17 - Terreur désaccordée

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« Le drame de Longuelande n’était pas le premier mais le plus sanglant et bouleversant des raids orchestrés par les Ovarks. Nous devons à ce tragique événement, qui impliquait directement un Théologiste pour la première fois, d’avoir donné l’alerte dans tout le Monde Éclairé. Les Ovarks, par petits groupes, avaient déjà fortement infiltrés nos terres, et leur menace était bien plus sérieuse que nous ne l’avions imaginée. C’est la succession de tragédies similaires à celles de Longuelande qui décidèrent la Théologie à former une véritable armée. Toutes les classes sociales du Monde Éclairé furent mises à contribution pour bâtir le corps de la Première Légion, un modèle étendu de l’Instance de l’Ordre qui était elle-même une adaptation de l’ancienne structure militaire conduite par Duval durant l’Hiver Noir. Une véritable machine de guerre constituée de fantassins, de cavaliers, d’artilleurs et des puissants Théologistes était née. »

Extrait de « La guerre ovarke », ouvrage historique.

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Le village de Fauvegris doit son nom à la meute de loups de la même couleur qui séjourne régulièrement dans cette région de la Vallée de Langueur. Sise au pied des montagnes, elle est nichée dans le creux formé par la crête de Dis et les hauts plateaux des Monts Infranchissables. La Vitale s’écoule non loin de là, au nord, et la terre s’en est gorgée au fil des années créant des résurgences à divers endroits, remplissant les vallons de petits ruisseaux. Fauvegris est construit en hauteur et les fermiers cultivent les coteaux exposés au Dieu Solaire. Les basses terres sont trop régulièrement inondées, jusqu’à en être marécageuses, pour espérer y réaliser la moindre agriculture viable. Une vaste forêt de feuillus régule la forte irrigation naturelle. Elle se dresse le long du lit de la rivière et draine une masse d’eau considérable. Dans cette région vallonnée la forêt a une particularité notable. Sur les flancs éclairés du relief les arbres sont petits, nombreux et touffus alors que sur les coteaux moins exposés les plus forts ont atteint une taille suffisante pour capter la lumière de Dieu Solaire. Ils y forment une canopée sous laquelle les végétaux les moins exigeants se sont renforcés au milieu d’entrelacs géants de racines noueuses.

Il y a deux routes principales pour sortir de la région. L’une, la Route du Marais, part vers le sud en direction de Riverousse. Elle a été créée pour traverser la zone marécageuse à pied sec. Il s’agit d’un monticule rectiligne s’élevant de plusieurs mètres au-dessus du niveau de l’eau, que n’importe quelle pluie prolongée rend boueux à souhait. Ce ruban de terre d’environ dix kilomètres de long mène à une passe qui permet de franchir les collines et d’accéder à la section ouest des Plaines de Langueur. La seconde, la Route du Sous-Bois, serpente dans les collines à l’est, à la lisière entre la canopée et la forêt épaisse. Il s’agit plus d’une piste que d’une route. Seul le passage régulier des convois de céréales au début de l’été et de maïs en automne la maintient visible et praticable. C’est la voie la plus courte pour rejoindre, à Sentardue, la Grand Route de l’Éclat Solaire qui relie Dis à Jolinar en traversant les Hauts et les Marches de Langueur, puis le reste de la vallée du même nom.

Érik Plavel chevauche à bonne allure sur cette piste arborée. Il arrive de la capitale et se rend à Fauvegris. C’est une voie qu’il connaît bien. Cinq mois après le Jour Divin, en plein milieu de l’automne, c’est non seulement l’itinéraire le plus praticable mais aussi le plus court, bien qu’il soit plus accidenté. Il y croise les ultimes caravanes des céréaliers qui se rendent à l’est dans la Vallée puis sans doute à la capitale pour y vendre leur production. Pour eux, franchir la Route du Sous-Bois est un véritable parcours du combattant. Ils doivent si souvent débloquer les roues de leurs chariots se coinçant dans un enchevêtrement de racines qu’ils marchent à côté du véhicule pour intervenir plus rapidement. Les plus lents mettent parfois trois jours à franchir les collines, ce qui les place à une décade de la cité compte-tenu de la longue ascension qui les attend. Ils mettraient plus de temps et souffriraient davantage à prendre la Route du Marais qui les mène trop au sud, les obligeant à faire un long détour pour rejoindre la Grand Route de l’Éclat Solaire, cela ne leur laisse guère le choix. La Théologie a promis de faire le nécessaire pour bâtir une route plus directe et plus pratique. Ce n’est pas une promesse en l’air. Carlo At’Kartom, le grand intendant, n’ignore pas le fantastique potentiel de la région de Fauvegris, une des plus riches des Marches de Langueur, mais les événements n’ont pas permis, à ce jour, d’envisager le démarrage du chantier.

