CHAPITRE 12

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CHAPITRE 12

Les jours suivant mirent à rude épreuve la résistance physique et morale de Molkov. Leur instructeur, dont ils apprirent le nom entre temps, Rhadamantha, ne leur laissa aucun répit. Chaque journée se ressemblait : debout à quatre heures, petit-déjeuner, entraînement jusqu’à ce que le soleil soit haut dans le ciel, déjeuner, entraînement jusqu’à la tombée de la nuit, dîner, retour au lit. Si cette routine ne dérangea pas Dagorn, Molkov peinait à garder le rythme. Après quatre jours, les réveils devinrent plus compliqués. A l’aube du sixième jour, chacun de ses gestes était maladroit tant le poids de la fatigue pesait sur ses épaules.

Il apprit à chasser, à se camoufler, à tirer à l’arc, à manier l’épée, à monter à cheval, à survivre dans des températures extrêmes… Il tâchait de retenir chaque conseil, mais la pratique prouvait que ce n’était pas encore acquis. L’entraînement touchait bientôt à sa fin, et il n’était vraiment pas certain d’être prêt à sortir à l’extérieur. Plusieurs fois, il voulut renoncer, mais la simple pensée d’abandonner Mara aux orques lui redonnait de la force pour se relever et poursuivre les exercices.


L’aube du septième jour se profila à l’horizon bien trop vite à son goût. A la fin de cette journée, Dagorn et lui pourraient quitter la montagne et se lancer finalement dans leur quête. Comme les jours précédents, Molkov se réveilla bien avant l’heure. Assis sur sa paillasse, il surveilla le réveil de son colocataire et commença à ranger ses affaires dans les sacs laissés à leur disposition pour le départ à venir. Il l’organisa comme on le lui avait appris : les objets les plus lourds en bas, ce qui était le plus pratique et léger en haut.

Malgré les courbatures, il se sentait étrangement serein, en paix avec lui-même. Une fois dehors, il n’y aurait pu de marche arrière. Il s’était préparé à l’éventualité de ne jamais revenir. Tant que le jeune sergent revenait ici avec Mara, il acceptait de mourir là-bas. Il ne faisait pas ce voyage pour se prouver quelque chose comme les jeunes aventuriers qui abandonnaient leurs familles du jour au lendemain, il le faisait parce que personne d’autre ne le ferait à sa place.

— Tiens bon, ma petiote. Grand-Père arrive, murmura-t-il au vide, comme si sa voix pouvait porter bien au-delà des parois de roches.

Il prit son sac et quitta la pièce pour laisser le sergent finir sa nuit. Ses pas l’amenèrent devant le grand autel, la pièce centrale de cette cave sans fond. Dans ses parures d’or, l’imposante statue de Balgröm l’écrasa par sa magnificence. Il n’avait jamais été un grand fidèle de son culte, mais comme les autres nains, il croyait en l’existence d’une vie après la mort.

— Magda, Kavla, Maman, mes ancêtres… Protégez ma petiote Mara. Veillez à ce qu’il ne lui arrive rien le temps que j’arrive. Je n’sais pas si… Si je pourrais accepter de la perdre elle aussi. Si vous m’avez aimé comme je vous ai aimée, mes douces, les femmes de ma vie, faites qu’il ne lui arrive rien. Balgröm tout puissant, ne la rappelez pas à vous tout de suite. Ce n’est qu’une enfant. Prenez-moi à sa place, je vous en conjure.

— Bah v’là aut’ chose. L’vieux lardon qui s’en r’met à un bout d’bois doré. T’es d’jà désespéré à c’point pour d’mander à l’vànarable de t’emmener ? C’est d’un triste. T’vas presque réussir à m’faire chialer.

Le vieux nain se laissa distraire et tourna la tête vers son instructeur. Torse nu, malgré le devoir des paladins de toujours resté couvert, il le dévisageait sans délicatesse. Sans vêtements, les fusions du métal et de la peau étaient encore plus impressionnantes.

Son instructeur claudiqua jusqu’à lui et se laissa tomber sans grande délicatesse sur le banc à côté de lui. Molkov lui lança une œillade méfiante. Qu’est-ce qu’il voulait ?

