Nuit des Fauves XI

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Partagetombe n'était pas sorti.

Quelque chose n'allait pas. Quelque chose clochait.

Il cherchait dans la pièce le moindre indice, la moindre indication physique de l'origine du tremblement. Mais rien n'y fit. Pourtant, ses yeux nerveux parcouraient les murs, comme si quelque chose en lui, dans la panique, lui criait que la réponse était là, bien là.

Il se mordit la lèvre, réalisant que l'origine de cette sensation trouvait siège loin, loin dans l'arrière de son esprit. Il connaissait cette ...chose, qui montait, comme on reconnaît un éternuement, avant même qu’il n’arrive.

Il se lança vers la table, où reposait son sac, mais fut interrompu.

Un frisson monumental remonta dans le dos de Partagetombe, et ses vertèbres, os froids, furent caressées par une sensation électrique remontant jusqu’à la base de son crâne, se propageant tout droit dans sa moelle. Il réprima de toutes ses forces son spasme, prenant une grande inspiration du nez. Il connaissait ce malaise soudain, et ce n'était pas quelque chose qu'il pouvait expliquer facilement, mais le frisson confirma tous ses soupçons.

Ce n'était pas simplement de l'intuition, mais quelque chose de plus viscéral encore. Rarement, ce qu'il appelait ses Étranges Certitudes le prenait au corps, et ne le lâchaient plus.

Partagetombe hésita, un instant, s'imaginant expliquer ça au caporal, ou au chevalier, et il renonça bientôt. Il devait agir vite, plus vite, lui criait le fond de lui.

Plantant ses pieds dans le sol, il prit une inspiration. Il empoigna sa besace de cuir, y plongeant des mains pleines de doigts-fouilleurs. Du fil, il esquiva l'aiguille, deux torches de feu atryde, ses fournitures d'écriture. Pas de solution magique. Que des outils en dur, métal, papier, verre, bois, huiles, soie, cuir. Il balança la sacoche sur son épaule, sans fracas.

Et, d'un geste souple et plein de force, il empoigna le fourreau de cuir de son épée

Ses bottes de cuir crissèrent sur les pierres alors qu'il s'engouffra dans le couloir, une expression déterminée sur le visage. Il boucla son épée à sa ceinture, et d'un pas leste, il s’en fut d’un trot décidé.

Et puis, sans même ralentir, il ouvrit les yeux. Une fois, puis une deuxième. Et ses sens explosèrent en une multitude, emplissant tout son être de certitudes intraduisibles et de perceptions gargantuesques. Tout à coup, il vit le monde, et l'essence du monde, et chacune des particules qui composaient le flux de la source.

Il vit les silhouettes du Caporal et de Léo, formes insignifiantes dans l'essence du monde, grains de sables aux formes uniques et transitoires, roulant le long d'un chemin infini. Et il les dépassa, sans un mot, scrutant l'univers, ayant presque oublié comment limiter son esprit de façon à pouvoir leur parler.

Il projeta son esprit, loin, loin, aux confins du monde et pourtant tout à côté, cherchant, avide, la source de son étrange certitude. Mais le Palais était à cet instant un maelstrom incompréhensible d'influences cataclysmiques. De couleur impossibles, une architecture mouvante de lumières aux goûts d'épices innommables.

Partagetombe émit l'équivalent métaphysique d'un juron contrarié, en se rendant compte de l'ampleur du problème. L'endroit était fluctuant, les influences massives mais transitoires. Les flux s’agrégeaient de façon chaotique en un seul, grotesque et informe. Partagetombe, s'il avait pu, aurait laissé échapper un cri de surprise.

Jamais il n'avait vu nœud d'une telle ampleur.

Quelque chose était en train de se passer, ici, là bas, partout et nulle part. Il se jouait ici quelque chose du destin, qu'il n'arrivait pas à lire.

Un point de pivot dans le flot de la source.

Le moment d'un choix, d'un changement.

Alors, il changea de stratégie: plutôt que d'essayer de saisir le mouvement de l'univers, d'en comprendre la danse, plutôt que d'essayer d'anticiper, il se mit frénétiquement à la recherche d'une anomalie.

C'était une tâche impossible, peut-être, que d'arriver à dissocier les flux dans la danse de la source. Mais lorsqu'on savait exactement ce qu'on cherchait, c'était une autre histoire.

Il n’aurait su expliquer à quiconque de quelle couleur était la sourcellerie. Mais dans ce monde ou les perceptions étaient amalgamées, on pouvait la voir comme un phare dans la nuit.

Et chaque individu qui maniait la Source le faisait en laissant sur les flux sa signature, unique. Tous les sourceliers, s'ils ouvraient les yeux une seconde fois, se reconnaissaient ainsi, sans le moindre effort.

Fort heureusement pour eux, et pour tous les renégats du monde, les Chevaliers de l'Ethermetal, n’étant par définition pas capables du Don, n'avaient pas en leur pouvoir ce petit truc, pour les débusquer et les enfermer.

Mais l'Inquisiteur Partagetombe, celui qui était né sur les cadavres des premiers peuples nordiques, l'enfant du Mausolée, n'était pas un chevalier d'Ethermetal. Il n'était pas non plus un Sourcelier.

Mais il pouvait Voir.

Et ce qu’il cherchait, dans sa botte de foin, c’était Puck.

- Un vin rouge et profond. L'odeur et le gout du vent, après la pluie. Emeraude dérisoire offerte, dans un chuchottement secret d'amants désunis. -

Et à ce moment précis, il le voyait - mais, par les dieux, il n’était pas seul. Entouré d’une autre présence, noire, terrifiante. Puissante comme jamais Partagetombe n’avait ressenti.

Comme un point luisant dans un univers de gris, il vit la force des flux qui s’écrasaient les uns contre les autres en un combat.

Et, dans cette force noire qui combattait Puck, Partagetombe vit des ombres, soulevées par le brouillard putride qui caressait l'air du palais, et ronronnait doucement. L'aile nord brillait comme une explosion. Comme l’œil du cyclone, organisant les flux immenses qui encerclaient maintenant le palais en torrents concentriques.

Cette fois, le juron qu’il lâcha fut craché par une bouche bien humaine. Et, trahi par sa surprise, il ferma les yeux de son âme, ouvrant ceux de son corps.

Le monde lui retomba dessus.

Alors, désarçonné par son corps mécanique, il trébucha.

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