Vendredi 1er au Vendredi 8 Février 2019

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VENDREDI 1 FÉVRIER 2019

Fin de matinée.

Assise sur le bord du lit trop dur de son Guest house, Dounia inspecte son visage avec un miroir de poche. Il est salement amoché… En guise de soin, elle se contente de mouiller un coin de serviette avec une bouteille d’eau minérale pour délicatement nettoyer ses blessures.

Un souvenir lui revient tandis qu’elle mache ensuite difficilement un Samgak kimbap acheté la veille ; celui de sa main arrachant quelque chose pendant au cou de Na-ri pendant la bagarre.

………………….

Plus tard en milieu de journée…

Son visage écorché et tuméfié toujours pas correctement soigné, Dounia revient dans le bois sur les lieux de la bagarre. Elle cherche un court moment et trouve sur la neige ce qui semble être une carte de bus ou d'étudiante avec la photo de son agresseur.

Bien décidée à récupérer son appareil photo, elle continue son chemin en direction du campement de Mme Park et aperçoit de loin un attroupement autour d'une ambulance garée près de la caravane de la vielle dame. Inquiète mais prudente, elle s’avance discrètement et reconnait en retrait Na-ri qui assiste à la scène en pleurs, visiblement effondrée. Pressentant un drame, Dounia hésite à intervenir mais fini par se décider ; elle ne peut tout simplement pas abandonner son appareil photo. Sans bruit, elle arrive à s'approcher par derrière de Na-ri et lui saisit le poignet… Pas assez fermement car celle-ci se dégage violemment, lui donne un coup de poing au ventre qui la fait tomber et s'enfuit. En se relevant, Dounia tient en main un bout de papier arraché des doigts de Na-ri.

Depuis l’attroupement près de l’ambulance, une femme (Lee Hyun-ae, 41 ans) a assisté à la scène. Intriguée et inquiète, elle hèle Dounia en s’approchant.

— Are you okay? (Vous allez bien ?)

À la vue de cette femme inconnue se dirigeant vers elle, Dounia traumatisée par la raclée reçue la veille s’enfuit en courant.

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SAMEDI 2 FÉVRIER 2019

Assise sous un arbre à la lisière du bois, Dounia surveille de loin la caravane de Mme Park en mangeant un autre Samgak Kimbap.

………………….

Pendant ce temps, Lee Hyun-ae et Na-ri assistent seules à la sommaire cérémonie mortuaire de Mme Park, Hyun-ae soutenant Na-ri effondrée. Plus tard elles s’en vont, Na-ri serrant dans ses bras, enveloppée dans un linge, l’urne contenant les cendres de sa grand-mère de cœur.

………………….

En fin d’après-midi, Dounia tremblante de froid retourne dans sa chambre.

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DIMANCHE 3 FÉVRIER 2019

Assise sous son arbre, Dounia surveille encore la caravane.

………………….

En début de soirée, Hyun-ae et Na-ri enterrent en silence les cendres de Mme Park sur le flanc d’une colline en s’éclairant de la lampe d’un téléphone.

………………….

Pendant ce temps, frigorifiée, enrhumée, découragée, Dounia abandonne sa surveillance.

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LUNDI 4 FÉVRIER 2019

Au même instant de la matinée, toutes deux emmitouflées sous une couette dans leurs lits respectif, Dounia et Na-ri commencent chacune à s’interroger sur l’autre.

- DOUNIA. Son rhume a empiré. Près de son lit, le sol est jonché de mouchoirs en papier usagés, quelques-uns débordants de leur boite d’emballage originelle. C’est du papier toilette qu’elle utilise maintenant pour tenter d’endiguer ce qui coule de son nez. Aidée d’une application de son téléphone, elle entreprend pourtant de traduire les informations écrites sur la carte d’étudiante de Na-ri. Elle découvre son nom, Kim Na-ri et le nom d’un lycée, Sangam, qu’elle localise. Au dos, sont écrits au feutre ce qui semble être un numéro de téléphone et le nom de Susaek-dong qu’elle apprend être un quartier plus à l’ouest, pas très loin de celui où elle se trouve.

