7. Souffrance 

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Que c’est beau d’être triste.

 Il n’a que cela à dire, rien d’autre à démontrer. Oui, que c’est beau d’être triste. Car je considère pour ma part que ma souffrance est belle. Je ne peux partir que de ce que j’ai pour tenter de répondre à mes questions et la seule vérité que je puisse trouver est que je souffre. Alors j’écris.

Dehors, je ne vois que s’écraser ce présent sans fin. Je n’ai d’horizon que des feuilles de papier.

 Peu importe car ma tristesse est joyeuse, plein d’entrain pour revenir à ce monde dont je semble avoir divorcé. Peut importe car ce monde va me séduire de nouveau, et tout recommencera sur de nouvelles fondations. Je veux faire de ces instants un moyen de retrouver mon bonheur. J’ai tout essayé de ces méthodes miracles pour se sentir bien mais aucune d’elles n’a marché. Regardez où j’en suis. Pire encore, se concentrer sur mon bonheur pour le créer ne fait que me rappeler à chaque instant que je ne suis pas heureux. Cette injonction au bonheur est tyrannique et depuis bien trop longtemps je me suis fouetté de développement personnel. « je ne vais pas bien ». Il n’y a que cette vérité à embrasser. Voici ce que me dit le miroir.

Cette souffrance m’échappe comme un fétiche qui s’auto-alimente. J’en arrive à ressentir ce vide sidéral. Un vide qui prend au tripes. Je ne souffre plus, je n’arrive plus à pleurer. Ma pensée reste pétrifiée comme une statue de sel infertile. Mon corps crie famine mais je ne l’entend plus et n’ai de pensée que celle-ci :


je souffre de ne plus souffrir


 La vie me semble aussi plate que mes feuilles de papiers que je gorge d’encre. Il me faut savoir. Comprendre. Pour sortir de tout ça. Dehors ? Non sortir de cette torpeur qui saisit mes entrailles. Ce livre est ma scarification, car lorsque on ne se sent plus vivant, on se cherche ce qu’il reste, la souffrance.

Je veux sortir, je veux savoir, mais à quoi bon ? Que m’apporterait une sagesse dans tout ceci qui n’est que chaos et non-sens ? Qu’est ce qu’une sagesse d’ailleurs ? Ne suis-je pas en train de vouloir être sage, pour qu’un parent surgisse de la porte derrière moi, pour me récompenser et me délivrer de tout ce poids ? Pourquoi commencer à écrire ce qui surement, deviendra qu’un chaos de plus ? Non pas pour ce parent, cet autre qui ne peut plus rien pour moi, je ne peux plus me satisfaire de mes illusions. Je suis seul dans mon monde et je ne pense que pour moi. Qu’importe si l’on ne me comprend pas. Je ne suis pas satisfait du tout, la vérité est là. Il faut que je sorte. Dehors ? Non, il faut que je sorte, que je sorte de tout cela.. Pourquoi faut-il ? Car après tout, si tout ceci n’est que non-sens, je ne veux plus y souffrir. Je veux sortir. Je veux m’évader, m’évader de moi. Ces mots me glacent le sang. Est-ce une pulsion de mort qui me vient lorsque plus rien me semble à proprement parler « vivant » ? C’est pire que cela, je n’ai que faire du vivant, cela m’importe, rien ne m’importe. Ce singe dans ma tête m’assène ces mots « A quoi bon ? ». Je veux sortir. Mais comment ? La question fait frémir, du moins une des réponses, et je me la pose sans idées sombres, car je veux juste savoir si je m’illusionne, ensuite, j’aurai tout une vie pour mourir.

Je veux sortir et il me faut un chemin, aussi tortueux soit-il et qu’importe s’il n’a pas de fin. Je ne crois pas en la lumière au bout du tunnel. Je ne veux plus croire en rien. Je veux juste pouvoir m’agripper à des parois pour sortir, de ce je ne sais encore quoi. Peut être est-ce juste cela que la sagesse ? Une conduite dans ce tunnel sombre pour celui qui a le malheur d’avoir la vue. Je philosophe, je cherche des solutions. Mais ne suis-je pas en train de chercher quelque chose pour me conduire et pouvoir ainsi rester assoupit sur la banquette arrière. Certainement, tout comme je désespère que cela ne peut se faire. Le fait est que cet enfant se réveille. Je n’arrive plus à dormir. J’en souffre car je sais que je suis seul dans mon monde. Il n’y a que moi pour me conduire sur cette route des enfers. Je suis responsable, peut être est cela que que devenir adulte et de devenir son propre parent ? Je n’aime pas mon parents en moi, je lui en veux. Quelque chose cloche en moi. Je m’en veux. Je me maltraite car le parent en moi n’est pas son parent lui-même.


