Ce que ton regard m’apporta

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Dans cet endroit où les rayons du soleil venaient caresser les fleurs aux teintes merveilleuses et riches, en harmonie avec les autres plantes qui se dressaient, hautes et fières vers cet astre lumineux, c’était une serre surplombant un petit lac qui miroitait sereinement, enlacé par une forêt majestueusement verdoyante.

Comment oublier ses touches de lumière que reflétaient les vitres de cette serre, cette même brillance que s’accaparait la goutte d’eau sur le point de tomber du feuillage des hortensias, ou la rosée surprise par le petit jour après une nuit très froide. Et ce sentiment de paix. Ce silence réconfortant rythmé par les bruissements du crayon sur le papier, la chaleur du foyer, ou la beauté de l’amour.

Du haut de mes vingt ans, jamais je n’avais éprouvé d’attachement quelconque pour quoi que ce soit, je vivais au jour le jour depuis que ma tante m’avait mise à la porte. Pour gagner mon pain, il m’a fallu peu de temps avant de trouver ce bar. Les clients s’y rendaient dans l’espoir de dénicher un beau jeune mâle pour s’occuper d’eux cette nuit. Mon physique plaisait à la plupart des profils, dès mes débuts je pouvais gagner plus d’argent en une nuit, que la moitié des autres gigolos. Des hommes ayant l’âge d’être mon père payaient pour ma présence à leur table, le tout arrosé d’alcool, je finissais mon travail dans leur voiture accompagné par l’ivresse de tous les verres accumulés depuis des heures.

Le plus souvent, le client m’examinait durant le premier rendez-vous, pour mes yeux bleus et mes cheveux noirs qui me retombaient dans le visage pendant l’effort, pour mon corps hâlé mais fort, pas assez fort parfois pour empêcher les tarés de me faire du mal, et pour ce ton cajoleur qu’ils réclamaient avidement durant nos rencontres, j’étais leur petit-ami, leur amant, leur jouet, peu importe, ça payait.

Cette entreprise durait depuis des mois, l’argent que je mettais de côté formait une belle somme et bientôt je pourrais mettre les voiles loin de mes clients répugnants, dégoulinant de sueur, gras, et mal odorant. Il m’était arrivé de tomber sur des beaux gosses, mais jamais rien de sérieux n’en a échapper, ceux qui s’attachaient n’étaient que les gros porcs mariés, qui ne trouvait qu’un semblant d’amour que dans mes bras, ce que leur refusait leur femme. Ces hommes me harcelaient, le patron était obligé de les foutres dehors à grand coup dans les couilles, ça m’a valu de me faire tabasser une ou deux fois et prendre de force sans rémunération.

Enfin, j’avais finalement réussi à quitter ce travail, plus rien n’avait d’importance, je me sentais libre. Le vent du nord me portait jusqu’à un petit village de campagne, éloigné de tout. Le train m’avait déposé dans la grande ville la plus proche, mais je désirais vivement me remplir d’air pur pour me nettoyer de toute cette vie passée. Une dame m’avait offert de me conduire dans ce village entouré de grandes montagnes, un paysage magnifique. La gentille conductrice m’indiqua l’hôtel le moins cher et le plus confortable, je la quittais avec mon plus charmant sourire, avant de me lancer dans la quête d’une chambre propre.

L’hôtel était simple, avec un plancher en bois qui sentait l’ancien temps, la tapisserie était floralement terne, la chambre m’avait coûté une semaine de salaire pour y rester quatre jours. Durant mon séjour, j’avais pris l’habitude de prendre le journal, pour y chercher les petites annonces d’emplois. Juste à temps, une annonce avait attiré mon attention, un certain M. Morrins cherchait une aide pour tenir sa maison, l’employé pouvait loger sur place, repas compris, avec un salaire versé à la fin du mois. Je n’ai pas réfléchi plus longtemps, le jour même, je passais un coup de téléphone à ce M. Morrins, pour obtenir le poste dans les minutes suivantes. Je quittais l’hôtel en direction de mon futur chez-moi, près d’un lac avait-il précisé, en retrait du village.