- NA-RI fait défiler les photos contenues dans l’appareil volé. Trouvant en premier celles à l’origine de sa fureur, elle va pour les effacer mais ne peut s’y résoudre devant le sourire de Mme Park. Passent ensuite quelques vues des rues de Yeonhui-dong puis elle découvre avec stupeur les clichés de Dounia posant avec Mme Park. La vielle dame à l’air si heureuse qu’une pointe de jalousie la traverse un instant avant qu’elle n’éclate en sanglot.

- DOUNIA. Traduire les phrases manuscrites sur le papier arraché de la main de Na-ri est difficile mais elle pense y être à peu près arrivé :

« 부인 …

(Pour Madame la propriétaire.

Voici le règlement de mon dernier loyer impayé, je suis désolée pour le retard.) »

« 김나리 …

(Pour Kim Na-ri.

Je suis vraiment désolée mon enfant.) »

Elle lit et relit ces phrases sans bien comprendre. Puis une pensée lui vient, qui lui semble d’abord choquante, voire impossible, mais qui s’impose peu à peu comme une évidence et soudain, elle jette le papier froissé au loin avec un cri avant de s’enfouir sous la couette en sanglotant.

- NA-RI, ressaisie, parcourt le reste de la carte mémoire et s’étonne de constater qu’il n’y a que des photos de rues désertes et de maisons de Yeonhui-dong. Puis elle tombe sur les quatre clichés volés d’elle marchant dans la rue. Sa colère remonte instantanément mais elle ne les efface pas ; ces photos l’intriguent… et puis elles sont plutôt réussies. Ensuite, viennent encore de nombreuses photos de rues vides. Etonnée, elle marmonne d’un air bougon :

— 저게 … (C’est quoi ça ? Pourquoi y’a que grand-mère Park et moi ?)

Elle va pour laisser tomber quand arrive une courte série d’autoportraits de la jeune française prises au retardateur dans un aéroport, dont une où elle montre son téléphone sur lequel s’affiche une page Instagram. Intriguée, elle zoome, tape l’adresse lue sur son propre téléphone et ouvre la page de Dounia qu’elle parcourt rapidement avant de stopper sur une photo la montrant crane tondu dans un lit d’hôpital. Se remémorant la tête rasée qu’elle a découverte en arrachant son bonnet pendant la bagarre, la chose l’interpelle car le post date de deux ans auparavant et beaucoup d’autres photos la montrent ensuite avec des cheveux bouclés de plus en plus longs, jusqu’à très récemment.

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MARDI 5 FÉVRIER 2019

C’est l’aube. Léger sac de voyage à l’épaule, Aimé marche dans une ruelle commerçante déserte du quartier de Donggyo-dong à Séoul puis s’arrête devant un Guest house encore fermé. Semblant connaitre les lieux, il s’engage sur le côté du bâtiment où se trouve l’escalier extérieur, pose son sac au sol et s’assied sur un vieux tabouret en plastique, tout près d’un énorme cendrier sur pied. Il se roule une cigarette et l’allume. Tandis qu’il fume, son regard se perd sur le mur lui faisant face derrière les poubelles.

FLASH BACK - DEUX ANS PLUS TÔT.

Fin de matinée.

Aimé fume une cigarette au même endroit. Une jeune occidentale (Sarah, 24 ans) descend les escaliers bras chargés de sacs plastiques dont elle trie le contenu dans les poubelles. Puis elle allume une cigarette et la fume debout près de lui après lui avoir adressé un sourire poli. Aimé la regarde un instant avec insistance puis ose :

— Excusez-moi, seriez-vous Sarah par hasard ?

— Heu… Oui.

— On m’a dit que vous étiez française. Je suis avec ma fille. Je… C’est Dounia, elle a seize ans… C’était son rêve de venir en Corée…

— Désolée, je dois retourner travailler. Au revoir.

