Chapitre 13 - La Fange

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L'escadre Sigma-6

Capitaine Philéas "Cap" Capaxis / Philéas Capelli

Sergent Gaëlle "Fox" Reon - Infanterie

Caporal Jack "Le Doc" Sorros - Médecin de terrain

Caporal Gregor "Le Russe" Ivanovitch - Assaut lourd

2ème classe Hector "L'Ours" Doharis - Assaut lourd

2ème classe Tarek "Headshot" Oualidi - Sniper

2ème classe Olivia "Liv" Graham - Génie tech

2ème classe Tréa "Fizz" Fizzerelli - Infanterie

***

Les pas de trois hommes résonnent dans le conduit qui les entraîne vers les profondeurs de la terre. L’atmosphère nauséabonde des Douves envahit leurs narines à mesure de leur progression dans le large boyau. La pestilence et la crasse suintent des parois antiques, couvertes d’une émulsion de rouille et de mousse. Le silence pesant n’est brisé que par leurs foulées spongieuses et le cliquetis sporadique de gouttelettes s'écrasant dans la bourbe à leurs pieds. Jack Sorros, Tarek Oualidi et l'inconnu qui les entraîne dans ce dédale fétide ne se sont pas adressés un mot depuis leur fuite du Nymphectious. Le Doc se risque à une interpellation :

  • Où est-ce que vous nous emmenez, Capslock ?

L’homme au masque de métal pointe le plafond et lui fait signe de se taire. À travers la pénombre se détache une forêt de silhouettes luminescentes, sortes de larves gélatineuses et grouillantes suspendues au sommet de la courbure de la canalisation. La voix du Doc y a fait naître une agitation de mauvais augure. Quelques spécimens se détachent et tombent mollement dans le drain où le courant les emporte. Après un court instant de calme, les répugnants asticots se rétractent dans leurs abris. Le guide fait signe d'avancer. Le groupe traverse un déversoir sur un pont de métal corrodé, au bout duquel l'homme parait enfin se détendre.

  • Ne parlez jamais sous les vers pédiculaires. Ils se laissent tomber dans vos cheveux, et avant de vous en rendre compte, vous avez un parasite dans le crâne. Croyez-moi, vous ne voulez pas savoir ce que ça fait.
  • Où est-ce qu’on va ? réitère le Doc.
  • Je vous emmène dans le no man's land, où vous rencontrerez notre leader, Escape. On ne parle que de l'attentat dans les Douves. C’est bien pour ça que vous étiez venus me trouver avant que la Clic-Dom ne pointe son nez ?
  • Et qui c'est, ce Escape ? En quoi va-t-il nous aider ?
  • Il vous expliquera mieux que moi pourquoi vous vous trompez de cible.

Oualidi se précipite, saisit l'autre par l'épaule, et le plaque contre la paroi nauséabonde.

  • Pourquoi avez-vous attaqué Liv ? Pourquoi vous en prendre à Central, et ensuite nous sauver ?

Le brutalisé saisit le poignet du Cadre et s'en défait avec une aisance déconcertante. Tarek perçoit dans la poigne de l'homme une puissance contre laquelle il aurait eu bien du mal à résister.

  • Les miens n'ont rien à voir avec l'attaque de Central. Je suis un Hyphen, et le perpétrateur est un Command. Il y a plusieurs groupes parmi les sans-visages, mais les extrates ne font pas la différence.
  • En même temps... Dur de vous différencier, grommelle le Doc.

Oualidi tchipe. Il lance un regard appuyé à son collègue, doublé d'un mouvement de contestation.

  • Les stries sur le masque nous identifient. Vous apprendrez.

A mesure qu'ils avancent dans le labyrinthe insalubre, un murmure de plus en plus présent trahit une activité lointaine. Leur progression les fait déboucher à l'entrée d'une titanesque cavité, une ancienne grotte aménagée.

  • Nous devons traverser La Fange pour atteindre le no man's land. Vous ne connaissez probablement pas cet endroit, et vous n'y êtes pas les bienvenus, alors restez près de moi et faites profil bas.

Trois créatures à l'attitude hostile, vaguement humanoïdes, gardent l'accès à la cité souterraine. Les mutants observent d'un air suspicieux Oualidi et le Doc s'approcher. De sombres veines zèbrent leur peau, et leurs mains comptent un nombre hasardeux de doigts, fermement agrippés aux pommeaux d'armes artisanales. En l'absence de cet attirail menaçant, leurs corps déformés susciteraient plus de pitié que de peur.