Le jeune homme n’est pas très concentré sur son environnement. Il n’a rien à craindre dans la région. Les seuls biens dignes d’intérêt sont les céréales, très difficiles à faire sortir des collines pour une valeur marchande qui ne vaut pas cet effort. C’est pourquoi les bandits de grand chemin n’y opèrent pas alors qu’ils sont monnaie courante dans la Vallée de Langueur. Le plus souvent ce sont des « loups » survivants de l’Hiver Noir qui, peu désireux de retrouver la civilisation, vivent pourtant à son crochet usant de deniers dérobés pour subsister. La Théologie a fait le nécessaire pour se débarrasser du plus grand nombre, mais il est impossible de tous les retrouver. Toujours est-il qu’Érik ne s’attend pas à voir surgir un groupe d’hommes sur ce chemin pour lui bloquer le passage, pas plus qu’il ne s’attend à ce que ce soit des militaires de la légion. Il ne dévie pas de sa route et va à leur rencontre comme si de rien n’était.

– Halte ! ordonne le chef de la troupe.

Érik tire doucement sur les rênes de Raten pour l’arrêter.

– Que se passe-t-il, Arbitre ? demande le jeune homme après avoir identifié le grade du Théologiste.

Le gradé applique son protocole sans répondre.

– Descendez de selle. Nous devons prendre connaissance des motifs de votre visite.

Le coursier s’exécute. Les raisons de son voyage sont tout à fait justifiées. Après s’être écarté du chemin il attache la longe de sa monture à un arbre et répond aux interrogations de l’officier. En dehors de l’Arbitre il n’y a pas d’autre Théologiste, mais il a sous ses ordres une décurie.

– Principalement du courrier à destination de messire At’Prahen, répond-il à une énième question.

Un des soldats consigne les réponses dans un registre.

– Montrez-moi ! ordonne l’Arbitre.

Érik soupire ostensiblement et va fouiller les fontes de son cheval. Il en sort un paquet et un pli scellé sur lesquels se trouve écrit le nom qu’il a précédemment cité. L’Arbitre examine le sceau de la lettre.

– D’où est-ce que ça vient ?

– De Dis, c’est le sceau de la famille At’Fergis.

Le Théologiste hoche la tête. Il n’ignore sûrement pas qui est cette famille mais il ne connaît probablement pas son sceau. Érik croit un moment qu’il va le briser pour lire le courrier. Il n’en fait rien. Il rend le pli au jeune homme et ne s’intéresse même pas au paquet. Il se contente de réciter la formule marquant la fin de l’entretien.

– Merci citoyen, vous pouvez y aller.

Érik renonce à demander à l’officier la raison de ce contrôle. Il sait qu’il n’aura aucune réponse. Ce Théologiste ne sait peut-être même pas ce qu’il fait ici, se contentant d’exécuter les ordres que son officier supérieur lui a donnés. Le coursier remonte sur Raten et s’éloigne du groupe de soldats en direction de Fauvegris. Il est plus attentif à présent. Un tel groupe n’opère généralement pas seul et un Arbitre rend des comptes à un Gardien, lequel doit disposer d’une base d’opérations. Érik a reconnu le tabard bleu de l’Instance de l’Ordre sur le Théologiste. Ses soldats proviennent en revanche de la Première Légion, ce qui forme une association plutôt inhabituelle.

Le jeune homme ne vient pas à Fauvegris sans raison mais le courrier destiné au seul noble qui réside par ici, Algor At’Prahen, n’est qu’un leurre. Si l’Arbitre avait poussé la curiosité jusqu’à ouvrir la lettre il aurait constaté qu’elle ne contient aucun texte. Le fils Plavel espère secrètement ne pas tomber sur un officier plus zélé avant d’arriver à destination. À sa grande surprise il ne repère pas l’ombre d’une seule position Théologiste en traversant le bourg.

Le manoir des At’Prahen se dresse à l’écart du village sur une butte. Le domaine est cerné par un bois épais et seuls les toits de ses tours dépassent de la cime des arbres. Contrairement à la piste menant à Fauvegris c’est une véritable route qui relie le centre du village à la demeure du seigneur. Toujours sur le qui-vive, Érik repère des mouvements dans le sous-bois. Il ne s’en inquiète pas. Il sait exactement de quoi il retourne. Il mène Raten au pas jusqu’à l’enceinte du manoir. La grille est ouverte. Algor At’Prahen élève des chevaux et de nombreux palefreniers et autres entraîneurs s’affairent autour des équidés. Convoyer et stocker le fourrage, nettoyer les pistes, les enclos et les outils, nourrir et brosser les bêtes, une véritable fourmilière s’occupe de tout ça. Érik se rappelle la première fois qu’il est venu et reparti avec Raten, trois ans plus tôt. Une certaine nostalgie l’envahit à chaque fois qu’il revoit cet endroit. Le jeune homme aime beaucoup les chevaux et il n’a pas choisi le métier de coursier sans raison. L’élevage lui aurait aussi convenu mais il ambitionnait de visiter le monde, qu’il soit ou non éclairé. Le fils Plavel s’est toutefois engagé dans une toute autre voie. Passer le plus clair de son temps avec Raten est finalement le seul vrai plaisir qu’il a conservé.

