La petite déesse

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Je n’avais tué personne. C’est ce que je m’évertuais à essayer d’expliquer aux hommes venus exprès pour moi. Un comité d’accueil épouvantable, très excentrique, d’hommes vêtus d’un habit en vinyle rouge vif, criard à souhait. J’avais d’abord pensé à une mauvaise blague. Comment des kidnappeurs pouvaient-ils être aussi peu discrets ? À moins que cela faisait le charme de toute la manœuvre, être vu et bien vu, pour que plus personne ne s’intéresse à eux, mais cela relevait de la fiction. Que faire ?

Un long manteau brillant comme le sang. J’en aurais bien voulu un, fut un temps, durant une période d’exubérance profonde, où la vie était trop noire et que la drogue ne faisait même plus assez de bonheur. Du rouge, c’était la couleur que je voulais. Néanmoins pas de la façon la plus banale qui soit, je n’aurais pas pu faire pire, ou mieux.

Ces clowns m’emmenaient je ne sais où, pour je ne sais quoi faire de ma peau. Je cessais de me débattre, quand ils m’enfermèrent dans cette superbe voiture noire, comme neuve. Certes, mes ravisseurs étaient des personnes avec un goût très sûr, mais une fois coincé entre ces quelque dix énergumènes, je ne pouvais plus fuir. Alors, inutile de s’infliger de la douleur pour rien, je me tenais à carreau. N’empêche quelle belle caisse, je n’aurais jamais les moyens de m’offrir quelque chose d’aussi beau.

Je n’avais pas toujours été un ange, je l’avouais volontiers, mais au point de finir ma vie comme ça, c’était quand même décevant. Merde, comment avais-je pu tomber encore plus bas, je pensais m’être déjà bien installé au fond du gouffre, la vie me surprendra toujours.

Les hommes ne parlaient pas. Je n’entendais que ma respiration difficile, du ruban adhésif me scellait les lèvres. Vous savez, le gros, gris métallique, celui qu’on cherchait toujours quand on en avait besoin, et qui apparaissait une fois son utilité passée. Je craignais le moment où ils me l’ôteraient, priant pour que la peau ne parte pas avec.

Une fois sorti de la voiture, à regret, j’avançais, maintenu par les bras de deux d’entre eux. Les autres suivaient de part et d’autre d’un grand couloir froid, sale et sans couleur. Je me risquai à demander pourquoi. L’un me répondit que j’avais tué une jeune fille et que c’était ma punition pour ce crime. Un autre se contenta de murmurer « meurtrier » suffisamment fort pour que je puisse le capter tandis que l’autre énonçait ce fait.

Ils avaient raison, du moins, jeune fille n’était pas le terme approprié. Elle était assez âgée pour avoir conscience de ce qu’elle faisait, parfaitement mûre.

Enfin, au bout de ce couloir interminable et lugubre, les manteaux rouges me jetèrent, littéralement, dans une cellule rouillée et pouilleuse. Mon corps atterrit lourdement sur le sol en béton, dans un craquement. Je n’avais pas su dire exactement ce que je m’étais cassé. Je n’étais pas médecin, mais ce que je savais en revanche, c’est que mon corps entier me faisait un mal de chien. Semblable à une géante plaie ouverte, d’où des os fendus sortaient joyeusement tels des couteaux. Chaque respiration me transperçait d’une souffrance aiguë.

Je ne revis pas la couleur sanguine pendant une éternité, aussi bien qu’elle me manquait. Mes agresseurs m’avaient, semble-t-il, oublié ici ou ne voyaient pas l’intérêt de venir me visiter, dans cette cage dégoûtante, visqueuse. Parfois, de l’étage du dessus, on me balançait une conserve de n’importe quoi, parfois juste des condiments et plus rien, jusqu’à ce qu’ils se rappellent de me donner à manger. Pour ce qui était de l’eau, la tuyauterie passait par ma cage. J’avais percé un trou pour m’y abreuver goutte par goutte, mais le plus simple était de laisser des conserves vides se remplir d’eau qui coulait lentement des tuyaux percés. Je n’avais jamais compris pourquoi ils ne me donnaient pas d’eau, alors qu’ils me maintenaient en vie en me nourrissant, il devait leur manquer une case.

