8. Volonté 

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Je suis donc cela, cette volonté qui me veut vivre. Mais suis-je bien sa cause, consciente ? Ah, puis-je me dire que je sais tout de moi ? Dans le miroir je me dis : « Pourquoi dans le chaos de ce monde tu t’entête à me singer ? » cet absurde nous prend, tout entier, lorsque c’est moins le monde que nous même qui nous semble étranger. Le livre du même nom écrit par A. Camus exprime bien cette aliénation, celle qui dans les grands moments d’égarement nous fait voir dans le miroir deux yeux aussi vides que le monde qui nous entoure. Je me suis inconnu. Cette même étrangeté donnée par la formule de Rimbaud « je est un autre » dans ses correspondances, et qui préfigure la réflexion sur l’inconscient. Quel est donc ce je au travers duquel je me sens vivre, car il me semble que ce c’est bien lui qui veuille vivre. Pas moi. Cet étrange autre et son complice le monde me regarde et gavent ma conscience impuissante de vie ? Considérer cela nous ferait adopter la posture d’un Schopenhauer, lequel dressé contre la vie et ne pouvant lutter contre, se contente d’attendre la mort. Notre être le plus profond désire t-il cette sédition ?

— On mange chéri.

— Non, je mangerai plus tard, je suis occupé maman ! Je lui dis avec un ton excédé.

— T’es sûr ?

— Oui maman.

— T’as l’air d’avoir meilleur mine qu’hier. Tu fais quoi ?

— J’écris un livre.

— D’accord…C’est sur quoi ?

— Je ne sais pas vraiment, pour l’instant c’est une sorte d’essai

 La porte claque et mes doigts se remettent à tapoter comme des gouttes de pluie sur le clavier.

Si nous convenons que « ça pense » en moi et que « ça me veut » au sens biologique, physique, au même titre que la pierre est constituée de sorte à ce que ces forces veulent que la pierre soit. Une pierre est une pierre. Que nous différencie de cette pierre ? L’animal de même, n’espère rien et se contente d’être. Notre être se veut être, mais le fait est que nous nous en contentons pas. Si nous sommes animé par cette force de vivre, une volonté, il semblerait qu’une partie de nous veuille autre chose. Cette partie, même infime et aussi déterminée qu’on le veuille, forgée par la biologie et la socialisation, est faite du métal que l’on pourrait appeler liberté. Je veux plus que ce que « ça » veut de moi. De là nait cette souffrance que nous Hommes, semblons ressentir plus que l’animal, la ressentant lui-même plus que la plante ou la pierre. Nous souffrons même lorsque la souffrance nous quitte. La nature est libre d’elle-même tandis que nous Hommes, sommes de véritables tyrans. Contrairement à ces êtres qui peuvent ressentir le temps d’un éclair cette liberté que veut leur être, l’Homme dépasse son être, se dépasse et parvient ainsi à sa liberté. Une liberté terrifiante, celle d’une chose qui se sait responsable et qui ne peut pas s’échapper à elle-même. Je sur-veux au sens ou je désire ma volonté. De l’Homme surgit cette force qu’il ne parvient pas à contrôler, comme un Dieu qu’il ne sert à rien de prier. Le sur-Homme n’est pas une nouvelle version de l’espèce humaine mais ce qui la distingue dans son essence, du monde dont il fait l’expérience. Notre liberté, et sans doute notre valeur, réside là : nous voulons une volonté. Nous sommes volonté de puissance, nous sommes des créateurs.