On le connaît ici et il n’a qu’à tendre la longe pour qu’un garçon d’écurie vienne prendre en charge son compagnon. Il traverse ensuite la grande cour jusqu’à l’entrée de la résidence du manoir. La porte s’ouvre avant qu’il y parvienne et une femme vêtue comme un homme en sort. Elle a une trentaine d’années. Ses cheveux blond paille sont coupés courts. L’ovale de son visage est plus étroit au niveau du menton et ses lèvres pincées. Son nez est large et diminue son charme, malgré ses yeux bleu clair à l’intensité troublante. Érik, qui fait une tête de plus qu’elle, arrive à sa hauteur.

– Bonjour Carol, lui dit-il en inclinant légèrement la tête.

– Érik, fait-elle sans plus de cérémonie. Viens.

Le jeune homme la suit à l’intérieur du bâtiment. Des serviteurs le débarrassent de son manteau et de son arme. Il emboîte le pas à son hôtesse et arrive dans un petit salon où elle l’invite à s’asseoir. Il se laisse choir dans un fauteuil en soupirant d’aise tandis qu’elle prend place sur une petite banquette.

– Quelles sont les nouvelles à la Capitale ? demande Carol.

– Nous concernant, pas grand-chose. Il y a toujours plus de rumeurs et d’agitation à propos des guérisseurs atarks. Les Humains commencent à tellement y croire que certaines familles se déplacent dans le quartier Roc pour y faire soigner un proche malade ou mourant. Si des guérisons miraculeuses se produisent encore, elles sont particulièrement discrètes car je n’en ai rien su. Il est aussi question d’une nouvelle divinité.

– Le Seigneur Hiver ?

– Oui, c’est ça. Ce nom circule dans tout Dis. À ce rythme il aura atteint les Confins sous peu. Avec lui arriveront un lot de questions et de racontars. Je ne pensais pas qu’une telle histoire, fut-elle vraie ou non, pût déclencher un tel remue-ménage. J’ai l’impression que c’est plus efficace que d’essayer de priver les nobles de leur dose d’Usu, conclut Érik en souriant.

Le trait d’humour n’arrache pas un frémissement à Carol.

– Rien d’autre ?

– Si. Les autorités ont rendu public l’enlèvement d’Adana Tarsis et d’un représentant du peuple Atark. Je ne saurai dire pourquoi mais les Atarks sont plus agités que jamais, comme si le type qui a disparu était particulièrement important. Chez les nôtres, le rapt d’Adana n’est pas sans conséquence non plus. Beaucoup s’inquiètent de son devenir.

La femme joint les mains devant sa bouche en dévisageant son invité. Ce dernier relate les événements sans la regarder.

– Tu t’inquiètes pour elle ? s’enquiert Carol.

Le jeune homme scrute son hôtesse.

– Comme un frère s’inquiète pour sa sœur. Nos différends n’altèrent en rien la force de nos attaches.

Carol se contente de hocher la tête. Érik détourne à nouveau le regard et poursuit :

– De ce que j’en sais, l’Instance de l’Ordre fait des recherches dans toute la Vallée de Langueur. C’est sûrement pour ça que j’ai croisé une patrouille sur la Route du Sous-bois.

– Il y en a une aussi sur la Route du Marais.

– C’est logique. N’est-ce pas dangereux pour nous ?

– J’ai donné des ordres pour que toutes les précautions soient prises. Il y a une piste dans les montagnes qui nous permet de contourner les marais. Tant que nous n’avons pas besoin de nous rendre rapidement à un endroit donné, tout ira bien.

Érik croise le regard de Carol et se contente de hocher doucement la tête comme s’il comprenait.

– Comment va ton père ? demande-t-il.

– Il est au plus mal. Ses jours sont comptés.

– Oh… Je suis désolé. Tu lui as dit ?

– Non. Je préfère qu’il ne sache rien.

– Et si la Théologie débaroule ici ?

– Je le tuerai moi-même, répond froidement Carol.

Le visage d’Érik se ferme. Il donnerait tout pour avoir l’occasion de revoir son père en vie et lui assurer une vieillesse paisible. Érik sait depuis un certain temps déjà que Carol n’est pas juste une aventurière prête à tout pour ses idées et que son père, Algor At’Prahen, le seul parent qui lui reste, n’aurait jamais accepté de plein gré de la voir se compromettre dans une entreprise impossible avec un fermier comme Plavel. Elle ne lui a évidemment jamais demandé son avis et encore moins la permission. Algor est tombé malade durant la guerre atarke, lorsque Carol a pris ce nom et s’est mise à errer sur les chemins de Langueur à la recherche du sens de sa vie. Le vieil homme ne s’en est jamais remis. Quand Carol a proposé à Érik de faire du manoir At’Prahen une base arrière, le jeune homme ignorait encore tout de l’origine de son futur bras droit. Depuis, il en a appris beaucoup et comprend mieux les motivations de cette femme. Il sait que son véritable prénom est Natali.

