Chapitre 1

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Mois de juillet de l'an 1500.

Près du village situé au nord de Dina Morgabine était assis un petit garçon âgé de dix ans révolus habillé d'un petit pantalon tissé en shoka et portant un chapeau tressé en vakwa. Il regardait l'horizon accompagné de son amie vêtue d'une robe de la même parure sobre. Alisya avait les cheveux longs et crépus. Ensemble, ils observaient l'horizon à la recherche de l’inconnu.

— Je n'ai jamais croisé d'étranger, je ne sais pas à quoi ressemble un étranger. Les anciens disent qu'un des leur est plus dangereux et plus fort que dix des nôtres ! Je me demande s'ils sont plus grands et costauds que les montagnes au sud, avec leurs chimères flottantes.

— Arrête de rêver Émil ! Ils disent ça pour nous faire peur. Papa nous dit toujours que la vraie force c'est celle du cœur ! Et que, même si un jour, ils viendraient pour nous, nous serions prêts... pour les recevoir ! Et puis, on les aurait vues leurs chimères, si elles étaient si énormes ! répliqua Alisya sans laisser paraître le moindre doute.

— T'as certainement raison. Bon j'en ai marre de flâner sous les filaos. Tu viens ? demanda-t-il en se levant brusquement.

— On va où ?

— Viens suis moi, si tu le peux !

Au cœur du village, casseroles et marmites scintillaient ce jour-là, car en effet, nous étions au jour du grand Kabar. Fêté en plein mois de juillet, le grand Kabar demandait l'aide de tous. Ainsi, chacun se préparait et n'attendait que le moment où Gaspar, chargé de la célébration du jour, allait sortir de chez lui, pour se diriger vers un grand boucan situé au centre du village. Pour les Morgabins, le grand Kabar était la fête la plus importante de l'année. Et jamais Émil n'aurait raté un tel événement !

Lors de cette journée si spéciale, les invités amenaient leurs plats traditionnels et réputés au sein de chaque famille de la tribu. S'en suivait un partage où la cuisine et l'alcool étaient mis à l'honneur.

Les Morgabins avaient beau être un peuple oublié sur une île des plus discrètes, ils avaient tout de même réussi, sans le savoir, à créer un des alcools les plus intéressants de l'histoire de l'humanité... le Tissap ! Un breuvage qui ressemblait de près à cette nouveauté anglophone, qu'ils appelaient le whisky, mais avec, quelque chose de plus fruité. Ce qui était certainement dû à l'utilisation de patates douces pour sa confection. Le Tissap avait plusieurs parfums et s'aromatisait avec le temps en reposant quelques années dans des fûts de bambous à demi-remplis de fruits.

Les fûts étaient fabriqués par le menuisier M. Tsilaozin, un homme que le village avait recueilli, après avoir été jeté sur l'île par la mer. Oan Tsilaozin avait appris à parler Morgabe et même qu'une fois, il avait réuni le village pour proclamer que ses Dieux lui avaient offert le paradis en l'amenant ici. Oan aimait beaucoup Dina Morgabine. Et les Morgabins l'aimaient beaucoup moins. Autrement dit, il était depuis peu accepté, voire toléré, selon la consommation de Tissap de chacun. Plus il y en avait mieux c'était pour lui.

Il fallait admettre qu'un homme jeté par la mer n'était pas une chose bien vue par les anciens. Cela pouvait être signe de l'arrivée future d'étrangers. Ce qui pouvait entraîner un déséquilibre des choses et un trouble des ancêtres. Si les Morgabins avaient peur d'une chose plus que des étrangers, c'était bien de la colère de leurs ancêtres, vus comme des divinités siégeant près d'eux et les guidant jusqu'à leurs derniers souffles.

La cérémonie d'aujourd'hui avait justement pour but de les honorer. Émil le savait et si vif d'esprit qu'il était, il se posait beaucoup de questions, plus encore en ce jour qu'à la normale. Et aussi paradoxal qu'il puisse paraître, il aurait peut-être dû réfléchir encore un peu, cette fois-ci. Car sans que quiconque n'ait eu le temps de le voir, Émil s'était introduit dans le boucan ! Ce qui bien évidemment, était interdit.