Le lendemain matin au même endroit. Sarah passe l’aspirateur dans la chambre du rez-de-chaussée, porte ouverte. Aimé arrive, s’installe à son poste et roule une cigarette. Elle sort l’aspirateur de la chambre.

— Bonjour Sarah.

— Bonjour monsieur.

Sarah retourne dans la chambre, en ressort avec un sac qu’elle pose à côté des poubelles et ferme la porte à clef. Puis elle trie les poubelles. Elle travaille sans plaisir mais efficacement et n’a visiblement aucune envie de converser avec un compatriote. Aimé pourtant insiste encore.

— Ça fait déjà 3 jours qu’on est là. Il ne nous reste qu’une semaine… J’aimerais vraiment que Dounia puisse parler à quelqu’un… Pourrait-on vous inviter au restaurant un soir ?

— Désolée… Je ne suis jamais là le soir… répond-t-elle sèchement sans se retourner.

— C’est une chouette gosse… Elle est ouverte, pas bête, très chaleureuse… Elle vient à peine de s’en sortir, ce n’était pas facile… la chimiothérapie.

Elle se retourne, le regarde un instant puis termine sa tâche. Elle prend l’aspirateur et s’arrêtant devant Aimé :

— Désolée… J’espère que ça va mieux pour elle.

— Oh oui, oui… Elle est tirée d’affaire maintenant.

— Accompagnez-là le soir plus bas de l’autre côté de l’avenue. Vous trouverez facilement de nombreux artistes se produisant dans la rue. Ça devrait lui plaire. Excusez-moi, j’ai du travail...

— Ah… Merci.

Un peu dépité, il la regarde monter les escaliers et disparaitre. Quelques minutes plus tard, une musique se fait entendre à l’étage et Aimé sourit subitement. Il jette sa cigarette dans le cendrier et monte au premier. Sarah travaille dans le couloir juste devant la porte de sa chambre. Le bruit de l’aspirateur peine à couvrir le rap de « RM ».

— Tiens, c’est BTS.

Sarah coupe l’aspirateur, surprise.

— Vous connaissez BTS ?

— Ça fait deux ans que j’y ai droit à longueur de journée avec ma fille.

A ce moment, la porte de la chambre s’ouvre et la tête ensommeillée de Dounia dormant sur le lit superposé supérieur, apparait juste devant le visage de Sarah pour s’exclamer avec un grand sourire :

— C’est “Fake love” !

Suivent de courtes séquences musicales montrant Sarah et Dounia ; marchant dans la rue en se tenant la main, mangeant des brochettes dans la rue, encourageant un groupe de danseurs, faisant des selfies avec ces mêmes danseurs, allongées côte à côte dans un lit en plein jour, etc…

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RETOUR AU PRESENT

Les yeux humides, Aimé allume une nouvelle cigarette. Il entend un pas de femme se rapprocher et Chae Eun-jung, 42 ans, apparait à l’angle du bâtiment. Elle grimpe l’escalier d’un pas pressé et ouvre la serrure à code du 1er sans voir Aimé qui la suit du regard. Celui-ci prend le temps de finir sa cigarette puis monte à son tour l’escalier pour toquer à la réception. Prudente, Eun-jung entrebâille la porte et le regarde d’un air surpris, avant de s’adresser à lui assez sèchement dans un Anglais parfait :

— Sorry Sir … (Désolée Monsieur, nous sommes fermés maintenant. Merci de revenir après 9 heures.)

Subitement confus, Aimé peine à trouver ses mots.

— I… Sorry … (Je… Désolé. J’ai… réservé une chambre ici. Juste… Est-il possible de laisser mon sac quelque part ?)

— Oh… Yes … (Oh… Oui. C’est en bas. J’arrive.)

Sourcils froncés, Eun-jung regarde Aimé redescendre l’escalier et l’attendre debout dans la rue ; Il a l’air si emprunté... Elle le rejoint, se saisit un peu brusquement de son sac et le porte jusque sous l’escalier pour le ranger dans un réduit. Pendant tout ce temps, il ne la quitte pas une seconde du regard. Peut-être est-ce pour cela que le ton de sa voix se fait plus sec encore quand elle annonce :

— Check-in does … (L’enregistrement n’est pas avant 15 heures.)

