L'offense aux dieux

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— Tu es magnifique ! s’exclama ma mère en me voyant. Je ne t’aurais pas reconnue.

Elle-même portait un kimono noir à motif de grues et de fleurs, encore une fois prêté par Saeko.

— Ça te va bien aussi, maman, lui souris-je.

— Tu trouves ? Ces kimonos sont très jolis, mais qu’est-ce qu’ils sont inconfortables ! Je crève de chaud. Heureusement, le petit frère de ton mari m’a donné un éventail et une bouteille d’eau. Qu’est-ce que je ne ferais sans lui et ton amie Sao !

— Ce n’est pas son petit frère, corrigeai-je, c’est son employé. Je t’ai déjà dit que Hide était fils unique, maman, il est orphelin...

— Ah bon ? Mais il n’arrête pas de l’appeler « grand frère », pourtant. C’est ta sœur qu’il me l’a dit, elle a reconnu ce mot ! C’était le même que dans Naruto.

— C’est une appellation affectueuse, c’est tout, murmurai-je rapidement.

Je craignais que Nina, qui regardait parfois des anime japonais, se rende compte que Hide était un yakuza... à l’instar de tous ses invités.

Les grosses berlines noires s’alignaient sur le parking, gardées par des chauffeurs en noir à la mine peu amène. Je n’en avais pas vu autant depuis le jour de l’anniversaire de Hanako. En fait, il y en avait même plus. Combien de gangsters exactement Hide avait-il invités ?

Celui-ci s’approcha de moi. Impressionnée, je relevai les yeux vers sa haute silhouette : avec sa peau bronzée, ses cheveux lissés en arrière et ses vêtements noirs, il était beau comme Tatsuya Nakadai dans un film de samurai. Je voulus lui prendre la main, mais il tenait un éventail, qui faisait obstacle.

— On peut prendre une photo ? s’enquit ma mère en sortant son téléphone du petit sac assorti au kimono que lui avait donné Saeko.

— Tout à l’heure, il y a un photographe officiel.

— J’en prends quand même une !

Et, rapidement, elle prit une photo de Hide et moi.

— Voilà, un souvenir. Vous êtes beaux comme des soleils ! Entre nous, quand tu m’as dit que tu épousais un Japonais, j’étais loin de m’imaginer que ton mari serait aussi grand et beau. Dommage qu’il ait une cicatrice sur le visage, le pauvre ! Mais ça lui va bien, ça fait un peu gangster.

Je lui fis un sourire rapide, ne sachant pas trop comment interpréter ce compliment à double tranchant.

Un assistant du sanctuaire, qui tenait une énorme ombrelle rouge au-dessus de nous, nous fit signe de le suivre. Saeko se positionna à côté de ma mère, et Nobutora, de mon père. C’était très bizarre de les voir ensemble.

Nous suivîmes l’assistant jusqu’à l’intérieur de l’oratoire, normalement fermé au public. Un tapis rouge avait été installé, ainsi que des tabourets pliants sur lesquels attendaient les invités, en costume pour les hommes, en kimono pour les femmes. Je fus stupéfaite par leur nombre. À croire que Hide avait invité toute la pègre du Japon... Il y avait d’ailleurs une profusion d’offrandes devant l’autel, sous la forme de bouteilles de saké marquées du nom des donateurs. J’y discernai rapidement des noms de clans yakuzas, tous affublés du suffixe « corporation », même si ça ne trompait personne.

— Pourquoi les hommes sont-ils d’un côté, et les femmes de l’autre ? murmura ma mère en regardant les invités.

— C’est comme ça au Japon, répondis-je rapidement.

— Même au Caire dans les années 80, ce n’était pas comme ça ! s’exclama-t-elle, stupéfaite.

— Mais c’est le cas maintenant, non ? Grand-mère est la première à dire qu’elle ne remettra pas un pied en Égypte !

Je sentis la main de Hide sur mon épaule.

— Un problème ? s’enquit-il de sa voix au timbre rassurant.

— Non, rien. Ma mère se demandait où s’asseoir.

— Là, répondit Hide en désignant deux tabourets sur la gauche de l’autel. Toi, tu te mettras juste devant.

Une petite table avait été dressée juste devant l’autel, avec des coupes, des offrandes et un flacon de saké. C’était exactement le même agencement que lors du sakazuki.

— C’est la même cérémonie, me confirma Hide.

Le gûji, le prêtre shintô, fit son entrée, suivi par deux prêtresses miko portant des ornements à grelots d’or et de longs cheveux. C’était un boulot souvent accompli par des étudiantes : l’une de mes senpai l’avait fait au sanctuaire près de la fac, la seule condition étant d’être non mariée et de ne pas avoir de cheveux teints.