Alisya essaya de le suivre dans sa course mais une fois arrivée au centre du village elle ne put rattraper Émil. Elle regarda autour d'elle et vit le rideau du boucan qui venait de bouger ! De tout son cœur elle espéra que ce n'était pas Émil. Mais le connaissant plus que quiconque, cela ne pouvait être que lui ! Elle avança et se faufila à son tour dans la chapelle interdite.

Au sein du boucan, il y avait des petits bancs et dans ce lieu résidaient des statuettes à l'image des ancêtres et des Dieux. Autour des divinités était installé de l'encens qui brûlait dans des coupelles en calebasses. D'autres coupelles étaient remplies de fruits et de nourriture, sacrifice offert pour nourrir les esprits des ancêtres. Émil se tenait droit devant les deux divinités Morgabines. Eloyï, dieu masculin, préservant la paix et père des Morgabins. Et Tolya reine parmi les dieux, elle préserva la nature et fertilisa les récoltes pendant de nombreux siècles. Au pied de ces Dieux reposait une flamme tourbillonnante. Émil fixait la flamme comme si elle brûlait de mille feux face à lui. Alisya le rejoignit et elle aussi regarda la flamme, comme hypnotisée par ses traits et son histoire.

— La flamme des anciens. Elle guide les Hommes dans la nuit, réchauffe les cœurs perdus et aide les malheureux. Gaspar dit que par-delà notre monde, à la frontière entre notre terre et celle des ancêtres, brûle cette flamme. Joyau ardent allumé par le guide des esprits, sauveur des mondes, murmura Émil. Alisya continua à son tour.

— Et par-delà la vie existe une autre vie, celle des esprits. Au sein d'un royaume de lumière vit un peuple qui ne craint aucun fléau, ni maladie, ni sécheresse, ni famine, ni conflit, ni mort, ni..

— Ni perdition ! s'exclama une voix grave et tenace.

Émil et Alisya sursautèrent. Et derrière eux se tenait Gaspar, le maître de cérémonie. Il était grand, la barbe tressée, grisonnante de sagesse et portait une longue tunique recouvrant ses habits quotidiens.

— Je vois que vous avez bien retenu mes leçons. Mais vous ne devriez pas être ici, vous dérangez les ancêtres. Allez, sortez par ici, dit-il en relevant un des draps du boucan pour en faire une sortie discrète.

Les deux enfants sortirent sans que personne n'eut remarqué leurs présences. Une fois à l'extérieur, ils rejoignirent leur famille.

Émil et Alisya n'étaient pas frère et sœur, mais c'était tout comme s'ils l'étaient. Émil a rejoint la famille d'Alisya depuis son plus jeune âge, ses parents étant emportés par une tempête alors qu'ils se dirigeaient vers le sud de l'île. Une bien triste histoire, que tout le monde connaît et que chacun aimerait oublier.

Dina Morgabine était régulièrement visitée par de violents cyclones, des tempêtes tourbillonnantes qui semaient le chaos sur leurs passages et ce de la saison pluviale à l'arrivée de l'hiver et variant selon les années.

Gaspar demanda au tambour de commencer à résonner. Un rythme festif accompagné de tapes dans les mains des villageois donnait le lancement de la cérémonie. Le célébrant invoqua les esprits des ancêtres, brûla de l'encens en leur demandant de venir prendre place à la fête, cela en prenant possession du corps des villageois et ainsi, la cérémonie commença. Au départ un homme se mit à entrer dans une transe particulière, il dansait comme guidé par des pas experts en la matière. Puis, une femme se mit à chanter dans une langue inconnue. Petit à petit ils étaient de plus en plus nombreux à gagner cet état.

Les enfants regardaient la cérémonie et tapaient dans leurs mains en chantant avec Gaspar les chants sacrés. Alisya se laissa emporter et quitta Émil et sa famille pour se joindre à la danse.

Parmi tous les danseurs, une coordination prenait place à l'image de la flamme sacrée.