— Oh yes … (Oh oui, oui, je sais ! C’est bon…)

Le regard trop direct de cet homme, l’empressement maladroit qu’il met à lui répondre trahit un trouble que Eun-jung ne peut percevoir autrement que grossier venant de la part d’un parfait inconnu. Aussi, c’est sans plus de civilité qu’elle prend froidement congé.

— Well … (Bien. Au revoir.)

Agacée par son singulier comportement, Eun-jung regarde Aimé s’éloigner dans la rue en marmonnant, mécontente :

— 너무 … (Venir déranger les gens aussi tôt... Quel sans-gêne !)

………………….

En milieu de matinée, Dounia entre dans sa nouvelle chambre d’un Guest house situé à Susaek-dong qu’elle pense être le quartier où habite son agresseur. Sans prendre le temps d’ouvrir son sac à dos, elle s’assied sur le lit, prend son téléphone et compose le numéro lu au dos de la carte d’étudiante de Kim Na-ri. Quelqu’un décroche et elle parle soudain très vite, dans une tentative dérisoire de retenir son interlocuteur :

— Allo ? C’est Na-ri ? Kim Na-ri ? Ne raccroche pas !

Peine perdue, la ligne est coupée presque instantanément. C’est bien elle, Dounia en est certaine. Elle essaie de rappeler mais Na-ri ne répond pas alors elle envoie un SMS.

………………….

Attenant à sa maison, l’atelier de Hyun-ae est une pièce pas très large et toute en longueur aux murs un peu décrépis. Un seul chauffage, d’appoint, électrique. De nombreux tableau de style contemporain, finis ou bien en cours sont posés le long des murs, certains incorporant les matériaux les plus divers tels que sable, grillage ou papier journal, le tout exclusivement en noir et blanc. Pas de chevalet, il semble que Hyun-ae travaille le plus souvent au sol comme en témoignent les quelques bâches jetées dans un coin et les mille coups de pinceau entremêlés sur le vieux carrelage blanc. Pour l’heure accroupie, Hyun-ae barbouille un fond de nuit sur un grand tableau appuyé contre un mur quand un juron étouffé retentit soudain à l’autre bout de la pièce.

— 오 … (Oh putain…)

Son gros pinceau dégoulinant de peinture noire en main, Hyun-ae regarde Na-ri, assise sur un tabouret dans un coin de l’atelier, qui semble paniquer en regardant son téléphone.

— 나리 … (Ça va Na-ri ?)

Comme celle-ci reste figée, Hyun-ae plonge la brosse dans un sceau d’eau, la rejoint et prend son téléphone.

— 이것은 … (C’est du français. C’est écrit : « Rends-moi mon appareil photo !!!!!!!!!! » C’est la fille que tu as tabassée l’autre jour, non ? Elle a l’air en colère… Je la comprends un peu, pas toi ?)

— 그러나 … (Mais pour qui elle se prend celle-là ?!! fulmine Na-ri. Parce qu’elle est étrangère, elle croit qu’elle peut se permettre de prendre les gens en photo sans leur permission ? On n’est pas des bêtes de zoo !)

Conciliante, Hyun-ae répond posément :

— 네 말이 … (Tu as raison, Mais ce n’est pas parce qu’elle a fait une bêtise qu’elle est forcément mauvaise. Être étranger à un lieu ou une culture peut nous rendre facilement maladroit.)

— 저는 … (Je m’en fiche. Elle n’a qu’à rentrer chez elle.)

Un autre message arrive, en Coréen cette fois :

« 나는 … (Je veux mon appareil photo !!!!!) »

Hyun-ae insiste, calmement.

— 언제 … (Quand vas-tu le lui rendre ? Je te connais, tu n’as jamais eu l’intention de le garder.)

— 나중에 … (Plus tard… J’ai pas tout bien regardé…)

— 그녀는 … (Elle fait de belles photos ? Montre-moi.)

