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Je me perds une bonne demi-heure dans le bois, le GPS intégré à mon cell me faisant obstinément tourner autour du chemin de la Poêle de fonte. J'arrive enfin devant une ancienne demeure d'habitant, dont la partie principale semble avoir été bâtie pour des enfants ou des nains, aux extensions bancales de proportions plus modernes ajoutées au fil des ans par mon kidjidjinnien. À l'avant, sur les côtés et, on le devine, à l'arrière de la maison s'éparpillent des amoncellements de rebuts, d'outils édentés ou manchots, d’instruments agricoles qui rouillent en paix après une longue vie de labeur dans les champs, de vélos en pièces détachées, de carcasses d'auto et, parmi ce fatras divinement inutile, quelques pièces dont on pourrait tirer tout au plus une dizaine de dollars.

L'intérieur de la maisonnette, où mon hôte m'invite à pénétrer de quelques mots marmonnés, présente le même aspect déprimant que l'extérieur, à la différence que l'encombrement se décline en vieux poêlons, en boîtes de tabac cabossées et brunies par le temps remplies de clous et de vis dépareillés, en tasses ébréchées et orphelines, en tapisseries aux motifs candides de vieux pêcheur à la pipe, de paysages d'automne aux teintes gueulardes ou de cabanes à sucre. L'antre du parfait ramasseux ne serait pas complet sans les dizaines de chaises à sièges de babiche défoncés accrochées au plafond qui n'attendent que le passage de mon front pour brinquebaler, les sempiternelles lampes à l'huile, les moulins à café, les enseignes de Coca-Cola, les livres et les jouets qui ont goûté aux joies de plus d'une averse.

Le bonhomme a pris soin de poser le miroir sur un fauteuil sans bras, bien en appui contre le dossier. Je m'approche. La photo floue de l'annonce ne rend pas justice à l'état de l'œuvre de l'artisan, dont le cadre de bois s'orne d'un entrelacs de feuilles et de roses incrustées d'une poussière qui atteste d'une négligence peu méritée. Il faudra m'armer de pinceaux et de Q-tips pour décrasser tout ça. Quelques tiges sont écornées, mais les fleurs sont intactes. Rien de majeur. La glace, ternie, m'inquiète.

- Ça ne risque pas de nuire à l'exactitude des résultats ?

- J'ai pas dit que j'allais vous le vendre.

- Mais encore ?

- Ben, c'est sûr qu'à ce prix-là, le miroir, y'est pas neuf.

- Ben, j'vois ça.

L'homme, un bedonnant aux aisselles pas fraîches, me regarde d'un air ennuyé.

- J'vas être franc avec vous, juss'pasque mon code de déontologie m'interdit de vous mentir. Oui, ça peut nuire. Le dernier propriétaire du miroir, un novice comme vous, est venu domper le miroir icitte, pis y'est allé se noyer.

- Où donc ?

- C'est-tu important ? Dans l'eau, je suppose.

- C’est lui qui a rédigé la liste des avertissements ?

- Et qui a passé l’annonce. Moé, je dois jusse vendre le miroir.

- Vous avez le manuel d'instruction ?

- Vous êtes chanceuse, je l'ai. Mais y fait au moins deux cents pages.

- Comme ça, vous me le vendez ?

- Si c'est pour me débarrasser de vous, oui. Mais je vous le fais à cent cinquante piasses.

- L'annonce disait soixante-quinze dollars.

- Cent vingt-cinq.

- Cent.

- Okédou. Mais je dois d'abord voir votre diplôme.

- Euh... Je l'ai reçu en pièce jointe, et je n'ai pas d'imprimante. L'original devrait arriver par la poste, mais j'ai eu des problèmes avec mon escalier qu'une déneigeuse à déboité, et Poste Canada essaie de me rançonner en tenant mon courrier en otage.

- Montrez-moi le courriel.

- Comment ? Je ne maîtrise pas bien les fonctionnalités de mon téléphone intelligent, et... Mais, dites-moi donc, êtes-vous vraiment magicien ?

- Nèveurmagne. Donne-moé cent piasses, Madame, pis prends le miroir.

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