Un coup à la porte interrompt le cours des pensées des occupants du salon. Carol invite le visiteur à entrer. Un homme franchit le seuil d’un pas décidé.

– Je te présente Straz, déclare Carol en se levant.

Érik l’imite et dévisage cet homme qui ne lui semble pas tout à fait inconnu.

– Érik Plavel, ajoute la femme en montrant le jeune homme.

Ils s’approchent l’un de l’autre et se serrent la main.

– Straz s’est mis à mon service, explique Carol. Il m’a contactée et m’a fait une proposition que je n’ai pas pu refuser.

– On s’est déjà rencontrés ? demande Érik au nouveau venu.

– C’est possible. J’ai servi dans la Première.

Le fils Plavel reporte son attention sur son hôtesse.

– Pourquoi ne me l’as-tu pas présenté avant de l’accueillir ?

– Je n’ai pas besoin de ton avis pour prendre une décision à ce sujet, répond Carol avec un sourire torve.

– Si tu étais la dirigeante de notre mouvement, peut-être, contre Érik. Mais…

– Et c’est très précisément le cas ! explose-t-elle. Tu croyais peut-être que j’allais supporter longtemps tes petites actions sans envergure ? Mais ce sont « mes » moyens qui financent « tes » opérations de pacotille. Et que veux-tu que nous fassions de la seule cargaison d’Usu que nous ayons jamais réussi à dérober ? Il suffit ! J’ai pris les devants et décidé d’utiliser mon temps et mes ressources à des actions plus significatives !

Érik recule d’un pas, effaré. Ses yeux se braquent sur Straz et un détail des nouvelles qu’il a glané à Dis lui revient subitement en mémoire.

– Oh non ! Tu as enlevé Adana ! C’est toi !

– Oui c’est moi, claironne Carol. Elle et son jouet atark. Un moyen de pression bien plus efficace que la rupture des lignes d’approvisionnement de l’Usu. Elle était allée fouiner à Jolinar. L’occasion était trop belle.

– Bon sang, Carol ! C’est de la folie ! Toute la Théologie va se mettre à nous chasser. Ils seront impitoyables.

– Ça tombe bien, moi aussi !

Érik reste un moment sans voix, alternant son regard entre son hôtesse et Straz.

– Elle est ici ?! demande-t-il.

Carol examine le jeune homme. Il est plus inquiet que véritablement en colère, mais ce géant est très impressionnant quand des émotions fortes l’animent. Straz, peu touché par les éclats du jeune homme, a quand même empoigné le fourreau de son épée.

– Si elle est ici, je veux la voir ! ordonne Érik.

– Réfléchis, imbécile, réplique la maîtresse des lieux. Elle ne sait rien de ton implication. Rejoins-nous ou laisse-nous gérer ça, mais ne me donne plus d’ordres !

– Si tu as au moins autant de respect que moi envers nos idéaux, laisse-moi la voir, Carol… s’il te plaît. C’est pour moi l’occasion de lui expliquer.

Carol hausse les épaules. Elle semble vouloir accéder à la requête d’Érik quand Straz intervient :

– Une minute ! C’est sa sœur à ce gars-là. Je n’ai pas confiance !

Carol foudroie le vétéran du regard.

– Je n’ai pas échangé un chef écervelé pour un associé insubordonné ! fait-elle agacée. Je sais ce que j’ai à faire. Ce gars-là est un type bien et toi tu n’es qu’un sale mercenaire qui se fait payer ses services à prix d’or. Ici je suis le chef, et on ne discute pas mes ordres !

– Petite bécasse, dit Straz en levant le poing, je ne sais pas ce qui me retient de…

– Moi ! le coupe Érik dont la main s’est refermée sur le poignet de l’ex-légionnaire.

– Oh bon sang ! crie Carol qui recule d’un pas en gesticulant d’agacement. Y’en a pas un pour rattraper l’autre ! Bande de crétins !

Érik retient le poing de Straz qui tente de se libérer sans succès. Ils s’affrontent du regard, muscles tendus. Au bout d’un long moment leur tension s’apaise un peu et ils consentent tous deux à relâcher la pression. Lorsqu’ils se séparent, la châtelaine reprend la parole :

– Bon ! Straz, file rejoindre tes hommes, j’ai une mission à vous confier et j’arrive pour vous l’expliquer. Érik, je te conduis à ta sœur. Dis-lui ce que tu veux, je te fais confiance pour ne pas en dire trop, mais ne compte pas sur moi pour la libérer ou la ménager. Elle est dangereuse, je ne prendrai aucun risque. Inutile de lui raconter des mensonges à propos de ce que je compte faire d’elle. De toute façon tu n’en sais rien et tu ne seras pas dans la confidence.