Hyun-ae n’a plus envie de travailler. Elle éteint le chauffage et la lumière puis les deux quittent l’atelier pour la maison.

La pièce à vivre n’est pas très grande mais confortable, un peu bohème sans être trop bordélique, très chaleureuse. Hyun-ae prend l’appareil de Dounia posé sur un guéridon, en sort la carte mémoire, la connecte au PC posé sur son bureau et commence à faire défiler les clichés.

— 흠 … (Hum. Ses photos sont pas mal. Tiens… elle connaissait grand-mère Park ?)

— 그것은 ... (On dirait, répond Na-ri d’un air renfrogné. Dis Eonni, tu ne trouves pas bizarre qu’elle ne prenne en photo que des rues vides ? Y’a que Mamie Park et moi sinon...)

Hyun-ae lance une copie du dossier de photos dans son PC et regarde sa jeune protégée avec un sourire malicieux.

— 그녀가 … (Je crois que c’est parce qu’elle vous aime bien. Peut-être qu’elle a un crush pour toi…)

— 언니 ! (Eonni !)

— 진심 … (Je suis sérieuse, Na-ri.)

Un autre SMS arrive, écrit en français :

« S’il te plait Kim Na-ri. Rends-moi mon appareil photo. J’en ai vraiment besoin. »

— 제발, 김 나 리. 내 카메라 돌려줘. 정말 필요 해요, traduit Hyun-ae.

— 그녀는 … (Oh, elle est si polie !)

— 너무 … (Ne sois pas aussi sarcastique, tu es trop dure avec elle. Regarde bien ces photos. Le regard de son objectif est chaleureux, affectueux même. Elle vous a photographié car elle aimait vous regarder. C’est par timidité qu’elle l’a fait en cachette.)

— 당신은 … (Tu crois ?)

— 어쨌든 … (En tout cas, ces clichés montrent clairement qu’elle ne vous voyait pas comme des bêtes curieuses, au contraire. Ces photos de toi dans la rue, c’est évident qu’elle les a prises parce qu’elle t’a trouvé belle.)

Puis elle rajoute, soudain taquine :

— 제 … (À mon avis, elle est amoureuse...)

— 언니! (Eonni !)

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MERCREDI 6 FÉVRIER 2019

Milieu de nuit.

Fumant une cigarette sur le toit de sa maison d'hôte, Aimé assiste à une dispute à mots couverts entre Chae Eun-jung et une autre femme dans la rue déserte à cette heure de la nuit. Eun-jung semble suppliante. L'autre femme est froide, impérieuse et agacée, tandis qu’elle tend la main vers Eun-jung qui finit à contre cœur par y déposer une clef.

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JEUDI 7 FÉVRIER 2019

Fin de matinée.

Venue fumer une cigarette sous l’escalier extérieur, Eun-jung s’agace intérieurement de l’attitude d’Aimé qui reste debout à la regarder avec insistance après qu’elle ait sèchement refusé son invitation à s’assoir sur le tabouret qu’il occupait.

………………….

Dans l’après-midi.

Situé près de son Guest house, Aimé connait bien le Parc de Gyeongui Line Book street dans lequel il aimait faire de longues promenades à l’aube deux ans auparavant. Retrouvant avec plaisir les nombreuses petites créations disséminés ci et là dans ce parc à vocation artistique, Aimé s’est arrêté face à la statue qu'un homme à la panse proéminente. Apercevant un couple d'ados assis sur un banc qui chuchotent en le regardant avec insistance, il se place à côté de la statue et prend la même pose, bedaine en avant. Sourire un peu douloureux au visage, il regarde les deux jeunes éclater de rire avant que de s'enfuir en courant, subitement gênés.

Assise un peu plus loin sur un autre banc en retrait, Eun-jung qui a assisté à toute la scène voit des larmes se perdre dans la barbe d’Aimé lorsqu'il passe ensuite devant elle sans la remarquer.

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VENDREDI 8 FÉVRIER 2019

Milieu de matinée.

