Gogues avec vue

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Celle qui me fit entrer dans la cour des grands, et scella mon pacte avec la Tueuse, c’est Juliette. Elle était ma voisine, et mon aînée d’une paire d’années. Une jolie fille, un garçon manqué aux cheveux courts, au parlé franc, qui se chaussait en Doc Martens et écoutait du Thrash-Metal. Son rêve était de se tatouer une tête de mort sur l’épaule. On se croisait parfois dans notre quartier, mais c’est dans le parc à côté du collège, alors que j’attendais les copains en tirant sur une clope en solo, qu’elle m’a abordé pour m’expliquer la différence entre crapoter et avaler la fumée. J’ai toussé, elle s’est marrée.

Nous nous sommes ensuite revus régulièrement : on fumait et elle me faisait écouter des groupes de musique. Juliette, la nicotine, le Rock, ça me vrillait la tête et j’aimais ça. C’est elle aussi qui m’a appris à embrasser avec la langue. C’était un peu dégueu, et en même temps très excitant. J’étais amoureux d’elle, jusqu’à ce qu’elle obtienne le bac et se tire de chez ses parents. Je suppose qu’elle s’est aussitôt fait tatouer, je suppose qu’elle m’a aussitôt oublié. En tout cas, nous ne nous sommes jamais revus.

Au moment de choisir mon premier appartement, je n’avais qu’un seul impératif. Non pas un balcon, ni une cuisine américaine, mais une ouverture dans les toilettes ; cette configuration qui me semblait une évidence est en fait assez rare. Après pas mal de recherches, j’ai néanmoins trouvé mon bonheur. Bien sûr, je fumais aussi dans la pièce unique, devant mon ordinateur ou affalé dans mon clic-clac, mais mon plus grand plaisir, le soir avant de me coucher, était d’aller dans mes cabinets d’aisances, de baisser l’abattant, de m’asseoir sur le réservoir, d’ouvrir la fenêtre et de déguster ma tige. Je savourais chaque seconde de cette liberté, de ce moment pour moi seul, sans pion ni père pour me seriner leur point de vue. C’était la minute pour faire le point, prendre des décisions, tirer des plans sur la comète. C’est sur les toilettes de ce premier studio que je choisis d’abandonner la fac d’anglais et de me tourner vers la production musicale.

Alors l’autre jour, dans cette chiotte de luxe de cette baraque de luxe, j’ai eu un choc.

C’était une soirée organisée par une société de production parisienne, qui avait remporté un Lion d’Or à Cannes. Je n’aurais pas dû être invité ; c’était le genre de pince-fesses où l’actualité pointue du convive attirait les supplications. Le genre de bringue où on ne mélangeait pas les torchons et les serviettes. J’étais hors circuit dans le milieu, même si je n’avais jamais été aussi en vue. Je suis allé à cette soirée grâce à Benjamin.

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