Le jeune homme se contente de hocher la tête. Straz fait claquer ses bottes en esquissant un semblant de salut militaire puis se retire. Carol lui emboîte le pas, suivie d’Érik. Tandis que l’ex-soldat sort par la porte principale du logis, la maîtresse des lieux emmène Érik à la cave. Cette maison existait avant l’Hiver Noir et ses caves ont toujours regorgé de vins. Les coteaux alentours ont probablement dû faire pousser nombre de vignes pour la remplir avec une telle quantité de breuvage. Le froid et l’obscurité ont tout détruit. Ce n’est qu’à la lumière du Dieu Solaire qu’il est redevenu possible de cultiver quelque chose dans la région et le choix s’est porté sur des cultures plus utiles que le raisin. Les bouteilles et les tonneaux entreposés ici ne contiennent pas forcément quelque chose de buvable mais une grosse part des réserves a survécu à l’Hiver Noir. Si l’on vient au manoir At’Prahen pour la qualité de ses chevaux, il arrive que les plus fortunés s’offrent le luxe d’acheter quelques bons crus. Ces caves sont celles d’une exploitation importante, enterrées sur plusieurs niveaux, vastes, et labyrinthiques. La châtelaine mène le géant blond dans le dédale où est retranché le plus gros des forces armées ayant servis à mener leurs exactions. Érik reconnaît ces hommes pour les avoir recrutés lui-même. Ils le regardent presque comme un étranger à présent.

Dans la zone libre où ils se rendent se trouvent plusieurs renfoncements que l’on peut fermer par des grilles, sans doute afin d’y enfermer les bouteilles les plus précieuses. L’un deux a été recyclé à une autre fin. Carol ne fait qu’indiquer celui de ses prisonniers et repart aussitôt. Des gardes stationnent à proximité et observent Érik sans montrer la moindre trace d’émotion. Ils le laissent passer et le surveillent de loin. Le fer forgé scelle un renfoncement situé sur la gauche d’un couloir, juste après un épais mur. Les geôliers n’ont ainsi aucune vue directe sur les détenus. L’un de ces derniers, conscient qu’une personne s’avance, se lève et se décale pour tenter de voir le visiteur. C’est un Atark. Érik ne se souvient pas l’avoir rencontré. De fait, son teint ou son regard n’indiquent rien de précis sur son état de santé et son absence de pilosité empêche d’évaluer le temps depuis lequel il est enfermé. Ses vêtements, blancs à l’origine, paraissent très sales dans l’éclairage de la lanterne accrochée en face de la cellule. Il parait assez jeune et est d’une tête plus petit que l’Humain. Le Sang-Froid s’est approprié la paillasse la plus à droite, ce qui explique qu’Érik le voie en premier. Après avoir franchi le seuil du couloir, il aperçoit une silhouette allongée dans l’autre couche. Il la contemple. Elle dort sur le côté, le visage caché par une mèche de cheveux sales et ses bras ramenés devant ses yeux. Le faible éclairage empêche Érik de la reconnaître.

– Bonjour, fait l’Atark. Vous êtes ?

– Érik Plavel, dit le jeune homme.

L’autre personne gémit et s’éveille à demi, répétant le prénom qu’elle vient d’entendre.

– Alors je crois qu’il convient de réveiller Adana, conclut le Sang-Froid.

Le Serpent s’accroupit à côté de la jeune femme endormie et la secoue doucement par l’épaule. Elle gémit à nouveau et s’éveille complètement, un peu en sursaut. L’Atark recule. Adana écarte ses cheveux et lève le nez vers Érik, qui fait la grimace en voyant l’horrible boursouflure qui balafre son visage.

– Érik… chuchote-t-elle encore embrumée.

Elle cligne plusieurs fois des yeux et se frotte l’un d’eux avant de se redresser un peu.

– Érik. C’est bien toi ?

Il acquiesce d’un signe de tête.

– Tu es venu nous sortir de là ? demande-t-elle, pleine d’espoir.

– Non… Je… Je suis avec eux.

– Quoi ?!

La jeune femme se lève brusquement pour approcher des barreaux mais chancelle et s’y rattrape de justesse avec l’aide de Ssoran.

– Que t’ont-ils fait, Adana ? demande Érik tout penaud.

Elle fait la moue et ses sourcils se froncent de colère.

– Tu dois le savoir mieux que moi, traître !

La plaie qui lui barre le visage suppure. Elle doit avoir de la fièvre. Érik comprend pourquoi on lui a fait cela mais il pense qu’elle ne mérite pas de souffrir autant.

– Je suis désolé. Je n’étais pas là. Ils ne prennent plus leurs ordres auprès de moi.

– Tu étais leur chef en plus ?!

– Écoute, tu dois comprendre.

– Comprendre quoi au juste ? Tu cherches à provoquer une guerre civile ou quoi ? T’en prendre aux Atarks ne te suffit pas ?!

– Aux Atarks ? Mais… mais non, tu te trompes. On n’a jamais attaqué les Atarks !

– Qu’est-ce que tu racontes ? Ton ex-lieutenant, cette Carol, elle nous a dit qu’on s’occupait d’un peu trop près de ses affaires. Tu avais recruté Albo !

– Albo ? Albo Saternal ? Le Gardien ?

– Oui ! De qui crois-tu que je parle ?

– Mais non, on n’a jamais recruté Albo.