Émil se laissa charmer par tout cela. Soudain, il remarqua quelque chose d'étrange. Au fond de la foule, un grand homme au visage teint de traces blanches le fixait. Il tournait autour de la foule et ne le lâchait pas du regard. Ce qui était encore plus étrange, c'est que cet homme, il ne l'avait jamais vu. Et tous savent au sein de son village que le petit Émil connaît tout le monde et que tout le monde le connaît.

Émil se mis à faire le tour de la foule pour s'approcher de lui et soudain, résonna la fin de cette cérémonie. Les tambours frappèrent une dernière fois en même temps et l'homme qui était juste là, disparut.

La suite de la cérémonie se traduisait par le partage du repas. Une fois que les ancêtres ont pu se nourrir, vient au vivant de le faire. Émil rejoignit Alisya qui avait déjà retrouvé ses parents.

— Tu n'as rien vu d'étrange ? demanda Émil avec désarrois, surpris de ce qui venait de se produire.

— Tu parles de Oan ? Il a failli tomber en dansant et ensuite il tenait sa tête face à face avec le boucan. C'était très étrange.

— Et tu n'as rien vu d'autre ? répliqua-t-il stupéfait.

— Non, rien. J'ai raté quelque chose ?

— Non rien ou...

— A table les enfants ! Prenez de quoi vous remplir le ventre, dit Mariana, la mère d'Alisya.

Tous prirent un bol avec des feuilles de bananier lavées et allèrent se servir. À table il y avait de tout, maniocs, patates, palmistes, cocos, fruits et poissons.

Les Morgabins étaient végétariens et ne pratiquait ni élevage, ni chasse. Hors de question de chasser un Ibis, oiseau terrestre considéré comme sacré sur l'île. La fête continua et Émil ne pensait plus à l'épisode surprenant qu'il venait de connaître. La journée se passa et plus tard, au soir, il alla se promener sur la plage. La lune éclairait l'île. L'atmosphère au soir n'était pas la même que celle de la journée et vivre sur une île avait ses avantages pour un gamin de dix ans. Sa promenade sur la plage n'avait rien d'étrange et rien d'inquiétant. Émil s'y rendait toujours seul et appréciait tout particulièrement les nuits de pleine lune comme celle-là.

Se retrouver seul face à la mer lui permettait de se connecter à lui-même, de s'écouter malgré le bruit journalier.

Parfois, il apercevait des crabes qui l'observaient en silence.

Émil s'assit dans le sable sec, ferma les yeux et respira lentement, appréciant la sérénité et rêvant qu'un jour, la flamme sacrée lui soit révélée.

Gaspar avait interrompu la légende lorsqu'ils étaient dans le boucan. Cela lui traversa de nouveau l'esprit.

— La flamme sacrée, gardienne des vérités. Sera ainsi transmise à ZION le fils des Dieux, père des Hommes. Il les guidera et préservera la flamme jusqu'à la montagne éternelle où coule l'eau de la cascade des rêves, passage entre les mondes et les lieux supérieurs à la race des hommes. ZION qui aimait les Hommes décida alors que tous pourraient traverser. Ce qui éteignit la flamme et ferma le passage vers les autres mondes. ZION quant à lui resta emprisonné dans le monde des mortels et ce, pour l'éternité. La légende dit que ZION aurait ensuite abandonné les Hommes qui n'avaient pas pu traverser et qu'il les aurait maudits, souffla Émil avant qu'une brise ne lui caresse le corps.

Il faisait froid à cette période, l'hiver battait son plein en record de basses températures. Émil se releva et se dirigea vers le village. Une fois entré dans sa kaz, il se couvrit discrètement et alla se reposer. Il en avait grand besoin, après cette magnifique journée de Kabar sacré.

Au lendemain matin, Émil se réveilla seul dans la kaz. Il se leva et se prépara, mis son chapeau tressé sur sa tête, avec cette manière de l'incliner un peu. Il sortit ensuite et aperçu Mariana assise à la varangue. Mariana et Alisya se ressemblaient énormément, mère comme fille, les cheveux crépus et la peau brune, les yeux marron clair et le sourire éclatant.

