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Je pars rapidement après être arrivée pour aller à la salle de musculation en centre ville. C’est un endroit assez petit mais que j’apprécie particulièrement car cela fait plusieurs années que j’y vais. En plus, les coachs sont plus présents qu’à la salle qui est en périphérie de la ville, étant donné qu’ils sont presque aussi nombreux mais que peu de gens y viennent. En effet, il n’y a qu’une personne du lycée que je croise quotidiennement, et c’est Jimmy. Il fait partie des personnes qui me connaissent mieux que les autres. Il sait par exemple que je feins continuellement d’être timide pour avoir moins de problèmes, et que je cache mes compétences physiques pour ne pas attirer l’attention sur moi. J’ai l’habitude de porter les vêtements amples pour dissimuler mes formes et ma force. Mais à la salle, tout le monde sait à quoi je ressemble réellement, et ne pas me cacher face à Jimmy ne me dérange aucunement.

Dans les vestiaires vides, alors que je me change devant le seul miroir, je m’observe de haut en bas, chose que je n’avais pas faite depuis un certain temps. Je remarque alors pour la première fois ma finesse et les traces ténues des abdominaux sur mon ventre. Malheureusement, il faut que je les fasse disparaître. Il ne faut pas qu’Ariel, quoi qu’il se passe, se rende compte de la personne que je suis. Je sors et me dirige vers mon coach habituel. Je lui explique les résultats que j’aimerais voir. Je vois bien qu’il est un peu étonné de ma demande, mais il me montre les étirements et efforts physiques que je dois suivre.

Le soir, en préparant mon repas, à nouveau sans mes parents, je passe un certain temps dans le silence, un peu attristée par leur absence. Je les aime énormément, mais le fait de ne pas les voir souvent m’éloigne beaucoup d’eux et je trouve ça déprimant. Je décide alors de faire un FaceTime avec Cléophée pour lui raconter mes péripéties. Elle ne s’étonne pas de mes conclusions mais n’approuve pas le fait que je change mes habitudes sportives pour quelque chose qui n’est pas encore certain. Le problème est que si je veux avoir des résultats apparents il faut que je le fasse rapidement car ils ne se montreront malheureusement pas en une semaine.

Mon but était donc d’amadouer Ariel et, dans le meilleur des cas, lui faire éprouver quelques sentiments pour moi. Cela me permettrai d’intégrer le groupe sans vraiment en faire partie, et s’il est vraiment l’« empereur », j’aurais peut-être une place assez importante, même si je reste une fille. Les deux derniers jours et la semaine qui suivit je me suis obligée à observer très souvent Ariel. Je me retrouvais souvent au même endroit et en même temps que lui. Lorsque je le croisais dans les couloirs je tentais des petits sourires timides en sa direction.

Les premiers temps n’étaient pas concluants, alors j’ai profité des cours d’anglais que l’on avait en commun pour me montrer plus aguicheuse. Comme il était placé en face de moi, à distance où l’on ne pouvait pas se parler, je le fixais presque en continu. Lorsqu’il me regardait lui aussi je mordillais mon stylo avec une certaine provocation, ou je passais simplement ma langue sur mes lèvres, dans un mouvement lent. En fin de semaine, il me souriait en coin lorsque nos regards se croisaient, et je sais qu’il me dévisageait souvent quand je ne l’observais pas. Je crois que j’ai réuni assez de points pour gagner cette manche. Mais je n’ignore pas que certains matchs pourront m’échapper.

Ce vendredi onze octobre, je remarque en sortant du lycée qu’Ariel est adossé à un mur, seul. Je croise ses yeux verts et lui souris. Il se met alors en marche et me rattrape rapidement lorsqu’on est assez éloignés des personnes indésirables que sont les élèves.

« Salut Amélie !

- Salut Ariel, je lui réponds, jubilant intérieurement.

- Ça te dit si on fait la route ensemble? J’ai vu qu’on prenait toujours le même chemin alors autant rester tous les deux.

