Chapitre 9 - Une voleuse, un chasseur

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Oleg enfonça les mains dans son caban. Les gouttes de pluie perlaient sur le manteau avant de glisser dans une chute vertigineuse vers le sol. Il était soucieux. Laisser sa sœur se débrouiller seul lui pesait. Elle ne savait pas s’occuper d’elle-même et encore moins d’une autre personne. Ou alors avait-elle grandi depuis leur rencontre et elle n’avait plus besoin de personne pour lui traduire la vie ? Il poussa la porte arrière de son restaurant et se rendit à son bureau. Elle allait sur une ile déserte après tout, rien ne risquait d’arriver. Et puis Hannah avait une bonne humeur contagieuse, Rose était entre de bonnes mains.

Lily entra à son tour, coupant court à ses préoccupations. Elle lui lança un regard inquisiteur en s’approchant du bureau.

— Oh rien de bien important. Je fais mon grand frère grincheux qui ne digère pas de laisser Rose voler de ses propres ailes.

Elle attrapa son visage et le serra contre son ventre. Oleg se laissa câliner avec plaisir. Les doigts de Lily jouant avec ses cheveux courts lui chatouillaient la nuque. Toujours assis, il laissa ses bras pendre entre ses jambes et s’appuya contre le petit corps silencieux à l’oreille attentive.

— Tu sais quoi ? Je crois que je ne suis plus tout seul à être sa raison de vivre, continua-t-il chagriné. Cette fille a des pouvoirs magiques ! À chaque fois que ses yeux se posent sur elle, ma sœur se transforme. J’ai l’impression de retrouver la Rose guillerette de notre salon de thé londonien lorsqu’elle a retrouvé Elisabeth pour la première fois depuis sa mort. C’est le jour et la nuit.

Lily continuait de masser doucement son crâne comme elle aurait dorloté un enfant.

— C’est bête, mais je suis vexé qu’elle ait réussi et pas moi. 84 ans que je me coltine son humeur aussi aiguisée qu’un couteau de cuisine. 84 ans de polissage et c’est elle qui récolte mon travail… C’est injuste !

Lily lui frappa l’arrière de la tête.

— Oui tu as raison, c’est égoïste comme façon de penser. Et puis Hannah n’y peut rien. Aah, l’amour d’un frère n’est pas celui d’une compagne. Oui parce que Rose va mettre un siècle à bouger un croc, mais c’est évident qu’elle en pince pour cette petite rouquine !

Il leva les yeux vers Lily qui secouait ses épaules dans un rire silencieux. Elle était plus petite encore qu’Hannah. Malgré sa trentaine, elle avait l’allure d’une adolescente. Elle se pencha vers lui pour déposer une bise sur ses lèvres. Il l’attrapa sur ses genoux et posa sa tête contre sa poitrine. Lily était comme un oiseau insaisissable. Jamais il n’aurait d’elle plus qu’un baiser furtif, mais le réconfort qu’elle lui apportait dans ces rares moments valait toute la frustration du monde.

Il resta blotti contre elle de longues minutes avant qu’elle ne doive retourner en salle. Il rattrapa ses doigts avant qu’elle parte.

— Je dois m’absenter un moment pour une affaire d’objet volé. Veille sur l’équipe. Fais attention qu’Imhad ne sale pas trop, qu’Alesso ne s’endorme pas sur la bouteille d’huile et empêche Conrad de boire le vin des sauces.

Elle lui fit un clin d’œil et s’éclipsa comme si de rien n’était.

De nouveau seul il se laissa retomber dans son fauteuil. Il pouvait dire ce qu’il voulait, il était tout de même ravi de ne pas retourner sur ce caillou inhospitalier et sauvage. Il frappa l’accoudoir pour se donner du courage et se hissa sur ses deux pieds. Quelle aventure l’attendait au détour du bibelot disparu ? Il décrocha son caban et prit la route vers le sud de la France, droit vers le domaine d’Elias.

En arrivant devant le portail à barreaux de fer forgé, Oleg crut débarquer devant une antique villa grecque. Un beau jardin hérissé d’oliviers s’étendait jusqu’à la clôture. La bâtisse plutôt basse se dressait en son centre, les murs blancs rehaussés de tuiles rouges. En passant l’entrée, il se retrouva dans une majestueuse cour intérieure. Elle était cerclée de colonnades de marbre, formant un chemin abrité, et au centre, ruisselait une fontaine dans laquelle jouaient les étoiles.