 Je me sens comme sur le départ. Je ne sais pas vers où, je ne sais pas quand. Je me sens comme lorsque j’ai quitté l’Australie. J’y repense car c’est le fond d’écran de l’ordinateur sur lequel j’écris. Cette image est magnifique, c’est une clairière au milieu de feuillages dont déborde les rayons du zénith. Je sais ce qu’il y a derrière l’image, je l’entends. Ce sont des rires et des exclamations de joie dans un anglais hésitant. Je m’y suis rendu en seconde pour étudier et apprendre la lange justement. Lorsque sont arrivées les dernières nuits précédents mon départ, je n’arrivais plus à dormir. Ce n’était pas désagréable. Au contraire, une insomnie au bout du monde me semblait plus sexy que dans mon propre lit. Mes pensées allaient à mille à l’heure. Ma tête était remplie à rebord de souvenirs. Le soir, sur l’écran de mes paupières, je pouvais revoir défiler tout mon voyage. Je me remémorais mes discussions si enrichissantes avec la famille australienne, mes sorties dans l’immense quadrillage qu’est la ville de Melbourne. Je ne sais pas pourquoi ce souvenir m’avait marqué mais je revoyais le jeune fils de la famille remercier un violoncelliste, qui lui avais rendu sous son chapeau un des plus beaux sourire que j’ai eu à voir de ma courte vie. Je me revoyais dans le bush en vacances, courir au milieu de kangourous qui déroulaient leur queues sur les terrains de golf. Je me revoyais prendre cette photo qui deviendra mon fond d’écran. Puis j’ai repris l’avion et suis retourné en France. Mes parents m’ont pris à Charles de Gaulle d’où nous avons fait la route jusqu’à St Malo et la maison de mon arrière grand-mère. Tout ce dont je me souviens, c’est qu’il pleuvait et que je dormais. Je dormais littéralement toute la journée lorsque je n’étais pas, entre deux averses, à la plage du havre de St Vincent. Je me souviens de la mer au bas et de ce silence que les vagues au loin ne parvenaient pas à briser. Mes mains avancent et reculent sur le clavier comme le remous de la mer. je perds pied dans ce marais salant de démonstration.

Bien sûr, cette volonté se heurte au déterminisme, la condition humaine que théorise Sartre et qui commence par ce premier fait que nous avons évoqué : nous sommes vivant et le vivant veut vivre. Pourtant, je n’ai pas voulu être déposé là à cet endroit. Je ne peux rien contre la vie. Mais le déterminisme absolu n’existe pas, ceux qui le revendiquent se contredisent car ils se conçoivent bien comme sujet lorsque ils affirment ce même déterminisme. Nous pensons par lui comme au travers de lunettes, mais il n’empêche que ce je est là, même infime, comme au plus profond de notre rétine. Sartre nous dit que nous sommes condamnés à être libres. Nous pourrions de même dire que nous sommes condamné à vivre. Malgré cela, nous continuons à vouloir au-delà de ce carcan qu’est cet être qui se veut vivre. Là où la plante vit sa vie de plante, comment décrire la vie de l’Homme dans ce qu’il a de diversité ? J’ai en possession mon appréhension du monde, quand bien même il m’écrase de tout son poids et que son carcan m’opprime j’ai, même dans le plus étroit des jours qu’il peut laisser à ma volonté, une infinité d’angle de tir. Un infime changement, tend ainsi à se prolonger en de grandes différences dont nous sommes les créateurs. Cette volonté qui me veut vivre est là et m’appartient.

 Je fais une pause, j’ai beaucoup trop écrit. Sans doute qu’un lecteur trouverait ça chiant. Oui, c’est chiant d’écouter la plainte des autres. Je l’ai prévenu, ce lecteur. Mais j’ai relu ce que j’ai écrit, et je pense sincèrement que c’est du pur génie.

