Chapitre 3. Jean Pinard

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An II, 30 Nivôse, Sucé, France

La violence des coups redouble et la porte derrière laquelle madame et ses servantes cherchaient quelque sécurité se brise. Elle tend une bourse, huit cents Francs, prenez tout, ne brûlez pas la maison.

Il prend l’argent et la maison brûle, entouré de ses hussards africains(1), qui dansent et qui hurlent.

Il traîne la pauvre femme et ses servantes à l’extérieur jusqu’au chariot à foin tiré par des bœufs impassibles. Ils y sont entassés avec d’autres « brigands » terrorisés. Son époux a le visage dans la boue et la neige, la botte d’un grand noir sur la nuque. La terre liquéfiée lui remplit la bouche, puis les poumons. Ils rient de ses spasmes. Encore quelques soubresauts et il ne bouge plus, la femme hurle en serrant ses enfants dans son giron.

C’est l’hallali.

Le pillage continuera toute la nuit, porte par porte, maison par maison, étage par étage. Au nom de la révolution et du peuple, de la liberté et de la république !

Jean Pinard(2), commissaire du comité révolutionnaire, ancien fabricant de savon illettré et soi-disant héros du peuple, est enivré par le feu et la terreur qui se répand autour de lui. Il respire l’odeur de la peur et imagine déjà le butin qu’il amasse pour la nation, qui de facto, n’en verra jamais la couleur.

Il ne le sait pas encore, dans quelques kilomètres, il va croiser un adversaire. Il va croiser Gabriel.

« -Dis, ça crame là-bas !

-Ouais.

-Mais, c’est par là qu’on va !

-Ouais.

-Sans arme ?

-Ouais.

-Mais pourquoi ?

-Jean Pinard.

-Justement, la direction opposée me semble plus indiquée.

-Non

-Ce n’est pas pour rien que son nom rime avec bâtard et salopard.

-Il est protégé par le comité révolutionnaire. Si tu veux approcher Carrier, c’est par ce comité qu’il faut passer.

-Tu vas donc remplir la mission.

-Non.

-Tu vas donc faire foirer la mission.

-Ouais.

-Stratégie ?

-J’improvise.

-C’est un bon plan ... Mais qu’est-ce que je dis-moi ! On va crever oui !

-Mourir, j’ai déjà essayé, ça à rater.

-C’est vrai, ils te ramèneraient rien que pour t’exécuter.

-A part jacter, t’as une utilité ?

-Oh oui, je suis capable de détecter une présence dans un rayon de deux kilomètres. En ce moment je suis un groupe de cinq individus armés qui en poursuit un autre désarmé.

-A deux kilomètres ?

-Non à dix mètres.

-Put… tu ne peux pas prévenir !

-Je ne suis pas en mode combat !

-Passe en mode combat alors !

-Mais t’as pas d’arme !

-Mais on s’en tape !

-Mais quelle idée saugrenue ! mode combat pas armée !

-Ou sont-ils ?

Trois mômes débouchent du bois, deux filles et un garçon qui porte la plus jeune dans ses bras. Ils ont vu Gabriel, mais il ne lui porte aucune attention, l’épouvante se perçoit dans leur course. Derrière eux, cinq hussards américains sabre au clair, gagnent du terrain.

-Tu passes en mode combat, parce que moi je le suis.

-Mode On.

Il est seul et ils sont cinq, mais groupé au lieu de garder une distance entre eux, ils se donnent peut-être du courage de la sorte, sans se douter qu’en faisant bloc, en se gênant les uns les autres, ils font une cible plus facile à maîtriser. Gabriel se lance contre eux, directement face du premier, celui qui n’a pas de pistole, mais un sabre. Les autres derrière ne pourront pas l’aligner avec leurs armes à feu.

L’africain ne comprend pas, il va occire ce gamin sur son chemin. Il lève le bras pour donner de l’élan à sa lame. Mais en stoppant il surprend ses équipiers qui lui rentrent dedans alors que Gabriel lui arrive devant, le repoussant d’un violent coup d’épaule dans la poitrine qui l’envoie dans les bras de ses camarades.

Pour l’ancien légionnaire dans un corps tout neuf, l’action passe en ralentie.

Deux d’entre eux tombent sur le cul en lâchant leurs armes, sabres et pistoles, dans la boue du chemin. La poudre des armes devenant inoffensive.

Un autre cherche son équilibre et recule de quelques mètres hors du chemin ou il s’enfonce dans la neige profonde et fraîche. Ses mouvements ainsi ralentis.

Les deux derniers sont un problème.

Le quidam sur sa droite fonce sur lui, préparant son poing dans un geste trop ample pour être efficace. Sur sa gauche l’autre essaie de retirer son arme de sa ceinture mais le chien s’accroche dans l’étoffe de sa chemise.

D’un geste rapide, chirurgical, il cueille le premier à la gorge du tranchant de la main, lui coupant instantanément la respiration. Il le laisse s’écrouler sur le sol à la recherche de son souffle.

L’autre, pointe enfin l’arme vers lui. Mais trop près, Gabriel saisit le canon et le dirige vers sa poitrine. Lorsque le coup part il sent l’impact, mais que peut faire l’antique balle de plomb contre une veste pare-balles en kevlar renforcé de plaques céramique.

L’ancien esclave ouvre ses grands yeux blancs horrifiés. Par quelle magie ?

Il n’en saura rien, il est déjà jeté à terre et un coup de genoux sous le menton l’envoie rouler inconscient sur le bord du chemin.

