Chapitre 1. Gabriel Salver

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« Légionnaire, tu es un volontaire servant la France avec honneur et fidélité.

Chaque légionnaire est ton frère d'arme, quelle que soit sa nationalité, sa race, sa religion. Tu lui manifestes toujours la solidarité étroite qui doit unir les membres d'une même famille.

Respectueux des traditions, attaché à tes chefs, la discipline et la camaraderie sont ta force, le courage et la loyauté tes vertus.

Fier de ton état de légionnaire, tu le montres dans ta tenue toujours élégante, ton comportement toujours digne mais modeste, ton casernement toujours net.

Soldat d'élite, tu t'entraînes avec rigueur, tu entretiens ton arme comme ton bien le plus précieux, tu as le souci constant de ta forme physique.

La mission est sacrée, tu l'exécutes jusqu'au bout et, s'il le faut, en opérations, au péril de ta vie.

Au combat tu agis sans passion et sans haine, tu respectes les ennemis vaincus, tu n'abandonnes jamais ni tes morts, ni tes blessés, ni tes armes. »

Code d’honneur du légionnaire

-

1996 – jour inconnu – mois inconnu – Quelque part en Centrafrique .

Le sable brûlant crisse à chaque reptation du buisson. Un buisson qui grimpe une colline, ça peu avoir de quoi surprendre. Du moins si quelqu’un s’en apercevait, oui, il serait surpris. Mais le buisson est malin dès qu’on le regarde il ne bouge plus.

Et dès qu’on tourne la tête, il recommence.

Lentement.

Une plante généralement ce n’est pas très loquace non plus, mais là, si quelqu’un s’approchait du végétal, il l’entendrait chuchoté. Et du coup il comprendrait.

-Coyote de Chacal ! Ton ETA ?

-Chacal de Coyote ! Je suis en position. Souffle le feuillage.

-T’as un visuel ?

-Correct ! Six uniformes, trois PEC. L’un des uniformes est un ados, quinze ou seize ans.

-Reçu ! Tu neutralises les uniformes !

-Et le gosse ?

-Il est armé ?

Difficile d’ignoré le canon de la Kalash qu’il braque sur les trois otages.

-Positif ?

-Alors tu neutralises les uniformes.

-Wilco ! Terminé !

« Chier. »

Le buisson ajuste son FR-F2 contre son épaule, il scanne rapidement les alentours pour d’éventuelles menaces puis revient sur le groupe qui s’agite en contrebas. Deux pointent leurs armes vers les trois journalistes, trois discutent ou plutôt s’engueulent , enfin un seul, le gamin se laisse distraire par un chien.

Il va commencer par les deux gardiens, puis les trois du groupe et espère que le jeune lâchera son arme. I

Il prend une aspiration, le doigt s’engage sur la gâchette, expire, inspire, le doigt enfonce la gâchette,

une fois,

Le premier tombe.

deux fois,

Les trois regardent autour deux.

trois fois,

quatre fois,

le dernier adulte réagit enfin et cherche un abri.

cinq fois.

L’ado l’a repéré, il décharge une rafale de l’Ak47 dans sa direction. Le tir est au jugé et ucun des projectiles n’atteint sa cible. Avant que le petit soldat ne se remette du recul du fusil d’assaut, le buisson se dresse, la gueule de son fusil pointé vers le gamin, l’œil rivé dans le scope.

-Watyangö ! , hurle t’il en Sängö. Arrête!

Mais déjà le gamin défoncé au kat n’entend plus, le remet en joue, son regard blanc vitreux verrouillé sur l’intrus.

Six fois.

On n’est pas dans un film, le corps ne décolle pas du sol quand la balle de 7.62 atteint son objectif. Non, elle le traverse simplement, sans effort, comme si c’était toujours de l’air. A peine un nuage de gouttelettes rosées dans sa traîne lorsqu’elle termine sa course dans le mur de boue séchée.

Le corps tombe tout droit, il s’éteint comme une ampoule. Sans plus.

Caporal Gabriel Salver, dix-neuf ans, 2ᵉ régiment étranger des parachutistes, Légion étrangère, première mission. Six scores.

11 février 2017 – Gare Sud – Nantes – France

Le TGV se laisse glissé le long du quai. Gabriel ouvre brusquement les yeux en pensant à ceux de ce gamin pas tellement plus jeune que lui à l'époque, dont il avait fermé les paupières. Bon sang ! Il fallait que ce souvenir, 20 ans en arrière, lui revienne aujourd’hui. Après tout, pourquoi pas, ce jour ou un autre ne faisait pas beaucoup de différence. 39 ans sur cette Terre dont 22 dans la Légion. Plus d’une vingtaine de mission ; le lieutenant n’avait jamais pu mettre sa première de côté.