La mère de famille préparait déjà le repas du midi en extrayant les graines d'une sorte de pois rond, poussant depuis toujours sur l'île. Elle le regarda et dit.

— Tu es bien tardif ce matin, tout va bien ? Viens, assieds-toi là. Je vais te chercher à manger.

— Ou sont passés les autres ? demanda-t-il, encore à demi-endormi.

— Alisya s'en est allée avec votre père pour s'occuper du jardin. Et j'ai aperçu Gaspar et Oan qui mijotaient quelque chose avec des brindilles et du fil, confectionnant encore une de leurs inventions à la « bric-à-brac ». Tiens, mange ça ! Tu m'en diras des nouvelles.

Elle lui servit un bol rempli d'une sorte de mélasse à moitié moins rouge que rouge. D'une couleur tirant vers un feu ardent mais quelque peu étouffé dont la substance gélatineuse brillait à la surface comme une feuille verte bien grasse et exposée au soleil d'une magnifique journée d'été.

Émil regarda son bol avec hésitation, allait-il se risquer à une indigestion ? Cela en valait-il la peine ? Il plongea sa cuillère et la remplit jusqu'à ras bord. Puis d'un geste sûr de lui, il la leva vers le haut, à hauteur de son visage. Ce qui se produisait alors n'avait rien de rassurant. La mélasse ne se détacha pas du bol et suivit la cuillère comme du fromage fondu que l'on étire un peu trop chaque seconde. Il hésita encore un peu et sous le regard perçant et si intrigué de sa mère, il fit le grand pas, réalisa le grand saut, tenta le tout pour le tout ! Il mit la cuillerée dans sa bouche en fermant les yeux. Mariana le regarda avec impatience de savoir ce qu'il en pensait, aimait-il son plat ? Émil rouvrît les yeux et d'un air stupéfait, il se lécha les lèvres.

— C'est trop bon ! C'est quoi ? Hum ça à un goût de patate et c'est sucré ! hum... dit-il en engloutissant une autre cuillère.

— De la patate et de la papaye.

— Pourquoi c'est de cette couleur ? c'est la papaye ? ajouta-t-il avant d'engloutir une bouchée supplémentaire.

— La patate aussi est de cette couleur, c'est Oan qui l'a trouvée dans les forêts de l'Est. Il en a ramené pour que ton père en plante et en multiplie au jardin.

— On en aura plein d'autres ! Super nouvelle, je dois y aller maintenant !

Mariana n'eut pas le temps de lui demander où il allait qu'il avait déjà débarrassé et lavé son bol. Il se précipita vers le village, probablement à la recherche de Oan et de Gaspar puisque le jardin se trouvait à la direction opposée à celle qu'il empruntait alors.

La journée commençait bien, le soleil brillait et l'atmosphère restait agréable malgré la fraîcheur apportée par la brise.

À Dina Morgabine, il n'y avait que deux saisons, l'été et l'hiver. Et en hiver, le soleil brillait mais ne chauffait pas. La température ne dépassant pas les vingt degrés contrairement à l'été où elle se rapprochait quasiment des quarante.

Émil continuait de marcher, il avait l'air sûr de lui. Un peu comme s'il savait où aller, ce qui n'était pas le cas. Il arriva à la plage mais aucun signe des deux hommes. Il aperçut Suzy et Sam, deux autres élèves de Gaspar.

Dans le village, il n'y avait pas d'école. Seulement Gaspar qui apprenait les principales choses à savoir aux enfants. Une fois suffisamment robustes et grands, ces derniers aidaient leurs parents.

Suzy et Sam n'étaient pas les camarades d'Émil, une certaine rivalité les séparait. Les deux soeurs jumelles se ressemblaient comme deux gouttes d'eau. Les cheveux longs noirs et lisses, le teint plein de petites tâches foncées et la dentition partagée entre elles. Une avait perdu les dents que l'autre arborait toujours et vice versa. Deux drôles de jeunes filles qui trouvaient un malin plaisir à causer des ennuis à leurs camarades.

