Selon le plan (2)

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Lorsque Hide revint, il nous trouva effectivement prostrées près des corps de ses parents de substitution. Il resta un moment interdit face au carnage, puis se précipita vers nous.

— Lola, Hana ! Vous n’avez rien ?

Je le laissai nous palper partout, trop faible pour protester. La descente d’adrénaline m’avait vidée. Une fois assuré que nous étions intactes, il nous serra contre lui, une dans chaque bras. J’avais encore le flingue dans la main, incapable de le lâcher. Hanako, elle, s’agrippa à son père comme un petit singe.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? s’enquit Hide d’une voix blanche.

— C’est Kiriyama ! cria Hanako comme si on venait d’appuyer sur un bouton de mise en marche. Il est venu ici, et il les a... il les a...

Hide posa un regard stupéfait sur les corps. Puis il se leva et alla les inspecter.

— Il respire encore ! constata-t-il en se penchant sur Nobutora.

Aussi incroyable que cela paraisse, c’était vrai. Le vieil homme s’était cramponné à la vie jusqu’au retour de Hide.

Ce dernier lui prit la main.

— Tiens bon, oyassan. On va te tirer de là.

Il s’était mis à lui parler familièrement. Comme à un père.

Hanako était déjà en train d’appeler les secours. Pour ma part, je n’avais pas bougé. Si on appelait l’ambulance, cela voulait dire que... les flics allaient venir aussi.

— Hidekazu... laisse tomber. Écoute...

La respiration du vieil homme était sifflante. C’était une force de la nature, mais il était en bout de course.

Hide se pencha sur lui.

— Je voulais te dire que... je suis désolé pour tout, éructa Nobutora.

Il devait souffrir le martyre. Touché au ventre, plusieurs fois, et probablement aux poumons... une horrible agonie.

— C’est pas grave, répondit Hide d’une voix qui se voulait rassurante. Je ne t’en veux pas : tu as fait ce que tu pensais être le mieux.

— Si tu dois... aller là-bas.

Hide fronça les sourcils. Il tenait toujours la main de Nobutora, qui s’agrippait à lui comme à une bouée.

— Là-bas ?

— Kagoshima... Trouve... Retsudô. Il est à... Miyazaki. Takachihô... le Sanryû et Ôryû, ils savent où le trouver...

Et sur ce charabia ésotérique, il rendit l’âme.

Hide baissa la tête. Je le vis serrer les dents, s’efforcer de nous cacher ses larmes. Finalement, il aimait ce vieux tigre comme son père.

Hanako, elle, sanglotait doucement dans mes bras. Elle était revenue à temps pour assister à la mort de son grand-père, ou plutôt, pour être plus juste, grand-oncle.

Ces morts, juste au moment où la vérité avait enfin éclaté, alors qu’ils s’étaient tous retrouvés... Au fond de moi, je n’arrivais pas à y voir une simple coïncidence.

— L’ambulance, finit par murmurer Hanako. Elle arrive...

On entendait en effet les sirènes sur la route. Les secours arrivaient, et ils ne venaient pas seuls.

Hide se dégrisa d’un coup. Il posa délicatement le corps de Nobutora à côté de celui de sa femme, puis se tourna vers moi. Lorsqu’il posa les yeux sur les miens, je vis que son regard avait pris la dureté de l’obsidienne.

— Donne-moi le flingue, m’ordonna-t-il calmement.

Je le lui tendis. Il l’attrapa par le canon, puis frotta soigneusement la crosse sur sa chemise. Il le prit ensuite en main, serrant ses doigts dessus plusieurs fois.

— Écoutez bien ce que je vais vous dire, dit-il enfin. C’est moi qui ai buté le boss et sa femme. Ne mentionnez pas Kiriyama. C’est compris ?

— Mais...

Il m’interrompit durement, les yeux rétrécis.

— Faites ce que je vous dit. Lola. En tant qu’étrangère, tu n’as aucune chance de faire valoir ta version : personne ne te croira, et tu seras immédiatement incarcérée. Les conditions de détention sont très dures au Japon : le temps qu’on te dégote un avocat et qu’on arrive à obtenir ton extradition, tu auras perdu le bébé. Hana... Tu vas aller vivre avec Lola, et faire tout ce qu’elle te dit. Les flics vous emmèneront à l’hôpital pour un check-up, c’est sûr. Je passerai un coup de fil à Masa du commissariat pour le prévenir et lui dire quoi faire. Il viendra vous chercher.