Puis, un jour, la vraie raison de ma présence ici m’apparu et pourquoi ils ne m’avaient pas tout simplement supprimé vite fait bien fait.

En attendant cette révélation, j’avais eu le temps de penser à elle, cette pauvre victime. Oui, quelle pauvre petite fille j’avais lâchement assassiné. Vous vous foutez de qui sérieusement ? Cette sale garce désirait vivement mourir par ma main, elle m’a hanté, inlassablement, pour que mon couteau aille se planter dans sa sale gueule. C’était facile pour elle.

L’hiver était de loin le plus difficile, être seul, dans un coin de rue abandonné même de la lumière, ne pas avoir la force de bouger ne serait-ce que le petit doigt. J’étais là, assis contre ce mur humide et congelé, les jambes allongées devant moi, la seringue ramassée dans les poubelles encore plantée dans mon bras gauche. Mon corps ne m’appartenait plus en hiver, juste on esprit pas assez défoncé restait éveillé, je ne sentais plus rien.

J’avais dû entendre le bruit de ses talons claquer. Ce son insupportable qui approchait. Sans m’en rendre compte, j’avais ouvert les yeux, mais je ne voyais rien. Trop flou, irréel, je voulais juste me rendormir et oublier que j’existais encore. Seulement, cette femme en avait décidé autrement. Si bien, que toute cette nuit, elle s’amusait avec mon corps inerte.

C’était…oui c’était exactement comme ça, elle s’était arrêté devant moi, et avait parlé. Je n’entendais pas ce qu’elle me disait, et ma vision ne me permettait pas de la voir distinctement. Sans le voir venir, je sentis une vive douleur dans mon œil gauche.

Elle avait planté la seringue. Pas qu’une fois.

Ensuite, elle m'asséna des coups de pied dans l'abdomen, si fortement qu'elle tomba. Elle s’énervait encore plus. Pourquoi était-elle en rage au départ ? Je ne lui avais rien fait. Pourquoi elle n’avait pas réussi à m’achever cette nuit-là ?

Je me souviens avoir de nouveau ressenti la morsure du froid, toute la douleur remontait dans un feu d’artifice dans mon corps. Mon œil encore valide voyait très bien. J’hurlais à la mort avec elle, à l’unisson. Je sentais aussi le contact du métal glacé sur ma cheville, le couteau que je gardais précieusement dans une de mes bottes. Peu s’en fallut pour que je me saisisse du manche, me coupant au passage, et de voir la lame enfoncée dans son œil gauche, à elle aussi. Pas qu’une fois. Je l’ai poignardé tellement de fois, criant comme un possédé, ayant retrouvé tellement d’énergie, je voulais voir cette couleur rouge encore et encore. Je m’en peignais le visage, c’était chaud, réconfortant.

Quel beau jour en réalité, sacrifier un œil, quelques os, et une femme folle pour sortir de la rue et de ce froid terrifiant. La morte avait un beau portefeuille, bien rempli, je ne me fis pas prier. Je réussis à aller tant bien que mal, m’effondrant et me relevant, jusqu’à un hôpital. J’y restais quelques semaines, le temps que mon œil soit soigné, enfin, que le simple fait d’activer le globe oculaire ne me lancinait plus. L’autre fonctionnait toujours, tandis que l’autre était mort pour de bon. Il fallait aussi me sevrer, donc pas de morphine.

Cela faisait à peine deux heures que j’étais sorti de l’hosto, je profitais pleinement de ma chambre d’hôtel miteuse, qui était le plus grand luxe que je m’offrais depuis des mois. La suite vous la connaissez.

Même cette prison mal lotie n’était pas si mal, j’avais froid, mais je pouvais encore manger parfois et il y avait de la lumière.

