Nuit des Fauves VIII

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Les ombres dansaient, un vent fétide s'infiltrant par toutes les pores du palais décrépit, alourdissant l'air, encore et encore.

Un sourire trahissait la jubilation de l'ombre, mais nul ne pouvait le voir. Pas même les hommes en armure qui grouillaient, indistincts, le long des artères de ce palais endormi, patrouillant mollement.

Quelque chose d'indistinct faisait craquer le bois et danser les flammes vacillantes des bougies, comme en les écrasant de cent petites mains griffues a la peau mazouteuse.

Mais personne ne pouvait le voir.

Et comme personne ne voyait rien, personne ne pourrait rien faire, jubilaient les ombres, prenant chaque instant plus pied dans cet espace restreint. Coulant le long des couloirs, droit, tout droit, caressant chaque chose, coulant sur le monde comme un poison liquide, droit vers l'aile nord, droit vers la grande tour, en courants ascendants. En gonflant, doucement, l'ombre prenant corps.

Caresse de Meurtre et vent de mort, pourrissante et pourrissante.

Une Danse victorieuse.

Et, au centre des ombres, ils avançaient, en rang serré, chantant en harmonies discordieuses une dystonie-blasphème. Leurs pas résonnaient lourdement sur la pierre, et pourtant ils ne faisaient aucun bruit. Ils étaient l'ombre. Ils étaient aà cet instant précis toutes les ombres, et pourtant aucune, leur âme transfigurée par la source en une forme hybride, multiple et pourtant unique, roulant et roulant le long des couloirs.

Personne ne pouvant poser un œil sur leurs corps réels, trop occupés qu'ils étaient à voir l'illusion de leur absence, cachés par des ombres dans un espace irréel échappant aux perceptions.

Pourtant, ils étaient là,

Charriant un chant de meurtre et des cliquetis de métal.

Meurtre Meurtre et Poison.

Glissant, Glissant, et pourtant marchant en cadence. Leurs esprits n'étant qu'un. N'en étant même plus un. Leur humanité sacrifiée à la gloire du Meurtre, du Meurtre, et du Poison.

Vent fétide s'infiltrant, grossissant les ombres, accompagnant leur marche d'une vague calamiteuse. Le vent riait, croassait, caquetait comme un vieux corbeau à leurs oreilles.

Il était temps. Temps de tuer, leur disait la voix de l'univers. Temps du meurtre invisible et juste, car vertueux. Temps de laisser les ombres écrouler ce monde fragile.

Meurtre.

Meurtre.

Et Poisons.

Et leur course s'accélérant, invisibles et vertueux, se jetant aà grande enjambées le long de ce dernier couloir, vers l'escalier menant à la haute tour. Puis, ce serait le meurtre. Puis, ce serait la jubilation finale et l'extase et le meurtre.

Un instant. Plus qu'un instant. Un rien les séparait du meurtre et de la jubilation et du meurtre et de la vertu. Un coup de vent, imperceptible, bourrasque de tempête, et la porte de l'escalier s'entrouvrit alors que les ombres se pliaient en un sourire d'extase bardé de couteaux et de clous rouillés.

Enfin! Enfin le Meurtre et le meurtre et le meurtre et le meurtre et le meurtre!

Le moment était venu.

Mais Puck Vendrilo Tensil, Sourcelier Secret, renégat et apostat, seul aà voir les ombres et leur puissance en regardant la source, ne l'entendait pas de cette oreille.

Le carreau d'arbalète, chargé d'une étrange et intense énergie, cueillit une silhouette intangible en pleine tête, et son corps inerte s'écrasa au sol alors que dans un hurlement pitoyable l'univers reprenait ses droits sur le régiment d'ombres.

Le chant, le chant soutenant le puissant sortilège, s'étouffa dans un cri d'agonie.

Et le contrecoup d'une telle interruption fut terrible. Un instant il parut que les dimensions du réel s'étirèrent indéfiniment dans une explosion des forces cataclysmiques, balayant une partie de la maçonnerie du couloir dans un grondement de cataclysme.

Ce fut à cet instant que l'Aile Nord explosa, sous le coup de la rupture.

L'édifice trembla, gronda, alors que la froide volonté du réel s'écrasa toute entière sur leurs corps redevenus tangible. Un instant, sevrés de leur lien primordial à la source, ils rugirent, perdus, haletant, mordus par l'explosion de leurs sens et le heurt que le contrecoup que la mort de l'un d'entre eux avait causé.

Après l'explosion, la poussière emplit le couloir, cachant leurs silhouettes à l'agonie.

Puck, les yeux pleins de larmes, affaibli par l'explosion et les débris, accoudé à un bout de ce qui était sûrement une partie d'une arche écroulée, remit un carreau a son arbalète, constatant l'ampleur des dégâts et l'amoncellement de corps presque humains qui constituaient maintenant son principal problème.

Ce n'était pas vraiment ce qu'il avait eu en tête, mais ça devrait faire l'affaire.

Lentement, corps désarticulés, ils se redressèrent. Et leurs hurlements maintenant bien plus qu'audibles transpercèrent un instant la nuit, faisant vibrer les pierres.

Puck déglutit amèrement dans son moment de victoire terni. Il allait avoir besoin d'aide, et vite. Comment... Comment une telle intrusion avait-elle pu lui échapper? Il remercia les barrières mises en place une décennie plus tôt, les subtiles tensions dans le flot de la source qu'il avait jadis amoureusement étirées, placées en travers des chemins. Il remercia sa chance.

Et maudit son manque de préparation.

Les monstres, poussiéreux, guerriers étranges en armures, redevenus tangibles plutôt que dissimulés par l'ombre, se ruèrent sur lui en cascades de corps.

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