait et l’on découvre l’un après l’autre en gros plans les visages de Dounia Battini, 18 ans, courant de jour dans les couloirs d’un hôpital et de Kim Na-ri, 17 ans, courant la nuit dans une rue commerçante bondée.

C’est le milieu d’après-midi devant l’entrée du service pédiatrique de l’hôpital de la Timone à Marseille. Son père crie au loin son nom tandis que Dounia s'élance sous la lumière crue du soleil d'hiver pour courir vers le portail de sortie de l’hôpital et disparaitre en se faufilant dangereusement entre les voitures de l’intense circulation. Un seul impératif pour Dounia en cet instant : « Cours Dounia, COURS !! » Comme si ta vie en dépendait.

Au même instant, il fait nuit à Séoul. D’habitude juste bruissant des conversations et du bruit des pas de ses innombrables clients, le quartier commerçant de Donggyo-dong est soudain traversé de cris. Une ombre masquée vêtue d'un ensemble de sport noir à capuche fend la foule, courant à perdre haleine, bousculant les passants, sa main droite tenant fermement contre sa poitrine un sac à main de marque. Un seul impératif pour Kim Na-ri en cet instant : « Cours Na-ri, COURS !! » Ta vie en dépend !

Plus tard.

A Marseille. Recroquevillée dans un angle de rue en impasse, Dounia choquée alterne entre hoquets de larmes et crise de rage impuissante. Son portable ne cesse de sonner mais elle ne répond pas et finit par l'éteindre d’un geste rageur.

A Séoul. Il n’y a plus de cris derrière elle alors sautant par-dessus un muret de béton, Kim Na-ri traverse d’un pas pressé un étroit petit parc récemment boisé et disparait dans le dédale des petites ruelles bientôt presque désertes du quartier de Yeonnam-dong.

Plus tard encore.

A Marseille. Dans le soleil déclinant, Dounia, abattue et les yeux rougis, fini par rejoindre son père (Aimé, 51 ans) qui l'attend près de la voiture dans le parking de terre battue de l’hôpital. Celui-ci veut la prendre dans ses bras mais elle le repousse doucement. Les deux montent dans la voiture et roulent dans un silence pesant.

A Séoul. Cachée derrière une voiture garée en retrait d’une ruelle, Na-ri un peu essoufflée fouille fébrilement le contenu du sac à main qu'elle vient de voler. Elle s'empare des billets qui s’y trouvent (environ 95 000 Wons, 70 Euros), puis ôte à toute vitesse son haut noir pour enfiler un uniforme de lycéenne sorti de son sac à dos, jupe passée par-dessus son jogging et s’en va d’un pas pressé. Passant devant une poubelle plus loin, elle y jette discrètement le sac. Inquiète, surveillant ses arrières, elle arrive bientôt sur le trottoir d’un grand boulevard et saute dans un bus.

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SAMEDI 26 JANVIER 2019

Situé à l’Ouest de Séoul, le petit quartier de Yeonhui-dong est une zone résidentielle de standing modeste mais calme et proprette composée par majorité de ces villas ou ces petits immeubles de brique rouge sombre de deux ou trois étages typiques de Séoul. Peu de monde dans les rues et quasiment aucun magasin. Adossé à une colline, un petit terrain arboré en lisière du quartier détonne un peu, encombré qu’il est de divers matériaux de construction, de bric à brac et d’une petite caravane gaiement décorée.

Devant cette caravane, Kim Na-ri tend l'argent volé la veille à une femme âgée dont un bras est en atèle (Mme Park, 74 ans), qui repousse sa main avec véhémence :

— 아니 ... (Non, non, Na-ri ! Je n’en ai pas besoin.)

Mais l’adolescente fourre d’autorité les billets dans sa main avec un grand sourire avant de s’enfuir en s’exclamant joyeusement :

— 나도 … (Moi non plus grand-mère ! À bientôt !)

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LUNDI 28 JANVIER 2019

Situé à une quarantaine de kilomètres de Marseille en bordure de l’étang de Berre, le petit village de Saint Mitre les Remparts abrite un camping sous pinède où vivent à l’année une vingtaine de résidents en plus des touristes et autres travailleurs de passage. C’est là qu’Aimé de retour d’Afrique avec sa fille a posé ses valises et son mobile home. Le petit terrain est en broussailles, l’entretient du bungalow négligé. On y entre par un patio en bois de fabrication artisanale évoquant une lointaine île caribéenne avec son hamac et son toit de tôle ondulée.