— Ah ! te voilà enfin, jeune chenapan ! l’interpela Elias apparaissant sur la coursive.

Oleg s’attendait à le voir débarquer en toge blanche à la manière d’un philosophe grec, mais il n’en était rien. Le vieillard était engoncé dans une robe de chambre aussi vieille que lui, les pieds glissés dans des pantoufles miteuses.

— Alors, grand-père, explique-moi ce qu’il s’est passé ?

— Suis-moi ! Il faut descendre.

L’intérieur de la bâtisse était étonnement moderne. Une décoration épurée, des tons noirs, blanc et bois. Elias le conduisit dans la bibliothèque où il actionna un chandelier, et tout un pan de livre bascula, s’ouvrant sur un escalier dérobé. Oleg leva les yeux aux ciels, c’était d’un classique… Les deux vampires s’engouffrèrent dans les ténèbres. Après une trentaine de marches, ils débouchèrent sur une petite pièce circulaire faiblement éclairée où Oleg nota immédiatement l’étrange parfum qui y flottait.

— L’odeur de cumin est habituelle ? demanda-t-il.

— Non ! Je la sens depuis le vol.

Oleg rangea ce premier détail dans un tiroir de son esprit. Il observa Elias déverrouiller la porte en verre « sécurit » fermée par plusieurs systèmes biométriques.

— Aucun de ces verrous n’a été piraté ?

— Non et c’est ce que je trouve le plus étrange. J’ai fait appel à l’ingénieur qui me les a posés, et il n’a rien trouvé.

Deuxième détail.

— Comme tu le sais mon garçon, commença Elias en entrant dans la pièce, je suis un amoureux des antiquités ! Je garde ici les pièces les plus rares de ma collection et celles qui ont le plus de valeur à mes yeux. J’ai acquis aux enchères, il y a plusieurs mois de ça, une pièce tout à fait particulière. Il s’agissait d’une médaille d’argent pur datant, je pense, de plusieurs siècles, voir millénaires et très certainement d’origine scandinave. Cette médaille, vois-tu, était à mon avis une clé. J’étais sur le point de partir en voyage pour la Laponie quand ce maudit voleur a brouillé mes plans !

— Et qu’est ce qu’elle ouvre cette clé ?

— Je ne suis pas bien sûr, mais des armoiries étaient gravées dessus que j’ai retrouvées sur plusieurs temples finlandais. Je ne sais pas si elle ouvre un coffre, une salle, un cercueil…

— Donc tu n’as pas la moindre idée des raisons pour lesquelles on aurait voulu voler cette clé.

— Pas la moindre.

— Et si je te dis que c’est une Mageresse qui t’a volé, est-ce que ça t’évoque quelque chose ?

— Une Mageresse ? Comment arrives-tu à cette conclusion ?

— L’odeur de cumin est tout à fait caractéristique d’un enchantement d’invisibilité. Mis à part les verrous biométriques, de quoi se compose le système de sécurité ?

— Caméras thermiques et caméras à détecteur de mouvements. Le tout centralisé sur des écrans installés à l’étage. Un système de laser également. À la moindre intrusion, une sonnerie se déclenche.

— Le système n’a pas été désactivé ?

– Non. L’objet a simplement disparu sur les caméras. Je suis descendu en vitesse voir ce qu’il se tramait.

— Tu as désactivé l’alarme ?

— Oui, sinon je l’aurai déclenché moi-même.

— Et bien, la voleuse en a profité pour dérober la médaille. Lorsque tu es descendu, l’objet était toujours présent, mais invisible à ta vue, tout comme l’Enchanteresse.

Elias le regarda bouche bée.

— Donc elle m’a poussé à désactiver l’alarme et subtiliser la médaille sous mon nez ?

— C’est le plus probable oui.

— Quel idiot ! Mais comment ne l’ai-je pas senti ?

— Oh tu l’as senti, je parie que l’odeur de cumin devait être assez marquée. Cependant, faut-il encore savoir que tu avais affaire à un enchantement d’invisibilité.

— Par Hadès ! jura Elias contre lui-même.

Ils remontèrent à la surface et Elias ferma soigneusement la porte dérobée derrière eux.

