Chapitre 4. Jean Baptiste Carrier

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- « Gabi ! Gabi ! Gabi ! C’est la compagnie Marat (1) , Lui hurle Astac dans l’oreille. Ils ont vraiment l’air de ploucs »

Effectivement alors, qu’avec Pinard et ses hussards, il remonte le chemin qui se nomme encore « la chaussée de la Chézine » (2), une troupe bigarrée se tient en ligne dans une espèce de garde à vous grotesque. Ils sont plantés, comme d’improbable poireaux, devant un large bâtiment sombre que le crépuscule n’aide pas à rendre sympathique. Gabriel en reconnait la façade non sans une légère inquiétude.

- « C’est quoi ce rade ? », demande la machine.

-C’est l’Entrepôt des Cafés (3). Murmure Salver

-Un Starbuck ?

-Non une prison. »

Un homme, visiblement aviné, de la compagnie salue Pinard qui lui répond par son mépris.

- « La prison est encore pleine, le typhus s’y plaît bien, on dirait qu’il va falloir aérer. Lui lance le commissaire révolutionnaire avec un rictus malsain.

-Qu’est-ce qu’on fait là Pinard ? Goullin nous attend à l’hôtel de ville. Le presse Gabriel.

-Qu’est ce que tu veux qu’il fiche là-bas c’est ici que ça se passe. Rétorque Pinard surpris. Je croyais que tu étais son clerc, tu ne sais ce que fait ton patron ?

-J’ai du mal comprendre ce qu’il m’a dit. »

La sinistre geôle est bien plus grande que ne l’imaginait Gabriel. Dans le Nantes qu’il connait, ce qui reste de la façade noircit a eu l’amabilité de se parer avec la devanture rouge pétante d’une pizzéria. Mais ici et maintenant, point de peppéroni. Il tremble en pensant à ceux entassés entre ces murs. Leurs destins faits naitre sa colère et le malaise s’installe définitivement lorsqu’il comprend que c’est entre ces murs que Pinard l’entraine.

- « Atsac, murmure-t-il, on est d’accord, tout changement ici ne changera pas l’histoire ?

-Ton histoire non, mais celle de cette dimension, oui. Toi, je sens que t’es sur le point de me faire une grosse connerie.

-Mais non, mais non, le rassure Salver. »

Les dépendances de la prison se répartissent autour d’une cour intérieure rectangulaire, le porche par lequel ils pénètrent est l’unique ouverture. De toute évidence, il se prépare quelque chose. Plusieurs chariots sont en train d’être déchargés de leur cargaison de tourets de cordes. Des « Marat » hilares semblent s’amuser à s’attacher les mains et les pieds. Ceux dont les membres sont ainsi liés, essaient ensuite de se libérer en se tortillant de manière ridicule. Là est la source des rires. Cette séance de bondage lui glace le sang quand il comprend que ces hommes sont en train de s’entrainer à qui fait les meilleurs nœuds.

- « Pourront pas flotter comme çà, si tu les attaches deux par deux.

L’un des butors glousse à l’idée.

-Oui, oui il faut bien les arrimer. »

Des entrailles des geôles s’entendent des plaintes et des cris qui auraient dû provenir de sources humaines. Mais la maladie et la faim avaient éradiquées la raison.

Gabriel Bouille. La colère lui fait presque oublier pourquoi il est là. Cette République Fédérale de Mu voulait utiliser cette ordure de Carrier. Peu importe ce que pouvais être cette République, il était désormais la résistance.

Deux individus les regardent s’approcher, lui et Pinard.

- « Je crois que ton attention est requise Lieutenant. Intervient Astac. Celui de Gauche c’est Goullin et à droite … Tadaaaa ! … C’est Jean Baptiste Carrier. Ta cible. Félicitation nous sommes officiellement dans la gueule du lion »

Du coin de l’œil, il note une anomalie. Une jeune fille, une servante ou une bonne, qui en masquant son visage, semble se déplacer en parallèle de ses mouvements. Mais Goullin les interpelle, avant qu’il ne puisse vraiment cerner les détails de ce nouveau paramètre.

- « Qu’est-ce que tu fiche ici Pinard ?

-C’est toi qui m’as fais demander, ton saute ruisseau est venu me chercher.

-Je n’ai pas envoyer qui que ce soit et qui c’est ce drôle avec toi ? »

Gabriel y va au culot, de toute façon il n’y a plus que cela à faire.

- « Laisse tomber Pinard, tu m’as amené vers celui que je cherchais. »

Le Commissaire révolutionnaire voit confus le gamin s’avancer avec aplomb vers Carrier en lui tendant la main.

- « Citoyen Carrier, je suis Gabriel Salver envoyé de la République de Mu et votre escorte. »

Le redoutable commissaire politique, visiblement déstabilisé, calme d’un signe de la main Pinard qui saisit déjà son pistolet.

« -Laissez je connais ce jeune homme.

Paris gagner, Mu avait bien pris contact avec lui.

Carrier sert la main tendue de Gabrielle.

-Trouvons un endroit plus calme. Comme avez-vous dit que vous vous appeliez ?

-Gabriel Sal…

Il venait à peine de se retourner que l’anomalie en jupon de servante lui envoya un coup de pied façon penalty directe dans l’entre jambe.