Un séjour/cuisine, 2 chambres, douche et toilettes ; c’est petit mais fonctionnel. Les murs de la chambre de Dounia sont couverts de posters d’Idols de Kpop, cette world musique Coréenne hyper travaillée qui a conquis ados et jeunes du monde entier.

Il est minuit passé mais Dounia ne dort Pas. Après s’être assurée du profond sommeil de son père, elle subtilise sa carte bancaire dans sa veste pendue au séjour et s’enferme dans sa chambre pour faire en ligne un virement de 2000 Euros du compte d’Aimé vers le sien et acheter un billet d'avion à destination de Séoul. Puis elle commence à remplir un sac à dos en silence.

Plus tard en début de matinée. Restée vêtue, Dounia n’a pas dormi. De son lit, elle entend son père sortir puis sa voiture démarrer. Elle se lève alors, va dans la minuscule salle de bain et se rase la tête en pleurant. Laissant sa chevelure bouclée éparpillée au sol, elle enfile ensuite une épaisse doudoune, se couvre le crane nu d’un bonnet et sort, sac au dos.

………………….

A Fos sur Mer existe encore une des dernières industries lourdes du pays ; l’aciérie Sollac. C’est là qu’Aimé travaille comme inspecteur technique maritime pour aider à l’affrètement de bateaux expédiant dans le monde entier ces lourdes bobines de tôles d’acier. En cette fin d’après-midi, un petit cargo est justement à quai, ouvrant ses panneaux de cales. Sur le pont près du château, Aimé est au téléphone :

— Oui docteur… Oui… Vraiment ? Oui… C’est un grand soulagement, oui. Merci d’avoir appelé aussi tard, merci beaucoup. Oui… Dans six mois. Au revoir docteur.

Visage illuminé d’un grand sourire, il raccroche et compose le numéro de sa fille mais n’a pour réponse qu’un message indiquant que son téléphone n’est pas en service. Soudain pressé, il s’adresse au cuisinier de bord fumant une cigarette non loin de lui.

— Could you ... (Pourriez-vous s’il vous plait dire à l’officier en second que je reviendrais demain avec mon rapport ? Merci beaucoup !)

Puis il dévale l’échelle de coupée à toute vitesse et grimpe dans sa voiture garée sur le quai. Sur le pont, un marin le hèle en tendant à bout de bras son testeur ultrason.

— Mister surveyor! Ви забули свій пристрій! (Monsieur l’expert ! Vous oubliez votre appareil !)

Trop tard. La voiture d’Aimé démarre déjà en trombe. Exactement 17 minutes et 34 secondes plus tard, Aimé ouvre la porte de son mobile home en s’annonçant d’un ton un peu exagérément joyeux :

— Tadaïma ! (Je suis rentré !)

Il attend l’habituel « Okaïri ! » (Bienvenue !) en réponse mais ne reçoit que le silence. Sur la table du séjour est posé un de ces petits mots que sa fille lui laisse souvent, écrit en bleu sur un Post’it rose joliment décoré à la main de petits cœurs :

« Papa,

Je pars chercher Moon-young.

Ne t’inquiète pas pour moi.

SALANGHAE !

(JE T’AIME !) »

Soudain soucieux, Aimé frappe à une porte et l’ouvre sans attendre. La chambre de sa fille est vide. Il va dans la salle de bain attenante et se fige en découvrant l’abondante chevelure éparpillée sur le lino. L’air hagard, il retourne dans le séjour et s’effondre sur une banquette ; il a compris.

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MARDI 29 JANVIER 2019

Au petit matin Dounia sort de la porte d’arrivée de l’aéroport d’Incheon en Corée du sud. Elle se laisse porter par les tapis roulants le long de couloirs interminables, débouche sur un quai souterrain puis prend le train pour Séoul. Sans être apeurée, elle semble un peu craintive, légèrement recroquevillée sur la banquette. On comprend qu’elle n’a pas l’habitude de voyager seule mais son regard montre de la détermination.

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MERCREDI 30 JANVIER 2019

Dounia parcourt les petites ruelles du quartier de Yeonhui-dong, quasi désertes à ce moment de la journée. Elle semble chercher quelque chose, compare souvent ce qu’elle voit à des photos contenues dans son téléphone. Appareil photo en bandoulière, elle mitraille aussi beaucoup mais jamais devant les rares passants.