— Comment sais-tu tout ça sur les Mageresses gamin ?

— J’ai été marié à une enchanteresse.

— Tu es plein de ressources, fiston ! Tu es sûr de ce que tu avances ?

— Certains.

— Peux-tu retrouver cette maudite Mageresse ?

— J’y mettrais les moyens qu’il faudra, mais je la retrouverais.

Elias se laissa tomber dans un fauteuil qui tendait ses bras confortables. Un feu rongeait bruyamment quelques buches, creusant des rides d’ombres sur le visage du vampire. Cette histoire le tourmentait beaucoup. Il s’était fait une joie de préparer ce voyage vers le désert enneigé du cercle polaire. Ce périple avait pour but de le ressourcer un peu. Les années s’étirant devant lui le figeaient dans la vieillesse un peu plus chaque jour.

— Comment vas-tu t’y prendre ? soupira-t-il

— Je ne sais pas encore. Qui est au courant de cette salle secrète ?

— Quelques amis à moi. De grands amateurs d’arts et de vieilleries, comme moi.

— Est-ce que quelqu’un d’autre que toi peut y avoir accès ?

— Bien sûr que non !

— Et dans tes amis, y en a-t-il de particulièrement bavards ? Un qui aurait un peu trop parlé de cette médaille ?

— Il y aurait bien Aksel Yorkensen, toujours la langue bien pendue celui-là ! Il est encore plus passionné que moi par les vieux objets. Il fait beaucoup de salons d’antiquités. C’est lui qui me contacte lorsqu’il pense qu’une pièce pourrait m’intéresser.

— Où est-ce que je peux le trouver, grand-père ?

— Très certainement au salon de l’antiquité de Strasbourg. J’ai vu quelques objets qui pourraient l’y attirer.

— Bien, partons dès maintenant alors !

— Tu veux que je vienne avec toi ?

— Évidement, comment veux-tu que je le reconnaisse, ce n’est pas comme si tu pouvais me montrer une photo de lui !

– Certes. Je n’y pensais plus… Laisse-moi le temps de me préparer !

Le vieux vampire s’empressa de se changer et lorsqu’il revint, il était affublé d’un trench trop grand et d’un ridicule chapeau d’inspecteur. Heureusement qu’Oleg ne s’habillait pas comme ça, sous prétexte qu’il était détective privé. Il regarda Elias s’emberlificoter dans une écharpe, pendant que lui-même enfilait son élégant par-dessus et une étole de soie.

Comme prévu, ils trouvèrent Aksel Yorkensen flânant entre les étalages du salon. Il dévorait des yeux tous ces objets plus anciens les uns que les autres. Il fut ravi de revoir son ami Elias et tous trois quittèrent le salon pour s’installer aux tables hautes du « Café Bretelles » non loin de là. Ils commandèrent trois cafés qui refroidirent sans qu’ils y touchent. Oleg lui exposa les faits et le vieil amateur n’en fut pas étonné. Ces derniers temps, en parcourant les différents salons et ventes aux enchères, il avait déjà eu vent de plusieurs propriétaires qui se plaignaient de la disparition inexpliquée de médailles semblables. Oleg chercha à savoir s’il avait remarqué un visage récurants aux différentes manifestations.

— Oh tu sais jeune homme, ce sont toujours les mêmes visages que je croise. Des vieux bougres comme Elias et moi.

— Et récemment ? N’y a-t-il pas quelqu’un qui vous a marqué, questionné plus que les autres ? Qui semblait dénoter ? Quelqu’un de plus jeune, peu-être ?

Aksel Yorkensen réfléchit un moment. Il essaya de se remémorer de tous les visages qu’il avait croisé ces derniers mois. Aucun ne correspondait à la description.

— Une personne liée à une odeur de cumin ? avança Elias.

Ce détail fit écho tout de suite. Une étrange jeune fille lui revint en mémoire. Il l’avait bien croisé à plusieurs reprises à des enchères ou des colloques. Il ne lui avait jamais adressé la parole. Elle dégageait quelque chose d’étrange.

— Maintenant que tu fais allusion au cumin, ça me rappelle une femme d’une trentaine d’années. Elle était très discrète et ne faisait qu’observer. Personne ne l’avait jamais vue auparavant, je me souviens, on en avait discuté avec deux autres vendeurs. Elle ne semblait pas être une connaisseuse.