 Je vais faire du piano. C'était mon premier exutoire après tout, avant la peinture, avant l'écriture. Je suis née avec le piano. C’est ce qui a fait de moi ce que je suis, du moins ce que je pense être, un artiste. Je ris en pensant cela. Je joue très bien, au point où je sais impressionner les autres, mais je peux les impressionner une fois, car je ne sais plus jouer qu’un seul morceau, la fantaisie impromptue de Chopin. À mesure que mes doigts se déroulent mécaniquement sur le clavier je repense à Thierry. Thierry était mon prof de piano. Je peux dire de Thierry que lorsque j'ouvrais la porte de sa salle, il balayait ses pelures de mandarines d'un revers de main vers la poubelle et fourrait ses doigts dans son gilets. Le genre de gilet où l’on accroche une montre à gousset. Lorsque ma mère venait avec moi, il lui faisait parfois un baise main, avec une légère courbette qui la rendait mal à l'aise. Moi je tordais mes lèvres pour ne pas rire. Mais c'était Thierry, alors c'était normal. C'était quelqu'un d’excentrique. Au début de mes cours, je le détestais. Non pas sa personne mais l a rigueur qu'il exigait. Ik me fallait placer parfaitement mes doigts avant de jouer. tous le cours durant, je plaçais mes mains sur ce qui n'était pour moi qu'une bande noire et blanche. Et puis un jour, je lui ai montré ce que j'improvisais chez moi, sans rien, sans partition, au lieu de bosser ses morceaux et il a véritablement exulté. Je m'en rappelle de ce cours, il m’avais poussé du tabouret pour reprendre mon air et improviser dessus, le rendant aussi beau qu’un nocturne de Chopin.

 Parfois je lui présentais une toute nouvelle partition et il s'exécutait avec une précision déconcertante. si la musique était une langue, Thierry était certainement bilingue. On pouvait voir son souffle soulever sa cage thoracique et son gilet. Le son semblait sortir de sa bouche qu’il laissait entrouverte. Il soufflait et postillonnait sur le clavier. Je me demandais parfois même s'il n’était pas prit de sanglots. Sous le rythme effréné qu'imposait les narines, ses mains pleines de doigts dévoraient le piano. Ou nous pouvions dire que c’était piano qui le dévorait, comme un trou noir. Il était beau, sublime même, tourmenté mais définitivement beau. C'était un pianiste maudit. Maudit il l’était. Durant ses dernières années, il avait eu en effet de nombreux problèmes, notamment le divorce avec sa femme et la mort de son père dont il ne s'était jamais remis, ajoutez à cela des problèmes financiers dont il n’arrivait pas à se dépêtrer et dont il parlait beaucoup à mon père banquier. Tout ça a de quoi faire sombrer n’importe qui. J’ai le vague souvenir qu’il vivait dans un appartement miteux avec son matelas sous son piano. Qu’il se refusait à vendre. En dehors de ces périodes où le ton de sa voix baissait et son visage coulait, je le voyais surgir depuis derrière le piano avec une énergie terrifiante.

 Je me souviens de l'un des derniers cours de Thierry. J'ai poussé la porte comme à mon habitude et dans la pénombre de la pièce aux rideaux fermée je l'ai vu rapidement ranger un petit objet dans sa poche intérieure.

 J'ai commencé à m'échauffer par quelques gammes chromatiques. Il est allé à la fenêtre la découvrir de son rideau pour laisser entrer la lumière. Puis, il s'est retourné, son visage éclairé par le soleil couchant. j'ai vu son regard révulsé. le regard d'un fou. Il s’est tourné vers moi comme un éclairé pour mugir :

— Yannis regarde par la fenêtre !

— D'accord,

j’ai détaché les yeux du clavier

— Commence ton morceau. Voilà. Regarde par la fenêtre, ne regarde pas tes doigts, regarde là bas au loin et laisse toi porter, qu'est ce que tu vois ?

— Un oiseau je vois un oiseau.

— Magnifique Et encore ? dit moi ?

Il tournait autour du piano en brassant l'air avec ces bras. Qu'est ce que tu vois dit le moi !

— Les feuilles d'un peuplier qui bruissent

— Génial ! Sent le vent emporter tes poumons, sent le !

— D'accord, je le sens

— Inspire !

J'inspire

— Expire !

J'expire

— Baisse les épaules ! Expire et baisse les épaules !

 Il s’est mis à scander les notes si près de moi que je pouvais sentir son haleine de gauloise. la...re fa do... mi ! Détend toi enfin détend toi ! Ses mains passent derrière moi et me masse les épaules avec une tremblante frénésie. « Il faut respirer pour avoir un jeu fluide, pour ne pas trembler », m'a t' il dit en cachant ses mains dans ses poches

Quelqu'un a frappé à la porte. Sauvé par le gong comme on dit. J’avais envie d’être sauvé.

