CHAPITRE 13

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CHAPITRE 13

Dagorn, Rhad et Molkov descendaient sans se presser le deuxième étage de Dolgaror, direction la sortie. Autour d'eux, plusieurs nains les observaient, curieux de savoir pourquoi un cyborg, un vieillard et un sergent de la garde royale, chargés comme des baudets, semblaient se diriger dans la même direction. Concentré sur son objectif, Molkov n'y prêtait que peu d'attention.

D'ici quelques minutes, il se retrouverait livré à lui-même à l'extérieur de la montagne qui l'avait vu naître et qui l'avait protégé toutes ces années. Lui qui avait toujours eu un train de vie routinier et cadré à la seconde près, le voici qui plongeait vers l'inconnu, sans savoir ce qu'il devrait affronter pour retrouver sa petite-fille.

Plus ils s'approchèrent de la porte et plus les voyeurs se firent discrets. Bien peu de monde s'approchait des grandes portes de la cité, le seul et unique accès vers l'extérieur. Des ouvriers, casques sur la tête, réparaient les dommages causés par l'entrée fracassante des orques quelques jours plus tôt. Comme à chaque fois, on tentait de consolider pour que l'accident ne se reproduise pas, mais les monstres trouvaient toujours une faille où s'engouffrer. C'était un jeu sans fin.


Près du chantier, le général Barg et quelques paladins discutaient autour d'une carte de la région. Le débat avait l'air animé. Les mains pointaient frénétiquement, et des poings s'abattaient à répétition pour faire valoir un argument plus qu'un autre. Le général, plus calme, s'occupait de calmer les ardeurs de sa voix chaude mais autoritaire.

Un premier paladin les repéra, puis, très vite, les voix moururent pour laisser place à un silence pesant. Molkov comprit cependant vite qu'il n'était pas le centre de ce soudain malaise, mais davantage son nouvel allié cyborg.


— Rhad ? appela le général. Qu'est-ce que tu fais ici ?

— Quoi ? T'croyais que j'laisserai l'vieille branche s'fendre la poire tout seul dans l'toundra ?

— Ce n'est pas le problème. C'est… Enfin… Personne ne t’a vu sortir de ta cave depuis deux décennies et tu décides soudainement d'aider deux inconnus sans raison. C'est étrange. Et j'émets quelques doutes quant à ta capacité à les garder en sécurité. Je connais ton passif avec les explo…

— Si j'veux m'péter la binasse, ça r'garde qu'moi et qu'moi tout seul. J'te d'mande pas ton avis. J'me casse d'ce tas de rochers d'moisi. Les gosses ont assez profité d'mes conseils, dit-il en pointant les paladins de la tête, et si j'dois crever en ch'min, c'est l'volonté de Balgröm. Allez les trous du'c. On n'a pas tout l'jour, on se taille.


Il était évident que le général n'en avait pas fini, mais Rhadamantha le bouscula d'un grand coup d'épaules et poursuivit son chemin. Molkov s'approcha du général et lui tendit la main, que le chef des armées vint serrer chaleureusement.


— J'espère que votre entreprise sera victorieuse, pour l'amour de Balgröm, confia-t-il à mi-voix. Je vous remets cette carte. Nous l'avons marqué de plusieurs itinéraires pour rejoindre au plus vite le désert de Snivelak.

— Merci, répondit le vieux nain, ému. J'espère vous revoir un jour, mais nous savons tous les deux que les probabilités sont faibles. Faites que mon sacrifice ne soit pas vain.

— Je vous promets de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour. Sergent Dagorn Vigum, prenez soin de lui, et revenez-moi vivant. Notre armée manque de jeunes gens au cœur aussi ouvert que le vôtre.


Dagorn s'inclina, le poing sur le cœur. Le général replia la carte, et la tendit à Molkov. Au moment de s'en saisir, l'homme l'attira dans une accolade virile et lui donna une tape dans le dos. Il en fit de même avec le jeune sergent, qui rougit furieusement, peu habitué à ce genre d'étreintes.


— Nous avons sellé des poneys, ils patientent devant les portes. Considérez-les comme mon ultime cadeau, dit Barg. Je place mes meilleures chances sur vous, Molkov. Puisse Balgröm éclairer votre route.


Il salua. Dagorn et Molkov en firent de même, le dernier de façon plus pataude. Après un ultime regard pour la caverne où ils avaient passé leur vie, le vieux nain et son jeune accompagnateur se dirigèrent vers les grandes portes de métal où, impatient, Rhad les attendaient, en train de jouer avec son énorme hache. La route ne serait pas de tout repos avec cet énergumène avec eux, mais Molkov savait maintenant que grâce à lui, ils avaient les meilleures chances de s'en sortir.


Les gardes entrouvrirent les portes. Un vent glacial s'infiltra dans la montagne, de plus en plus fort à mesure qu'une immense pente enneigée se dévoilait devant les trois compagnons. Molkov ne put retenir son ébahissement face à ce paysage qu'il n'avait aperçu que dans les livres d'histoire, quand il était encore bambin. L'entrée de la montagne se trouvait sur un plateau, qui donnait sur les huit royaumes nains. Huit montagnes, comme la sienne, repliées sur le monde. Personne ne savait si les autres nains étaient encore en vie. On ne contactait pas les voisins sauf en cas de guerre les menaçant tous. Qui savait ce qui se trouvait ailleurs.