Bingo ! Oleg avait une piste. Elle était infime et mènerait certainement nulle part, mais il n’avait que ça. La description qu’Aksel en fit indiquait une origine latine, ce qui était assez vague… Au moins, il avait une première idée de ce à quoi pouvait ressembler sa voleuse enchantée. Cela dit, rien ne prouvait qu’elle ne modifiait pas son apparence. Finalement, il n’était pas plus avancé. Quelle poisse que de devoir retrouver une enchanteresse !

Il remercia Aksel pour ce peu d’informations et abandonna les deux vampires lancés dans une conversation apparemment passionnante sur quelques objets rares.

Dehors, Oleg ajusta ses gants et remonta son col. Le froid était nettement plus rude qu’en Bretagne et ses habitudes russes étaient loin derrière lui. Il était beaucoup moins sûr de lui que ce qu’il avait laissé entendre à Elias en partant. Il savait qu’il cherchait une Mageresse, mais ça s’arrêtait là. C’était comme chercher une goutte de sang sur un pull rouge. Il n’avait pas vraiment d’autres choix que de demander de l’aide au Coven des Mageresses — équivalent de la confrérie vampire. Ce qui serait difficile à obtenir. Les deux espèces n’étaient pas en mauvais termes, mais elles s’évitaient soigneusement. La raison exacte de cette animosité polie échappait à Oleg, elle remontait à bien avant sa naissance. Il se fraya un chemin dans l’épaisse couche de neige qui recouvrait les rues de Strasbourg. Il réfléchissait. L’Académie et Le Coven étaient tous deux basés au Groenland, loin des regards indiscrets. Il savait que les Mageresses utilisaient des sortes de portes magiques pour s’y rendre, mais lui n’avait pas la moindre idée de la localisation de la porte la plus proche. Oleg ne jetait pas l’éponge pour autant. Il connaissait quelques bars d’Anhumains en France et en usant de charmes et de jolis mots, il arriverait très certainement à tirer d’une Mageresse éméchée, les informations dont il avait besoin.

Retour à des températures hivernal plus supportable. Oleg freina sa course dans les rues de Montpelier où se trouvait l’un de ces bars. La nuit touchait déjà à sa fin et il se dépêcha de trouver de quoi se loger pour la journée en fouinant sur l’application « Prête Ton Cercueil ».

Il avait soigneusement choisi son hôte qui était un des employés du bar auquel il voulait aller. Sur le chemin pour s’y rendre, il lui posa des questions.

— Il y a quelques Mageresses parmi la clientèle.

— Carrément mec ! Y a de tout chez nous ! Même des lycans. C’est pas pour rien que l’patron l’a nommé « Terrain Neutre ».

— Et est-ce que tu sais s’il y a une porte pas loin ?

— Une porte ? Qu’est-ce que tu’m racontes ?

— Une porte de transfert pour les Mageresse…

Le jeune vampire le regardait avec des yeux ronds.

— Oublie ça, peu importe…

Oleg prit quelques shooteurs de Plasma-pomme en attendant que le bar s’anime. Il guettait la proie idéale, celle qui lui ouvrirait la porte. Trouvée ! Il vida son vers d’un coup sec, frissonna de plaisir et se mit en mouvement. Il marcha posément vers la jeune fille qui lui faisait des œillades depuis quelques minutes.

— Salut ! Je peux me joindre à toi ? Ou tu attends de la compagnie peut-être ?

— J’attends une copine oui, mais reste, je t’en prie. On n’est jamais trop pour passer une bonne soirée.

Elle lui fit un clin d’œil et Oleg sut qu’il avait tiré le gros lot. Peu importe l’issue de la discussion, il finirait la soirée en bonne compagnie.

— vampire ?

— Qu’est-ce qui m’a trahi ?

– Ta démarche. Il n’y a que vous pour vous déplacer exagérément lentement !

— Quel sens de l’observation ! Mais après tout, c’est normal chez une guérisseuse qui peut reconnaitre les plantes au premier coup d’œil.

La jeune fille cligna des yeux, amusée.

— Tu m’as eu. Comment l’as-tu su ?

— L’odeur de millepertuis et d’eucalyptus que tu dégages.

