2. Confinement 

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Novembre 2020

 Je suis assis dans ma chambre, les yeux rivés sur mon écran et sa page blanche. En filigrane, il y a mon reflet, vaseux et dans mes iris l’érosion d’une mer d’un autre âge. Je regarde par la fenêtre pour sentir la brise. La bouffée d’air est agréable. Je tape sur le clavier et décris ce que je vois. Là-haut, le ciel est une boite de pétri. Dans son bleu translucide baignent quelques grains de poussière et la buée condense en nuage sur ses parois vitrées. Avant d’être rangée dans l’obscurité d’un placard, une pipette est venu y déposer un point blanc qui glisse à sa surface comme de la peinture à l’huile. Un postillon blafard de plus en plus crémeux à mesure que le ciel s’assombrit. Bientôt, d’autres petits points blancs apparaissent pour éclabousser ce ciel moucheté.

 L’air se refroidit délicieusement. Les mains désormais sur le rebord de mon balcon, je scrute le dehors et compte ces pustules qui parsèment le ciel. Comme chaque soir depuis longtemps, cela germe de tout part, si bien que je me demande si tous ces points blancs ne vont pas tout recouvrir entièrement. Il est difficile de distinguer les détails, ma rétine reste comme imprimée du soleil qui vient de se coucher. Mes paupières sont encore chaudes, il fait encore chaud pour un mois de novembre, suffisamment chaud pour se croire au printemps, cette atmosphère calme qui sait nous laisser le temps. Je prend ce temps pour voir tomber la nuit. Les ombres s’étalent plus encore sur le sol. Doux linceul qui enveloppe le bitume. Là dessous, le mobilier urbain tire sa révérence. Je leur lance un regard et mon applaudissement. Le banc s’assoupit blotti contre le sans-abris et les murs se défont de leurs affiches. Le nom des rues s’efface. Les voitures ne rouvriront pas les yeux, ayant déjà craché leur dernier soupir. Devant moi sur le parking, elles s’alignent de marbre, paisibles sous les amendes fanées des capots que plus personne ne vient fleurir. Leurs plaques sont éclairées dans cette dernière communion d’un dehors à son crépuscule, lorsque les lampadaires viennent à allumer les bougies de cette grande veillée. Le temps s’arrête pour un présent sans fin. Le couvercle se ferme sur la boîte de pétri.

 Je referme mon ordinateur. Ce n’est pas sur les cours que j’ai travaillé. J’ai une autre tâche. Ce n’est qu’en cours de projet, vous en verrez peut-être plus. Les cours, dans mon état actuel et depuis qu’ils sont en distanciels, sont au second plan. La première fois que Macron a annoncé la fermeture des universités, on a vu le campus exploser de joie. La deuxième fois, tous ont été pris par l’effroi.

 Cela s’est passé au mois d’octobre. je me souviens que l’association dont j’étais le vice-président organisait une fête. Une grosse fête. Sept-cent euros d’alcool acheté à Kehl de l'autre coté en Allemagne et rapatrié par une armée de fourmis par les tram jusque dans chaque appartement. Tout était prêt, le gel hydro-alcoolique pouvait couler à foison, bien que nous avions, pour nous désinfecter, de quoi tous prendre une douche de vodka. Puis nous avons vu les chiffres, les messages d’amis d’amis d’amis qui avaient attrapé le covid. Puis le nombre d’amis entre les amis s’est fortement réduit jusqu’à nous toucher directement. Et les fourmis sont tombées comme des mouches. J’ai passé quelques coups de fil, de personnes inquiètes par l’organisation de la soirée, me disant que ce n’était pas raisonnable. J’ai passé moi-même des coups de fil. Au trésorier, à la présidente. Elle était en désaccord. On fait une AG une heure avant le début de la soirée. Je gagne à soixante-dix pour-cents. La soirée Halloween est annulé ; chacun peut aller se faire démaquiller.

 Le lendemain était douloureux, bien que dénué de la promise gueule de bois. Je me souviens, nous étions en cours de Droit administratif. Le professeur, habitué à faire des discours et visiblement, aimant s'entendre parler, agitait ses mains comme à son habitude tout en énonçant les principes généraux du droit, à valeur infra-législatif et supra-décrétale. Justement, après un long silence qui a accompagné le directeur de l'école jusqu’à l’estrade, celui-ci a tiré le micro vers lui pour décréter que l’école était fermée jusqu’à nouvel ordre. Les cours allaient être en distanciel. Le nombre de cas n’avait fait que grimper, jusqu’à ce que l’école devienne ce qu’on pouvait appeler un cluster.

- Rentrez tous chez vous ! allez tous vous faire tester et rentrez chez vous !

Les étudiants se sont retrouvés sur les poufs des locaux associatifs, prenant déjà leur billets pour rentrer chez papa maman. Et moi, j’étais assis là aussi, jouant au piano la bande-son de ce navet. Ce deuxième volet dont personne ne voulait.



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