— Hide, non, objectai-je en comprenant ce qu’il voulait faire. Tu ne peux pas me laisser ! Il faut qu’on en parle.

Tout était allé si vite. J’avais à peine pu pendre la mesure de ce qui venait de se dérouler. Et Hide qui parlait déjà de se sacrifier !

Il me regarda, plus sévèrement que jamais.

— On n’a pas le temps, coupa-t-il d’un ton autoritaire. Lola... je te confie Hana et Miyako. Occupe-toi d’elles... et du clan. Tu connais la chanson. Je sais que je peux compter sur toi.

Compter sur moi... je n’en pouvais plus qu’on me dise cela.

— Non ! protestai-je d’une voix tremblante. Toi aussi, tu sais ce que je t’ai dit. Ce n’était pas des paroles en l’air ! Si tu te fais arrêter encore une fois Hide, je vais rentrer en France, je te jure... et tu ne verras jamais ton enfant !

Un ersatz de sourire se mit à flotter sur ses lèvres pleines.

— Je sais que tu ne le feras pas. Je compte sur toi. Tanonda zo.

Les sirènes étaient devenues assourdissantes. Je pouvais entendre les voix dans la cour, les portières qui claquent. Hide était déjà entré dans son rôle de coupable. Debout face aux deux corps qu’il regardait sombrement, le flingue dans la main gauche, il attendait, la tête basse. Je me laissai glisser sur le parquet ciré.

Non, suppliai-je intérieurement. Non. Cela ne peut pas se passer ainsi.

Hanako, elle, semblait résignée. Elle gardait les yeux fixés sur son père, une expression d’une tristesse absolue sur le visage.

La porte s’ouvrit brusquement.

— C’est la police ! hurla un officier.

Une lampe torche se braqua sur nous, nous faisant cligner des yeux. Pourtant, la lumière était allumée.

— Lâche ton arme ! Tout de suite !

Hide ouvrit ses longs doigts. Le Glock tomba sur le parquet avec un bruit sourd.

— Lève les mains !

Il s’exécuta sans se retourner. Un seul geste, et ces types allaient sûrement lui tirer dessus... Du moins, c’est ce que je m’imaginai. Mais deux officiers entrèrent dans le salon, sans autre arme qu’une matraque et une paire de menottes. S’il le voulait, Hide aurait pu s’enfuir, ici et maintenant. La cavale valait sans doute mieux que la prison... ou pas ?

— Donne tes poignets, lui ordonna durement un officier.

Hide obéit. Pour lui, c’était loin d’être une première.

— Ils sont morts, constata le médecin qui était entré après les flics.

— Bon. Et elles ?

— Ma femme et ma fille, intervint Hide.

— On ne t’a pas sonné ! beugla le flic qui le tenait en lui donnant une bourrade.

Je grimaçai.

— Ne le malmenez pas ! Et il ne dira rien sans son avocat.

Le flic se tourna vers moi, tandis que Hide me jetait un regard las. Je fus envahie par une envie irrépressible de le serrer dans mes bras. Il était si mignon, menotté...

Je n’avais même pas pu l’embrasser une dernière fois.

— Vous êtes sa femme ? me lança le flic.

J’acquiesçai.

— Ôkami Lola. Et voici sa fille, Kiryûin Hanako.

— Bon. Vous allez toutes les deux nous suivre. On va vous examiner, puis on va prendre votre déposition.

Hide me lança un nouveau regard oblique.

Tiens t’en au plan, avaient l’air de dire ses yeux.

Et effectivement, que pouvais-je faire d’autre ? Je me levai, pris la main de Hanako, qui restait amorphe.

— Je vous suis.

Au moment de sortir, je jetai un dernier regard aux corps de mes beaux-parents. Nobutora et Saeko avaient constitué la seule famille de Hide. En dépit de nos divergences, j’étais triste qu’ils aient terminé de cette façon.

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