— Haha, impossible de tromper votre nez ! Tu es étonnant comme vampire. Vous n’êtes pas réputés pour vous intéresser à la communauté magique.

— Je suis Apanthropologue.

— À tes souhaits !

— Anthropologue pour Anhumains si tu préfères. Je m’intéresse aux différentes sociétés Anhumaines, j’étudie leurs mœurs. J’ai dernièrement terminé mon livre sur le lycanthrope.

— Tiens donc ? De plus en plus étonnant. Alors tu n’as pas les lycans en horreur ? Je pensais qu’il n’y avait que le patron du bar à être comme ça.

— Oh, tu peux toujours le penser, je ne fais pas une grande différence dans la balance. Quoi qu’il en soit, je ne me repose pas sur mes lauriers et je me suis mis sans attendre à l’écriture de mon second livre !

— Les Mageresses.

— Perspicace !

— Moi c’est Naisha

— Élliot.

Ils échangèrent une poignée de main tout juste plus longue que nécessaire. La fille avait mordu à l’hameçon. Elle le croyait. Elle se sentit même l’obligation de lui expliquer dans les moindres détails le monde magique. Oleg ne l’arrêta pas lorsqu’elle lui répéta ce qu’il savait déjà. Il ne voulait pas la brusquer et son léger accent indien jouait une agréable mélodie. Elle lui détailla les cinq sortes de Mageresses. Il y avait tout d’abord les Sorcières, les plus puissantes et les plus rares. La plus grande d’entre tous fut Sœur Supérieure Shali, il y a cinq-mille ans. Toute Mageresse quelle qu’elle soit rêverait d’en devenir une. Le sort était l’aboutissement ultime de la magie, la capacité de créer ou de détruire, sans aucune limite. À part peut-être l’imagination.

— Comme nous sommes toutes faites de la même magie, il existe quelques Mageresses, autres que Sorcières, capables de réaliser un sortilège, mais elles sont très rares ! Je n’ai rencontré qu’une seule fois une guérisseuse capable d’exécuter un sortilège d’inflammation et elle avait mis toute sa vie à le maitriser.

— Incroyable, répondit Oleg amusé de son enthousiasme.

Le voyant absorbé par ses explications, elle reprit de plus belle. Les sorcières étaient à ce jour 67 précisément. Pas une de plus. Ensuite venaient les Invocatrices. Contrairement au reste des Mageresses qui puisaient leur énergie dans la nature, elles, puisaient leur énergie chez un être vivant — ou mort — ce qui leur permettait de l’invoquer ou de le contrôler. Leur magie était très codifiée par les lois du Coven, bien plus que les autres, car nombre d’entre elles s’étaient tournées vers l’invocation nécromancienne…. Heureusement, les Invocatrices étaient à peine plus de 500 dans le monde. Ce qui réduisait les risques de mauvaise utilisation de leur don.

La jeune fille passa rapidement sur les Devineresses qui n’avaient pas grand-chose d’intéressant. Elles étaient les plus laxistes et les moins assidues. Leur magie était très aléatoire. Évidemment, elle s’étala largement sur les Guérisseuses.

— Sans vouloir me vanter, nous sommes les meilleurs.

— Tu as dit tout à l’heure que c’était les sorcières ?

— Les sorcières sont puissantes, mais elles mélangent assez mal leur magie à l’énergie puisée dans la nature. Alors que nous, c’est justement notre capacité à savoir faire un équilibre parfait entre les deux énergies qui fait de nous des guérisseuses. La magie c’est de la cuisine.

Oleg leva un sourcil intéressé.

— Si tu veux réaliser une bonne recette, il te faut de bons ingrédients. Ça, n’importe quel amateur endimanché qui s’y intéresse sait le faire, nous avons les sorcières. Les devineresses sont un peu des étudiantes qui ne savent faire que des pâtes ! Mais pour qu’un plat passe de très bon à excellent, il faut, et de bons ingrédients, et une parfaite maitrise des quantités ou des cuissons pour pouvoir reproduire la recette. Les chefs étoilés. Nous avons les guérisseuses.

— Je vois… et les Enchanteresses ? demanda Oleg pour la ramener vers ce qui l’intéressait plus, bien que son analogie ne manquait pas de justesse.