  • Ils sont avec moi, lance Capslock.

La plus imposante des trois sentinelles émet un grognement, puis d'un signe de tête leur autorise l'accès à la ville. Les visiteurs imprévus descendent le long d'un escalier métallique en zig-zag jusqu'au plancher de la grotte. Pour les deux Cadres, la découverte du monde d'en-dessous est un choc. Des éclairages rustiques embrasent la cavité d'une teinte ocre. La lueur vacillante des ampoules trahit une infrastructure fragile, alimentée par des câbles sans âge. Comme ses antres homologues, La Fange grouille de vie. D'une vie déformée et malade, mais de vie tout de même. Tous les rejetés de la surface, les mutants, les déviants, les anomalies, atterrissent dans ces cloaques des Douves.

Disposée autour d'une veine principale de près d'un kilomètre, La Fange a quelque chose d'aussi étouffant que chaleureux. L'agitation dans les venelles étroites et surpeuplées n'a d'égale que l'intensité des trafics qui s’y opèrent. Oualidi et le Doc reconnaissent des dealers d'Éléphant Rose à chaque coin de bâtiment. Les échoppes d'implants illégaux ou désuets ont pignon sur rue. Des enseignes en néons souffreteux grésillent çà et là, coloriant le sol humide et terreux de la caverne. Capslock traîne les deux Cadres dans une échoppe qui promet une tourista au simple franchissement de sa porte. Les trois hommes s'asseyent autour d'une table à l'écart, non sans avoir commandé le liquide le moins rebutant qu'ils aient identifié.

  • On ne va pas rester longtemps, des avis de recherche pour vous retrouver ont commencé à apparaître. Nous sommes sur le territoire des Chasseurs de Primes, et je ne donne pas cher de ma peau s’ils nous voient.
  • Je croyais que vous pouviez disparaître ?
  • Les habitants de La Fange n'ont quasiment pas accès aux holo-cornées. Ici je suis un sans-visage, rien de plus.
  • Pourquoi s'arrêter alors ?
  • Un autre Hyphen doit nous rejoindre. Je ne peux pas vous faire traverser le no man's land seul.
  • C'est peut-être dans notre intérêt de nous faire retrouver, chuchote le Doc à Oualidi.
  • Des Cadres dans les Douves ? Pire idée possible. Je vous conseille vivement de rester incognito jusqu'à ce qu'on soit dans le no man's land. Si je vous ai reconnus, quelqu'un d'autre peut le faire. Attendez-moi ici, je vais tenter de trouver notre contact.

Le sans-visage quitte les frères ennemis, qui fixent leurs verres respectifs dans un silence gênant.

  • Hé Doc, je sais qu'on n'est pas les meilleurs potes du monde, mais si tu as besoin de parler de Pop, je suis là.
  • Je n'ai pas envie de parler de Pop, et encore moins à toi.
  • Ecoute vieux, on est dans les Douves, on risque de se faire buter à chaque coin de rue, il est peut-être temps qu'on se serre un peu les coudes ?
  • Je ne vois pas en quoi ça change de nos missions de routine, regarde Pop...
  • Je sais exactement ce qui est arrivé à Pop, et je sais aussi que tu n'y es pour rien, ni toi ni aucun Sigma-6 ! Alors arrête de ressasser. Je le connaissais pas aussi bien que toi, mais ça n'enlève rien au fait que c'était aussi un de mes compagnon d'escouade. Alors décroche un peu cet air pompeux et lâche-toi !
  • T'es lourd Oualidi, je t'ai dit que je ne voulais pas en parler.
  • Eh bien moi j'aimerais que tu en parles, et que tu craches enfin pourquoi tu me détestes autant. Parce qu'en ce qui me concerne, en dehors du fait que tu aies un balai long comme un lampadaire dans le cul, je n'ai rien contre toi.
  • T'es un branleur, Oualidi, tu n'as jamais eu à faire aucun effort, tu prends tout à la légère, ça me saoûle.
  • Est-ce que je n'ai pas sorti les Sigma de la merde plusieurs fois ? Est-ce que je rate mes cibles ?
  • Non, mais...
  • Je vais te dire ce que je crois : je crois que tu es jaloux parce que tu en as plus chié pendant l'académie. Je crois que tu n'as toujours pas digéré la mort de Pop, et que tu me le fais payer. On serait vachement plus efficace si tu me faisais un peu plus confiance.
  • Plutôt crever !