Arrivée au croisement d’une rue, elle voit en contre bas une fille de son âge en uniforme de lycéenne (Na-ri) qui remonte la pente d’un air décidé, un sac plastique en main. Elle lui apparait très belle. Sa peau est très blanche, ses cheveux d’un noir absolu comme ses sourcils. Perdu dans le vague, son regard est pourtant intense, presque dur, à peine atténué par le léger sourire de ses lèvres. L’impression qu’elle offre à Dounia est si forte que celle-ci ne peut s’empêcher de voler une courte série de photos, précairement cachée derrière un poteau à l’angle d’un mur.

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JEUDI 31 JANVIER 2019

Dounia parcourt encore les ruelles du quartier de Yeonhui-dong, cherchant visiblement à reconnaitre les lieux dont elle a des photos dans son téléphone. Arrivée à un croisement, elle s’arrête. Soudain agitée, elle regarde à droite et à gauche, vérifie sur son écran, se retourne et compare encore. Puis elle ouvre son espace cloud, lance un film, accélère, stoppe, va plus loin, revient en arrière et pousse un discret cri de victoire. Elle a trouvé !

Heureuse, elle prend de nombreux selfies en recherchant les mêmes angles de prises de vue que celles du film puis s’en va, satisfaite. Elle met de côté sa quête pour l’instant, se promène simplement en touriste pour la première fois depuis son arrivée.

Voyant un sentier aménagé s’enfoncer dans la petite colline boisée bordant le quartier, elle l’emprunte, s’offre une promenade dans le sous-bois partiellement enneigé. Bientôt, elle rattrape une vielle dame semblant difficilement porter d’un seul bras un sac plastique et un fardeau de petit bois mort.

Timide, Dounia la dépasse sans un mot, s’inclinant juste légèrement dans sa direction au passage… puis subitement s’arrête après quelques pas et se retourne en souriant.

— Annyeonghaseyo. (Bonjour.)

— 안녕하세요 소녀. (Bonjour jeune fille.)

Sourire bienveillant aux lèvres, Dounia s’avance vers elle en tendant les mains vers le fardeau de bois.

— Donnez-moi ça, je vais le porter.

— 아니 … (Non, non. Ce n’est pas trop lourd.)

Elles se regardent un instant dans les yeux. La vielle femme reste visiblement sur une défensive polie mais Dounia insiste avec douceur, prenant délicatement en mains ses affaires…

— Laissez-moi vous aider. S’il vous plait… Halmeoni. (Grand-mère.)

… alors elle abdique, souriante.

— 정말 … (Merci beaucoup.)

Un peu plus tard assise devant une caravane bariolée sur un tabouret de plastique au rouge délavé, Dounia attend… elle ne sait quoi. Elle a juste compris un signe lui signifiant d’attendre alors elle attend, confiante, regarde autour d’elle. Tout semble familier et différent à la fois ; les arbres, la forme de leurs feuilles, les couleurs, les odeurs, la lumière, la morsure du froid. Pour la première fois depuis son arrivée, elle respire à pleins pores cette Corée qui la fait tant rêver depuis des années… en tout cas ce tout petit bout de Corée. Elle s’en contente pour l’instant. Même la neige semble différente des quelques autres neiges qu’elle a connues. Dounia se sent paisible, heureuse comme elle ne l’a pas été depuis longtemps, privilégiée d’être ainsi invitée par une vielle dame inconnue à partager son domaine pour quelques instants.

Souriante et empressée, la vieille dame sort de la caravane, portant avec assurance malgré son bras blessé un plateau contenant deux tasses fumantes et une assiette remplie de boulettes de riz aux algues. Un simple regard et Dounia va prendre un casier à bouteille trainant par là pour le poser en guise de guéridon devant la seule chaise alentours, puis elle approche son tabouret. Assises l’une en face de l’autre, les deux se regardent avec bienveillance, sans un mot. Elles sont deux générations, deux cultures semblant presque aussi opposées que les lieux sur la planète où elles sont nées. Elles n’ont pas de mots pour communiquer, ne connaissent rien des codes de l’autre. Pourtant elles sont si proches en cet instant, buvant chacune son eau de miel bien chaude, l’ancienne incitant du geste la jeune à manger encore, à finir l’assiette.

Repue, Dounia remercie son hôte d’une courte inclinaison de la tête, une main posée sur le cœur, avant de tapoter sa poitrine :

— Je m’appelle Dounia. DOU-NI-A !

— 제 이름은 … (Je m’appelle Park. Grand-mère Park !) répond Mme Park en faisant de même, avant d’articuler d’une voix forte avec une lueur malicieuse dans le regard : PAL-KE HAL-MO-NI !