– Ne me mens pas Érik ! Ne va pas prétendre que tu n’as pas envoyé Albo chez Usuriu pour l’espionner.

– Le type avec un masque de cuir, Olim ?

– Olim ? Je n’en sais rien mais oui, il portait un masque et c’était Albo ! C’est lui a qui mené l’attentat contre les Atarks le jour du traité.

Érik recule d’un pas. Le mur derrière lui le soutient. L’étonnement peut se lire sur son visage. Il ne comprend pas ce qu’il se passe.

– Tu l’ignorais ? demande Adana d’un ton plus tranquille.

– Mais… mais bien sûr que je l’ignorais. On n’aurait jamais attaqué les Atarks, bon sang ! Mais qu’est-ce qu’il fichait, ton Gardien ?

– Par la lumière, si je le savais.

– Écoute-moi Adana. Je ne comprends pas. Notre mouvement veut seulement déstabiliser le régime du Grand Théologiste. La guerre était une boucherie innommable, tu le sais mieux que personne. On ne pouvait pas permettre que cela se poursuive.

Adana parait à son tour décontenancée. Elle regarde Ssoran qui hausse les épaules. Il ne semble pas savoir de quoi parle Érik.

– Mais qui sont ces « on » ? questionne la jeune femme.

– Moi, Carol, et d’autres. On a rassemblé des gens qui pensent comme nous. On voulait déposer le Grand Théologiste, le contraindre à abdiquer d’une façon ou d’une autre.

– En faisant quoi ?

– Quand on a été suffisamment fort, on s’est attaqué au commerce de l’Usu, mais ça n’a pas fonctionné. Et puis Carol s’est mise en tête de frapper plus haut. C’est pour cela que vous êtes là.

– C’est Straz qui nous a vendus à ta Carol. Ça n’avait rien de prémédité.

– Non, enfin… elle m’a dit que c’était une opportunité. Écoute, je ne comprends pas. Un autre groupuscule s’en est pris à la politique du Grand Théologiste en attaquant les Atarks le jour du traité. On ignore tout de ce groupe.

– Alors tu n’as rien à voir avec le Juge et ses agissements ?

– Bon sang, non ! Et lui, qu’a-t-il à voir avec tout ça ?

– Le Juge a vraisemblablement financé l’attentat de la Grand Place.

– Mais… de ce que je sais d’Albo, il n’aurait jamais accepté de faire ça. Et puis le Juge n’est pas un idéaliste, pour autant qu’on sache.

L’humaine soupire et ses jambes tremblent un peu. Ssoran vient la soutenir et l’aider à s’asseoir.

– Il faut qu’on te fasse soigner, Adana, s’inquiète le fils Plavel. Tu vas mourir si on ne fait rien.

Elle lève la main.

– Laisse. Je ne sais pas dans quoi tu t’es fourré, mais tu y es jusqu’au cou. Si on te retrouve, tu es condamné. La Théologie ne pardonne pas. Érik…

Les traits du jeune homme se durcissent.

– Adana. Si tu penses que tu es meilleure que moi parce que tu es du côté de la Théologie, tu te trompes. Je n’accepterai jamais ce que tu as fait aux Atarks et j’ai peine à croire que l’un d’eux soit assez stupide pour t’assister comme il le fait.

– Tais-toi ! vocifère-t-elle.

Une main chaleureuse ceint son épaule. Adana jette un regard à Ssoran qui sourit. Puis l’Atark se tourne vers Érik.

– Croyez-le ou non, jeune homme, si je suis en vie devant vous, c’est grâce à Adana. Je vous demande de ne pas lui prêter d’intention qu’elle n’a plus, ni de me considérer comme un idiot. Je crois sincèrement et humblement ne pas en être un.

Érik est à son tour surpris par la diction parfaite et sans aucun accent de l’Atark. Il hoche lentement la tête puis la tourne vers les gardes. Ceux-ci se sont tendus brusquement. On entend comme une clameur.

– Qu’est-ce qui se passe là-haut ? demande-t-il aux hommes d’armes.

Ils haussent les épaules.

– Tu dois fuir, Érik, dit Adana.

– C’est ce que tu ferais, toi ? Si tes hommes étaient sur le point de mourir ?

Elle ne dit rien. Il connaît la réponse. Il s’élance dans le passage par lequel il est arrivé sans adresser un mot ni un regard de plus à sa sœur adoptive. Les mains d’Adana se détachent lentement de la grille et son corps tombe doucement en arrière, retenu par Ssoran. Il l’allonge à demi, faisant reposer la tête de la jeune femme dans le creux de son épaule.

– Il faut le faire maintenant, Ssoran, chuchote-t-elle.

– Vous êtes sûre que c’est le moment ?

– Ça ne fait aucun doute. Érik semblait inquiet. Il devait savoir qu’une attaque imminente était possible. Sa réaction en atteste.

– Bien. Je dois vous avouer qu’il était temps de faire quelque chose. Votre état aurait pu empirer très vite.

– Il fallait qu’ils me croient inoffensive.