— Papa … ai-je dis en soufflant toute la pression que le professeur voulait voir s'échapper

Je ai regardé mon père d'un air implorant, lui faisant signe d'intervenir

— Thierry vous allez bien ?

— Je vais bien je vais très bien même !

— On peut appeler de l'aide pour rentrer en voiture si vous avez besoin

 Il glisse ses mains tremblante dans son gilet après avoir remis ses lunettes rondes et refait sa queue de cheval

— Ça ira je suis bien réveillé ! J'ai pas dormi de la nuit et pourtant je suis en pleine forme ! J'ai lu un livre ! Magnifique ce livre. Vous devriez le lire. Et cette nuit j'ai écrit une lettre à son auteur, trois pages. Non, quatre enfin peut être cinq. Je sais plus mais c'était si satisfaisant d'écrire. J'ai pas réussi à m'arrêter.

 Je n'arrive pas à m'arrêter. Je me sens comme Thierry. Triste mais débordant d'énergie. J'ai fini de jouer mon morceau. Je décolle mes doigts des touches du piano pour m'en aller vers celles de mon clavier.

Ma philosophie érige la beauté comme absolu et l’Homme, absurde amoureux, sa force créatrice. Je me sens profondément libre en écrivant mais cette liberté, volonté qui surgit du néant, provoque de la peur chez moi. Je me demande quoi faire de cette liberté et de cette volonté. Dans un premier temps, j’ai peint, tirant des portrait à l’aquarelle, j’ai fait courir mes doigt sur mon piano. Mais cela ne suffit plus pas. Il faut écrire, écrire encore, écrire toujours plus. Peut importe le contenu, même si tout ceci n’a pas de sens.

 Quand à la direction de ce sens, ou de ce non-sens, peut importe comment nous l’appelons, voilà notre fenêtre de liberté. Il faut sortir, il faut sortir en nous et de nous et vivre ce monde pour en trouver la beauté. Cette beauté, parce qu’elle est absurdité nous rappelle à chaque instant notre non-sens et notre liberté créatrice.

Si vous trouvez que ces écrits sont pareils à une mauvaise copie de philosophie, vous avez totalement raison et vous n’avez simplement pas compris. Cette pensée trébuchante ne veut que trébucher. Tout ceci ne vise pas l’exactitude mais rend compte d’un état général. Les mots ne suffisent pas, et c’est alors avec des images que je pense. Des images vivantes qui sentent, qui bouge et soulèvent parfois le cœur.

 Je pense être libre et tout mon être et me lève pour ouvrir la fenêtre et m’y jeter.

 Je n’arrive que sur le toit en pente, typique des pavillons normand. Je reste là un instant pour sentir l’air entrer dans mes narines. Après deux ou trois inspiration, j’ouvre les yeux. C’est le petit matin et le clignotement des camions poubelles a laissé place à un parfait trait de sanguine dans le ciel. Celui-ci déborde de l’horizon pour se mélanger à la lumière blanche du matin. Le ciel trempe son pain dans un œuf à la coque. Je préfère l’aurore au crépuscule, lequel était bien plus morne en couleur et plus prévisible.

Me voilà réconcilier avec la superficialité. Je comprends tout ceux qui pour moi restaient à la surface. Je peux retourner me souler avec ce qui me fera envie. Il n’y a que cette couche, aussi épaisse soit elle qui couvre le monde. Il n’y a que plus de surface à créer, et ainsi créer toujours plus de grandeur. Il n’y a rien. Et tout est à faire. Ah, je comprend mieux la douleur de cet Homme que nous sommes et qui enfantera dans la douleur, il ne peut faire que ça qu’enfanter. Peut importe de quoi nous accouchons, tout au plus de la pensée. Douloureuse pensée. Que me fait faire ma pensée c’est la question que je me pose ; courir, il faut courir toujours plus. Où ? vers la mer jusqu'à l'océan, voici ce qu’elle m’ordonne.

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