 Il fait nuit dehors, il est tard. Je ne peux m’empêcher d’écrire. Puis, il fait bientôt tôt lorsque j’aperçois au travers du jour de mon velux le halo orange du camion poubelle qui vient briser le silence de la nuit. Dans les couinements de sa marche arrière, il débarrasse les foyers de leurs ordures. « passez prendre ma tête vous en trouverez des ordures ». Je me lève pour observer les hommes fluorescents. C’est là un recueillement, il est apaisant de voir un peu vivre là dehors. Je me rappelle le temps où les journaux télévisés montraient les dessins que leur faisaient les enfants et qu’ils déposaient sur les poubelles. Pour moi, j’en suis certain, nous couper du dehors nous a reconnecté à nos foyers, et à ceux des autres, au moins un temps. Le drap noir qui a été déposé dans les rues a laissé transparaître le dedans des maisons. Non sans voyeurisme, chacun s’est intéressé à son voisin, avec ce seul rideau opaque pour guider son regard.

 Les hommes fluorescent s’accrochent à la benne et n’emportent dans leur camion aucun dessins. Comme si tout était revenu comme avant. Le camion fait scintiller de son clignotement un dernier panneau de signalisation. Il est suffisamment tard pour se lever. Je m’attable à mon bureau et reviens dans mes pensées



Il n’y a rien, c’est tout ce qui vient à l’esprit, aucune solution, quelque soit le nom que je peux lui donner. Ni parfaits parents dans le cœur de quiconque, ni rien pour donner de direction, ni direction elle-même. Et sans direction, tout porte à penser qu’il n’y a pas de sens.

Quand bien même il existerait un paradis, ce paradis n’aurait pas de sens. Pourquoi quitter la Terre et devenir cet ange qui de sa hauteur divine, ne vaudrait pas plus que mon existence ici-bas sur Terre. Il n’y a rien a espérer car nous allons nulle part. Quand bien même ne régnerait aucune souffrances là haut, dans ce quelque part, je souffrirait de cette joie lisse et éternelle pour son si peu de « sens ». Quelqu’un me réconforterait là haut, un parent, peut être Dieu lui-même, lequel ne saurait répondre à mes questions. Car lui-même ne sait pas ce qu’il fait là, Dieu tout puissant qu’il est. Il n’est Dieu que sur son royaume, il ne pourrait me révéler que le sens qu’il a voulu lui donner, me donner à voir que ce qui est éclairé par cette lumière qu’il a voulu être. Il lui faudrait une religion, une foi pour savoir le reste. Mais je n’ai que faire, je ne veux pas de son sens ni de sa foi.

Alors, que je sois croyant ou non, l’issue semble inévitable : je ne veux pas de sens. Je ne veux pas de sens car je ne serai jamais satisfait de la réponse, quand bien même elle existerait. Je suis insatiable. Je ne veux pas avoir moi même de sens. Je veux un Dieu qui me dise lui-même qu’il n’a pas de Dieu, et par là je comprendrais qu’il ne cherche le sien. Et si il venait à découvrir lui-même que je suis son Dieu, il me dirait alors : tu n’as pas de sens. Il n’y a qu’une seule chose qui puisse me satisfaire, une seule réponse que je pourrais trouver : il faudrait que Dieu me prouve qu’il est heureux. Je veux que Dieu soit heureux. Je comprendrais par là que je suis non-sens moi-même et que moi aussi, je peux prétendre à la sérénité. Ce Dieu fait rouler la Terre sans savoir pourquoi il le fait, il le veut. Dieu est un Sisyphe heureux. Dieu est le Sisyphe que je m’imagine heureux. Peut être est-ce la raison d’être de ce Dieu, qui ne veut pas savoir qu’il est inventé par les Hommes. Il a abandonné la quête de son sens. Dieu n’est que ce que doit être l’Homme, ce que l’Homme veut être et ce qu’il est : un être absurde et créateur. Il n’y a rien, rien à savoir, rien même que je veuille savoir et que l’on puisse désirer savoir. Cela m’apaise mais je ne sais que faire. Dans son absurdité la plus totale, « Dieu est mort » et je meurs avec mon modèle. Mais dans tout mon non-sens, je trouve une réponse à la question interdite. Dans un élan désespéré et salvateur je peux enfin répondre à ce « A quoi bon vivre ? » : car au fond, à quoi bon mourir ? Et d’une certaine façon, je suis déjà mort lorsque j’ai cessé de vouloir, ni mes illusions, ni un Dieu.

Je ne peux pas échapper à la contradictions, il faut l’embrasser toute entière, mon salut se situe dans les mots suivant que je grave dans le marbre : « heureux qu’est mon désespoir »


 J’erre dans ma maison comme un égaré. Je suis malade de ma pensée. Je tortille ma moustache naissante et me prend pour un philosophe. Ça va énerver le lecteur, il va me prendre pour un imbécile sinon quelqu’un qui ne sait pas de quoi il parle. J’ai l’habitude, je fais mes études à Sciences Po. Mais qu’importe, j’écris. Ces mots sont mes symptômes comme les glaires qui sortent de nos gorges lorsque le médecin nous demande de tousser. Le lecteur me fait tousser. Je me sens malade de ne pas vivre, j’ai l’impression que mes sens m’échappent. Je monte souvent à l’étage, pour prendre une douche froide, cela glace la pensée, la fige un instant pour qu’elle cesse de me tourmenter. Ce n’est pas la lubie de quelqu’un qui se sent sale, non, la douche froide est une méditation. Je philosophe durant la cinquième douche de la journée. Si tenté que je sache encore ce qu’est une journée. Je suis médite sous l’eau froide la citation de Nietzsche : « l’essence la plus intime de l’être est la volonté de puissance ». Après m’être séché, je retourne à mon ordinateur pour écrire sans m’arrêter :


