La punition (1)

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Hide et moi n’avions pas partagé de moment intime depuis plus d’une semaine. Il y avait eu la fête de Sanja, d’abord, puis ses trois jours en cellule... Mais lorsqu’il m’attira à lui, une fois de retour à la maison, je ne l’accueillis pas comme d’habitude. En sentant ses mains sur ma taille, je revis l’image de Noa accrochée à la sienne. Hide m’avait plus ou moins convaincue pour tout le reste... mais pas pour la présence de Noa dans sa vie.

Je le laissais embrasser ma nuque et mes épaules sans réagir, raide comme un bout de bois. M’enlacer de plus en plus passionnément et caresser mon ventre et mes seins. Mais je ne disais rien, ne participais pas : Hide finit par se rendre compte que quelque chose n’allait pas et il s’arrêta.

— Qu’est-ce qui se passe ?

Je me dégageai de son étreinte et haussai les épaules. Hide, qui ne savait pas forcément lire ce geste, me regarda du coin de l’œil.

— T’as pas envie ?

— Je sais pas, lui répondis-je.

— Comment ça, tu sais pas ? Soit t’as envie de baiser, soit t’as pas envie. C’est pourtant simple.

— J’ai pas envie, alors.

Hide me regarda, les sourcils légèrement levés. Il ne s’y attendait visiblement pas : c’était la première fois que je le repoussais.

— Ok... Bon.

Il se retourna et ouvrit le frigo. Il attrapa une bière et l’ouvrit.

— Tu veux faire quoi ? Regarder la télé ? Il est encore tôt. On peut regarder un film, proposa-t-il.

— Oui, on peut.

Je le laissai allumer la télé. Il zappa sans trop de conviction, nonchalamment installé dans le canapé, avant de rester sur une émission débile avec des talento et Takeshi Kitano. Il s’alluma une clope, émit quelques rires brefs face au cabotinage des invités. Il était déjà passé à autre chose. Moi pas.

Je vins tout de même le rejoindre. Pour une fois qu’il était à la maison... Je m’installai à côté de lui, et, n’y résistant plus, me blottis contre lui. Il passa un bras autour de moi, sans cesser de regarder la télé.

J’attendais qu’il en parle de lui-même. Ce qu’il ne fit pas.

— C’est pas trop dur, presque deux semaines sans sexe ? finis-je par lui demander crûment.

— Je peux m’en passer, répondit-il avec un petit sourire, l’attention rivée sur les pitreries de Kitano.

— C’est marrant, Noa disait que t’avais besoin de baiser beaucoup, quand je travaillais au club, fis-je en posant ma main sur son ventre, l’air de rien.

— Ah bon ? Elle a dit ça ? Je suis le premier étonné... mais bon. Tu sais bien que Naho raconte ce qu’elle veut.

— Non, je pense qu’elle y croyait vraiment. Après tout, elle te connait bien.

— Oui et non, répliqua Hide en se penchant en avant pour attraper sa bière. Naho a sûrement cette image de moi parce que j’ai été avec elle juste après ma sortie de prison. Mais je crois surtout qu’elle a raconté ça pour te faire chier.

— C’est pour ça que tu t’es mis avec elle ? Parce que t’avais envie de baiser à ta sortie de prison ?

— Je ne me suis pas « mis » avec elle, Lola, répondit Hide en me jetant un regard froid. Je n’ai jamais eu de vraie relation avec elle. Et je n’avais pas besoin d’avoir recours à elle pour avoir du sexe à ma sortie de taule : le boss m’a payé une fille le soir même, et j’ai continué à la fréquenter régulièrement pendant les six mois qui ont suivi.

— Une... fille ? Payée par Nobutora ?

— Tu m’as demandé d’être franc, asséna Hide. Je le suis. C’est ce qui se fait quand un kôbun sort de taule : on lui organise une petite fête, et on lui paye une nuit avec une fille.

Encore une pratique dégueulasse de ce milieu. J’en apprenais tous les jours.

— Tu m’as soutenu que tu n’avais pas eu beaucoup de relations, avant moi... et malgré cela, j’apprends tous les jours un nouveau truc !

— Je ne compte pas les filles qu’on paye dans les « relations ». Du moins, pas celles qui ne te donnent pas l’exclusivité, m’apprit Hide.

Je me redressai.

— Hide, tu as déjà été avec une fille qui n’était pas une hôtesse, une pute ou une geisha ?

Il secoua la tête.

— Une seule fois.

Je savais qu’il parlait de Miyabi, l’amour de sa vie. Et une fois qu’il l’avait perdue, il avait été incapable de nouer une relation durable et saine avec une autre fille, se contentant des services de travailleuses du sexe. Jusqu’à ce qu’il me rencontre.

— Mais pourquoi ? Y a vraiment que ces filles-là qui t’attirent ?

Hide me regarda, l’air un peu désabusé. Puis il éclata de rire.

— Qu’est-ce qu’il y a de drôle ?

— Rien... si ce n’est que tu me traites de naïf à tout bout de champ. C’est toi qui fais preuve de naïveté, Lola, si tu penses qu’une katagi se mettrait en couple avec un gokudô... Les filles qu’on rencontre sont forcément des travailleuses du sexe. Les autres fuient les yakuzas.