Maintenant qu’il avait finis, les souvenirs s’arrêteront-ils ?

Sur le quai il fait froid, en dessous de zéro. C’est février après tout. Il remonte le col de sa parka et réajuste la lanière de son sac sur l’épaule. Plus de vingt ans qu’il n’a pas mis les pieds dans la citée des Ducs de Bretagne. Il les traîne d’ailleurs les pieds, pas vraiment pressé de ce retour vers le passé. Parti gringalet, il est maintenant à la porte de la quarantaine, la carrure solide, mais dans les cheveux un début grisonnant.

Son teint halé tranche avec l’épiderme gris des autres passagers. Pour quelques jours encore il allait porter sur lui le soleil du Mali.

Sortit de la gare par le nord, il traverse le jardin des plantes, quelques souvenirs le ralentissent. Il coupe ensuite par les vieux quartiers pour rejoindre les rives de l’Erdre et remonté doucement vers l’île Versailles. La vieille est toujours là, cramponnée à son quai. Ses amarres verdies par la mousse soulignent le temps qu’elle y a passé sans bouger. Le tas de ferraille fait tâche au milieu des autres péniches fraîchement restaurées. Il se demande pourquoi elle n’est pas encore rendue au fond. Sa coque avait été d’un joli bleue marine soulignée d’un liseret blanc qui suivait sa ligne de flottaison. Désormais la rouille était devenue sa couleur principale et s’étendait en tache de la proue à la poupe.

Il se plante devant la passerelle qu’il devine vacillante. Qu’attend-il pour s’y engager ?

Un homme apparaît sur le pont, il ne remarque pas tout de suite Gabriel. Le visage aussi fripé que ses vêtements, des cheveux clairsemés qui aurait du être blanc mais jaunies et collés par la crasse. Ses mains tremblent ; pas à cause de la température, elles se raffermiront après une bouteille de blanc. Il fouille dans le fatras accumulé sur le pont, quand il note la présence sur le quai.

Il fait froid, mais ce n’est plus à cause de février.

Gabriel devrait dire quelques choses, il avait préparé les mots. Des mots simples pas trop douloureux à dire.

Mais ses dents se soudent entre elle.

« tu agis sans passion et sans haine, tu respectes les ennemis vaincus... »

Ce n’est pas un ennemi, c’est un salaud.

L’homme essai de se redresser, de se donner une allure, mais ses yeux délavés par l’alcool supplient.

Gabriel, réajuste son sac sur son épaule, il ignore la bouche tremblotante qui veut prononcer son nom et s’en va. Il ne fuit pas, il tourne juste le dos. Il ne peut pas faire plus.

Ce salaud c’est son père.

12 février 2017 – Aéroport Nantes Atlantique – France

Sept heures du matin, il embarque sur le premier vol Nantes-Marseille, espérant être à Aubagne avant onze heures. Il y fêtera proprement sa quille, pour la seconde fois. Ensuite ?

Ensuite le monde est devant lui, peu importe ou, tant qu’il choisit lui-même sa cause, tant qu’il peut enfin faire la différence.

D’abord en bout de piste, l’avion prend son élan. Dans le cockpit le pilote déclare la rotation. Le train principal quitte le tarmac, suivit du secondaire. On les rentre bientôt dans leur logement et les trappes avertissent les passagers de leur fermeture d’un claquement assourdit. L’altitude de croisière à dix mille pieds est vite atteinte. Les ceintures se débouclent, on se détend, on attend le café que préparent les hôtesses.

Moins de deux minutes devant eux il y a un autre avion qui vient lui aussi de décoller. Moins de deux minutes ce n’est pas assez. Pourquoi les ont-ils faits décoller moins de 120 secondes derrière lui ? Quel aiguilleur épuisé n’a pas donné le temps nécessaire aux turbulences du précédent décollage de se disperser ? Un temps de deux minutes.

L’empennage du vol Nantes-Marseille pris dans ces tourbillons invisibles comme tenu par les doigts d’un gamin capricieux se désagrège sans faire résistance a cette violence.

La carlingue se déchire, Gabriel n’est plus dans son siège, il chute.

Le manque d’oxygène ne lui permet pas de se voir touché le sol.

« je te pardonne !»

C’était les mots simples pas trop douloureux qu’il aurait du dire.

Année inconnue – Jour inconnu – Mois inconnu – Lieu inconnu

« Réveillez-vous Lieutenant Salver ! Vous avez une mission.»

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