Prologue - Le Ciel Rouge

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  • Le ciel sera bientôt rouge, mon frère.
  • Ta gueule et dis-moi pourquoi tu es venu.

Le fusil longrifle bien ancré sous le bras et le canon bien tendu vers la tronche de ce qui avait été un jour un frère, l’homme s’apprêtait à tirer.

  • Je sais que tu n’hésiteras pas. Je te connais bien trop, mon frère.
  • Si tu ne me dis rien de plus, le feu de ce canon risque d’être la dernière chose que tu entendras.
  • Tu as toujours eu l’âme d’un poète, mon frère.
  • Parle !

Rien ne se déroula comme prévu. En tout cas pas comme l’homme au fusil l’avait prévu. Celui qui l’appelait son frère fit un pas. Puis deux, puis trois. Le quatrième fut responsable d’un coup de sommation dans les airs de l’hiver. Le coup de feu brisa le silence du désert qui n’abritait rien d’autre que le froid. L’homme au fusil cru entendre un aigle au loin.

  • Je souhaite simplement m’entretenir avec mon frère.
  • Ton frère n’est pas là.

Celui qui l’appelait son frère éclata d’un rire si unique, si rare que l’homme au fusil vacilla un court instant. Pas de frayeur non, mais de stupeur. Ce rire venait d’un monde que l’homme au fusil ne connaissait pas. Un monde certainement proche des enfers, un rire si sournois et si macabre qu’il aurait fait s’effondrer une église Chrétienne en un rien de temps. Un rire digne du pire des diables. Mais un rire qui lui était familier malgré tout. Pourquoi ?

  • C’est pourtant toute ma famille qui se trouve sur ce domaine, finit-il par répondre après avoir ri aux éclats.
  • Tout ce que tu vois ici est à moi. Réponds, qu’est ce qu’un étranger de ton espèce vient fourré ici ?
  • Je viens de te le dire, mon frère.

Cette fois, le second tir de sommation éclata un nuage de neige aux pieds de celui qui l’appelait son frère. Mais celui-ci n’avait pas peur, il avança une nouvelle fois. Un pas. Deux, puis trois, et quatre.

  • Je le jure sur la tête de ma fille que je te tuerais.

De nouveau ce rire diabolique, sardonique. Satanique. Même l’homme au fusil savait que s’il avait dû le tuer, il l’aurait déjà fait. Et ce vagabond n’aurait pas été le premier à goûter à la poudre à canon.

  • Réfléchis à ce que tu me dis-là, mon frère, enchaîna-t-il après le fou rire. Il n’y a pas que toi ici qui possède les armes.

L’homme au fusil tilta immédiatement et inspecta de son canon au bois massif les alentours du domaine : les montagnes là-haut, à gauche et en haut puis à droite. Personne. Le flanc montagneux. Personne. Il revint alors pointer son arme sur... Avait-il bouger ?

  • Où sont tes hommes ?
  • Il est des armes ici-bas qui valent bien plus qu’une armée, mon frère.

Il avait bel et bien avancer de quelque pas.

  • Qui t’envoit ?
  • Il est bien trop tôt pour de telles questions mon frère. Les réponses mériteraient plutôt un bon dîner ou un excellent souper, une cheminée brulante dont l’âtre me chatouillerait les pieds. Et pourquoi pas une boisson chaude pour digérer l’excellent repas que tu m’aurais préparé ? Ensuite, et seulement ensuite je serais capable de répondre à cette question. Éventuellement.

Puis après un moment de silence qui s’était fait si rare :

  • Et puis le ciel sera bientôt rouge, mon frère.

Soudain c’en fut trop pour l’homme au fusil qui décida de mettre fin à cette mascarade. Le coup de feu qui suivit enclencha alors le jeu auquel l'Autre désirait justement jouer. Le côté gauche de son visage explosa alors éclaboussant le sol enneigé d’un flot rouge pourpre chaud qui s’écoula à grosse goutte lorsque le corps retomba au sol. Un bruit sourd, puis le silence.