- Je n’y vois pas de problème, dis-je avec un petit sourire et je baisse la tête vers mes pieds, jouant sur la timidité. »

Il ne me parle pas plus, et moi je ne sais pas quoi lui dire. Alors on reste silencieux, marchant côte à côte. Arrivés en bas de sa rue, il prend enfin la parole et me demande mon numéro avec une précaution inutile mais qui lui paraît nécessaire. Je fais mine d’être extrêmement gênée, ce qui n’est pas difficile car il s’agit, quel que soit le contexte, d’une situation gênante, et accepte. Il m’envoie directement un message pour que j’enregistre le sien et on se sépare devant chez lui. Juste après avoir ouvert ma porte, j’appelle Cléophée pour lui exposer mes progrès. Elle s’étonne de ce que je lui raconte et raccroche après m’avoir dit de surtout faire attention à moi car « s’il te fait du mal je te tuerai moi-même parce que tu l’auras bien cherché, du début jusqu’à la fin ».

J’ai passé tout le week-end à discuter par message avec Ariel, et ses messages étaient tout à fait adorables, ce qui me donnait une certaine envie de vomir presque constante. Comment un gars aussi odieux que lui peut paraître aussi mignon et respectueux ?

Le dimanche, je suis partie continuer mon nouvel entraînement à la salle, et changer de rythme n’est pas si facile que je le pensais. Ce qui est une bonne nouvelle, c’est qu’Ariel se montre vraiment compréhensif envers la jeune fille réservée que je suis censée être et je vais sans doute avoir plus de temps devant moi pour ma transformation physique.

Le lundi, il a voulu passer beaucoup de temps avec moi et on est restés ensemble toute la journée. J’étais à présent persuadée que lui-même pensait que j’étais extrêmement amoureuse de lui. Le soir, alors qu’on s’arrêtait devant chez lui, il effleura mes lèvres des siennes et se traversa rapidement son jardin pour rentrer chez lui. Je suis restée immobile quelques secondes et le regardais passer la porte sans se retourner. Au moment même où le bruit de la fermeture arrivait à mes oreilles, un sourire de satisfaction étira mes lèvres.

C’est le lendemain qu’Ariel vient enfin me voir pour discuter de ses « affaires ». À midi, il a demandé à manger avec moi et m’a exposé ce que je savais déjà. Un petit sourire qui se veut rassurant traîne sur ses lèvres, et je l’écoute attentivement, sans laisser paraître mon exaspération. Après avoir expliqué ça comme s’il s’agissait simplement d’un jeu, il s’appuie sur le dossier de sa chaise et prend une bouchée de son repas, tout en me fixant, sans doute persuadé de m’avoir dans sa poche. Un ange passe et je lui réponds, gênée, qu’il faut que je réfléchisse. Il me dit de prendre mon temps et que ce n’est pas grave si je n’accepte pas mais que ça lui ferait extrêmement plaisir. Malheureusement, ce dernier argument m’obligera à accepter car je  suis censée être folle amoureuse de lui.

Le soir, alors qu’on rentre ensemble pour la deuxième fois d’affilée, il me fait m’arrêter dans un petit parc.

« J’ai oublié de te dire, tu sais dans cet « empire », il fait encore le signe des guillemets, je suis l’« empereur », me dit-il avec un sourire. »

Je te tiens. Je loue mon esprit de déduction et les réflexions de Cléophée. Par contre, je me rends enfin compte que je me suis infiltrée dans une histoire dont je risque de perdre rapidement le contrôle. Malheureusement, je ne peux plus reculer. Je ne peux contester sa proposition, il me forcera de toute façon, mais si je joue mon rôle, j’ai une chance de gagner. Il voudra me mettre encore plus en confiance, et j’ai sans doute un certain temps devant moi avant qu’il veuille passer à l’action. Je suppose qu’il a d’autres filles qui lui tournent autour et qui ne peuvent rien lui refuser.

« C’est une place d’« impératrice » que je te propose.

- Ça m’a l’air tout de suite plus intéressant, je murmure.

- Ah ! Je savais que l’idée du pouvoir t’intéressait bien plus que tu ne le montres, rit-il, d’un air qui me fait frissonner d’appréhension. »

Je fais un petit sourire, le regard tourné vers mes chaussures. Je ne supporte pas cette position de soumission, et pourtant elle est très importante pour la suite des évènements. Je promets une réponse le lendemain à Ariel et le laisse rentrer chez lui. Je refuserai toujours qu’il m’accompagne jusqu’à ma rue car je ne veux surtout pas qu’il sache où j’habite. Il ne faudrait pas qu’il se pointe soudainement, car je suis rarement présentable quand je suis seule chez moi.