Un jour, alors qu'ils jouaient au jeu des trois gardiens, les jumelles lui avaient réservé un des plus mauvais tours qu'il pouvait lui arriver. Elles l'avaient enfermé dans un placard jusqu'à la nuit tombée, avaient assuré n'avoir jamais rien vu et avaient supposé qu'Émil s'était cogné la tête.

Non seulement cela était signe de mauvaise foi, mais par ailleurs, cela n'était pas son genre. Il connaissait les alentours comme sa poche alors de là à se cogner la tête dans une armoire ou à l'extérieur de celle-ci, cela était très discutable. Les deux chipies se mêlant de tout ce qui ne les concernait pas, il ne fallut que quelques secondes aux scélérates pour le questionner.

— Tu vas où comme ça ? Émil sans parents, en dit-une.

— Tu es tout seul mon petit Émil ? rajouta l'autre.

— Si tu cherches Gaspar, on sait où il est !

— Mais comme on n'a pas envie de le dire parce que tu n'es qu'un moche petit sans famille...

Elles laissèrent un moment de silence, se regardèrent et dirent en même temps et d'une synchronicité inégalable.

— On va pas te le dire !

— J'ai pas besoin de vous, les Calamités ! Qui en aurait besoin ? rétorqua-t-il en leur tournant le dos.

Émil savait maintenant où aller, car avec des brindilles et du fil, s'ils n'étaient pas au jardin ni à la plage, c'est qu'ils se trouvaient à la rivière ! Le jeune garçon fonça sans plus attendre vers la rivière à l'est du village. Celle-ci découlait des grandes cascades provenant des montagnes au sud. Sans le moindre doute, non seulement il savait où Gaspar et Oan étaient allés, mais en plus, il avait la solide conviction de savoir le pourquoi ils y seraient allés.

" Depuis des jours et des jours, à cause de la sécheresse de l'année passée, Gaspar cherche le moyen de pêcher plus vite et en plus grande quantité. C'est justement à ça que doivent servir leurs brindilles et leur fil ! Je suis sûr qu'ils ont réussi à fabriquer un piège à poissons," murmura-t-il entre deux inspirations saccadées par sa course effrénée.

Se déplaçant avec plus de vivacité que les navires des légendes, il ne tarda pas à arriver là où se trouvaient les deux bricoleurs. Oan se tenait debout près de l'eau et Gaspar, à ses côtés, tenait dans sa main un objet de forme conique des plus étranges. On aurait dit un chapeau pointu en brindilles, de la taille d'un semi-homme et de la largeur d'une énorme marmite.

Gaspar vit Émil approcher et il s'en réjouit.

— Émil ! Ça tombe bien que tu sois là ! On allait essayer notre nouvelle invention ! déclara-t-il, avec enthousiasme.

— Elle sert à la pêche votre invention ?

— Perspicace, petit, répondit Oan.

— Et ça s'appelle comment votre machin ?

— On appelle ça une vouve ! dit Gaspar.

— Une vouve, une vouve, moi je préférerais tout de même, bèrtelle, répliqua Oan.

— Tu choisiras la prochaine fois Oan ce n'est pas si important après tout, vas-y montre-nous comment ça fonctionne, lui supplia le jeune homme plein d'impatience.

Oan attrapa la vouve et la plaça dans l'eau. L'on aurait pu s'attendre à un grand "splash" mais lorsque la vouve toucha l'eau, une sorte de "vloup" se laissa distinguer du bruit de l'eau qui coulait. Quelques minutes plus tard, Oan sortit l'instrument de l'eau grâce à un mouvement brusque et expert.

La vouve était à présent extrêmement lourde ! Elle était remplie de poissons à tel point que Gaspar dut en relâcher dans la rivière. Impossible de voir exactement ce qu'ils venaient de pêcher tellement il y en avait. Oan et Gaspard portèrent la vouve en direction du village tandis qu'Émil était allé chercher de l'aide pour le transport de la prise. Sur le chemin du retour, on pouvait apercevoir le village de loin.