L’homme au fusil s’avança lentement en descendant les escaliers du porche de sa demeure de bois branlante. Celui-ci grinça sous ses pas, comme toujours. Avant d’inspecter le corps, comme il l’aurait fait à l’époque de ses services de police, il balaya l’horizon de droite à gauche puis de gauche à droite : les mêmes montagnes surplombaient le domaine de l’homme au fusil tel des déesses et des dieux vêtus de robes blanches immaculées. Au loin, droit devant, les plaines du désert de glace s’étendaient sur des distances si effarantes que l’homme au fusil avait oublié depuis bien longtemps comment avait-il pu s'exiler jusqu'ici. Tout ce qu’il savait, c’était que ce désert menait à un monde qu’il avait quitté depuis bien trop longtemps.

Il abaissa ensuite son fusil et examina le corps : le visage explosé par le coup de feu était totalement détruit, les morceaux de crâne éparpillés ça et là sur la neige à présent rouge vive. Les vêtements du mort étaient larges et simples ; un manteau noir long, entouré d’une fourrure qui l’avait certainement bien réchauffé avant, et un pantalon noir aussi large que le manteau ainsi que des bottes de cuir. Dans les poches, rien. Enfin, rien à part un objet tout au fond de la poche de manteau : une croix Chrétienne. L’homme au fusil la fixa un long moment valser le long de sa chaîne d’or. Son regard se figea alors si profondément au coeur de cet or si pur et si brillant qu’il en eut le souffle coupé. Pendant un long moment il plongea son regard en elle. Il resta là un long, un très long moment. Un si long moment qu’il perdit conscience du temps et de l’environnement autour de lui. Quelque chose n’allait pas avec cette croix. Ou plutôt, tout allait trop bien, la surface en était trop parfaite, trop excellente, alors qu’autour de lui tout n’était plus que désespoir. Un milliard de question assaillit le crâne de l’homme au fusil. Pourquoi avait-il eut la sensation de connaître celui qui l’appelait son frère ? Qu’était-il réellement venu faire ici, dans ces contrées dans lesquels il s’était pourtant exilé ? Pourquoi avait-il parlé de ciel rouge ? Où était donc ces armes dont il avait parlé ? Pourquoi cette croix éveillait-elle en lui un tel sentiment de chaleur ? Et...

  • Petit frère !

L’homme au fusil sursauta et se releva immédiatement pour pointer son rifle vers l'Autre. Lui, était toujours là. Le tireur aurait bafouillé s’il avait parlé, il aurait même bégueillé un long moment avant de comprendre : ce n’était pas la première fois que cela arrivait, il le sentait mais ne parvenait pas à se remémorer leur première rencontre, lointaine. Très lointaine… Tout ce qu’il savait demeurait cette face au sourire déformé par la folie, une folie pure et en contraste avec l’atmosphère pesante et glaciale d’un hiver qui avait débuté des années auparavant, quand le monde s’était brisé.

Les deux se tinrent là un bon moment : l’un perché sur le porche de la demeure de bois vacillante et l’autre à la place du mort.

En fait, les places avait été échangés, sans le vouloir.

Ou bien était-ce voulu ? Le temps de jeter un oeil en arrière et de s’assurer que le mort se trouvait toujours là, gisant au sol le crâne explosé en une centaine de morceaux et le sang ayant fait fondre la neige, puis de se retourner et le ressucité avait avancé de quatre pas semblait-il. Il se trouvait au bord de la plus haute marche du porche.

  • J’ai comme une impression de déjà-vu, pas toi mon frère ?
  • Je sais qui t’envoi espèce d’ordure.

Il avait largement eu le temps de choisir ses mots afin de ne pas bafouiller.

  • Je t’écoute alors frérot !

Son ironie dépassait tout ce qu’on pouvait imaginer. AIlleurs, le monde était mort, la civilisation s’était dévorée en un festival de cannibalisme et de violence, des années durant, jusqu’au dernier souffle des hommes les plus sains, et pourtant, lui, cet homme ne cessait de tenir ce sourire de démence sur ce visage d’alliéné. Il dépassait le stade de l’ironie.

  • Satan t’a envoyé.
  • Ha ! et dans quel but l’aurait-il fait ?
  • Me dévorer l’esprit, répondit-il en crachant au sol une mixture brune. Tout comme il aura réussi à dévorer les milliards d’individus de ce monde. Mais dis-lui, dis-lui à ton patron qu’il ne m’aura pas.

Lui-même eut du mal à croire à ses propres paroles.