Sous un abri sommaire, trois poneys au pelage épais patientaient. Rhad avait déjà choisi le sien, un gris qu'il escaladait tant bien que mal. L'animal n'apprécia pas le poids lourd de cet amalgame de chair et de métal, mais ne se plaignit pas. Molkov s'approcha d'un étalon au pelage bai, qui lui renifla curieusement la barbe, presque aussi grand que lui. Dagorn monta sur le dernier, un équidé noir qui tapa du sabot, impatient de se mettre en route.

Rhad prit naturellement la tête du groupe et s'engagea dans la descente, suivi par Molkov et Dagorn, placé en queue pour couvrir leurs arrières. Malgré les épais manteaux qu'ils avaient enfilés, le froid s'infiltrait partout. Rhad leur cria de bien couvrir leur cou. N'ayant jamais été exposés aux virus de l'extérieur, ils risquaient d'avoir de sales surprises dans les jours qui arrivaient.


— Par où est-ce qu'on va passer ? demanda Dagorn après quelques minutes de marche, la carte que lui avait donné Molkov dans les mains. Le général pense que le chemin le plus sûr est celui qui longe la forêt de Qerod et le domaine Balrarion, mais c'est beaucoup plus long que couper à travers la forêt, puis les terres humaines.

— L'général est une couille molle. On va passer par l'forêt claire jusqu'à Mornepierre, puis on continuera par les terres humaines jusqu'à la mer. Il restera qu'à longer l'frontière jusqu'au désert.

— Mais, et les elfes ?

— Quoi les elfes ? T'crois qu'ils ont qu'ça à foutre de traquer trois clodos dans les ronces ? Ils f'ront rien. Tant qu'on les attaque pas, ils attaquent pas. C'est l'pacte qu'on a signé.


Ils se tournèrent tous les deux vers Molkov. Le vieux nain haussa les épaules. Il n'avait jamais côtoyé ni les elfes, ni les humains, et ne savait pas à quoi s'attendre. Il décida de faire confiance aux choix de ses compagnons d'aventure. Très vite, le plan de Rhadamantha fut adopté.

Le reste de la descente s'effectua sans encombre en quelques heures. Lorsqu'ils arrivèrent au pied de la montagne, le soleil déclinait dans le ciel, mais la température se fit plus douce. Ils partirent en direction de l'ouest, vers les terres mortes. D'après Rhad, il s'agirait de l'étape la plus périlleuse du début de leur voyage. Couverte de ronces vivantes, cette partie de la forêt était réputée infranchissable pour ceux qui n'en connaissaient pas les secrets. Rhad assurait l'avoir déjà traversée, et tant que les autres suivraient ses pas, tout irait bien.

Avant de s'engager sur le sentier périlleux, ils décidèrent de s'arrêter pour la nuit, près d'un petit étang. Ils libérèrent les chevaux, qui trottèrent pour aller brouter un peu plus loin, pendant que les nains montaient les tentes. Molkov s'avéra beaucoup plus lent à monter le camp que les autres, mais cela laissa le temps à Dagorn de récupérer de quoi faire du feu, pour se réchauffer après le froid de la montagne. Chacun s'installa pour se sustenter, et profiter de la soirée pour se préparer au lendemain.


— Et donc vous… tu es déjà passé par ce sentier ? s'assura Molkov, en se rappelant que Rhad ne voulait pas qu'il le vouvoie.

— Il y a longtemps, ouais. Quand on est parti pour l'Grande Guerre. L'général avait dit d'pas s'écarter d'la route, mais les bleus l'ont pas écouté. Un carnage. Il y a des choses dans les ronces, qui ont soif de sang. Ils ont bouffé presque tout l'avant garde, y restait qu'des morceaux d'bras et d'jambes. On n'a jamais vu c'que c'était, mais on n’a pas cherché plus à comprendre.

— Je suis sûr que ce ne sont que des histoires, réagit Dagorn. On ne perd pas une avant-garde comme ça.

— 'Coute moi bien l'égo sur pattes. Toi, moi, l'vieux, on est p'tits. Dans c'te monde dehors, c'qui est p'tit, ça se fait bouffer. On a perdu l'avant-garde, et une partie d'un régiment plus tard aux manticores, et d'autres dans les marais, et d'autres emmenés par des bêtes qui faisaient trois fois leur taille. On est p'têtre costaud, mais il faut que tu t'mettes dans la cabosse qu'on est des proies. Et qu'des prédateurs, il y en a toujours là-bas. Si t'crois en sécurité parce que t'sais utiliser une arbalète, l'nature viendra t'prouver que t'as rien pigé à un moment ou un autre.


Molkov resta silencieux, songeur. Son regard se perdit sur l'étendue de ronces au loin. Parviendrait-il à y survivre ou finirait-il comme nombre de ses ancêtres qui avaient cru, l'espace d'un instant, dompter le destin ? Il espérait que Rhad exagérait. Perdre la vie si tôt dans son opération de sauvetage serait dramatique, et qui sait alors ce qu'il adviendrait de Mara.

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