En son sein, il y avait cinq kazs pour trois familles. Les Kane avec Émil, Alisya, Mariana et Drys. Les Domi comptant les jumelles ainsi que leurs parents Sélifane et Shania. Le couple des traverseurs, Melida et Oryan Talus. Les deux dernières kazs étaient à Oan et Gaspar. Deux kazs qui jouaient le rôle de pharmacie et de menuiserie. Chez les Kane étaient stockés les outils de travail, pour l'entretien du jardin commun et chez les Domi, il y avait la réserve de nourriture de tout le village. Quant aux Talus, ils gardaient carte et outils de traversées pour rejoindre les autres villages - auparavant, c'étaient les défunts parents d'Émil qui s'occupaient de la traversée.

Les Talus venaient du village de l'Ouest et ne se mêlaient que très peu au reste du village. Kane, Domi et Talus vivaient en paix malgré quelques conflits de voisinage. Ils arrivaient tout de même à s'entraider et à fêter ensemble dès qu'il le fallait. Le village était entouré à l'est d'une petite plaine se perdant dans la forêt et à l'ouest comme au sud se dressaient des montagnes gigantesques. Au nord prenait place un panorama vers un horizon bleu et lointain jusqu'à perte de vue.

Une fois que le groupe réussit à s'approcher de son objectif, il ne fallut pas plus de temps pour recevoir les premiers questionnements. Car, si la plaine permettait de bien voir le village, elle permettait aussi de voir qui pouvait arriver par l'est. Et les curieux s'étaient déjà tous réunis attendant l'arrivée du groupe. Émil n'eut pas le temps d'atteindre les kazs que Drys, Alisya - qui étaient revenus du jardin - ainsi qu'Oryan voyant leurs difficultés à transporter la vouve, s'étaient tout volontiers dirigés vers eux, afin de les soulager du poids qu'ils transportaient.

Alisya rejoignit Émil et les deux s'éloignèrent du groupe quelques instants.

— Tout ça pour du poisson, lança-t-elle.

— Ils ont tout pêché d'un coup c'était impressionnant ! Mariana m'a dit que vous étiez au jardin ce matin, vous avez fait quoi ?

— On a planté les patates qu'a trouvées Oan et ensuite on s'est occupé des légumineuses. Émil...

Alisya était intriguée, quelque chose la troublait au plus au point. Elle hésita un instant et reprit sa phrase.

— Je veux devenir la prochaine traverseuse du village ! suggéra-t-elle en fermant les yeux, la peur au ventre.

Émil le savait, cela devait bien arriver un jour. Chacun était libre de choisir son rôle et ce ne serait pas être qui allait l'empêcher de réaliser ses rêves. Malgré le danger que représente une traversée, le jeune garçon pensait avant tout au bonheur de son amie. Il la regarda et comme geste de félicitations, il lui sauta dessus pour le câlin le plus réconfortant qui soit. Émil ferma même les yeux à ce moment-là et lorsqu'il les ouvrit, la chose la plus inattendue qui pouvait arriver se passa.

Face à lui, se tenait l'homme mystérieux d'hier assis sur un rocher regardant la mer. Émil n'en croyait pas ses yeux et resta fixé vers sa direction. Il était assis là, calme. Le grand monsieur était habillé d'une toute aussi grande cape, ses longs cheveux tressés étaient rassemblés en chignon et dans sa main, il tenait un bâton arboré de plumes.

Il était là et cette fois-ci, aucune foule ne venait perturber la vision d'Émil. Cet homme était réellement là. Il relâcha Alisya qui était encore surprise par la réaction si attentionnée de son ami. Elle voulut prendre la parole, peut-être pour le remercier. Mais il la lâcha et commença à marcher en direction de cet inconnu. Alisya se retourna et resta comme figée de peur. Elle aussi le comprit tout de suite, cet homme-là, il ne pouvait pas être là, pas sans que Gaspar ne le sache. Quelque chose ne tournait pas rond, était-ce quelqu'un d'un autre village ?

— Bien-sûr que c'est cela, se disait-elle.