Je décide d’appeler Cléophée seulement mercredi soir, pour lui faire un compte rendu clair et pour pas qu’elle essaye de me convaincre qu’il ne faut pas que je continue. Lorsque j’aurai dit que je veux m’intégrer dans l’« empire », je ne pourrai pas faire demi-tour, quoi que Cléophée en dise.

Le mercredi donc, je vais dire à Ariel que j’accepte. Il me donne rendez-vous à une date et un lieu, en me disant de l’y retrouver, qu’il s’agirait d’un réunion de l’« empire ».

« Il y aura juste les mecs, mais sinon on est beaucoup trop alors on fait des petites réunions avec les généraux et les garçon. Après on s’occupe de transmettre les informations. C’est comme une fête d’entrée, de plus la tienne sera spéciale comme tu seras l’« impératrice ». »

Je n’ai jamais prévu ça, et c’est vraiment dans très peu de temps, et je me demande bien en quoi va consister cette « fête ». Je la regrette par-dessus tout car Charlotte a dû avoir sa cérémonie à elle, et si je découvre quoi que ce soit qui cloche je vais avoir du mal à me tenir. Je ne veux pas qu’il lui arrive quoi que ce soit de dégradant ou même de douloureux.

Je ne parle pas de cette cérémonie à Cléophée le soir, pour qu’elle ne s’inquiète pas, et elle me dit qu’elle était sûre que c’était bien Ariel l’« empereur ». Les jours qui suivirent, il continua de se comporter normalement avec moi, comme si nous étions un couple normal sans histoire troublante derrière la façade.

Le samedi dix-neuf octobre, je souffle enfin chez moi, pour un début de vacances. La réunion est prévue pour le jeudi vingt-quatre, et je vais malheureusement devoir voir Ariel plusieurs fois avant pour qu’il n’ait pas de soupçons. On s’est plusieurs fois retrouvés en ville, et j’ai toujours refusé qu’il me raccompagne chez moi.

Le jeudi, c’est le jour J. Je décide de mettre des habits amples et un peu trop grands pour moi et vais attendre Ariel devant chez lui. Je lui avais dit que je ne savais pas où était l’endroit où on devait se retrouver, et il m’a demandé si je voulais qu’il y emmène. Il m’a rejointe à l’extérieur et on est partis, à pied, en silence. On s’arrête devant une maison un peu vieillotte, les volets fermés lui donnent un air lugubre. Mon cœur s’emballe un peu alors qu’Ariel ouvre la porte. Je n’ai aucune idée de ce qui m’attend. Ou de ce que Charlotte a vécu. Ariel tourne la clef dans la serrure alors que j’avance dans le couloir. La maison est totalement silencieuse. Ma respiration s’accélère lorsque je vois qu’il glisse sa main dans sa poche, y rangeant la clef. Je me rends compte de mon inconscience. S’il décidait soudainement de me tuer, il n’y aurait personne pour me sauver. Je sors rapidement mon téléphone alors qu’il marche devant moi et j’enclenche l’enregistrement. Peut-être que cette réunion n’était qu’un prétexte pour m’attirer ici. Ariel ne dit rien. Heureusement, mes soupçons se révèlent faux lorsqu’on entre dans une des pièces.

Un table ronde réunit déjà cinq garçons, parmi lesquels je retrouve Nathaniel, qui n’ose pas croiser mon regard. Tous les yeux se tournent vers Ariel quand il passe la porte derrière moi.

« Nous t’attendions dans la joie, et nous sommes heureux que tu nous mènes sur la bonne voie.

- Laissez tomber les conventions, aujourd’hui il s’agit simplement d’une petite réunion. »

Qu’est-ce que c’est que ça encore ? Il semblerait que ces « conventions » soient de parler en rimes. Mais que se passe-t-il lorsqu’il s’agit de quelque chose d’important ? La nomination d’une « impératrice » n’est donc pas si important que cela. Ariel me fait signe de m’asseoir et il s’assoit à côté de moi. Je sors mon téléphone et le pose sur la table, imitant Ariel lorsqu’il pose le sien. Ça m’arrangera pour la qualité du son, c’est certain. Je glisse mes mains entre mes cuisses, nerveuse.