– Mais vous l’êtes présentement, ajoute-t-il en souriant. À ce propos, je voudrais lâchement profiter de la situation, annonce-t-il avec une expression indéchiffrable sur le visage.

Les sourcils de la Théologiste s’arquent de surprise. Le visage de Ssoran s’avance vers le sien et ses lèvres se posent doucement sur les siennes. Le contact est étrange. Adana a déjà embrassé des garçons, mais toujours des Humains. Elle a l’impression de toucher de la pierre froide à la fois souple et humide. La langue de Ssoran s’immisce dans sa bouche. La simple idée qu’un Atark puisse lui faire ça aurait dû la révolter à lui soulever le cœur. Elle accepte pourtant le baiser. Malgré son incongruité, elle le trouve très agréable. Un frisson de plaisir lui parcoure l’échine et les battements de son cœur s’accélèrent. Au départ elle croit à un accès de fièvre, sentant une chaleur étouffante partout dans ses membres, puis elle comprend que son corps retrouve lentement toute son énergie. Ses yeux, inconsciemment fermés, se rouvrent pour contempler la lumière qui auréole Ssoran s’écouler vers elle. La douleur qu’elle éprouve sur son visage depuis plus de deux décades s’estompe pour disparaître complètement. Lorsque l’Ondoyant éloigne son visage du sien leurs yeux se croisent. Durant d’interminables secondes Adana se perd dans l’abîme noir des pupilles dilatées de Ssoran. Un sourire et l’Empreinte Solaire restaurée illuminent son visage.

– Qu’est-ce que c’est que cette lu…

La grille, descellée par une force invisible, percute le soldat venu voir ce qu’il se passe. La violence de l’impact le coince entre le mur et le fer forgé épousant la forme irrégulière de la paroi. L’autre soldat lâche un chapelet de jurons en voyant Adana traverser le passage, dégainer l’épée de son collègue probablement mort et se diriger vers lui, son visage brillant de mille feux. Il n’a pas le dixième de l’expérience de la Théologiste au combat. Il est désarmé et assommé avant de pouvoir réagir.

– Je sens une énergie incroyable ! s’exclame la Supérieure.

Ssoran arrive derrière elle.

– C’est tout à fait naturel, Adana.

Elle lui fait face et scrute son regard.

– Encore un secret ?

– Non. Du moins je n’en suis pas sûr. La combinaison de mon pouvoir et de votre Empreinte semble avoir provoqué cet effet. C’est en cela que je crois que cette réaction est normale.

Elle accepte l’explication d’un signe de tête puis ajoute :

– Et à propos de ce baiser…

– Ça, c’est un secret, la coupe-t-il un sourire aux lèvres.

Elle sourit à son tour. Elle ne sait pas quoi dire de plus et n’est pas sûre du sens des mots qui pourraient présentement sortir de sa bouche. Elle ignore encore comment les choses évolueront, mais elle a conscience d’avoir achevé une étape importante de son existence. Désireuse de protéger l’Atark, elle se demande quoi faire. L’emmener avec elle lui assurerait de ne pas risquer une mauvaise rencontre seul dans ces galeries mais le mettrait en danger en cas d’affrontement. Il décide pour elle :

– Je viens avec vous.

Il s’empare de l’arme du second gardien.

– Je ne suis pas un guerrier mais je sais me défendre. Je veux être à vos côtés en cas de problème.

– Je veux que vous soyez à mes côtés en cas de problème, lui dit-elle sur le ton de la confidence.

– Mais je vous en prie, ne tuez pas trop de monde. Ces gens-là ne sont pas des criminels.

– Hélas, m’enlever était une grave erreur et j’ai bien peur que la Théologie n’ait déjà fixé leur sort. En revanche, j’essaierai de faire sortir Érik. Si je croise Straz, il paiera pour la mort d’Anur.

Ssoran n’approuve pas mais ne dit rien. Il suit la Supérieure dans les caves. Ils ne rencontrent aucune résistance. Les forces rebelles se sont probablement portées au secours des leurs à la surface. Ils ont parcouru une bonne partie du chemin qui les sépare de la sortie quand un grand gaillard blond surgit devant eux. Il frappe d’instinct et Adana pare.

– C’est moi, Érik !

– Adana ?! Mais tu… Ton visage.

– Intact, dit-elle.

Érik jette un œil à Ssoran juste derrière sa sœur puis reporte son attention sur elle.

– C’est…

Elle fait « oui » de la tête.

– Si tu connais un passage pour partir d’ici, tu dois le prendre, Érik !

– Mais…

– Je te couvre ! Je veux que tu sortes d’ici et que tu t’en ailles. Disparais et ne remets plus les pieds à Dis ou dans n’importe quelle ville ou zone contrôlée par la Théologie.

Ils s’étudient l’un l’autre durant quelques secondes et le fils Plavel répond :

– Merci sœurette… Je t’aime.

