Chapitre 9

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La caserne Hauvard était autrefois le centre névralgique de l’activité policière de Nice. Après l’ascension de la Pérennité, le bâtiment devint l’un des premiers à être transformés pour accueillir la section de recherche dédiée aux oisifs. L’équipement et l’informatique étaient vétustes. On y trouvait maintenant cinq détectives et une quinzaine d’officiers. Malgré les nouvelles dispositions et les pouvoirs accordés à cette section, il leur était toujours difficile d’accéder aux informations nécessaires pour leur permettre d’accomplir leur travail avec une productivité maximale. Les outils de recherche, l’indexation de la population et le registre des oisifs étaient tous défectueux. Les enquêtes étaient donc difficiles à mener et faisaient souvent appel à des recherches parmi les manuscrits et autres écrits gouvernementaux de l’époque.

Au rez-de-chaussée, on trouvait une grande salle de pause qui jouxtait les vestiaires et les casiers de chaque occupant. Les douches se trouvaient à l’arrière et entre les deux salles, on pouvait accéder à un escalier qui grimpait en haut dans les bureaux. Ici et là, on apercevait des vestiges des forces de police qui campaient les lieux par le passé. Une coursive départageait l’étage en deux parties distinctes et à son bout, on trouvait le bureau du commissaire. Un bureau vaste au parquet recouvert d’un grand tapis. Au centre de la mousse duveteuse se dressait un meuble en bois de noyé, sombre et ténébreux. Sur l’espace qu’offrait le plan de travail, on pouvait trouver de tout : des dossiers d’enquête, des gobelets ayant accueillis du café, un cendrier bondé, quelques ouvrages romanesques pour réfléchir. Ce bureau, c’était celui du détective Marneaux. Il prenait place dans son fauteuil et restait assis là des heures, des jours, des nuits. Des lunettes aux montures en écailles dévalaient son nez pour s’essayer à un équilibre précoce. Il avait la gestuelle auguste et fumait ses cigarettes avec une passion inégalée. Son visage rectangulaire était comme ses yeux, sans éclat, sans expressions. Seule sa bouche large s’arquait parfois, comme parcourue d’un spasme nerveux. C’était le signe d’une réflexion profonde, reflétant souvent un baroud déloyal au sujet de l’homme, de ses vertus, de sa nature.

Ce jour-ci, il était censé être au repos. Il était censé vagabonder dans sa demeure, s’atteler à apprendre de nouveaux morceaux d’orgue, se triturer l’esprit sur une des nombreuses énigmes qu’il aimait tant. Seulement, depuis qu’il avait fini son dernier livre, il n’arrivait plus à abandonner son travail. Il était comme le chevalier immortel des croisades. Son devoir était une tâche donnée par un pouvoir supérieur. Sa place était celle, non désirable, de châtier l’homme. Il se comparait à Samaël, l’ange déchu plus bas que terre. Son travail était plus qu’une activité rémunérée, il était la seule motivation à sa présence parmi les hommes.

Il tira un morceau de bois vers lui pour le retourner et y découvrir son nom : Ludovic Marneaux. Les lettrines gravées dans le bois étaient somptueuses. Une silhouette se dessina derrière la porte en verre. Ludovic prit la peine d’ajuster sa tenue et s’enfonça solidement dans son siège. Après deux coups, quelqu’un entra. Il s’agissait d’un homme étroit et fort, à l’uniforme légèrement débraillé et aux cheveux gominés. Le bonhomme tira sur sa moustache en inclinant la tête, l’autre main accrochée à son ceinturon. Ils discutèrent brièvement de la veille, journée pendant laquelle lui et Joseph avaient répondu à un appel concernant un oisif. Ludovic écoutait Jimmy avec attention, il le lui signalait de temps en temps d’un hochement du chef. Trois protagonistes, un oisif, une maison de campagne sur la route de la Gaude. Les détails s’illuminèrent. Polo bleue, un blond bouclé, un parebrise fracassé. Le détective ressentit promptement un pic d’excitation. Une enquête était sur le point de commencer. Il avait cessé de se demander s’il agissait pour le bien de tous, ou pour le plaisir sadique d’agir pour une justice biaisée. Il répondait aux seules lois de la morale et ne s’aventurait pas à la périphérie de sa conscience.

Avec les informations de l’officier, il prit le temps de sortir une carte papier et de venir marquer la position de la chaumière d’une grosse croix rouge. Il usa du même feutre pour inscrire les détails sur le tableau à droite de son bureau. Le moustachu se tenait toujours là à mâchouiller un cure-dent inexistant. Il ruminait en attendant qu’on lui donne une tâche, chose qui fut rapidement faite : Ludovic le manda de faire chercher la voiture aux vingt kilomètres alentour. De nouveau seul dans son bureau, il observa la carte puis ses notes. La torpeur devança la méditation. Il se mit à songer, à esquisser une personnalité, celle de l’oisif. L’enjeu était de parvenir à se mettre dans leur tête, celle d’une proie assurée de mourir, celle d’un personnage prêt à tout pour survivre. C’était cette inclinaison pour la sociologie et les comportements qui fit la renommée du détective Marneaux. Il était capable de comprendre n’importe qui. On en revient à l’exploitation métaphorique des flammes et sa caractéristique salvatrice, purificatrice.

