Chapitre 8

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Maman hurlait, papa ronchonnait. Jeremiah était monté dans sa chambre et déployait toute sa créativité à la construction d’un scénario impliquant deux power rangers et catwoman. Ses petites histoires parlaient d’amour, de méchant et de gentils. Il les articulait à sa guise et parvenait toujours à faire gagner le gentil d’un deus ex machina précipité. Satisfait de son épopée, il s’attarda sur l’épilogue et couvrit les héros de louanges. Il eut soudainement envie de s’attaquer à de plus grandes ambitions : refaire le monde. Sa chambre donnait sur un long couloir qu’il avait à arpenter avant de tomber sur des escaliers en colimaçon. L’escalier nous plongeait au rez-de-chaussée, entre la cuisine et le salon. Il alla jusqu’au canapé pour subtiliser la tablette et remarqua que la maison était vide de vie et sans bruits. Un pas, deux pas, discrètement, il avança jusqu’à la fenêtre pour observer son père entrain de gesticuler et faire vibrer sa bedaine pour attirer l’attention d’une voiture de police. Sa mère se tenait à la porte et semblait étreindre le poteau pour se réconforter. Un des sourcils de l’enfant s’arqua puis il pencha ses lèvres en une moue dépitée. Il comprit.

Tel une fusée, Jeremiah prit les jambes à son cou et s’époumona comme si sa vie en dépendait. Il sortit par la baie vitrée donnant sur la terrasse et entreprit de traverser les bois pour retrouver son vieillard et la confiance qui lui inspirait. Il se dissimula derrière la grande cime d’un arbre en apercevant deux silhouettes vagabonder entre les pins, deux policiers. Il y en avait un plus grand que l’autre, moustachu, qui semblait être déterminé tandis que l’autre derrière, plus trapu, se traînait lentement. Les deux se dirigeaient vers ce vieillard illusoire, ce vieil homme décharné qui lui avait souri. Les arbres lui servirent de couverture, le soleil entama sa douce descente et donna aux nuages cette teinte d’un rose chaleureux et nostalgique. Les mâchoires carrées, il n’eut pas beaucoup de temps pour agir et la seule chose qui lui tomba sous la main fût une paire de cailloux. Il se décida à les écarter du chemin en les lançant de l’autre côté, il chercha à heurter les arbres, les rochers, tout ce qui aurait pu produire un bruit suffisant pour les alerter. L’enfant ricana brièvement, heureux de se mettre sur la route des méchants. Il fit attention à faire un large détour pour ne pas tomber sur les policiers et entreprit de rejoindre l’ancienne maison des Soulain. Son ventre se contracta à la pensée de sa mère qu’il abandonnait. Il se réconforta en pensant qu’un homme ne devient héros qu’en faisant des sacrifices. Alors qu’il approchait de sa destination, il cessa net pour balancer son regard en arrière. Le doute qui lui pesait sur les épaules fut bref. D’une grande inspiration, il quitta la pénombre des bois pour remarquer malgré le soleil descendant, la polo qui devançait la maisonnée.

La petite lucarne qui côtoyait la porte était illuminée par une lumière fébrile. Une ombre glissait parmi les rayons lumineux et projetait son obscurité sur la vitre. Jeremiah comprit, réalisa qu’il était seul, hors de chez lui, dans le noir. Il prit peur, songea aux créatures qui profitaient de la noirceur du paysage. Un son le secoua et le poussa à se ruer sur la porte à toute vitesse, échappant à une armée de monstruosités cannibales qui le poursuivait. En déboulant dans la salle, il fut accueilli par deux paires d’yeux surpris. Gidéon était debout et Théovald enfoncé dans son fauteuil. Une fois la stupeur évanouie et malgré les protestations du médecin, le vieillard décida d’écouter l’enfant et prit le peu d’affaires qu’il avait pour sortir et se diriger vers la voiture.

Le médecin se retrouva seul dans la bâtisse, il chercha à effacer le plus de preuves possibles de sa présence et de celle de Théovald. Le lit ne pouvait pas être déplacé. Satané gamin. Satané flics. Il agrippa sa besace et le dossier médical avant de s’extirper hors de la salle. Il se retrouva pétrifié devant la porte d’entrée, assaillit de questions. Il déposa le dossier dans l’entrée pour observer une dernière fois l’intérieur. Ainsi, il découvrit la lettre perdue de l’épouse du vieillard. Soulagé, il s’empressa de sortir. Le gamin disait-il la vérité ? N’était-il pas entrain de concrétiser un surplus d’imagination ? Il était le seul à avoir vu l’oisif, aurait-il lui-même averti la police pour fomenter sa propre rébellion ?