Les deux rient de bon cœur puis la jeune Française propose à Mme Park de la prendre en photo. Ravie, la vielle dame prend la pose ; sage, presque intimidée telle une jeune fille de la campagne. Les dernières prises de vue se font ensemble, d’abord classiques au retardateur en posant l’appareil sur le tabouret, puis Dounia ose quelques selfies avec son téléphone, entourant d’un bras un peu intrusif les fragiles épaules. Elle a bien raison car une main légère vient se poser sur sa hanche. Impulsive, elle ose alors l’impensable ; un bref baiser sur la pommette un peu flétrie pour son dernier selfie. Petit rire gêné des deux bien sûr, mais elles sont désormais liées par cette trop ostensible marque d’affection, si incongrue ici pour des inconnues. Puis Dounia prend congé, s’aidant de signes de la main :

— Au revoir halmeoni, je reviendrais cet après-midi vous apporter les photos, c’est promis.

Mme Park ne la laisse partir qu’après avoir longuement tenu sa main en silence, une petite larme se perdant dans une ride.

………………….

Revenue peu avant le coucher du soleil apporter à Mme Park les photos tirées, Dounia est surprise de voir au loin, installée en contre bas sur le même tabouret qu’elle occupait plus tôt, Kim Na-ri épluchant une pomme face à la vielle dame. Elle est tentée de profiter de l’occasion pour se rapprocher de cette fille qui l’a tant impressionné la veille mais les deux semblent partager une si proche intimité que Dounia n’ose les interrompre, restant les observer à bonne distance. Mme Park proteste lorsque Na-ri veut la nourrir comme une enfant mais fini par céder devant l’insistance de la jeune fille qui semble prendre soin de la blessée avec beaucoup de sollicitude.

Curieuse, Dounia utilise le zoom de son appareil photo pour mieux détailler la scène. Plus encore qu’hier, elle est subjuguée par la beauté de Na-ri qui masse maintenant les épaules de Mme Park. Le contraste entre son regard dur et l’expression chaleureuse et attentionnée du reste de son visage dégage un charisme fou à ses yeux. Irrésistiblement séduite, elle ne peut que s'approcher en cachette. Elle prend une série de clichés, ose s’avancer quelques mètres de plus et… comprend son erreur dès la photo suivante en voyant dans son objectif Mme Park lui faire un signe de main avec un grand sourire. Surprise, Kim Na-ri relève la tête dans sa direction et ne reste interdite qu’un court instant avant de l’apostropher d’un air furieux.

— 이봐! … (HÉ TOI ! Tu fais quoi là ! La salope…)

Affolée par l’expression enragée de Na-ri s’élançant soudain vers elle, Dounia d’instinct prend la fuite par le chemin boisé emprunté plus tôt avec Mme Park. Elle court à toute vitesse mais bien plus rapide, sa poursuivante ne tarde pas à la rattraper et la jeter violemment au sol. Une bagarre s’en suit, nettement à l’avantage de la coréenne et bientôt allongée sur le dos, Dounia n’arrive à protéger de ses avant-bras qu’une petite partie de la dure volée de coups s’abattant sur son visage. Heureusement pour elle, la fureur de son assaillante s’éteint aussi brusquement qu’elle est apparue lorsque, voulant l’attraper par les cheveux, Na-ri arrache le bonnet et découvre son crâne rasé. Interloquée, elle reste un court instant immobile à regarder sa victime avant de se jeter en arrière.

Assise à moins d’un mètre de Dounia, souffle court, un peu désemparée, la jeune coréenne réalise alors l’extrême violence de son attaque. Sonnée, l’étrangère reste allongée immobile sur le dos. Son visage est griffé, égratigné, un de ses yeux est à demi fermé, le sang macule son front et sa lèvre inférieure gonflée, déformée. On la croirait presque évanouie si ce n’était sa tête redressée et son regard écarquillé fixé sur celui de son assaillante.

Dounia ne ressent pas la douleur, pas encore. Paradoxalement, ses sens devenus quasi inaptes à la perception du reste, sont extraordinairement aiguisés envers son unique objectif ; percevoir au plus tôt la prochaine attaque de Na-ri… Mais celle-ci ne vient pas. Désorientée, inconsciente de toujours tenir en main son bonnet, la jeune Coréenne regarde fixement sa tête, visiblement déroutée par la vision de son crâne rasé. Il n’y a manifestement plus de rage en elle, plus de fureur, alors prudemment, très lentement, Dounia se redresse et une douleur dans ses côtes arrive qui la fait grimacer.