Espérant y croiser son agresseuse, Dounia marche au hasard dans le quartier de Susaek-dong. Avec ses pâtés entiers de maisons détruits entourés de palissades de chantier, le quartier n’est ni agréable ni rassurant tant les immeubles encore debout semblent vieux et tout prêts à s’effondrer pour certains.

Na-ri a la mauvaise surprise de découvrir au détour d’une rue Dounia marchant tout près de chez elle. Inquiète, elle la suit jusqu’à son Guest house et part directement en courant chez Hyun-ae où elle arrive essoufflée :

— 언니! ... (Eonni ! Je l’ai vue près d’ici ! Je l’ai suivie, elle loge au U Trip Guest house.)

— 그녀가 … (Je me demande comment elle a pu faire pour te retrouver… Ah je sais ! C’est l’amour qui l’a guidée.)

— 언니! ... (Eonni ! Arrête avec ça !)

………………….

Plus tard en milieu de nuit dans le quartier de Donggyo-dong, Aimé en promenade nocturne dans une petite ruelle, entend au loin ce qui lui semble être une dispute. Tournant au coin de la rue, il voit plus loin un homme visiblement fin saoul tentant d’enlacer une femme. Celle-ci le repousse avec peine car l’homme est costaud, mais elle arrive à se dégager en le faisant trébucher tout en l’injuriant copieusement :

— 엿먹어… (Va te faire foutre ! Connard !)

Devenant agressif, l’homme revient à la charge et lui saisit le bras mais il se fige au cri d’Aimé qui accourt, ayant reconnu la gérante de son Guest house.

— HÉ ! Tu fais quoi là !!

Eun-jung profite de la surprise de l’ivrogne pour se dégager et s’enfuir en courant derrière Aimé. L’agresseur s’en prend alors à lui.

— 무엇을 … (Tu veux quoi toi !)

Il s’élance vers Aimé poing levé mais trébuche sur un angle de trottoir et s’affale lourdement au sol.

Aimé se retourne ; Eun-jung a disparu. Il tente de la rattraper en courant mais s’essouffle rapidement et débouche sur la promenade piétonne de Gyeongui Line Forest Park en marchant péniblement. Épuisé, il doit s’assoir sur un muret, récupérant lentement. Debout plus loin, Eun-jung le regarde, intriguée. Elle semble hésiter puis s’approche de lui, presque à contre cœur, pour lui demander d’un ton froid :

— Are you okay? (Vous allez bien ?)

Cœur battant toujours fort dans sa poitrine, il la regarde sans répondre et Eun-jung soudain s’énerve.

— Hey Mister! ... (Hé Monsieur ! Je vous parle !)

— I’m okay. (Je vais bien.)

Devant son air accablé, Eun-jung le regarde en silence un petit moment puis sur un ton résigné fini par lui dire :

— I guess I … (Je suppose que je dois vous remercier… Venez.)

Aimé peine à suivre le pas rapide de Eun-jung en direction des lumières du convenient store situé à quelques dizaines de mètres de là.

………………….

Un peu plus tard emmitouflés dans leurs épais manteaux sur le toit du Guest house, Eun-jung et Aimé affrontent sans peine le froid de la nuit, assis devant une table en fer dans des fauteuils de jardin en plastique. Sans se regarder, ils boivent silencieusement de grandes canettes de bière sorties d’un sac en plastique posé sur la table. Un moment passe ainsi puis Eun-jung se tourne brusquement vers lui. Elle a l’air excédée, sa voix est agressive.

— Did you follow … (Vous me suiviez ? Seriez-vous un pervers harceleur ?)

Stupéfait, Aimé reste sans voix. Le ton d’Eun-jung monte.

— Since your arrival … (Depuis votre arrivée, vous ne cessez de me regarder comme un chat sur le point de croquer une souris ! Vous êtes amoureux de moi ?)

Ils se regardent un instant dans les yeux en silence et le visage d’Aimé se décompose devant le regard dur d’Eun-jung. Il répond d’abord avec véhémence…

— No, no, I … (Non, non je ne vous suivais pas !)

