Un grondement...

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Le 25 mai 1886,

Tout en me relevant, je pensais avec inquiétude que je m'étais évanouie à deux reprises : d'abord dans le temple, puis en regagnant le souterrain, après ma rencontre avec Violetta et sa maman.

Je me souviens, lorsque j'étais adolescente, avoir consulté un médecin qui m'avait diagnostiqué une maladie épileptique :

- Elle peut être accompagnée de confusion mentale et d'hallucinations visuelles et auditives, de courtes pertes de connaissance ou de véritables syncopes, avait précisé le praticien.

Ces crises convulsives ont cessé durant plusieurs années. Pourraient-elles réapparaître, favorisées par le choc psychologique que j'ai subi à la mort de mes parents ? Du moins, c'est l'explication rationnelle que j'aurais aimé retenir !

A quoi me rattacher ? Suis-je malade ? Suis-je folle ? Les fantômes existent-ils ? Qui est Violetta ? Serais-je moi-même un esprit puisque, Marie, sa mère n'a pu me voir alors que j'étais juste devant elle ? Mais elle-même n'est-elle pas un spectre ? Ces questions m'obsèdent en une hésitation perpétuelle.

Cette visite souterraine n'avait que trop duré. J'ai découvert des trésors du passé mais il me faut rejoindre le monde tangible. Avant de partir, je suis retournée dans la crypte. Le cercueil en verre était bien là, sur un piédestal, au milieu du sanctuaire, comme une sorte de mausolée édifié par le marquis de Mancy, à la mémoire de sa fille tant aimée.

Puis je me suis dirigée vers le couloir qui mène à la cheminée dont l'un des murs du foyer avait pivoté. J'ai frisonné à l'idée qu'il ait pu se refermer. L'ermite avait précisé que le passage n'était ouvert que quelques heures. C'est alors que j'ai compris combien j'avais été imprudente de pousser plus loin mes investigations. Il me semble perdre parfois mon discernement. A mon grand soulagement, l'accès béant semblait m'inviter à sortir des entrailles de la terre. Tout en regardant mon plan, j'ai poursuivi mon chemin, persuadée qu'il suffirait de quelques minutes pour être de nouveau dans ma chambre.

Là, où hier se trouvait un couloir, se dressait à présent une paroi solidement bâtie, comme si elle avait été construite en quelques heures."
J'ai effleuré la muraille pour m'assurer qu'elle était bien réelle. Force est de constater que l'issue était condamnée. J'ai pensé que je m'étais trompée. J'ai refait le chemin en sens inverse, ai tenté une autre échappatoire. Mais il y avait encore une cloison qui me barrait le chemin. Je suis donc revenue sur mes pas, perplexe. Où que j'aille, des murs insidieux avaient poussé çà et là, m'empêchant de revenir à la surface de la terre. Était-il possible que des esprits démoniaques aient pris possession de mon cerveau pour l'embrumer et le manipuler à leur guise : transformer l'espace tangible et le réinventer pour mieux me tromper ! Comme la lumière de ma lampe commençait à vaciller, j'ai préféré m'engager à nouveau dans le passage secret et rejoindre le lieu où je m'étais endormie car il y avait des meurtrières qui laissaient passer la lueur de la lune. Quelques minutes après, j'ai entendu un cliquetis. J'ai compris que l'accès s'était refermé. Sur le moment, je n'ai pas réalisé que j'étais prisonnière de ce lieu, à jamais.

J'ai entendu, tout à coup, un grognement puis un grondement. J'ai senti nettement une emprise, un étau se refermer autour de mon cou. Était-ce l'angoisse de mourir enfermée dans la basse-fosse à tout jamais qui provoquait cette sensation d'étouffement ? Ou étais-je aux prises de ces entités maléfiques qui absorbent l'énergie des astres pour se mouvoir et s'emparer de l'âme des vivants ? L'ermite avait évoqué leur existence spectrale.

Soudain, J'ai été violemment plaquée au sol. Une sorte de créature ni bête ni homme, hideuse comme la mort, a exercé une pression sur ma gorge, m'empêchant de respirer. Son haleine sifflante brûlait mon visage. Le monstre m'a griffée aux bras si fort que je saignais. A force de combattre cet être vil, mes forces s'amenuisaient. J'allais donc mourir ? L'étais-je déjà ? Je me suis sentie tirée par les cheveux vers un trou béant, prêt à m'engloutir. Peut-être une oubliette ! Était-ce cela que j'étais venue chercher ? Le vide ? l'abîme ? Cette créature l'avait compris et m'avait attirée dans ce souterrain pour me broyer, moi, proie facile, perdue entre le monde des vivants et des morts !

Le jour a éclairé peu à peu le contour des pierres. La lumière de la lune a disparu faisant place à un soleil radieux. L'étreinte de la bête s'est relâchée, privée de l'énergie astrale. J'ai repris mon souffle puis me suis endormie, épuisée. Je savais que je pouvais me reposer sans crainte car le soleil me protégeait de l'innommable.

Quand je me suis éveillée, j'ai bu un peu d'eau et mangé un biscuit. De grandes griffures barraient mes membres. Sans doute, en avais-je aussi sur le cou et le visage. J'ai pris mon mouchoir et j'ai essuyé le sang qui s'était coagulé. J'ai pensé que je m'étais éraflé les mains, les bras, les jambes, toute seule dans mon sommeil. Puis je me suis souvenue de ce terrible combat.

J'ai vu que Violetta était près de moi, me tenant par l'épaule avec douceur.

Elle m'a demandé de la suivre car elle voulait me faire visiter la basse-cour.* :

- Il y a de très beaux chevaux dans les écuries et des lévriers au chenil.

La fillette ne semblait pas étonnée de me voir assise à même le sol, mes bras entourant mes jambes repliées, la tête enfouie dans les plis de ma jupe pour ne pas lui montrer que je pleurais.


Basse-cour* : cour de l'enceinte basse d'un château fort où se trouvaient les écuries et les dépendances.






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