Na-ri regarde Dounia s’assoir péniblement. Pour la première fois peut être de sa jeune vie, elle éprouve du remords après une bagarre car pas une seule fois son adversaire n’a essayé de répondre à ses coups, se contentant d’essayer de les parer. Jamais jusque-là, Kim Na-ri ne s’était battue contre une adversaire aussi faible. Elle l’avait vite compris mais cela l’avait pourtant excitée, encouragée à frapper plus fort encore… Au remords s’ajoute soudain la honte.

Assises en tailleur dans la neige à portée de main l’une de l’autre, les deux filles se regardent un moment en chiens de Faïence. Dounia se met péniblement debout et Na-ri l’imite d’un bond. Elles se regardent encore. Le visage de Dounia exprime une profonde tristesse, celui de Na-ri une méfiance toujours aussi farouche mais l’éclat de son regard s’est altéré. Puis la jeune Française pointe du doigt son bonnet que son assaillante tient encore en main. Celle-ci ne comprend qu’avec un temps de retard et le lui tend d’un geste un peu trop brusque qui provoque un mouvement de crainte chez sa victime. Alors Na-ri s’avance promptement et lui saisissant un poignet, pose dans sa main le couvre-chef de laine avant de se reculer vivement d’un pas.

Elles se regardent encore. Na-ri ouvre la bouche. Elle voudrait dire quelque chose mais n’y parvient pas, paralysée par la vision des larmes coulant maintenant sur les joues de sa victime. Dounia pleure en silence en la regardant dans les yeux, puis ses lèvres blessées s’arrondissent sur son tout premier mot prononcé depuis leur rencontre, à peine audible :

— Mianhae. (Désolée.)

Cœur serré, Na-ri regarde la jeune étrangère se retourner et s’en aller lentement, d’un pas lourd. Son malaise et sa culpabilité en cet instant sont insupportables.

— 야 ! ... (Hé ! Ne pars pas !)

Dounia ne répond pas. Partagée entre la honte et sa colère subitement revenue, Na-ri la regarde s’éloigner pendant une dizaine de mètres avant que sa tension ne disparaisse brusquement quand soudain sa victime se retourne. Soulagée, elle la regarde revenir vers elle d’un pas décidé avant de réaliser, alors que leurs regards se croisent, que son intention est de récupérer son appareil photo tombé dans la neige, certainement pas de soulager la conscience de son agresseur…

Tout s’accélère soudain. Dounia se précipite mais encore une fois, Na-ri est plus rapide qui la bouscule durement, s’empare de l’appareil photo et s’enfuit. Abattue, elle regarde la si belle jeune Coréenne détaler en courant. Elle lève une main, va pour l’appeler mais aucun son ne sort de sa bouche et Na-ri disparait au tournant du chemin. Alors elle couvre son crâne nu du bonnet et s’en va, marche d’un pas accablé vers le trop pâle réconfort que tente de lui offrir son impersonnelle chambre de Guest house.

………………….

Plus tard en soirée.

Devant sa caravane, Mme Park attend, inquiète... Finissant par se résoudre à ne pas savoir comment s’est déroulée l’improbable rencontre de ses deux jeunes amies, elle rentre chez elle, cœur serré.

L’intérieur de la petite caravane est propre, dépourvu de tout mobilier hormis une petite table basse poussée contre un mur, un placard, un mini coin cuisine, un radiateur électrique et soigneusement roulé dans un coin, une couche garnie de son tapis isolant tout neuf. Près de la porte, un brasero déjà rempli de petit bois empilé sur du papier journal froissé. Tout près, le sac plastique que Dounia a porté le matin est entrouvert, laissant apparaître des briquettes de charbon.

Assise à même le sol devant la petite table, Mme Park finit d’écrire un mot sur une feuille de papier. Puis elle sort de sa poche un rouleau de billets maintenus par un élastique qu’elle recompte avant de les mettre dans une enveloppe qu'elle joint à la lettre posée bien en évidence au milieu de la table.

Puis elle s’affaire, appliquant du ruban adhésif sur les entourages des deux fenêtres. Elle tire ensuite les rideaux, prend une boite d’allumettes et allume le foyer dans le brasero. Le bois un peu humide dégage beaucoup de fumée alors elle ouvre la porte malgré le froid. Bientôt les flammes jaillissent, claires. Elle pose alors trois briquettes de charbon dans le feu, vérifie qu’elles s’allument bien puis ferme la porte qu’elle entreprend de calfeutrer comme les fenêtres.

Ceci fait, Mme Park regarde autour d’elle puis, satisfaite, déroule sa couche sur laquelle elle s’étend, paisible.

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[1] Coréen.

[2] Anglais.

[3] Ukrainien.

[4] Japonais romanisé.

[5] Coréen romanisé.

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