…mais perd rapidement de son assurance.

— I… I can't … (Je… Je ne trouvais pas le sommeil avec le décalage horaire… Je suis… Je suis confus que vous pensiez cela. Désolé… Je ne voulais pas vous blesser… Je suis vraiment désolé.)

Le silence qui suit est pesant. Il ôte ses gants, sort son paquet de tabac d’une poche et tente difficilement de se rouler une cigarette malgré le froid glacial. Elle regarde ses mains tremblantes et sa colère tombe d’un coup.

— 알았어 … (D’accord.)

Silence encore. Eun-jung fini sa bière par de longues gorgées et s’en ouvre une autre. Son regard revient sur la cigarette qu’Aimé termine de rouler tant bien que mal.

— What is … (C’est quoi ça ?)

— It’s just … (C’est juste du tabac. Du tabac naturel…)

— Make me one. (Faites-m’en une.)

— Tenez.

Empressé, il lui offre la cigarette qu’il vient de terminer et l’allume. Elle tire une bouffée puis regarde Aimé s’en roulant une autre avec plus d’assurance.

— Not bad … (C’est pas mauvais. Un peu rustique mais pas mal. Parlez-moi de vous. Êtes-vous marié ?)

— Divorced.

— Me too … (Moi aussi…)

Puis subitement souriante, elle demande d’un ton moqueur :

— So, how are you Mister Battini Love? (Bon, comment allez-vous Monsieur Battini Amour ?)

— Hein ?

— Dans le Français… Aimé. C’est… C’est comme « amour », non ?

— Vous parlez français ?

— Un petit… peu.

— Aimé means … (Aimé veut dire aimé, ou bienaimé. C’est un vieux prénom démodé.)

— Ah… My name is … (Ah… Mon nom est Eun-jung, Chae Eun-jung.) ‘’Eun-jung means… bienveillant? Yes… Je suis ravie to meet you Mister Salang.’’

A son rire, Aimé comprend qu’elle est déjà un peu ivre ; soit elle tient mal l’alcool, soit, et c’est plus probable, elle a dû commencer à boire plus tôt dans la soirée.

— ‘’Mister Salang ? Ah ! De « salanghae » ?’’ (Je t’aime.)

— Do you … (Parlez-vous Coréen ?)

No, no! Just a … (Non, non ! Juste quelques mots. J’ai regardé beaucoup de séries coréennes avec ma fille…) Vous par contre, vous semblez bien parler français.

— I understand it but … (Je le comprends assez bien mais je le parle mal. J’ai étudié le français à l’université pendant deux ans. Je n’étais pas mauvaise mais je n’ai jamais vraiment eu l’opportunité de le pratiquer… D’accord, essayons de parler français.) ‘’Avez-vous des… How to say children… Ah ! …des enfants ? ’’

— Deux filles… de deux mères différentes. Jennifer la grande habite dans une île les Caraïbes et Dounia, la plus jeune, vit avec moi.

— Dou… Dounia ?

— Dounia. Ça veut dire la vie, l’univers en Arabe.

— Oh ! Un nom Arabe ?

— Oui, sa mère est d’origine Algérienne. Dounia est née en Afrique.

— ‘’Algérienne… ? Ah ! Algeria… Avez-vous… heu … lived in Africa ?’’

— Oui. Principalement au Mali, à Bamako.

De nouveau, Aimé constate la belle promptitude avec laquelle l’esprit de Eun-jung se fait railleur :

— One daughter from … (Une fille des Caraïbes, une autre d’Afrique… Comment dit-on… Un enfant dans chaque port ?) What a Salanghaneun adventurer ! (Quel aventurier de l’amour !)

— Vous vous moquez de moi…

— ‘’Hey you ! Here, quand on boit le soju Together c’est le tu. Tu dois parles le tu avec moi !’’

Grand sourire aux lèvres, Aimé se redresse vivement pour un salut militaire.

— Yes Mam! (Oui Madame !)

— Now it’s … (Là c’est toi qui te moques de moi.)

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