In my grave, sweetheart, when you came close

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Dans la boîte en bois de chêne, jamais plus vivant, mais pourtant pas totalement mort, Joseph fredonnait encore sa mélodie post-mortem, qui s’élevait de sa tombe pour aller caresser de son souffle le monde des vivants. Allongé dans la terre depuis des siècles, toute forme physique résolument abandonnée, son âme demeurait sous la forme du jeune homme fringuant qu’il avait été jadis. Vêtu de sa plus belle parure, un vêtement d’apparat splendide semblable à la couleur du ciel nocturne, brodé de minutieuses fleurs d’or, ainsi qu’une agréable chemise de soie écrue, un bas noir et de grandes bottes bien cirées, le tout choisi avec soin par ses proches, peu avant son inhumation. Sa deuxième jeunesse spirituelle, corps qu’il pouvait mouvoir à sa guise, sans pour autant avoir la force nécessaire pour quitter le tombeau. Son espoir de pouvoir sentir l’air frais du monde l’avait quitté depuis longtemps.

À quoi pouvait-il bien ressembler ? Il ne s’en souvenait plus. Seuls ses longs cheveux blonds qui encadraient son visage de boucles intemporelles lui indiquaient qu’il devait être coquet de son vivant. Ses mains étaient belles, mais la pulpe des doigts était durcie, certainement un indice de son passé, sans doute un jeune musicien, pianiste ou violoniste, ce qui expliquait son goût pour la musique. Il aimait les vibrations qui émanaient de ses cordes vocales quand il entamait son chant, moduler les sons qui se réverbéreraient sur les parois de son cercueil, créant ainsi un monde sonore absout du reste de la vie elle-même. C’est ainsi qu’il se protégeait des pleurs et cris des autres dans le cimetière, sa barrière de sons l’empêchait d’entendre au-delà de sa boîte, de son monde.

Parfois, les vivants enterraient un nouveau voisin, un divertissement assez rare. Tous se taisaient pour profiter pleinement du spectacle qu’offraient les voix humaines. Joseph n’avait pas connu les films, mais en faisait une expérience dérobée durant les éloges funèbres. Se focaliser sur des voix bien précises et écouter leurs pensées, certains haïssaient le défunt, d’autres pleuraient leur liaison avec lui et ainsi de suite. Le plus pénible dans l’histoire restait les lamentations déchirantes du cadavre, une épreuve terrible dans la mort, tous étaient passés par là et comprenaient sans peine ce calvaire de l’enterrement et des premières décennies sous terre.

Le jeune Joseph ne chantait jamais aux enterrements, par respect imaginait-il, la curiosité l’emportait toujours au moindre nouveau son qui provenait d’en haut, si seulement les mortels pouvaient venir nous faire la lecture, pensait-il, toujours en phase à un ennui aussi profond qu’éternel.

Des pas, de légers pas qui effleurait discrètement le sol. Un enfant ? Non, il émanait une douceur candide dans tout le cimetière, les autres l’avaient entendu aussi. C’était une demoiselle, il pouvait aisément entendre le bruit de ses cheveux au contact de sa peau quand elle avançait, le bruissement de sa robe un peu trop légère pour la saison. Il prenait plaisir à écouter les battements réguliers de son cœur et sa respiration exquise.

Layla, la belle Layla au plus agréable battement de cœur qu’il n’avait jamais entendu, venait rendre visite aux défunts simplement pour son plaisir vivant. Ses pensées sereines appréciaient chaque parcelle de terre du cimetière silencieux. Joseph acheva d’en tomber amoureux lorsqu’elle lut son nom sur sa pierre tombale, Layla était une présence divine en ces lieux désolés, comment ne pas s’attacher à cette jeune femme intéressée par lui au point de lire son nom ?

Il ne put se retenir de chanter pour elle, une ode à la femme qu’il aimait outre tombe. Les notes s’envolaient vers Layla, embrassant son cou, enlaçant son corps. Ses pas semblaient danser au rythme de la mélodie de Joseph, il n’en fut que plus heureux encore, si bien que le cimetière entier commença à taper la mesure tous ensemble, dans un fabuleux concert à la gloire de l’amour pour Layla, tous lui avaient donné leurs cœurs fantomatiques, et elle continuait sa ronde joyeusement parmi eux.

Pendant des années, Layla continua de revenir. Joseph chantait pour elle à chaque année qui s’écoulait depuis leur rencontre. Il la vit devenir épouse, puis mère, puis grand-mère, jusqu’à ce qu’elle succombe de la plus paisible mort qui soit. Ses cendres furent dispersées dans le cimetière.

Joseph commença un chant déchirant, ponctué des pleurs des autres morts, Layla ne viendrait plus.

Mais une splendide jeune femme vêtue d’une robe un peu trop légère pour la saison, riait doucement en dansant dans le cimetière, guidée par la voix de son bien-aimé, qu’elle n’avait jamais cessé de venir voir des années durant, pour l’écouter chanter en l’honneur de son amour pour elle.

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