Le détective prit la peine de pétrir sa barbe glabre avant d’ajuster ses lunettes. Il aborda les informations inscrites sur le tableau de son regard terne. Le moment était parfait pour s’adonner à une dissection de sa boîte crânienne, de ses pensées. Les personnages, les images évoluent sur une scène et les scénarios défilent jusqu’à ce qu’ils soient plus ou moins rationnels. Que ferait un oisif à la campagne ? Sans oublier qu’il s’agit d’un oisif accompagné par deux autres protagonistes. Un homme d’une quarantaine d’années et un enfant. Ce trio original ne devrait pas être difficile à retrouver. Cependant, que faisaient-ils ensemble ? Qu’est-ce qui les a liés ?

Ludovic appuya sur l’interphone pour communiquer avec l’officier informé. Il exprima son besoin d’explorer la dernière planque des suspects. L’homme lui rétorque qu’il n’y a plus aucunes informations à en tirer et qu’il ne s’agirait que d’une perte de temps. D’un timbre guttural et d’une voix tremblante, il insista fermement. Le détective arbora une esquisse de sourire qui disparut comme un mirage ; il empoigna sa redingote et l’enfila avant de se frayer un chemin dans les dédales bureaucratiques jusqu’au parking. Il emprunta un escalier lugubre aux couleurs grisonnantes, sali par le passage et l’absence d’entretien. Ses oreilles furent harcelées par la musique classique diffusée dans le parking par le biais d’enceintes détériorées. Le son était déformé par du bruit, ces interférences aigües qui évoque l’image d’un boucher musical, saignant les partitions à grands coups de hachoir.

Il tira la portière de sa WW avant de fouiller le tableau de bord afin de renseigner son gps avec l’adresse de la chaumière à la Gaude. Le son fit vibrer les portières et Ludovic y mit un terme d’une simple pression de l’index. Il était désireux de silence.

Une fois les kilomètres avalés et les réflexions provoquées par le silence estompées, l’inspecteur gara son véhicule devant la bâtisse des Darmons. Il en étudia l’architecture, lorgna longuement le porche et la façade comme s’ils étaient issus d’une fiction dans laquelle le monde allait pour le mieux. La fenêtre en haut à droite était barrée d’une grille en fer forgé, il en conclut qu’il s’agissait probablement de la chambre de l’enfant qui avait disparu.

Il avait réfléchi sur le chemin, réfléchi au déroulement des actions ayant mené à la conclusion qu’il connait. L’enfant était-il otage ? Possible. La candeur de ces petits êtres s’avérait être un outil de dissuasion efficace. Ils étaient un métal pur, paré à être souillé par le grand Forgeron, cette humanité décadente. La maison qu’il avait face à lui fournissait encore une preuve d’un Homme avili par bien des choses, l’opulence et l’ambition. Ludovic tenta de se remémorer les instructions fournies par les deux officiers afin de retrouver la chaumière qui a accueilli les deux suspects. Il se refusa à aller à l’encontre de la famille pour ne pas se heurter aux peurs et à l’imagination débordante de parents inquiets. Cependant, il savait pertinemment que ces informations pouvaient lui être précieuses pour la suite des événements. L’enfant pouvait être à la clé à bien des mystères concernant ces deux individus. Il était rare, néanmoins, que les enfants de sa génération puissent porter une quelconque attention aux oisifs en raison de toutes ces démarches futiles misent en place. Ludovic exécrait ces méthodes, il exécrait le mensonge et ces manipulations du ministère de l’éducation. Ils en étaient arrivés à la conclusion que la vérité brute ne pouvait pas porter la Pérennité et qu’il fallait insinuer ces idées primordiales par le biais de réalisations animées. Du bourrage de crâne, purement et simplement. Le détective savait que ces influences portaient leurs fruits et que les nouvelles générations étaient de fait, bien plus malléables. Il n’aimait guère le procédé. A ses yeux, la simple prise de conscience devait suffire et même si des indésirables devaient se faire connaître, l’autorité des dirigeants devaient y pallier.

Ludovic se résigna donc à converser avec les Darmons et traversa les bois pour se rendre à la chaumière en retrait. Il tenta de se remémorer ses dernières tentatives de crochetage avant de simplement user de la poignée de porte, qui lui donna alors accès à l’intérieur. Il découvrit un vivier d’informations qui ne demandaient qu’à être relevées. Le foyer d’un individu était pour le détective la clé pour comprendre ses mécanismes, ses habitudes. Ainsi, d’un coup d’œil avisé, il pouvait déceler la routine d’un protagoniste et comprendre dans de maigres proportions comment celui-ci fonctionne. La nourriture, la disposition et l’agencement de chaque pièce étaient autant de détails mystérieux que de déductions à en tirer.

L’œil expert, remarqua rapidement l’arrière salle qui contenait un lit d’hôpital, un vieux modèle. Son instinct fut examiné longuement par sa conscience méticuleuse, il le pressa à aller directement là-bas y découvrir reliques et objets abandonnés. Il lorgna l’environnement avec une indolence relevant de l’expertise. La salle était privée de lumière par des murs sans fenêtres. Le détective Marneaux appuya sur l’interrupteur et se mit au travail.

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