— Elles te font croire que réchauffer une barquette industrielle c’est de la grande cuisine ! Difficile de déceler le vrai du faux avec elles, même pour nous. Elles sont les plus nombreuses, car l’enchantement est à la portée de tout le monde. C’est un peu comme la première marche à gravir pour atteindre les quatre autres formes de Magie.

— Donc vous apprenez à vous servir de votre magie ?

— Évidement ! Dès lors que nous sommes investies, nous faisons toute notre scolarité à l’académie. Il y a même la possibilité de passer des Masters ou des Doctorats de magie pour les meilleures d’entre nous.

— Il n’y a qu’une seule académie ? Comment vous y rendez-vous si vous êtes éparpillées à travers le monde ?

La jeune fille eut un sourire malicieux et secoua ses boucles noires. Elle sortit de son décolleté une vieille clé rouillée en cuivre. Elle lui expliqua que l’académie se trouvait derrière n’importe quelle porte pour peu qu’on sache l’ouvrir correctement.

Oleg se laissa tomber contre son dossier feignant l’émerveillement. En réalité, il était dépité. Comment allait-il se rendre à l’Académie avec un tel système de sécurité ? Il n’avait plus envie de s’amuser, il avait perdu son temps.

— Mais les étrangers peuvent tout de même y accéder… ajouta-t-elle en plissant un peu plus ses yeux noirs.

Oleg fit mine de s’y intéresser vivement, lui faisant croire qu’elle le menait à la baguette.

— Comment ? s’exclama-t-il.

— Accompagnés…

— M’y emmènerais-tu ?

Elle se leva, ondula des hanches vers lui et approcha sa bouche tout près de son oreille.

— Peut-être…

Un frisson électrisa la nuque d’Oleg. Finalement, il avait très envie de s’amuser. Ses canines palpitaient, et cette jolie jeune fille lui lançait une invitation qu’il n’aurait su refuser. Il se leva et se retrouva entrainé à travers les rues de Montpellier. Avant de sortir, le barman lui lança un clin d’œil entendu.

Faire l’amour avec une Guérisseuse, capable de se régénérer, était comme se demander qui du lion ou de la lionne terminerait la course en premier. Elle fut épuisée avant lui et s’assoupit peu de temps avant l’aube.

Il se leva, laissant son corps endormit sous les draps en bataille et se dirigea vers la cuisine. Elle habitait un loft agréable aménagé dans une ancienne usine. Les briques rouges étaient encore apparentes et de grandes fenêtres laissaient voir la ville sommeiller.

Il ouvrit quelques placards en se frottant le menton. Il avait envie de cuisiner quelque chose. Il abattait sa dernière carte. Son atout. Seulement, ce ne serait pas chose aisée. Oleg ne savait pas de quoi elle se nourrissait, mais il trouvait plus d’aromates et d’épices que d’ingrédients comestibles ! Il dénicha tout de même du beurre quelques œufs et de la farine. Il mit en route une préparation de génoise et se lança dans la réalisation d’une confiture d’orange.

— Que fais-tu ?

La jeune fille regardait Oleg, dont elle ne voyait que le grand dos blanc duquel deux longs bras jouaient avec ses ustensiles.

– Le petit déjeuner.

Elle se leva intriguée et l’observa finir de trancher un rouleau de génoise bien dorée.

— Et voilà ! Roulé à l’orange !

— Pour moi… ?

Elle était décontenancée. Elle ne s’attendait tout simplement pas à ce qu’il soit encore là à son réveil. Aucun garçon ne restait jamais. Et puis… Un vampire qui cuisine ? Quelle ironie !

La première bouchée fut une explosion de saveur. Bien sûr elle y était particulièrement sensible, mais elle savait que la qualité du cuisinier y était pour beaucoup.

— Tu y as mis du gingembre ?

— Oui, j’ai supposé qu’étant très utilisé dans la cuisine indienne, tu saurais l’apprécier dans ma confiture.

— C’est toi qui as fait la confiture ?

Il hocha la tête distraitement.

— Quelle attention… Merci !

La jeune fille rougit. Son assurance avait chuté avec son alcoolémie. Oleg comprit tout de suite ce qui se tramait derrière ces joues timides. Le réveil était toujours le moment le plus délicat à négocier lorsqu’il terminait la nuit chez une jeune fille. Très souvent gênées, elles ne savaient plus quoi dire. Il se rhabilla l’air de rien et continua la conversation pour la distraire.