  • Cela fait donc de moi un ange ténébreux n’est-ce pas ? un ange noir ? un ange sombre ? Un démon noir ? La liste est longue petit frère, et peu importe les adjectifs que tu trouveras, les mots que ton monde a trouver pour nous définir et pour le définir lui. Vous avez toujours, tous autant que êtes, été très loin du compte. Changer de disque vous aurait aidé. Quoique. Probablement pas. Mais le noir, le sombre, les couleurs ne sont plus rien en ce monde et tu le sais. Petit frère.
  • TA GUEULE !

L’homme au fusil se rua alors avec une furie sans nom vers cette chose qui n’était définitivement pas humaine en pensant à ces souvenirs de lui que son esprits avait effacés depuis bien longtemps. Il le saisit alors par la gorge, et serra sa prise aussi fort qu’il le put afin de le plaquer contre le mur de l’entrée. La maison faillit vaciller contre le poids.

  • Je ne suis pas ton frère !
  • Et est-ce réellement ta fille ?

Quelque chose s’activa alors. L’homme au fusil relacha la prise et réalisa son erreur. L’erreur commise il y avait bien trop longtemps mais tel un train roulant à toute vitesse sur les rails, cette pensée s’évapora en un quart de seconde laissant place à cet état étrange de l’instant où vous tenez la réponse sur le bout de votre langue. Puis, il comprit.

  • Que lui as-tu fait enfant de putain ?

L’homme au fusil s’écarta, ouvrit à la volée la porte d’entrée qui fit une nouvelle fois trembler les fondations de la demeure, passa le couloir d’entrée, puis le séjour misérable pour déboucher sur une porte rose : à l’intérieur il se rua vers le lit et la trouva là, sa jeune fille de 7 ans, aussi endormie que pouvait l’être un paresseux en pleine croissance. Il la réveilla de petites secousses successives en murmurant son prénom. Elle ouvrit les paupières lourdes.

  • Hmmm... quoi, qu’est-ce que tu veux papa... hmmm ?...

Elle dormait encore mais ne s’en rendait pas compte.

  • Le père Noël est déjà passé ?
  • Non ma chérie, pas encore, rendors-toi ma fille, lui murmura-t-il.

La prunelle de ses yeux ne se fit pas prier et repartie au pays des rêves. Par mégarde, l’homme au fusil se saisit d’elle comme d’un petit bébé. Elle demeura là, dans ses bras à rêver des cadeaux qu’elle ouvrirait prochainement. Il ne souhaitait plus la laisser seule et se dirigea vers la porte d’entrée, son opossum dans les bras. L'Autre avait une nouvelle fois changé de place. Au fond du terrain cette fois, près de la barrière qui constituait la frontière de la demeure. Il ricanait toujours.

Son fusil de la main droite, sa fille endormie dans le bras gauche, un regard de braise, l’homme se tint là, face à la folie d’un homme qui semblait le connaître mais que lui avait, semble-t-il, oublié.

  • Tic-tac, l’heure se met à tourner petit frère ! Le Wasteland, le grand désert blanc n’attend que toi ! et au-delà, ils scandent déjà ton nom !
  • Tu es le mal incarné, se chuchota à lui-même le père.

Et tout en reculant vers l’infinie du désert, l’Autre lui répondit :

  • Mal, ou bien, il te montrera que rien de tout ça n’existe ici. Au coeur du Wasteland, là-haut, et bien au-delà, là où la folie dévore, tu comprendras qu’aucune de ces notions n’existent. Il ne tient qu’à toi de rééquilibrer la balance ! Mon beau petit frère, le ciel deviendra bientôt rouge !

L’homme au fusil tenta de comprendre le sens de ces phrases inintelligibles, phrases qu’il se persuadait avoir déjà entendue quelque part, mais... rien à faire, le trou noir assaillait son esprit. Puis, l’Autre fut loin, trop loin pour pouvoir l’apercevoir, peut-être même avait-il déjà disparu, évaporé dans l’étendue meurtrière du désert de glace.

Une fois l'Autre disparu, l’homme au fusil ne le comprit pas tout de suite, mais le jeu auquel il avait décidé de jouer en appuyant sur la détente avait déjà commencé. Et il ne tarderai pas à en payer les conséquences.

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