La basse-cour.

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26 mai 1886,

Dans la haute cour, nous avons franchi un long escalier voûté descendant à la basse-cour, où résident les archers, les soldats, les canonniers, et les serviteurs. Mon regard s'est porté sur le chemin de ronde de la courtine où circulaient des hommes en cotte de maille. Au sommet de chaque donjon, une sentinelle veillait, prête à alerter, en cas de danger.

Tout un remue-ménage de petites gens faisait de cet endroit, une particularité ! Le four à pain ronronnait et répandait une odeur alléchante de céréales chaudes. Il suffisait que l'on se déplace de quelques mètres pour être incommodé par un fumet de paille, de crottin, de cuir d'animal, qui émanait des écuries. Des servantes s'affairaient autour de la margelle d'un puits. Par des tractions laborieuses, elles remontaient des seaux débordant d'eau claire. Une flaque s'est agrandie sur les pavés à la faveur d'une légère pente. Les conversations allaient bon train à cette heure matinale. On se hélait. Les hommes, en guise de salut, s'échangeaient quelques bourrades dans le dos. Jupons et braies se côtoyaient dans une bonne humeur toute populaire.

- Aujourd'hui est un jour particulier pour les villageois, m'a expliqué Violetta. Ils doivent s'acquitter des banalités. Les paysans paient cette taxe à mon père pour avoir le droit d'utiliser le four à pain, ainsi que le moulin et le pressoir qui se trouvent à l'extérieur du château. Les collecteurs chargés de recouvrer l'impôt viendront déposer leur recette dans le bâtiment qui est proche de l'écurie. Est-ce que les seigneurs du futur se comportent ainsi ?

- Il n'y a plus de seigneurs, dans mon futur à moi, mais les taxes existent toujours et elles sont multiples comme les vôtres.

Nous avons croisé deux palefreniers à pied, tenant par les rênes des chevaux de trait et un écuyer chevauchant un étalon à la robe noire, au trot. L'allure du coursier était aérienne. Chacun de ses pas semblait suspendu dans l'air en un mouvement élégant. Dans les stalles, j'ai aperçu piaffant d'impatience, deux destriers gris. Il m'a semblé reconnaître ceux qui avaient failli me renverser dans le souterrain.

La petite fille m'a précisé que celui qui était noir appartenait à son père, absent.

- Mon papa est très occupé. Il part souvent dans des pays étrangers pour ses affaires mais les soldats et les archers sont là pour nous protéger des attaques des ennemis.

- Quels ennemis, lui ai-je demandé ?

- Des assaillants de toutes sortes : des bandits, parfois des paysans qui se révoltent car ils ne sont jamais satisfaits de leur sort ! Avez-vous vu le nombre de soldats en place ?

- Oui, un effectif considérable !

- Mais les attaques les plus dangereuses sont celles des catholiques. C'est maman qui me l'a dit. Nos hommes d'armes et de trait sont aux aguets car des rumeurs courent que nos ennemis ont déjà massacré un certain nombre d'hérétiques, comme ils disent...à Paris et en provinces.

Toute votre famille appartient à cette même confession ?

- Oui. Tous mes oncles, tantes, cousins, cousines. Mon père aristocrate catholique s'est converti par amour : ma mère descendant d'une famille bourgeoise protestante. Et tout le monde a fait de même...

La petite fille, très mûre pour son âge, m'impressionnait. Elle a poursuivi :

- Dans quatre mois, j'aurai 9 ans ans. Exactement le 2 janvier 1573. Maman m'a promis qu'un clerc viendrait m'aider à améliorer mon écriture, à peindre et à chanter, et Mélie ma gouvernante, à broder, et à être une bonne épouse quand je serai grande. Et vous, serez-vous une bonne épouse ?

- Je ne pense pas à me marier...

La petite a détourné le regard, distraite un instant par un aboiement.

- Maintenant, je vais vous montrer quelque chose qui va vous ravir.

Elle a ouvert doucement le portail du chenil, une sorte d'immense cage grillagée où se reposait une meute de lévriers.

- N'ayez pas peur, ils ne sont pas méchants. Regardez ! Il y a une chienne qui vient d'avoir des petits !

Dans une niche, la fillette a pris délicatement un chiot suspendu aux mamelles de sa mère et me l'a tendu. Celui-ci a baillé bruyamment et Violetta a trouvé qu'il avait de drôles de manières. Elle souriait dans sa jolie robe de satin rose. Ses joues se sont empourprées de plaisir.




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