Le Mathy blues

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Ben et moi, c’est une assez longue histoire, alors je vais la faire courte. Je l’ai rencontré pendant le tournage d’un pilote pour une série télévisée. Son rôle était secondaire, mais c’est celui qui lança véritablement sa carrière. Moi je n’étais que perchman ; jusqu’ici, ma plus grosse réalisation avait été un clip du chanteur Vincent Renard, et pas le plus connu ; le pauvre vieux était dans le creux de la vague. Avec Ben, on avait sympathisé pendant les pauses clope, parce que ma moto était garée devant le studio et que Ben est un grand fan de deux roues. Il s’était acheté une Roadster Harley Davidson, je me souviens qu’il en parlait avec des trémolos dans la voix, même si aujourd’hui il ne jure plus que par sa Ducati Monster 1200.

À la fin du tournage, on était comme cul et chemise. Assez vite, on a appris que la série était approuvée pour cinq épisodes. En plus de se tirer la bourre sur les routes le week-end, on se voyait tous les jours sur les plateaux et pendant les pauses.

Lorsqu’il signa pour son premier long métrage, il réussit à me faire rentrer dans l’équipe technique. Quelques années plus tard, pour son premier film en tant que réalisateur, il insista pour que je sois son chef opérateur son. C’est vrai que j’ai de l’oreille, mais je l’avoue sans honte, j’ai surtout eu la chance de rencontrer Ben. Son thriller a fait un flop, alors il est retourné à son métier d’acteur, et moi à mon premier amour, la musique. On s’est un peu perdus de vue.

J’étais donc plutôt content qu’il me recontacte et m’invite à cette fiesta, même si je savais que je n’y resterais pas longtemps ; si Benjamin peut vider des bouteilles et tenir le crachoir jusqu’à l’aube, j’ai tendance à vite laisser s’exprimer mon asociabilité. Néanmoins, ce serait l’occasion de discuter avec lui, de boire à l’œil, de bien manger, de frayer avec les hautes sphères du divertissement, et de revoir des têtes connues avec qui j’avais travaillé. Je savais qu’on ne me poserait pas de question sur ma présence, et qu’on me demanderait plutôt ce que je faisais à ce moment.

J’étais alors en studio pour enregistrer le dernier album de Mathy Blue, ce qui est marrant puisque j’avais bossé avec Vincent Renard, son père. J’avais de ces sessions des anecdotes pas dégueulasses à partager. Derrière cette image d’artiste sage se cache un sacré numéro. Une nana talentueuse et passionnée, mais également une boule de nerfs et de contrariétés, qui ne se ménage pas et cultive un certain goût pour l’autodestruction ; durant l’enregistrement, nous avons beaucoup écouté Alice In Chains et Amy Winehouse. J’ai partagé avec elle la faïence du petit coin lorsqu’elle avait des doutes. Elle trouvait ça intime et marrant, ça l’inspirait. Matty désirait pour son album un son brut sans être minimaliste, organique et viscéral, laissant de la place à sa voix et à l’interprétation. Dans les toilettes du studio, à travers le voile odorant et capiteux d’un joint d’herbe pure, elle m’a demandé d’engager un bassiste et un batteur ; elle voulait mettre du Rock dans son Electro. J’ai aimé travailler avec Matty Blue, et cet album a eu beaucoup de succès.

Durant cette soirée, je n’ai révélé aucune anecdote, aucun secret.

J’ai préservé son image d’artiste sage.

Elle m’a beaucoup fait penser à Juliette, j’espère la revoir un jour.

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