Première taffe

2 minutes de lecture

J'aime fumer dans les cabinets.

En y réfléchissant, c'est logique, puisque j'ai tiré ma première bouffée de cigarette dans une chiotte.

C'était vers la fin du collège. Avec les copains, on s'était retrouvés dans les toilettes pendant la récré, pour allumer une cigarette qu'un de nous avait volée à sa mère. C'était notre toute première cibiche, sauf pour Étienne, qui jurait avoir déjà essayé, mais on ne le croyait pas vraiment. Ça a été un moment bizarre, entre dégoût et fascination ; on tirait dessus, à tour de rôle — à vrai dire, et nous l'apprendrions plus tard, on crapotait —, on était d'accord pour dire que c'était un peu dégueu et en même temps très excitant.

Très vite, c'était devenu un rituel. À chaque pause entre les cours, on fumait une cigarette dans les gogues derrière le gymnase. Bien entendu, nous étions complètement idiots de penser que cela ne se saurait jamais. Peu de temps après, nous nous sommes fait pincer par un pion qui nous attendait à la sortie, et nous a débité sa morale. Un chapitre sur la toxicité du tabac, un second sur l'interdiction de fumer dans l'établissement et enfin, notre naïveté à imaginer que personne ne s'en rendrait compte : nos vêtements, nos cheveux, notre haleine puaient la clope. Tôt ou tard, un prof allait s'en apercevoir et prévenir le proviseur, qui alerterait nos parents.

Nous avons bien compris la leçon, et dès le lendemain nous avons trouvé une nouvelle cachette : dans le parc, juste à côté du collège, où nous nous retrouvions chaque matin, avant la première sonnerie, et chaque soir après le dernier cours. Si cela ne semblait pas déranger les autres, moi je me sentais vulnérable, pas vraiment en sécurité. Il faisait beau, nous étions une bande de copains juchés sur un banc public, mais je préférais de loin la discrétion du petit coin.

Et puis j'ai commencé à fumer à la maison.

J'attendais le soir que mes parents soient couchés pour m'enfermer dans la salle de bains. Là, je baissais l'abattant du cabinet, m'asseyais sur le réservoir et ouvrais la petite fenêtre qui était juste au-dessus. Je crapotais alors la moitié d'une Gauloise blonde, jetais le reste dans la cuvette et tirais la chasse. Au début, je faisais bien attention à ce que le mégot soit bien avalé par le système gravitaire. Mais avec l'habitude vient la négligence.

Un matin, mon père m'invita à le suivre, et une fois devant la salle d'eau, j'ai su que j'avais merdé. Il a ouvert la porte et s'est dirigé directement vers les W.C., a relevé la lunette et m'a dit :

— C'est quoi, ça ?

Je me penchais, comme si je ne voyais pas du tout de quoi il voulait parler, puis énonçais l'évidence :

— C'est un mégot, papa.

— Et qu'est-ce qu'il fait là ?

— Aucune idée.

Pour clore la conversation, mon père me gifla. La marque resta jusqu'au soir.

Annotations

Vous aimez lire Goji ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0