Comment on devient (presque) malhonnête. (2)

2 minutes de lecture

Pendant que je me gare dans la grange qui sert de garage, la Mercedes manœuvre pour se trouver nez à la sortie, à la hauteur du portail, au milieu de l'entrée. Le conducteur sort le premier, son passager s'extirpe plus difficilement,  son ventre a trop ingurgité de bières. Il regarde le paysage, la petite vallée où serpente le ruisseau qui sert de passe-temps à mon père, et la forêt qui couvre toute la colline vers le nord-ouest. Je leur fais remarquer que plus isolé, ils trouveront pas. Le gros me regarde sérieusement, et me demande où passe la frontière. "Ben, dans la forêt" – "Et vous la connaissez bien cette forêt, je suppose ?" Evidemment que je la connais la forêt. Je connais tous les chemins de tracteurs, tous les sentiers cavaliers, quoique je ne monte pas de canassons. Il hoche la tête en direction de son acolyte, et me demande si on peut se mettre d'accord. Je dis faut voir, et je les invite à déguster un petit Bordeaux rouge, un reste du stock que mon père m'a refilé quand il a arrêté son boulot.

Le conducteur, un jeunot tiré à quatre épingles, comme on disait dans les dictées que j'infligeais à mes élèves, tournait son verre sans toucher au précieux nectar, l'autre, au contraire, semblait apprécier. "Excellent !" La bouteille, je l'avais ouverte à midi, mais au frigo ça se tient facilement vingt quatre heures. Je voulais la finir le soir avec un pâté de campagne du traiteur du village. Il tue lui-même, au noir, faut pas divulguer l'information, c'est grâce à des types comme lui qu'on mange encore correctement de nos jours.

Je leur demande combien ils sont, rapport au nombre de chambres. J'en ai que trois, les deux des enfants et la nôtre, je veux dire la mienne depuis que cette salope s'est tirée avec l'idiot du village. Ils ont pas l'air de s'intéresser à l'intendance. "Ainsi vous connaissez la forêt comme votre poche ?" Un peu mon neveu ! Je galope dans les sous bois depuis que je sais marcher. Je suivais mon père dans sa période chasse aux lapins. Maintenant, il se contente de guetter le poisson suicidaire. "Et vous savez où passe la frontière ?" Tout le monde ici connaît le tracé de la frontière. C'est même pas un pare-feu, c'est une ligne de crête qui zigzague à moins de trois kilomètres de la vieille ferme qui est maintenant mon repère. Ça fait belle lurette qu'il n'y a plus le moindre gabelou. Le poste sur la nationale est désert et celui de la départementale est fermé. Qui essayerait de passer quoique que ce soit en contrebande, de nos jours ? Le gros type, le patron des deux, continue de me poser des questions. Est-ce qu'il y a des barrières, comme dans les forêts pour touristes ? Les gardes forestiers font-ils des patrouilles régulières ? Etc. Etc. J'en suis à me demander s'ils veulent louer pour des parties de jambes en l'air ou pour des balades dans l'humidité de l'hiver. "En fait, je ne sais pas si nous aurons besoin de chambres. Ca dépendra des dames, si elles préfèrent du bucolique ou du quatre étoiles." Ben, que je me dis en moi-même, ils sont en train de me mener en bateau. En resservant le gros je lui dis tout net. J'aime bien quand on tourne pas autour du pot, qu'il répond. Et il ajoute : "le coin me plaît, mais pas pour les galipettes." Ah ! Pourquoi alors ?

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire jean-alain Baudry ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0