Il aperçut la vieille silhouette ascétique aux côtés d’une petite ombre, les deux formes cherchant à pénétrer la voiture en tirant frénétiquement sur les poignées. D’un geste hâtif et mal assuré, Gidéon farfouilla sa besace d’une main pour trouver ses clés et ouvrir la voiture d’un déclic électronique. La lueur orange des clignotants lui brûla la rétine et lui arracha une grimace. Il ne savait pas vraiment où ils allaient trouver refuge, chez sa femme ? L’horaire jouait en leur faveur, il faisait nuit et il serait plus simple de faire passer un vieillard en pleine ville à cette heure-ci. Comment allait-elle réagir ? Lorsqu’il vit l’enfant entrer dans sa voiture, il s’apprêta à lui faire comprendre qu’il n’était pas le bienvenu mais un bruit attira son attention. Ses lèvres se contractèrent et leur commissure s’éleva dans le creux de ses joues, il scruta les bois de ses prunelles azurées. Une boule de terreur se forma dans son abdomen lorsqu’il vit un homme à la moustache luisante sous la lune, blotti contre un pin en attendant de reprendre son souffle. La proie et son gibier, les deux acteurs d’un terrible mécanisme, d’une opposition quasi-naturelle, se dévisagèrent un moment. Le vent souffla un buisson derrière le policer observateur, il amena un second personnage, un second chasseur. Gidéon ouvrit la portière avant de sa voiture pour y bondir et allumer le moteur. Cinquante mètres les séparaient et donnait au médecin un léger sentiment de confiance. Il prit le temps d’embrayer pour ne pas caller et parvint à ne pas céder à la panique. Les protestations de ses deux passagers devinrent des bruits nuisant et atténués, comme prononcées dans le lointain, à peine portés par le vent. Le rétroviseur reflétait un personnage entrain d’hurler dans une radio. L’autre, était sûrement dans l’angle mort ou simplement dissimulé par les ténèbres. Ce fut en passant la deuxième que le docteur se surprit à un soupir de soulagement. La mécanique et ses rouages lui étaient apaisants. Embrayer, tirer le levier, débrayer. Comme la cigarette, il s’agissait d’actions automatiques qui catalysaient son attention. Il fit vriller le komodo pour allumer ses phares et s’engagea sur le sentier lorsqu’un bruit strident le fit sursauter. Un coup de feu, du verre brisé. Le silence était anormal. Son cœur pulsait si vite qu’il avait peur de regarder derrière. Il négocia un virage et prit soin d’être en ligne droite pour constater des dégâts. Il découvrit les deux passagers, béats, zieutant une sorte de seringue miniature enfoncée sur la droite de son repose-tête. La gorge nouée, il reporta son attention sur la route sinueuse. Le médecin resta silencieux tout le long du trajet.

Oisif et enfant restèrent éveillés. La voiture suintait d’une odeur de tabac froid, senteur imposante qui aimait démontrer sa présence. La curiosité de Jeremiah était palpable : il analysait le faciès de Théovald sans se dissimuler, comme un historien qui découvrait le dernier spécimen vivant d’une espère de dinosaure. Le vieillard, oisif malgré lui, tentait de déchiffrer les panneaux pour comprendre leur destination. « Cagnes sur mer » s’afficha à deux reprises, à cinq minutes d’intervalle. La torpeur s’abattit sur les trois personnages et malgré les mines débraillées et les yeux tirés vers le bas, Jeremiah avait envie de chanter, d’ouvrir les fenêtres pour grimacer au monde. Il voulait connaître les détails du périple qui les attendait, comprendre l’aventure et y apporter sa pierre. Ce long silence, il en profita pour rêvasser en essayant de deviner le paysage, de compter les poteaux et les traits des lignes. Il cracha soudainement deux questions mal articulées : « Quand est-ce qu’ooon arrive ? On va oùùùù ? ».

On lui répondit fermement de fermer les yeux et d’en profiter pour dormir, ils arriveraient bientôt en ville. Les détails vinrent deux minutes plus tard : le trio allait trouver refuge pour une journée chez la femme du chauffeur blond. Une infirmière qui connaissait le médecin et le vieillard. Jeremiah comprit simplement qu’elle habitait au Nord de Cagnes sur mer, au-dessus du complexe sportif où il allait faire de la natation étant petit.

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