- « Oksana ! » lance joyeusement Astac

Tandis que la douleur lui remonte dans les amygdales, ses genoux lui disent d’aller se faire voir et il se retrouve soudain à rouler une pelle aux pavés de la cour.

La nouvelle venue attrape Carrier par le bras. Il entend la donzelle lui dire quelques choses, mais il est trop occupé à compter les pièces qui lui reste en bourse et retrouver son souffle, pour vraiment reprendre contact avec son environnement. La vue brouillée par des larmes c’est à peine s’il aperçoit les deux s’enfuirent.

- « Je crois qu’elle t’en veut.

-Mais c’était qui cette garce ? exhale t’il en souffrant, plié par terre.

-Ton équipière, pardi. Ah ! je suis tellement content de la voir !

-Je te hais Astac

-Mais oui, mais oui, pisse un coup ça fait du bien. »

Pinard l’attrape par la nuque et sans ménagement le replace en position verticale.

« -C’est quoi Ce rif raf ?

-Donne moi une seconde, je cherche les poids de la pendule. Souffle t’il pour gagner du temps et retrouver ses facultés éparpillées dans la cour.

-Tu t’es joué de moi !

-Attends ! j’ai un truc qui va te soulager, lui grésille Astac dans l’oreille

-Fais vite, y’a pépère qui s’énerve.

-A qui tu parles ?

La douleur s’évapore soudain et une certaine euphorie la remplace.

-Vache ! c’est d’la bonne c’te truc.

-Garantie sans effet secondaire.

Pinard lui saisit le col, mais un violent bourre pif lui envoie le nez derrière la tête. Le salaud s’écroule sur le sol devant toute une assemblée encore confuse, mais qui bientôt sera hostiles.

-Mode Combat On…et toujours sans arme. Tu ne serais pas mieux, là, avec un petit automatique ? »

-Si au lieu de dire des choses inutiles, tu m’indiquais la sortie.

-Ça va être compliqué, y a deux cents cadors entre elle et toi, je te suggère les toits."

Avant que l’émoi ne gagne la foule armée autour de lui, il grimpe sur un chariot et sans élan saute le garde-corps qui longe la galerie supérieure.

Entassés dans les anciens dépôt devenus cellules, les prisonniers dans leurs cachots réagissent à son intrusion. A travers les grilles, dans un geste de désespoir, ils tendent les bras vers ce gamin tout habillé de blanc.

Ce dernier bouscule un geôlier qui veut lui barrer le passage, sa ceinture est encombrée d’un jeu de clefs que Gabriel subtilise. Comme il n’aura pas le temps de tester chacune d’entre elles dans chaque serrure, il lance le trousseau à travers les barreaux. De derrière ceux-ci provient aussitôt une clameur éprise de liberté.

En contrebas, les premières détonations se font entendre. Les projectiles le frôlent de trop près pour son confort.

- « T’inquiètes pas, ton gilet vas les arrêter.

-C’est pour ça qu’il faut toujours viser la tête, rétorque Gabriel acerbe.

-C’est évident, il faut toujours viser la tê… Oh …scuse j’oubliais que t’as pas le crane en kevlar.

Un autre sifflement prés de l’oreille avant un impact dans le mur à côté de lui.

-Faut pas trainer dans le coin.

-Tu dois pouvoir atteindre le toit en sautant sur cette corniche.

-Oui mais je serais exposé au tir, il me faut une diversion.

A l'autre bout, la clameur éprise de liberté entendue précédement vient soudain de se muer en cris de rage.

-Ah, ils ont trouvé la bonne clef on dirait.

-La voilà ta diversion.

Une horde en guenille dégueule par la porte de la cellule.

-Mais ils sont combien là-dedans ?!

-Deux ou trois cents.

D’autre portes s’ouvrent et le contenu des cachots submerge bientôt les gardes. L’armurerie est forcée et des fusils changent involontairement de mains. Une bataille sauvage s’improvise entre deux ou trois mille ex-prisonniers un brin revanchards contre une centaine de « Marat » renforcés par les hussards de Pinard sur le point de se faire occire.

N’étant plus le centre d’attention Gabriel observe le massacre accouder à la balustrade.

-Maintenant que t’as bien mis le boxon, On se casse ?

-Attends on ne va pas tarder à pouvoir sortir pas la grande porte.

-Même sans armes, t’es mortel mec.

Il soupire.

-Ouaip, j’ai encore raté le prix Nobel sur ce coup-là.

(1) La compagnie Marat estait une « armée » révolutionnaire qui fut un rouage essentiel de la « terreur » et participa activement aux noyades de Nantes et au exécutions sommaire. Elle était composée en partie de marginaux et d'ouvrier au chomage.

(2) Aujourd’hui rue Lamoricière

(3) Dans L’entrepôt des Café, furent enfermé entre 8 et 9000 « brigands ». Homme, femmes et enfants, qui n’étaient pas du bon côté ; ou bien suspectés comme tel.

Jean Baptise Carrier la fera vider en quelques semaine. Non, les prisonniers ne furent pas libérés.

Plus tard l’endroit, devenu une savonnerie, brula et il ne reste aujourd’hui qu’une partie de sa façade.

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