— J’ai trouvé amusante ta comparaison à la cuisine hier soir, car je suis moi-même un chef étoilé. Je tiens un restaurant à Rennes, « Cuisine des Mondes ». Tu serais la personne idéale pour expliquer à mon saucier la magie des plantes.

Sa manoeuvre eut l’effet escompté. Le jeu de mots la détendit et Naisha reprit de la pâtisserie.

— Ce n’est pas terrible de ne pas pouvoir gouter tes plats ?

Oleg fit une grimace, elle venait de souligner le drame de sa vie.

— Je cuisine à l’odeur…

— Mais comment peux-tu être sûr du gout ? Parfois, des choses très mauvaises sentent très bon et vice versa.

— Je pense que tu seras d’accord pour dire que la précision d’une recette fait sa réussite.

Oleg, faisant référence à sa métaphore, envoya un coup de menton vers les différentes balances et verres doseurs qui s’entassaient dans un coin. Elle rit et acquiesça. En effet, même avec toute la magie du monde, avec de mauvais dosages, elle ferait une mauvaise potion !

Oleg était impatient de la relancer sur le sujet des portes, mais il fallait qu’il la laisse venir d’elle-même, auquel cas il risquait d’essuyer un refus catégorique.

— Mais si tu es cuisinier, où trouves-tu le temps d’écrire tes livres ?

— Les nuits sont longues en hiver… Je m’y attèle dès la fermeture du restaurant.

— Ah, c’est vrai qu’il faut bien occuper la fin de la nuit. Il n’y a pas grand monde avec qui discuter, j’imagine. J’ai hâte de lire ton livre sur les lycans. C’est vrai qu’à part ceux du « Territoire Neutre », je ne les connais pas ! Où peut-on le trouver ?

Oleg se mordit la lèvre. Son mensonge prenait une tournure qu’il aurait voulu éviter. Il ne voyait pas comment retourner la conversation à son avantage.

— Je n’ai pas encore trouvé d’éditeur…

— Ha ha ! C’est vrai que ce n’est pas un vampire qui voudra publier ça ! Et les lycans ne son pas les premiers à bosser dans le domaine des livres… Tu auras peut-être plus de chance avec les Mageresses, le meilleur moyen d’en trouver une c’est d’aller dans une vieille librairie. Mais j’y pense…

Elle se leva et fit danser ses hanches jusqu’à lui.

— Je t’ai promis quelque chose hier…

Elle agita sous son nez la vieille clé rouillée. D’où sortait-elle ? La jeune fille ne portait qu’un fin peignoir.

Elle ne lui avait rien promis, mais il s’abstint de le lui souligner.

— Retourne-toi le temps que je m’habille. Et pour t’ôter l’envie de te regarder, rappelle-toi que j’empoisonne aussi bien que je guéris.

— Et tu guéris bien ?

— Très bien.

— D’accord !

Oleg se retourna promptement très amusé par cette fausse menace. La pudeur et l’alcool étaient les deux pôles d’un aimant, l’un repoussait farouchement l’autre.

— Allons-y !

— Attends !

Oleg avait oublié un détail de taille.

— Le lever du jour…

— Ne t’en fais pas pour ça, l’Académie se trouve en plein milieu du Groenland, perdu dans la nuit semestrielle de l’hiver polaire.

Oleg ne prit pas le temps de lui expliquer qu’il devrait quand même dormir un moment ou à un autre et s’empressa de la suivre avant qu’elle ne change d’avis. Il espérait qu’elle ne se mette pas en tête de lui faire visiter toute l’académie.

Elle glissa la clé dans la porte de son appartement, attendit un déclic sourd et l’ouvrit en grand. Un vent glacial s’engouffra, leur gelant les sourcils. La jeune fille le poussa en avant et referma derrière eux. Si Oleg avait voulu faire demi-tour, il était trop tard. La porte avait disparu et il se retrouvait seul avec la jeune fille au milieu d’un pont de pierre noire large comme lui, ne voyant pas à un mètre devant.

— Tout droit ! hurla la jeune fille par-dessus le blizzard.

Il regretta de ne pas avoir de vêtements plus chaud et se mit en route, s’arcboutant contre le vent.

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