Mais pourquoi restait-il là, à fixer la mer ? Elle se lança, et comme Émile, se dirigea vers lui. Après l'avoir atteint, elle décida de prendre les choses en mains ! Elle passa devant Émil et d'un ton moralisateur elle lui dit :

— Qu'est-ce que vous faites là ? Gaspar sait que vous êtes là ? Ce n'est pas bien de ne pas s'annoncer quand on arrive dans un village ! Vous venez certainement du sud, vous êtes si étranges au sud ! Et puis, pas besoin de prendre votre air si mystérieux, un bâton comme celui-là je peux aussi en faire un. Votre cape, c'est une horreur, vous ne vous êtes pas lavé depuis combien de temps ?

Mais enfin, vos tresses je les aime bien. Oups... je m'en excuse je me suis peut-être emballée. Alisya Kane et voici Émil, mon frère.

L'homme fit un bond.

Émil la regarda en sanglots, surpris, il lui dit.

— Tu, tu... Tu... Tu peux le voir ? Je ne suis pas fou alors !

Passant devant elle, il ajouta.

— Alors monsieur, on vous écoute ! Qui êtes-vous ?

L'homme ne dit rien et recula. Il avait l'air encore plus surpris qu'eux. Il décida tout de même de répondre.

— Je suis Cory Simendèf, je ne viens pas du sud et comment se fait-il que vous puissiez me voir ? D'habitude on ne me voit pas. C'est la première fois depuis bien longtemps, que l'on me voit.

— Enchantée ! affirma Alisya qui faisait une drôle de tête, essayant de mieux comprendre ce qu'il voulait dire.

— Enchanté moi aussi monsieur. Vous venez d'où alors ? ajouta Émil.

— À dire vrai je ne suis jamais parti. Et depuis hier, je suis en quelque sorte revenu.

Cory s'avança et son corps devint translucide, il était là, mais pas vraiment. Oan, ne voyant pas les enfants revenir, se mit à leur recherche. Il les aperçut, près du rocher. Il accourut alors et il leur demanda de venir rejoindre les autres. Ils étaient restés fixés à observer le spectre qui se tenait devant eux.

— Voilà, lui ne me voit pas. Voilà qui est rassurant, dit Cory.

Oan hurla de peur et demanda.

— Qui vient de parler ?

— Mais tu peux m'entendre ! On va régler ce problème de suite.

Cory s'avança vers Oan et le traversa, l'homme s'écroula sans tarder. Émil, en sanglots et Alisya, paralysée, ne savaient que faire à ce moment-là.

— À votre tour maintenant et je pourrai profiter de nouveau du calme parcourant l'horizon.

Il traversa Alisya qui tomba à son tour et enfin répliqua son geste avec Émil. Celui-ci resta fixe, le spectre lui, semblait coincé. Il insista un peu et put s'extirper du corps du jeune garçon. Le spectre le fixa et s'en alla au plus vite en direction de l'ouest, fuyant la situation.

Émil rassembla son courage et s'en alla vers les kazs pour chercher de l'aide. Une fois là-bas, il alerta les villageois, qui s'empressèrent de courir à la rescousse d'Oan et d'Alisya. Une fois sur place ils furent forcés de constater qu'ils étaient allongés, sans connaissance.

Drys, Mariana et Gaspar se rapprochèrent, ils réveillèrent les deux victimes qui, étonnamment, dirent aux villageois présents qu'ils ne se rappelaient rien. Tous pensèrent qu'ils s'étaient cognés la tête et qu'Émil dans un élan de panique avait inventé une partie de l'histoire. La journée se passa et Émil resta longuement sur la plage, là, à regarder l'océan. Il ne savait plus quoi penser, qu'aurait-il bien pu penser après un tel épisode ?

La seule chose qu'il savait, c'est que cela était bien réel. Depuis l'incident, son poignet le démangeait, cela lui grattant comme du poil à gratter qu'Alisya et lui utilisaient pour faire fuir Suzy et Sam, lorsqu'ils ne voulaient pas être dérangés.

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