Chapitre 6

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« .. Retrouvez les aventures de Tempérance juste après notre courte page de publicité. »

Jeremiah balbutia en essayant de cracher bassement quelques gros mots pour que sa mère ne l’entente pas. Les yeux rivés sur l’écran, il tâta la table basse devant lui pour se saisir d’une tablette tactile.

La télévision quant à elle, exerçait son matraquage publicitaire avec une flopée de spots qui provoquèrent chez l’enfant un désintérêt soudain. Une fois la tablette en main, il ne lui fallut que quelques secondes pour se retrouver sur son application préférée : Little Alchemy.

L’objectif étant de créer son univers en démarrant avec une palette de quatre éléments : feu, eau, air et terre. L’enfant affronta une interface simplifiée, dénudée et sobre de graphismes ahurissants. Il ne reste plus qu’un tableau digne d’un bureau d’alchimiste. Un havre pour expérimenter sa conception du monde et confronter sa logique à celle de Dieu. Jérémiah mélangea le feu et la terre, ils devinrent lave. Ce découlement l’emmena jusqu’à une palette de 65 éléments qui lui offrit la possibilité de créer la vie.

Un rictus, une pensée, un divertissement. Il se dit soudain que s’il y a la vie, il y a forcément la mort. Il chercha un instant, qui lui parut une éternité et lorsque l’ennui commença à le menacer, la télévision cracha une mélopée reconnaissable entre toutes. Celle de Tempérance. Les images animées défilèrent, toutes liées par un personnage caractéristique placé au centre : une jeune fille avec deux couettes, vêtue d’une robe pâle aux épaulettes gonflées. Le garçon s’enfonça dans le vieux cuir de son canapé, ses yeux fixés sur l’écran, son attention absorbée par le travail d’une grande équipe de créateurs.

Le générique prit fin en un fondu au noir suivi de l’apparition de lettrines dessinant le prénom de la fillette la plus connue par de génération : Tempérance.

« Un jour naquit une petite fille, jolie et intelligente, portée vers les autres. Douce et gentille, elle eut une enfance comme la vôtre, bercée par la chaleur d’un foyer et de parents aimants. La petite fille aimait les bois, elle craignait les fantômes et les démons. Un jour, alors qu’elle cherchait des champignons pour la cuisine de sa mère, elle fit face à une vieille dame voûtée contre un arbre. Avant même qu’elle ne puisse parler, la vieille dame lui offrit une énigme : Les roses fanent et leur beauté est éphémère. La roche demeure mais s’érode. Le brusque affronte le brut, et les deux sont forts de leurs différences. Veux-tu être une rose, ou une roche ?

La fillette, décidemment pas comme les autres, répondit à la dame qu’elle voulait être une roche. La vielle dame quant à elle, prit son temps pour se relever et s’enfonça dans les bois en se soutenant le dos d’une main. »

La voix du conteur était semblable à celle de tous les présentateurs de documentaires, toutes ces voix-off, ces voix d’inconnus qui ont guidées des milliers, millions de téléspectateurs au travers d’explorations télévisuelles. L’image s’anima et l’on vit la jeune fille se réveiller dans son lit. Soudain, l’horloge vit sa petite aiguille tournoyer jusqu’à disparaître. Le temps filait et les gens se métamorphosaient. La fille quant à elle, ne changeait pas, elle était une roche, à peine influencée par le temps. L’aiguille cessa nette son manège et la fille descendit les escaliers de sa maison. La maison était vide, elle sentit soudain son ventre se contracter, perturbé par une boule d’angoisse. Elle doutait de ce qui se passait, elle avait vu l’horloge. Elle se décida à faire un tour et quitta la maison.

Tout avait changé, les façades, les palissades, les bâtiments qui s’étaient élevés. Elle ne connaissait aucun visage. Elle se mit à pleurer et prit la fuite, espérant que ses pas la guideraient hors de ce cauchemar. Quelques regards altruistes furent portés sur elle. Des bons messieurs, des bonnes femmes, inquiétés par une petite fille seule, qui vagabonde de la sorte.

Lorsqu’elle leva enfin la tête, ses yeux humides virent des roches. Des roches travaillées, transformées en pierres tombales. Elle se trouvait dans un cimetière et toutes ces tombes portaient les noms des gens qu’elle avait connus. Tous, tous morts. Emportés par le temps. Emportés par leur beauté éphémère. Tempérance s’écroula et se mit en boule, vibrant au rythme de ses pleurs.

Jérémiah était planté là, devant sa télévision, perplexe et avare d’une autre chute. La jeune fille se redressa et fit alors face aux spectateurs, elle-.. La télévision perdit la vie. La mère du garçon marmonna, télécommande à la main.

« Arrête de regarder ces trucs, souffla-t-elle, encore énervée.

-        Mais, je regarde ça depuis au moins deux ans m’man ! 

Elle fit la moue et vint s’installer auprès de son fils avant de passer une main dans ses cheveux, cherchant autant à le réconforter qu’à se réconforter elle-même.

-        Alors, P’pa y va appeler la police ? Pis c’est pas ma faute si vous vous êtes embêtés, alors je peux regarder Tempéraaaaance ?

Maman hésita, elle renfrogna ses traits avant de rallumer la télévision. Une fois relevée, elle retourna vers la cuisine d’un air décidé. Jeremiah déposa la tablette sur la table et parvint à s’extirper du canapé qui l’avait presque avalé. Il approcha de l’encadrement de la porte et glissa un œil dans l’autre salle pour tenter d’observer ses parents.

Ils étaient désormais hors de la cuisine, sur la terrasse, au bout. Papa se trouvait accoudé à la balustrade et semblait lassé. Maman elle, agitait les bras comme si elle chassait des mouches. Ils devaient être entrain de se disputer. Jérémiah haussa doucement ses épaules après un instant, comprenant bien qu’il n’arriverait pas à tirer les vers du nez de ses parents. Il fila vers la télé en entonnant le chant du générique de Tempérance.

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