Un nouvel assaut. Sans discipline, les deux qui étaient tombés à terre, remis de leurs émotions l’attaquent, mais en se bousculant, chacun voulant un morceau de cette insolant.

Coup de pied bas… très bas, les genoux de l’assaillant touchent le sol, tandis que ses mains recherchent paniquées ce qui reste de ses gonades. Gabriel le finit, d’un revers des phalanges.

On cherche soudain à le saisir à la gorge, il s’empare du bras et, dans un violent craquement, inverse le sens de rotation du coude. Son propriétaire après convalescence, pourra désormais se gratter le dos avec plus d'aisance.

Le dernier enfin est finalement sorti de sa congère. Son sabre toujours au bout du bras. Il prend conscience de ses camarades éparpillés au sol autour de cet inconnu, ce gamin qui d’un geste du bout des doigts est en train de lui faire signe d’approcher. Lui fait « non » de la tête, tourne les talons et détale sans demander son reste.

Gabriel expire lentement.

-Tu sers vraiment à rien en fait. Lâche t’il

-Mais tu n’as pas d’armes ! Si tu veux sniper un lascar à plus de trois kilomètres, là d’accord, mais en Close Combat qu’est-ce-que tu veux que je fasse ? La sirène de police ? Pin pon, Pin pon !

-Est-ce que tu peux au moins me repérer, Jean pinard

-Te bile pas c’est lui qui t’a repéré. Trois cents mètres sur ta gauche, à la limite du champ.

Dans la direction indiquée, celle ou cour le dernier de ses assaillants, un cavalier entouré d’une troupe de hussards se tient effectivement auprès d’un muret. C’est vers cette destination qu’il se met en mouvement.

-Euh ! T’es un grand malade toi.

Sans répondre il s’approche sans précipitation.

« -Il ne sent pas les balles, prévient essouffler le hussard qui vient de rejoindre son chef.

-Que racontes-tu comme balivernes ?

-Affoué lui a tiré dessus à bout portant, il ne l’a pas senti.

Pinard, devient curieux. On le fuit d’habitude et ce drôle tout de blanc vêtu qui vient de bigorner ses hommes semble vouloir le rencontrer à la place de déguerpir. Son intérêt s’attise en constatant la jeunesse de sa rencontre. Un godelureau bien bâtit à la démarche pleine d’une assurance qu’il met sur le compte de l’insouciance de l’âge. Encore quelques pieds et il ne peut non plus ignorer ce regard beaucoup trop calme verrouiller sur lui.

Le jeune homme s’arrête à quelques distances. Pinard est mal à l’aise, il a beau sur son cheval surplomber l’environnement, ce morveux le toise de haut.

« Qu’est-ce que tu veux le minet ?

C’est le moment pour Gabriel de se rappeler l’histoire de France

-Goullin(3) te demande de rentrer à Nantes. Il veut nous voir.

-Nous ?

-Toi et moi.

-Et t’es qui toi ?

-Gabriel son saute-ruisseau.

-Un clerc qui sait cogner en plus de lire et d’écrire ? Et qu’est-ce qu’il veut Goullin?

-Il est insistant, d’après que Paris s’inquiète des rapports du comité sur les comptes révolutionnaires. Il veut faire déplacer certains « dons volontaires » du peuple. Parait-il citoyen, que tu es l’homme de ce genre de besogne.

Un rictus avide traverse le visage du commissaire. Voilà un coup qui pourrait améliorer son ordinaire.

-On t’a bien renseigné l’jouvenceau. Va lui dire que je serais ce soir au comité.

-Il n’a pas l’intention d’attendre ton bon vouloir, Robespierre à envoyer un de ses chiens. Ils n’ont pas le cœur serin au comité et la veuve(4) pourrait bien raccourcir autre chose que du noble. Goullin voulait que ce soit Dhéron(5) qui s’en charge, mais je lui ai dit que tes hussards étaient plus efficaces pour tenir éloigné les curieux. Enfin bon c’est toi qui vois. Dhéron est à Treillière, cela ne fait pas un grand détour.

-Tu ne manques pas d’aplomb le minet.

-Le temps c’est de l’argent, tu as peut-être trop des deux, mais moi qui ai du temps, je n’ai pas assez d’argent alors que j’aimerais plutôt prendre le temps d’en avoir. Les riches ayant eu la bienveillance d’en amasser pour nous, aillons donc l’obligation de les débarrasser de leurs généreuses donations. T’en penses quoi patriote ?

-Tu parles bien l’ami. Ne laissons pas les Parisiens prendre nos biens. Pour la nation, allons !

Sur le chemin ils ramassent les hommes encore assommés. Une voix discrète dans son écouteur.

-Pour un gars qui ne veut plus se battre, t’es encore loin de recevoir le prix Nobel de la paix.

-C’est tuer qui me dérange, murmure t’il. Tuer pour la liberté, c’est toujours tuer.

Au loin un village libéré continuer de bruler.

(1) Anciens esclaves africains revanchard recrutés pour « maintenir l’ordre ». Appelé aussi hussards américains bien qu’ils n’aient pas grand-chose à voir avec les légions américaines de volontaires, y compris d’africain, qui servirent ailleurs en France pendant la même période.

(2) Ce personnage peu sympathique à réellement existé et toutes ressemblance n’est pas pure coïncidence.

(3) Goullin membre du comité révolutionnaire était le protecteur de Pinard.

(4) Surnom donné à la guillotine.

(5) Dhéron, comme Pinard était un commissaire révolutionnaire qui profita de la Terreur pour piller le peuple. Il ne fut pas guillotiné, car il témoigna contre Carrier et consœur.

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