Hide et moi fûmes assis sur des tabourets rembourrés en face de l’autel : lui à droite, moi à gauche. Ses « parents » se tenaient un peu derrière lui, les miens de mon côté. Les invités se tenaient derrière, séparés par une petite barrière. Sur l’autel, on pouvait voir les coffrets contenant les symboles de la divinité, toujours maintenus fermés, et un miroir, qui symbolisait la déesse impériale Amaterasu. Le dieu vénéré au sanctuaire était Tenjin, le patron des intellectuels et des étudiants : c’est pourquoi j’avais été surprise que Hide se marie ici. Mais c’était Nobutora qui lui avait fortement suggéré d’aller là, au prétexte que le véritable dieu du sanctuaire n’était pas Tenjin, mais Tajikarao-no-mikoto, l’ancêtre mythique des Onitzuka. Se remettant à Nobutora pour ce genre de choses — de son propre aveu, Hide connaissait mal la symbolique et les rituels shintô —, il avait décidé de se marier là.

Le prêtre salua, frappa trois fois dans ses mains, puis commença sa litanie d’adresse aux dieux tandis que nous attendions, tête baissée. Ensuite, il passa au-dessus de nos têtes une longue perche de bambou garnie d’une multitude de petits papiers pliés en zigzag pour nous purifier, et nous reçûmes l’autorisation de relever la tête.

C’est alors que les prêtresses s’avancèrent pour remplir les coupes de saké. Elles la donnèrent d’abord à Hide, qui la but entièrement. Puis ce fut mon tour de boire avec une nouvelle tournée. La troisième coupe fut ensuite vidée pour moitié par Hide, qui me la passa ensuite pour que je finisse. Lorsque ce fut terminé, les prêtresses se tournèrent vers les invités pour leur passer à chacun une coupe de saké et un bout d’algue séchée pour accompagner, l’alcool sacré faisant partie intégrante des cérémonies shintô, tandis que d’autres effectuaient une danse lente en agitant leur bâton à grelots. Les invités avaient tous les yeux sur les miko, leurs vêtements rituels et leurs jolis visages peints. Dissimulée par la table à offrandes, je tendis des doigts timides vers Hide, qui gardait les poings fermés sur ses cuisses et le regard fixé droit devant, comme s’il passait son dixième dan de karaté. Moi, j’avais envie de le regarder — et de le toucher — tout le temps.

Une prêtresse s’approcha de nous.

— Avez-vous amené des alliances ? nous chuchota-t-elle.

Hide hocha la tête. Il sortit une petite boîte de sa manche, sur laquelle je lus subrepticement Tiffany & co., puis l’ouvrit devant moi, dévoilant un anneau en or serti de minuscules diamants. Cette fois, il me prit la main et me la passa au doigt. Il s’apprêtait à mettre la sienne, mais je stoppai son mouvement. Il me regarda, surpris, alors que je tenais toujours sa main.

— C’est à moi de te la mettre, murmurai-je en glissant mes doigts sur les siens.

Je la lui enfilai lentement, sans le quitter du regard. Il me fixa en silence pendant tout le temps, la bouche légèrement ouverte... puis détourna les yeux, une légère couleur rouge sur les pommettes. J’étais presque sûre qu’il avait pensé à la même chose que moi.

— J’ai envie de t’embrasser, lui chuchotai-je alors que les officiants préparaient les offrandes pour les dieux.

— Moi aussi, souffla-t-il en gardant le regard droit sur l’autel.

Malheureusement, le baiser était proscrit. Se rouler un patin ici aurait été équivalent à forniquer devant toute l’assemblée. Il allait falloir célébrer ça autrement.

Je posai ma main sur sa cuisse, discrètement. La musique mystérieuse des rites shintô commença à s’élever, et tout le monde avait baissé la tête à nouveau. J’en profitai pour glisser ma main plus loin. Mes doigts finirent par trouver quelque chose de dur sous le tissu de son hakama. Il bandait... je saisis son sexe à travers le coton et le serrai fort. Il retint un grognement, qui resta prisonnier dans le fond de sa gorge.

— Arrête, murmura-t-il rapidement. Tu vas offenser les dieux...

Le coin de sa bouche était relevé, prouvant que le blasphème était loin de le déranger.

— Les dieux japonais aiment le sexe, objectai-je, ils ont dansé tout nus devant Amaterasu pour la forcer à sortir de sa grotte et ils apprécient les offrandes de phallus en bois.

— Deux cents personnes ont les yeux posés sur nous, tenta Hide.

Je continuai à effectuer des mouvements de va-et-vient sur sa bite.

— Oui ? Mais ça pimente le truc, pas vrai ?

J’accentuai ma prise sur sa queue. Il finit par étouffer un gémissement, toujours sans bouger. Je l’admirai.

— Belle maîtrise de soi, le tançai-je en chuchotant.

Hide me coula un regard du coin des paupières. Je savais qu’il avait giclé dans son fundoshi.

O naoshi !

Le prêtre nous autorisait à relever la tête. D’un geste, il nous invita à nous mettre debout, puis à saluer trois fois. La cérémonie religieuse était terminée.

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