« Nous sommes aujourd’hui réunis pour souhaiter la bienvenue à notre nouvelle impératrice, Amélie. »

Je remarque des petits sourires ironiques sur le visage des autres. Ce comportement m’indique bien que ma place ne sera pas si importante qu’Ariel le prétend.

« On a un petit serment à prononcer lorsque l’on se joint à l’empire, tu dois juste répéter ce que je vais dire. »

Il se lève et je l’imite. Tous les regard posés sur moi me brûlent. Il n’attendent que ça, que je prononce mon serment d’allégeance. Mais jamais je ne le prononcerai avec le cœur, pour moi il ne vaudra jamais rien.

« Je souhaite faire partie de l’empire,

Je serai toujours fidèle à celui-ci,

J’écouterai ses dirigeants,

Pour suivre la bonne voie. »

« Je souhaite faire partie de l’empire,

Je serais toujours fidèle à celui-ci,

J’écouterais ses dirigeants,

Pour suivre la bonne voie. »

« Je souhaite faire partie de l’empire,

J’en suivrai les codes de vie,

Je serai là chaque mois chaque an,

Pour suivre la bonne voie. »

« Je souhaite faire partie de l’empire,

J’en suivrais les codes de vie,

Je serais là chaque mois chaque an,

Pour suivre la bonne voie. »

« Tu peux dire quelques mots de plus, si tu le souhaites, me dit Ariel avec un sourire satisfait. Après nous t’expliquerons en quoi consiste une cérémonie habituellement. La tienne est différente car tu es l’impératrice à présent. »

Il s’assoit à ces mots et je reste seule debout. Maintenant, je n’ai plus qu’une mission à accomplir pour aujourd’hui. J’essuie mes mains moites sur mon jean et prends la parole. J’énumère les noms et prénoms de chaque personne très clairement, et continue mon discours, en disant que je suis heureuse de faire partie de l’« empire », avec de belles phrases pleines d’hypocrisie.

« Le principe de notre empire, Amélie, est l’égalité entre tout le monde et la simplicité absolue. C’est pourquoi habituellement, lorsqu’une nouvelle personne est recruter, nous nous retrouvons dans cette pièce et entreprenons de découvrir le nouveau venu, ou la nouvelle venue. Alors la recrue prononce son serment dans le plus simple appareil, et sa portée est décuplée. Mais l’impératrice n’a pas besoin de se livrer autant que les autres, car elle a plus de puissance. »

Au fur et à mesure de ses phrases, mon visage se décompose. Ça ne fait pas tâche au milieu des autres, affichant une moue triste en me regardant. Je refuse que Charlotte soit passée par là et qu’elle ne m’en ait pas parlé. Mes mains commencent à trembler de colère mais je ne dis rien et les serre entre elles, à en faire blanchir les jointures. Je leur en veux à tous, mais par-dessus tout à Ariel, à qui jamais je n’accorderai plus de confiance. J’essaye de ne pas montrer mon dégoût et ma colère, ce qui est une entreprise très difficile. Je ne retiens rien que ce qui se dit par la suite et pars directement après, sans attendre qu’Ariel ait fini de discuter.

À quelques rues du bâtiment se trouve un grand parc, dans lequel je marche quelques minutes, prenant un grand bol d’air frais. Je m’assois ensuite sur un banc, au bord de l’eau, et respire profondément. Je me concentre sur ma respiration, ce qui me fait oublier quelques secondes mes préoccupations. Je ferme les yeux et m’abandonne aux agréables bruits de l’eau qui coule et des oiseaux qui chantent encore. Mes larmes coulent doucement sur mes joues. Je ne me reconnais plus. Charlotte ne mérite pas qu’on la traite comme ils l’ont traitée. Mon cœur se serre et j’essuie mes larmes de ma manche. Un courant d’air froid glisse sur mon pull et j’entends des pas se rapprocher de moi. Ils s’arrêtent derrière moi et ma respiration s’accélère de nouveau. Je n’ose pas me retourner, de peur de faire un geste qui pourrait être mal interprété. Je suppose qu’il s’agit d’Ariel, et j’ouvre lentement les yeux. Une tête est penchée au-dessus de moi et je sursaute, pour cause cette soudaine proximité. Mon geste m’amène à me cogner la tête contre un torse, et l’autre rigole en se redressant.

***

https://www.youtube.com/watch?v=BAhxGZKJhXo

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