C’était une maison adorable, même M. Morrins se montrait très aimable avec moi, il me montrait ma chambre, m’expliquait mes tâches quotidiennes. Très rapidement, il commençait à s’attacher à moi, si bien que je pouvais l’appeler Bertrand. Les journées se passaient bien, le matin je me levais tôt, pour lui préparer un petit-déj, ensuite j’allais faire des courses au besoin, et je nettoyais la maison seulement trois jours par semaines, j’étais libre le reste du temps, sauf à l’heure des repas. Le soir, Bertrand et moi mangions ensemble au coin de la cheminée, j’aimais bien discuter avec lui. Comme je n’avais jamais eu d’activités à moi, et que je n’étais pas allé à l’école depuis quelques années, il mettait un point d’honneur à me faire lire le plus possible, en m’interrogeant sur le contenu des livres, sur ma pensée.

Mais ce que j’adorais le plus, c’étaient ces après-midi ensoleillées dans la serre, on prenait place à une grande table en bois, près de la vitre qui donnait sur le petit lac en contrebas. Là je plongeais dans ma lecture et lui commençait à me dessiner. Le silence régnait, où seul le bruit du taille-crayon, ou de la mine qui dessinait sur ce papier carton se faisaient entendre. La chaleur si particulière du soleil me donnait envie de dormir, je me sentais si paisible et en confiance, c’étaient les plus beaux moments de ma jeunesse.

Le temps que je passais avec lui me faisait du bien, tant qu’au bout de six mois de cohabitation, il était devenu mon univers tout entier. Je ne le voyais pas comme un grand-père gentil, mais comme un homme que je chérissais, je m’étais attaché à lui et lui à moi, cependant je doute que mes sentiments encore naissants à son égard allaient être partagés un jour.

J’aimais surprendre son regard sur moi, quand il esquissait mon portrait, j’aimais le voir rougir quand je faisais des allusions discrètes, j’aimais son sourire quand il parlait de ses passions et j’aimais la manière dont il me dessinait.

Ce n’était qu’au bout d’un an que je prenais mon courage pour aller lui parler, lui exprimer mon amour sincère. S’il me rejetait, je partirais le lendemain, je ne pourrais pas supporter de vivre avec lui le reste de ses jours sans pouvoir être aimé de lui de la façon dont je l’aime.

Il était surpris de me voir entrer dans la serre à une heure si tardive, je savais qu’il aimait rester admirer la nuit ici, plongé dans ses pensées. J’avais remarqué sa mine inquiète quand il avait vu mon visage si nerveux, quand je me suis approché de lui pour lui dire que je l’aimais, mes yeux brillants de larmes sous les doux rayons de la lune.

Quand je l’étreignais doucement, il me serra contre lui à son tour, je n’entendais plus que le battement de mon cœur, il ne disait rien du tout. Je le regardais alors droit dans les yeux, qu’il puisse y lire tout ce que je ressentais et chuchoter une seconde fois que je l’aimais. Il était troublé, et me demanda alors comment je pouvais éprouver ce genre de sentiment pour un vieillard comme lui. Était-ce sa manière de me rejeter ?

Dans un excès de douleur, je l’embrassais avec ardeur, débordant d’amour que je ne pouvais plus contenir. Une fois notre premier baiser achevé, je me détachais de lui pour le couver une dernière fois de mes yeux bleus. Je sentis alors sa main effleurer ma joue pour sécher mes larmes. Ses yeux humides à leur tour m’imploraient tandis qu’il se confessait sur ses sentiments. Il m’aimait depuis le premier jour.

Nos deux corps s’unissaient cette nuit-là, dans cette magnifique serre où la rosée cachée par le ciel nocturne, se ferait surprendre par les premières lueurs du jour, le lendemain matin.

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