Alors, quand je revis ces clowns rouges, cela me fit presque plaisir. Ils m’amenaient une partenaire de cellule, une fillette d’à peine quinze ans, à première vue. Elle entrait dans la cage sans aide et alla s’asseoir dans un coin. Je ne dis rien. Les hommes riaient et ne sont pas restés longtemps. Je ne comprenais pas ce qu’il y avait de drôle, jusqu’à ce qu’ils échangent de l’argent sous notre nez, pariant ouvertement sur lequel des deux boufferait l’autre, pour reprendre leurs termes. Je saisissais que la petite demoiselle devait, elle aussi, avoir trempé dans le meurtre, mais elle avait l’air inoffensive. Assise là, ses bras nus autour de ses genoux, dans une robe blanche sans forme particulière. Pâle comme la mort, les yeux gris sans lueur et de longs cheveux noirs, très épais, qui devaient lui tenir chaud dans cette tenue légère. Ce qui me frappa, c’était son inexpression absolue.

Il faisait encore jour, je ne m’aventurais pas à lui parler, elle était dans son monde, autant l’y laisser pour le moment. De toute manière, si elle se montrait violente, je pourrais la maîtriser facilement. Je m’allongeai près de mes précieuses conserves d’eau pour dormir tranquille.

Quelque chose de froid m’extirpa de mon sommeil, des gouttes me tombaient sur le visage. Le plafond devait encore être imbibé d’eau. Non. Quand mon œil s’ouvrit, je vis cette petite léviter au-dessus de moi. Je devais rêver. Toujours impassible, les bras le long du corps, sa robe blanche flottait légèrement, et ses grands yeux gris, vides, pleuraient.

Je ne dormais plus, tout ceci était bien en train de se produire.

« Pourquoi tu pleures ? »

Au fond, j’avais peur. Qu’est-ce que c’était ? Mais au-delà de ça, elle me faisait de la peine. Je comprenais ses larmes, et m’invitaient à partager sa souffrance dans ces ténèbres. Bizarrement, je voulais m’offrir à ses bras parfaits, à cette déesse de lumière qui volait au-dessus de moi, qui n’arrivait pas à laisser son visage se déformer de chagrin. Pauvre petite chose.

« Je suis un monstre. » souffla-t-elle sans qu’un seul sanglot ne trahisse sa jolie voix.

J'ignorais depuis combien de temps mes bras étaient tendus vers elle, avant qu'elle ne s'y love. Je me sentais si bien à son contact chaleureux, je ne la serrais pas trop fort pour ne pas lui faire mal. Nous étions uni, depuis l’éternité, je ne pensais qu’à elle, mon ange de pureté, mon monstre adoré.

« Viens avec moi. »

Elle me releva, je flottais moi aussi. Elle comprenait l’étendue de ma douleur, elle connaissait tout de moi, chaque parcelle de mon être et l’acceptait avec amour, sans jugement.

Je vis les hommes en rouge arriver en trombe, crier, frappant les barreaux. Pourquoi réagissaient-ils ainsi ? C’était si beau messieurs.

Ma déesse lâchait ma main et s’avançait dans leur direction. Je la vis écarter les barreaux sans peine, tandis qu’ils lui criaient qu’elle avait eu ce qu’elle voulait. De quoi parlaient-ils ?

Elle se tournait vers moi, un halo de lumière blanche encadrait son corps qui tenait encore les barreaux, déformés par sa force magnifique.

« C’est fini. »

Puis, dans une vitesse folle, elle se jetait sur les hommes, les dévoraient dans une danse sanglante, leur arrachant la gorge avec les dents. Ils tombaient tous, dans un bain vermeil, qui s’accordait parfaitement à leurs vêtements souillés par la mort.

Elle avait totalement disparu.

J’ouvrais alors péniblement l’œil.

Dans cette ruelle horriblement froide, une seringue dans la paupière, la douleur qui ne me quittait pas, à chaque respiration. La mort dans l’âme.

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