Même dans une entreprise de mort, je ne fais que la désirer et continue ainsi à pousser mon rocher. Je suis vivant, à cet instant présent, même si je venais à désirer mourir. Je ne vivrai jamais la mort car j’aurai, à cet instant justement, cesser de vivre. Ainsi même la pulsion de mort n’est que pulsion vers la vie. Le suicidaire qui ne veut plus rien, n’a justement plus qu’une chose à vouloir : ce « plus rien ». Tristement et dans ce dernier instant où il décide de se donner la mort, il récupère la vitalité qui lui avait tant échappé. Le suicidaire est un suicidaire. Il n’y a pas de néant car aucun être ne possède aucune volonté. Même les éphémères, petits insectes, ne sont guider que par ce qu’il sont. Une pierre est pierre car cela veut que ce soit une pierre. Je suis vivant, car si me penser mort peut me faire oublier que je souffre, le fait est que je souffre et qu’il faille bien ce chemin pour parvenir à ma mort. On ne peut ne rien vouloir, car c’est parce que l’on veut échapper à cette souffrance, en dernière instance, que nous pourrions souhaiter mourrir. Souffrir n’est ni le fait de ma solitude ou de ma désespérance. Je pense même que je les aime toute deux, bien que je sache pas trop ce que cela veut dire. Elle n’est là que pour elle. Je souffre de ne pas souffrir. Je souffre de ne pas vivre. Une souffrance qui devient de moins en moins douloureuse, peut être, se dissiperait elle si j’arrivais à l’embrasser. Mais elle m’échappe terrible douleur. Peut être que si j’essayais de la séduire. Elle deviendrais autre chose, du moins je la ressentirais autrement. Derrière ce voile de souffrance existe quelque chose, si je voulais le voir, un sentiment profond que je viens à désirer en dépit de tout non-sens. Peut être est-ce cela que la vie, ce chemin, une chose qu’il n’y a pas à expliquer mais sur laquelle je cours, lucide. Je suis attiré par elle, du moins je me porte à elle comme je me porte vers la souffrance. Et elle me fait souffrir, la vie. Mais la vie me veut vivre, elle n’est que ce qu’elle n’est. Dans tout mon non-sens je peux vouloir sortir de toute mes forces vers cet ailleurs et vouloir avec autant de force rester ici bas. Je n’ai plus besoin de paradis, quelque il soit car un paradis n’est que ce qu’il est : l’absence de souffrances et donc l’absence de vie. Je ne vivrai aucun paradis car le paradis, c’est la mort. Dieu y règne en maitre et ne peut n’être qu’un mort. Nous l’avons voulu ainsi, comme le dernier geste du suicidaire qui veut vivre, même un instant, ce seul moment qui existe vraiment et qu’il peut ressentir. Nous n’avons plus besoin de Dieu pour comprendre que nous sommes notre créateur absurde, et le monde tel que nous l’observons est ce qu’il est : Le fait est que je veuille vivre car c’est fondamentalement tout ce que je suis et ce qui peut être. nous poussons notre rocher, nous voulons le pousser. Le rocher se pousse et si Sysiphe venait à briser sa malédiction pour se tuer, le rocher serait toujours là. Nous vivons, il en est ainsi. Mais y a-t-il quelque chose à désirer en dépit de toute espérance? Aimons nous pousser notre rocher ? Il n’y a que cette question qui compte.


  Je m’arrête quelques instants pour prendre l’air et regarder dans la rue. L’espace publique est mort et enterré, le privé s’illumine. Mon regard glisse des rues noires vers les fenêtres. Je ne peut porter attention qu’à cet l’immeuble qui me fait face et dont la silhouette se détache un peu plus de la nuit dès qu’un doigt presse l’interrupteur. Il se dresse comme les vitraux d’une cathédrale gothique, diffusant le verre pomme des cuisines et le bleu âcre des salles de bains. Derrière moi, la télévision rend les mêmes couleurs, les mêmes images. Les rues sont vides, les intérieurs remplis. Le dedans a aspiré le dehors.

 Dans un monde fade et désinfecté, tout a comme quelque chose de sucré. Tous se rivent avec désir sur ces couleurs bonbon, et abandonnent l’extérieur couleur gris et café qui les avait fait adultes. Ces yeux d’enfants débordent d’une curiosité qui sans jugement, embaume ce qu’ils touchent de reconnaissance. Plongé dans un quotidien qui retrouve ses saveurs, tous scrutent le boulanger pétrir son pain comme jamais auparavant.

Le dehors s’éteint et le dedans s’allume comme la nuit nous permet d’observer les étoiles. Ce rayon blafard de lune passe derrière un vitrail, il fait descendre la marée et nos torrents pour ne laisser que nos entrailles.

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