Il avait raison. Je n’y avais pas pensé. Tous les yakuzas ou presque étaient en couple avec d’anciennes hôtesses — des filles du show-biz éventuellement pour les plus haut placés.

— Et comme ça ne compte pas comme une relation, c’est accepté de tromper son épouse légitime avec l’une de ces filles, continuai-je dans sa lancée.

— Pour un certain nombre d’hommes, ça doit être le cas, oui, confirma-t-il. Peut-être. Mais pas pour moi, en tout cas.

— Pourquoi ? Puisque le sexe ne porte pas à conséquence, et n’est pas synonyme de « relation », pour toi ?

— Je peux coucher avec une fille que je n’aime pas, juste pour le sexe, répondit franchement Hide. Par contre, quand j’ai des sentiments pour une femme, je suis incapable de penser à une autre. Et donc, de coucher avec une autre fille.

C’était une révélation. Mais ça se tenait. Moi aussi, je fonctionnais comme ça. À la différence non négligeable que Hide était un homme, appartenant à une société très permissive sur ces matières. J’avais encore du mal à croire qu’il puisse être sincère.

— C’est pour ça que j’ai arrêté de coucher avec Naho, peu de temps après t’avoir rencontrée, précisa-t-il. Quand j’ai compris que j’étais amoureux de toi.

C’était la première fois que Hide me disait en face, à voix haute, qu’il était « amoureux » de moi. Malheureusement, cela arrivait lors d’une de nos trop nombreuses prises de bec sur Noa.

— Mais tu continues à la voir...

— Je t’ai déjà expliqué pourquoi, et dans quelles circonstances.

— Tu avais promis que tu couperais définitivement tout lien avec elle...

— Je sais. Mais c’est plus compliqué que prévu. Je ne peux pas la sortir de ma vie comme ça. D’autant plus que nos espaces se croisent.

Je ne peux pas la sortir de ma vie... Je savais bien pourquoi.

Je me positionnai face à lui, l’obligeai à me regarder.

— Hide... Noa n’est pas Miyabi.

J’avais prononcé le nom tabou.

Pendant un court moment, Hide me regarda avec une détresse infinie, puis son expression changea. Ses pupilles rétrécirent, et son visage se ferma.

— On avait dit qu’on ne remettrait plus ce sujet sur le tapis... gronda-t-il.

— Le dossier Noa devrait lui aussi être refermé depuis longtemps, répliquai-je. Mais il revient constamment. En partie parce que tu l’assimiles à la femme que tu aimais tant, et que tu as perdue. Mais Noa n’est pas sa sœur, Hide. C’est une personne différente, même si elle lui ressemble.

— Miyako a disparu il y a dix-huit ans, tu crois vraiment que je pense toujours à elle ?

— Oui, lui dis-je. Je crois même que tu y penses tous les jours.

Le nez de Hide se plissa de colère. J’avais réussi à le remettre en rogne.

— Combien de fois vais-je devoir te prouver qu’il n’y a que toi, à mes yeux ? lâcha-t-il. Qu’est-ce que je vais devoir faire pour que tu me croies ?

— Arrêter de voir Noa. Définitivement. Si tu le fais vraiment, je te croirai.

— Je la recroiserai forcément quelque part. Tu le sais.

— Bien. Permets-moi de venir lui expliquer ma façon de penser, alors, en prévention. Je lui dirai d’arrêter de mettre ses sales pattes sur mon mari lorsqu’elle le « croise » par hasard, comme à la fête de Sanja.

— Elle s’est accrochée pour ne pas tomber. Ces mikoshi sont très lourds, et tu as vu la violence de la foule.

— La violence, je l’ai surtout ressentie lorsque j’ai vu mon mari se faire tripoter par cette sangsue, Hide. C’était même si violent que l’image est restée imprimée dans ma rétine, et qu’elle a court-circuité toutes les autres lorsque tu m’as touchée tout à l’heure.

— Il va falloir que je mette une autre image dans ton cerveau, alors.

— Tu auras bien du mal.

— Tu crois ça ? Et si je te laissais m’attacher au lit ? T’en rêves depuis longtemps, non ? Tu pourras faire de moi tout ce que tu veux.

— Tout ce que je veux ? Vraiment ?

— Du moment que ce n’est pas trop... bizarre. Enfin, tu vois ce que je veux dire.

— D’accord, fis-je en me relevant. Je te prends au mot. N’oublie pas Hide : otoko ni nigon wa nai. Tu as donné ta parole, et accepté de te livrer à moi.

Il grogna son assentiment. Je le sentais un peu timide et même nerveux, mais malgré tout, une lueur sauvage brillait dans ses yeux noirs. Il était intéressé.

De toute façon, les hommes sont prêts à aller très loin pour avoir du sexe, et Hide n’a pas eu son compte depuis bien longtemps. Il doit avoir très envie, pensai-je.

Envie au point de se perdre le contrôle, pour une fois, et de me laisser mener la danse.

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