Amour aux morts

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Étant plus jeune, j’esquissais les plus belles choses dans mon esprit florissant, afin que mes yeux puissent se délecter de mes créations. Je leur donnais vie. Mon petit secret assez bien caché, peu importe ce que j’imaginais, je pouvais le voir, le manipuler, tellement je le désirais au fond de mon être. Après quelques années, je me spécialisais dans la projection de personnes réelles ou fictives, un acteur que j’aimais bien ou encore un personnage de roman. C’était un plaisir particulier de parler à des gens dont j’ignorais la vraie nature, discuter avec eux durant de longues minutes, créer un lien véritable, tisser des relations concrètes, imaginées de toutes pièces. Un pur bonheur. Bien que je me sentais souvent coupable d’être seule dans la réalité, de forcer ces êtres à m’aimer, de leur faire dire ce que je voulais entendre, mais ce n’était pas si grave.

Je possédais une capacité d’introspection spectaculaire, toujours un pied au bord du gouffre de la folie indisciplinée, mais sans jamais tomber si bas, les yeux encore grands ouverts sur mes faiblesses. Je me suis déjà souvent posé la question : ai-je un vrai penchant schizophrénique ? Est-ce réellement une maladie mentale ou simplement le fruit de ma bêtise ? Mais par la suite, je pensais que la plupart des gens cachaient ce genre de vices imaginaires, personne n’en parle, tout le monde en a. C’était amusant d’observer ces personnes dans la rue, avec des entités flottantes autour d’elles, amicalement, de vouloir les étreindre et leur dire « Nous sommes du même monde, ne t’inquiète pas, tu n’es pas seul. ». Tout cet imaginaire n’est que l’amour que nous nous portons, au point de créer des choses chaleureuses pour remplacer la froideur de la solitude.

Grâce à ces merveilles auxquelles je donne vie depuis des années, et ce, quotidiennement sans aucune interruption, je suis dotée de plusieurs facultés artistiques. Ces dons, au départ, je les plagiais sur des gens qui m’inspirais : ma mère chantait et faisait de la couture, je faisais de même, ma sœur dessinait, je dessinais aussi, Alice au pays des merveilles rêvait des merveilles, je faisais de même. Aujourd’hui, je peux faire plein de choses, mais, j’ai eu la malice d’atteindre des domaines que personne ne m’a montré, dont je suis très fière, car c’est à moi seule que je le dois, notamment mon goût pour l’écriture, avoir un style vestimentaire classe, coudre des vêtements chics avec peu d’argent et changer d’esprit sans effort, devenir un homme, une femme, une sorcière, un vampire, la mort, de l’air, peu importe, je fais de tout.

Mais le meilleur, ce sont ces moments d’oubli total, comme si je perdais la vie dans un endroit sombre, chaud et réconfortant. Alors je me mets à chanter mon cœur entier et des lumières magnifiques dansent devant mes yeux, de la magie enveloppe l’air, tout sent bon les fleurs, la cannelle et le lait au miel. Mon corps n’est plus le mien, je le donne au monde. Une fois le rituel terminé, je prépare un bon thé fumant, jouant avec la vapeur qui s’en échappe librement et je parcours ma maison en dansant, afin d’atteindre un endroit agréable pour continuer ma vie de jeune fille occupée.

J’ai énormément d’admiration pour les personnes ayant elles aussi une belle imagination, de l’éloquence, une vision intéressante, propre à eux-mêmes. Et aussi pour ceux qui ont goûté à la saveur de la souffrance, ces personnes possèdent un charisme presque palpable, quand on a la chance de les côtoyer de près. Réussir à caresser leur souffrance et les embrasser, les inviter à danser dans ma ronde infernale, voilà une autre chose que je chéris dans la vie. Ces personnes, je les voyais flotter au-dessus de moi, comme je brûlais de les rejoindre ! Grandir avec elles, partager leur savoir, être peinte à leurs côtés dans le tableau de leur histoire.

Peu de fois j’ai eu le bonheur de vivre ce genre d’expérience de réalité, une ou deux fois tout au plus, inoubliable. Et ce qui fait le plus mal, c’est que mon souvenir pour ces personnes est oubliable. Je les comprends, je suis même de leur avis, bien que je continue à les désirer dans le paysage déjà trop triché de ma vie imaginaire. J’ai aimé profondément ces personnes, mon cœur reste fidèle à leur mémoire, je les aime.

Je voudrais simplement les regarder sourire, savoir qu’elles sont les plus heureuses du monde, même sans moi, que je ne compte pas, ce n’est pas grave. Je vous aime au-delà de vouloir que vous m’apparteniez, la liberté est tellement plus jolie, que mes yeux scintilleront toujours pour la célébrer. En réalité, c’est moi qui suis morte pour eux, mon fantôme flotte autour d’eux, jusqu’à ce qu’une jeune fille s’approche, pour nous dire que tout va bien et nous enlacer tendrement. Les nouveaux amours de mes amours, je vous aime aussi.

J’aime des personnes mortes depuis longtemps, parfois même des personnes n’ayant jamais eu la chance de vivre. Dans ce monde que j’ai façonné de mes mains, de la femme que j’ai modelée de mon esprit, j’éprouve encore la force d’aimer ceux qui ne sont plus ici. Ceux qui ignorent ce monde imaginaire, bien qu’ils y aient dansé avec moi. C’est magnifique.

Je tiens à vous encore et pour toujours. Bien que je n’existe plus pour vous, je donnerais ma vie, pour revoir les couleurs de la votre encore une fois, vous êtes les morts de mon amour intemporel. Merci d’avoir existé dans mon paradis, d’avoir laissé votre emprunte. Je souris déjà aux futurs amours que je rencontrerai, laissant l’éclat si beau de mes larmes illuminer la route de mes anciens amours.

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