Le cri du Doc a installé un lourd silence dans la taverne. Les regards se sont tournés vers les cadres incognito. Tarek adresse aux tables voisines un signe d'apaisement. Les discussions reprennent peu à peu.

  • C'est bien ce qui risque d'arriver si tu continues. J'ai foi en tes soins et tes connaissances, tu es le Doc des Sigma-6, et tu mérites ta place. Alors accepte aussi que je mérite la mienne.
  • Tu es un bon sniper Tarek, mais surtout un tire au flanc, un toxico, et un dragueur.
  • Qu'est-ce que ça peut te foutre ? Tu veux que je te présente des minettes ? C'est ça qu'il faut pour que tu arrêtes de me casser les couilles ?
  • Je veux que tu prennes ton job de soldat au sérieux.
  • Mais tu crois quoi ? Que j'aime faire péter des têtes de voyous comme des pastèques ? Tu penses que je fais ça pour le fun ? J'ai quatre frères et soeurs à nourrir, ce petit monde compte sur moi. Si ça ne te suffit pas comme motivation, eh bien va bien te faire voir.
  • Je ne savais pas.
  • Mon père s'est fait buter par un taré pour une centaine de crédits, c'est ça qui me fait tenir ces engins de morts, pas le plaisir. Alors oui, j'ai peut-être pas tes manières de Médian de la haute, mais jusqu'à nouvel ordre on fait partie de la même escouade.

La tirade de Oualidi a tétanisé Sorros. Le Doc toise la table les yeux dans le vague. Il remarque à peine les tremblements des doigts de son acolyte crispés sur le verre. Par chance, le retour de Capslock brise le silence.

  • Notre contact a un peu de retard.

Il connecte un tuyau flexible à une valve sous sa mâchoire pour aspirer une gorgée de bière de fougère pétrophile. Un ange passe. Puis Oualidi prend une inspiration et se risque à mettre les pieds dans le plat.

  • Qui a attaqué Liv ?
  • Un sans-visage du groupement Command. On l'appelle Delete, c'est un assassin notoire. Le genre qu'ils envoient faire le sale travail. De ce que j'en sais, il a été tué.
  • Notre capitaine s'en est chargé. Et les Bras Droits ont rapidement fait disparaître le corps. C'est pour ça qu'on vous cherche. Toute ça cache quelque chose de louche.
  • Delete n'est qu'un pion, il sera remplacé. Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi un Command se serait risqué à Central. C'est littéralement se jeter dans la gueule du loup.
  • Il a bien failli réussir. Maintenant, je crains que Central ne lance une opération de purge sans trop faire de distinction, interrompt le Doc. Si votre groupement est vraiment innocent, il faut le faire savoir.
  • Ce n'est pas aussi simple. Je ne peux pas trop vous en dire sans l'aval d'Escape.

Il s’interrompt.

  • Tiens ? Je pense que le garde nous a vendus.

Une silhouette se présente à l'entrée du bouge. Ses larges épaules cybernétiques supportent une étonnante cape mauve rehaussée d'un col de fourrure. Son plastron arbore le logo de la guilde : une main tenant un jeton hexagonal de crédits. Autour de son crâne pendent des nattes roses, surplombant un visage hargneux, glabre et hâlé. Son poing serre un antique fusil mitrailleur à poudre.

  • Chasseur de primes ? demande Oualidi sans se retourner.

Capslock acquiecse.

L’intrus braque son arme vers le sans-visage qui réagit instantanément. Il bondit sur sa banquette, et renverse la table d’un coup de genou accidentel. Le meuble percute les cuisses des deux Cadres qui glapissent de surprise. Capslock s’écarte d’une agile détente contre le mur, évitant de justesse une rafale meurtrière. Il termine son échappée par une roulade et se positionne juste à côté du chasseur de primes. Les déflagrations déclenchent un mouvement de foule : certains clients se précipitent vers la porte d'autres se jettent sous leurs tables. Les deux hommes se toisent une fraction d’instant, puis l’assaillant remet le sans-visage en joue. Mais sa cible échappe à sa ligne de mire. Capslock saisit le bras armé du rasta bariolé, et le brise d’un impitoyable mouvement de levier. Le calibre s’écrase contre le plancher avant même que Oualidi et le Doc n’aient eu le temps de se dégager du plateau qui meurtrit leurs genoux. Lorsqu’ils parviennent enfin à se lever, l’homme à la cape gît inconscient au milieu de la stupéfaction générale.

  • Faut pas qu'on traîne ici. Tant pis pour le rendez-vous.

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