Leurs doigts se touchent brièvement puis Érik s’élance. Elle le suit des yeux jusqu’à ce qu’il disparaisse dans un couloir latéral. Des bruits de pas précipités arrivent dans leur direction. Elle fait signe à Ssoran de rester un peu en arrière et s’avance pour se mettre bien en vue. Si le rythme de marche l’a convaincue qu’elle verrait surgir des soldats de la légion, ceux qui courent vers elle ne sont que les mercenaires de Straz, menés par Straz lui-même. Il fait halte imité par ses hommes. Il observe la Théologiste et porte son regard vers son visage illuminé par l’Empreinte.

– Bon… On peut dire que la situation ne s’arrange pas, fait-il.

– Pour toi ou pour moi ? s’enquiert-elle.

– Je ne vois pas trop quel intérêt on aurait eu à se jouer de moi, mais je gage que le fait que tu aies retrouvé ta liberté signifie que quelqu’un doit bien rire de ma déconvenue.

Adana ne comprend pas les propos énigmatiques de son ravisseur. Ceux-ci l’intriguent tellement qu’elle envisage de reporter sa vengeance. Il lui faut le capturer pour l’interroger.

– Mais bon. Je n’ai pas trop le choix, continue-t-il. C’est toi ou moi.

– Tu peux aussi te rendre, propose-t-elle.

– Si seulement ça pouvait être aussi simple. Mais si je n’ai plus que six hommes avec moi c’est que les autres sont morts et ils n’auraient pas dû. Si ce n’est pas toi qui me tues, d’autres le feront.

– Je ne veux pas te tuer pour le moment, Straz. Rends-toi à moi. Personne n’attentera à tes jours.

– Désolé, fait-il en se précipitant sur elle l’arme au clair.

Les hommes de Straz se déploient. La salle est trop étroite pour leur permettre de manœuvrer autour de la Supérieure comme ils le voudraient. Par ailleurs leur chef a un temps d’avance sur eux. Adana se place en position défensive en reculant un peu pour réduire la largeur du front, mais la silhouette du mercenaire s’estompe et disparaît. Elle réagit aussitôt en utilisant son Empreinte comme jamais elle ne l’a fait auparavant. Elle concentre son énergie dans son poing gauche dressé devant elle comme si elle portait un bouclier. La lumière du tatouage s’intensifie tellement que les adversaires ferment les yeux ou les protègent de leurs bras. Elle relâche subitement sa prise et une onde de choc part dans toutes les directions. Son extrême violence fait trembler les murs et projette en arrière tous ses adversaires. Toutes les bouteilles, tous les tonneaux de vin entreposés dans les vingt mètres à la ronde éclatent, projetant des éclats de bois et de verres un peu partout et déversant des tonnes de liquide rouge foncé. Straz, touché par l’explosion, son corps redevenu visible, est projeté au loin. Désarmé, vêtements arrachés et os brisés, ce qui s’écrase par terre à quelques pas de la Théologiste ne vit pas longtemps.

Adana est effrayée par la puissance qu’elle vient de relâcher. Les soudards de Straz, assez conscients pour mesurer la situation, tentent de fuir. Ils rencontrent très vite les forces armées de la Théologie arrivant dans l’autre sens et se font littéralement exterminer.

– Non ! crie Adana en voyant ses témoins disparaître les uns après les autres.

Les légionnaires ne s’arrêtent qu’après avoir tué le dernier.

– Désolé, Supérieure, on nous a ordonné de ne faire aucun prisonnier, dit l’un des soldats.

Elle hoche la tête. Telle une rivière, les spiritueux s’écoulent un peu partout sur le sol, s’échappant par les anfractuosités et les irrégularités du dallage. Les vapeurs enivrantes lui font presque tourner la tête. Ssoran, tâché de vin tout autant qu’elle, se rapproche. Les légionnaires veulent poursuivre leur chemin quand elle les arrête :

– Il n’y a personne par-là ! Faites demi-tour. On remonte.

– Mais…

– C’est un ordre, soldat !

Les militaires ne peuvent pas désobéir à l’ordre direct d’un supérieur hiérarchique. Ils s’arrêtent et rebroussent chemin.

– Où est leur chef, Carol ?

– Elle s’est retranchée dans le logis du manoir avec quelques complices.

– Allons-y, vite !

Adana espère encore pouvoir prendre Carol en vie. Elle est sa dernière chance d’élucider les propos mystérieux de Straz. Sortie des caves elle confie Ssoran aux soldats malgré ses protestations. Elle monte ensuite les marches qui conduisent au premier étage où se déroulent d’autres combats. Elle dépasse les lignes avancées des légionnaires et déboule dans un hall au moment où, au fond, un Théologiste Gardien use de son Empreinte pour enfoncer une porte. Une dizaine de cadavres est éparpillée tout autour. Elle rejoint le Théologiste alors qu’il pénètre dans la pièce l’arme au poing. Tous deux contemplent le spectacle d’un vieillard assassiné dans son lit. À son côté gît le corps sans vie de Natali « Carol » At’Prahen, les mains serrées sur la garde de la dague qui lui transperce la poitrine.

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