— Bon, l’vieux. J’vais pas tourner autour du pot trois heures. T’as b’soin d’moi, et moi j’me fais chier comme un rat crevé dans c’trou d’merde. J’peux plus sacquer tous ces pète-culs de paladins. Alors j’ai décidé d’me casser pour aller crever avec toi dehors.

— Pourquoi est-ce que vous feriez ça ? Vous disiez que j’étais suicidaire.

— Et j’le pense toujours. Mais t’vois, moi, mon métier c’est d’construire des boum-boums. Et dans l’montagne, j’peux pas vraiment les craquer, parce que ça f’rait sauter l’plafond et l’parois. Mais cont’ des orques, ça pourrait être d’la balle. Et pis vu à quel point t’es doué à l’arblète, tu vas t’faire trouer l’cul si j’te donne pas d’leçons en plus. Et j’parle même pas du sergent pète-couilles qui s’croit invincible parce qu’il est r’ssorti d’l’école avec un papelard qui disait qu’l’avait bien écouté l’feignasses royales. Sans moi, v’z’êtes morts.

— D’accord, répondit Molkov avec un sourire chaleureux. Je serai ravi de vous compter parmi nous, Rhadamantha.

— Arrête de m’vouvoyer. J’suis pas un richard. Et appelle moi Rhad. Il y a qu’ma mère qui m’appelait comme ça.

Rhad lui flanqua une bonne claque dans le dos, qui réussit à effacer temporairement ses rhumatismes. Molkov ne savait pas où il allait avec ce drôle d’énergumène, mais il ne pouvait pas cracher sur de l’aide supplémentaire au point où il en était. Le cyborg s’éloigna en sifflotant, un saucisson entier dans la main, pour laisser place à Dagorn, à peine réveillé, et aux autres nains qui entraient pour la prière du matin.


Après la cérémonie, le vieux nain rejoignit son ami dans la salle d’entraînement. Il lui raconta sa drôle d’entrevue avec son instructeur. Molkov aurait dû se vexer du soupir de soulagement que poussa le sergent lorsqu’il lui annonça qu’il venait avec lui, mais il ne pouvait lui en vouloir. Il était loin d’être au niveau, malgré la façade qu’il essayait de maintenir.

Comme tous les jours, Molkov s’entraîna à l’arbalète, à l’endurance et à la force. Il n’arriva jamais à dépasser le niveau qu’il avait quatre jours plus tôt. L’angoisse du voyage et la peur de ne jamais arriver au but le déconcentrèrent de ses objectifs. À midi, les deux hommes prirent un déjeuner copieux, puis retournèrent dans leur chambre pour finaliser leur chargement et s’assurer qu’ils n’avaient rien oublié. Ils comblèrent le reste de place dans leurs sacs par des vivres pour une semaine. Ils devraient se ravitailler plusieurs fois sur la route, peu importait les barrières interculturelles qu’ils entretenaient avec leurs voisins humains et elfes.

En fin d’après-midi, ils rejoignirent Rhad à l’entrée de la caserne des paladins. Il avait troqué son tablier pour des vêtements amples et une capuche, qui masquait partiellement son visage. Dans son dos, une hache à deux mains gigantesque trônait fièrement. Elle aussi était couverte de métal, comme son porteur. Il souriait, autant que la moitié métallique de son visage le lui permettait.

— Z’êtes prêts les mauviettes ? se moqua-t-il gentiment. On file voir l’grand manitou en chef, et après ce s’ra l’jungle. Si vous voulez pisser, c’est maintenant. On f’ra pas d’pause avant six heures.

— Six heures ? s’exclama Dagorn. Dans le froid ?

— Crois-moi l’péquenot. Si tu sors t’quéquette dehors, elle va finir en glaçon. Pisse-toi d’ssus, ça tiendra chaud.

Le sergent n’était de toute évidence pas du même avis. Rhad éclata d’un rire gras, puis s’engagea vers la sortie, ses deux compagnons sur les talons. Molkov lança un dernier regard à la statue de Balgröm qui brillait dans les profondeurs de la grotte. Il n’y avait plus de retour en arrière possible. Il remettait sa vie entre les mains capricieuses du dieu protecteur désormais.


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