1. Avant-propos 

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Aout 2021

 Je ne suis pas un écrivain. Je ne me sens pas écrivain. On dit des bons écrivains qu'ils sont de bons lecteurs, moi je n'arrive pas à terminer les livres que je commence. Le seul écrivain que je connaisse personnellement est mon grand père. Et un grand père, ça a de l'expérience. Il a publié deux ou trois livres et en a laissé quelqu'uns inachevés. Je me demande sur quelle pile se trouverait celui que je suis en train d'écrire. Car oui j'ai écrit. Mais cela a été bref. Loin de l'image de l' intellectuel qui frise sa moustache, assis à sa terrasse avec son calepin et sa clope dans la bouche. J’ai écrit comme un veau, c'était instinctif, animal. J'ai écris dans les transports, j’ai écris à l'arrière de la voiture, sur les chiottes. J'ai dégainé mon portable comme on like une photo. Je n'ai jamais choisi d’écrire. Je ne sais même pas si j'aime écrire. Les mots qui me viennent sont ceux que j’ai réussi à dégurgiter de ma mémoire lors de mes dernières séances chez la psy. Puis j’avale un Xanax avec mon café et j'écris le peu de temps où j'arrive à rester concentré. Avant je n'avalais pas de Xanax. D'ailleurs je ne savais pas encore ce que c'était. Avant, écrire n'était pas quelque chose d'angoissant. l'écriture était facile et j'étais persuadé d'être un grand écrivain. Cet autre moi avait un tout autre processus créatif, il le nourrissait lui même, s'exaltait devant son exaltation. Pour produire ces passages il s'est drogué à la folie.

 Je dirais que je suis tombé sur l'écriture comme on tombe en butant sur une racine en forêt. Ou je dirais plutôt que l’écriture m’est tombé dessus, comme une brique sur la tête. Oui, Tout cela nous est tombé dessus. Bien sûr il y a un moment où j'ai posé les premiers mots de ce roman, consciemment, mais je le répète, ce n'était pas vraiment moi. Ce moi est différent. Par la suite je n'ai fait que dérouler le fil sa pelote de folie. J'ai cherché à trouver un sens à ce qui n'en avait pas. Je me suis trouvé un sens, à ce moi qui n'en avait pas. Tout mon travail a été de remettre ces premiers écrits dans leur contexte, un contexte où l'on perd la notion du temps. Je n'ai rien inventé, je ne fais que restituer. Si je doute de la qualité de ce qui va suivre je suis certain d'une chose : je ne mens pas et je n'ai pas menti. Ceux qui tombent facilement dans la caricature disent des personnes comme moi qu'elles sont capables, sur un coup de tête, de sortir nue dans la rue. Pour ce qui me concerne j'ai eu la chance de ne m'être déshabillé que dans ce livre.

 Tout a commencé lorsque j’ai voulu écrire ce livre. Depuis, plus rien n’est comme avant. J’en tremble. Mes doigts renouent avec le clavier pour extirper un sens à ce qui va suivre. Depuis toujours, ce livre m’obsède et me terrifie.

 Je me souviens de ce jour où mon grand père et moi marchions sur cette allée ombragée. Cette dernière discussion avec lui, je m’en souviens jusqu’à l’odeur des tilleuls qui bordaient le chemin. Ce jour là, il m’a raconté comment il avait écrit un livre. Se mêlant au chuchotement des feuilles, Il m’a confié qu’il était alors interné, et comment il avait écrit sans relâche, ne posant son stylo que pour jeter un œil par la fenêtre de sa chambre d’hôpital. Nous avons parlé aussi de la maladie, celle qui fait embarquer dans les montagnes russes. Elles avaient été violentes pour lui, et comme en transe, il avait couché sur le papier ce qui allait devenir pour lui un véritable chef d’œuvre. Et lorsque il est sorti, mon grand père est revenu sur ses écrits. Il a alors été surpris de constater que tout ce qu’il avait écrit était dénué de sens, que toutes ces pages n’avaient ni queue ni tête pour leur propre auteur. Horrifié par sa création, il a décidé de la brûler pour ne voir dans ses flammes que les reflets de cette psychose.

 Le hasard et une pincée de génétique ont fait que je me trouve devant le même dilemme. Que faire de mes écrits ? Contrairement à lui, et même s’ils ne me semblent pas moins dénués de sens, je décide au travers de ce livre de donner vie à ses fragments. Je suis certain qu’ils recèlent une vérité, sinon la vérité de quelqu’un qui perd la raison. Je fais le pari de les utiliser comme un matériau brut, comme les fondations sur lesquelles je pourrai construire un édifice. Ces vestiges sont les témoignages d’une pensée déstructurée. Leur souvenirs sont brumeux comme au sortir d’un rêve et comme à un enfant à qui l’on dit de raconter son cauchemar, j’écris pour appliquer un baume sur ma mémoire. Au plus fort de ma crise et dans un état second, un état maniaque, je me suis mis à écrire frénétiquement, sans réfléchir. Aujourd’hui réveillé, je m’efforce de restituer une écriture soufflée par la folie de ce vent venu de l’Ouest, un vent qui tords les lettres comme des roseaux. Dans ce livre, mes pensées maniaques seront présentés en italique. Parfois, lorsque je parle de tout cela à quelqu'un, on m' interrompt afin que j'explique le terme maniaque. Vous le comprendrez, cela n’a rien avoir avec le sens commun, désignant celui qui range tout derrière lui, au contraire, ce que je vous propose est un joyeux bordel. Ces pensées seront ainsi courbées comme tombent les arbres sur les pilonnes les soirs de grande tempête. Il n’y aura de fil directeur que les lignes couchées en bordure des routes de campagnes, qui s’entremêlent avec toutes ces branches que la tempête n’a fait que briser.

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