Le "dit" des surfeurs

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C'est Franck qui a demandé à les rencontrer pour parler de Paul Stich. Ce sont d'anciens clients de CERPE, faciles à retrouver en compulsant les dossiers d'archive. Ces pros de la vague et du business afférant lui donnent rendez-vous dans un piège à touristes d'Hossegor, tellement arnaque que c'en est probablement un gag.

Les trois types en costume – sans cravate, mais costume tout de même – l'attendent en terrasse de ce café glacier où se précipitent dès les vacances de Pâques des familles aux enfants tapageurs, les pieds plein de sable dans leurs tongs. Les surfeurs endimanchés paraissent réticents à parler de Paul Stich, comme s'il s'agissait de dévoiler quelque secret industriel à un espion chinois. Franck les rassure : la part professionnelle de leur relation avec lui, comme conseil en entreprise, ne l'intéresse pas, sauf s'ils estiment que cela peut apporter une précision ou un contrepoint à l'image du Paul surfeur, sportif, vivant. Là d'accord, ils veulent bien parler.

« Il faut savoir que le surf n'est pas un sport, pas pour nous. C'est une pratique.

— Une sorte d'art.

— Un art de vivre, je dirais.

— Voilà, un art de vivre. Et M. Stich, sans être un surfeur né...

— … ni même un bon surfeur...

— … un surfeur moyen, on dira, d'accord Cyril ? Un surfeur moyen, mais qui a quand même capté une bonne partie de cet art de vivre qui est le nôtre.

— Voilà. Plus au nord je ne sais pas, mais ici nous sommes à l'origine du surf français, nous conservons une sorte de lien fort...

— … presque mystique, oui, mystique, avec l'océan.

— Vu sous cet angle, un surfeur n'est pas un type avec une planche qui glisse sur une vague, non.

— C'est quelqu'un qui a compris la puissance originelle de l'océan.

— Quelqu'un qui possède une partie de cette force dont nous sommes tous issus...

— … ou qui la retrouve. Qui renoue le contact. Toute vie terrestre est née de l'océan, vous le savez, et le surfeur, parmi le commun des hommes, c'est celui qui s'en souvient vraiment, qui a réveillé cette pulsion de vie en lui...

— … et qui la traduit en une harmonie avec l'expression actuelle, présente, palpable, de cette force... cette expression unique qu'est la vague !

— Voilà. La planche de surf n'est qu'un médium, un instrument. Un instrument ne génère pas la musique, mais fait le lien entre l'homme et la musique. La musique est là, présente, il suffit de la révéler.

— Oui, une vague, c'est de la musique. Une onde musicale qui n'attend que le surfeur pour être ressentie, reconnue, interprétée...

— Révélée ! Et Paul, comme nous mais à sa façon, est un révélateur, un interprète honnête.

— C'est ça : un honnête participant de la symphonie océane. Pas un grand soliste, pas un virtuose, mais un bon interprète.

— Nous l'avons vu dès le début. C'est en lui. Pas comme ces autres gens des montagnes qui viennent nous dire que la glisse c'est de la glisse, que de l'eau c'est de l'eau...

— … en vague ou en neige, ils nous affirment que ça reste de l'eau et qu'ils ont la glisse dans la peau...

— … oui, dans la peau, et donc qu'ils peuvent venir sur l'océan et se jeter sur la première vague venue en convoquant toute leur technique de snowboard ou de ski. Ça ne sert à rien de bon. Ils y arrivent, bien sûr. Ça marche, dès qu'ils comprennent où se placer...

— … ils se placent et ils rament et ils prennent une vague, ils ont l'équilibre, ils se tiennent debout, ils glissent, mais ils ne surfent pas !

— Non, ils ne surfent pas. Ils jouent dans l'eau comme des gosses, mais ce n'est pas du surf. Ils ont la technique, l'équilibre...

— … mais ils n'ont pas l'âme. Vous comprenez ? L'âme du surf, c'est autre chose. C'est à la fois intérieur et tout autour de vous, ça pousse sur l'océan et jusque dans les terres. Comme dans Star Wars, la Force, ça vous entoure et vous pénètre. Et Paul, oui, il est pénétré...

— … et entouré. Il peut réussir ou rater une vague, mais il en capte la force en lui, la force de la vague. C'est pour ça que nous l'avons adopté.

— Et qu'il nous a adoptés. Entre lui et nous, c'est comme le surfeur et la vague : ça se passe bien ou mal, mais il y a le lien, à double sens.

— Même une vague qui me casse dessus, qui me roule, qui me brasse, qui me fait mal, elle ne me rejette pas : il y a toujours ce lien.

— Avec Paul, pareil. Le lien est là, toujours. Nous avons pu bien travailler et avancer ensemble, parce que nous nous comprenions, lui et nous. Dur parfois, viril, mais en bonne compréhension. J'en parle avec émotion, j'en parle au présent, il est là (geste vers le cœur) comme un frère.

— Des frères de surf, des frères d'âme. Il a compris que pour nous, pour notre marque, pour ce que nous créons autour du surf, ce n'était pas une question de performance, de rentabilité...

— On ne cherche pas à se développer, en tout cas pas n'importe comment.

— Nous, ce qui nous motive, c'est de prolonger l'énergie de la vague dans notre activité pro, dans la marque, dans les produits que nous proposons. Nous ne vendons pas du surf, même pas du plaisir, non... ça ne se vend pas.

— Le vrai surf n'est pas à vendre. Il y en a qui essayent, bien sûr, et il y en a qui croient l'acheter, mais non. Nous, c'est autre chose.

— Nous proposons un lien avec l'énergie des origines, une énergie matérialisée, interprétée, révélée. Nous ne prélevons pas cette énergie à l'océan, nous la prolongeons sur la terre ferme.

— Pour la plupart des clients, il faut bien le reconnaître, c'est transparent, invisible.

— Notre démarche, presque mystique...

— Pas presque : mystique, complètement mystique !

— OK, notre démarche mystique leur passe loin au-dessus de la tête. Ils aiment la couleur ou la coupe, ils comparent avec les autres marques, ils choisissent le plus classe ou le moins cher, mais ils ne sont pas sensibles à l'énergie.

— Ils ne sentent pas quand il n'y a pas d'énergie non plus, ça ne leur manque pas. Mais pour nous, ça compte. L'énergie et l'harmonie doivent y être, même si les gens ne le perçoivent pas.

— D'ailleurs, ils le sentent quand même un peu à travers notre catalogue, mais c'est inconscient. On n'y échappe pas. Ça vous remue, vous ne savez juste pas d'où ça vient.

— Toute vie vient de l'océan, c'est forcé que ça nous laisse des traces à tous. Mais l'homme d'aujourd'hui l'a oublié. Alors nous, on tente de le raviver.

— Voilà, notre job, c'est de raviver l'énergie et de prolonger l'harmonie, et ça, Paul Stich l'a bien compris. C'est là qu'il nous a aidés, à nous organiser pour être viables économiquement tout en préservant notre âme. Il n'a pas trahi. Il est resté surf.

— Je l'ai vu dès que je l'ai mis sur une vague : il est tombé, mais avant, il a accepté la vague, il est entré en résonance avec elle, en discussion.

— Oui, quelques mots échangés avec une vague, et on voit tout de suite que le type a gardé un peu d'océan en lui, pas caché trop profond, sous la surface des conventions terrestres. Alors, on peut lui apprendre.

— C'est ce que nous avons fait. Nous lui avons appris. Je ne parle pas de la technique, ça il peut la trouver ailleurs, même sur YouTube, mais le vocabulaire, la syntaxe de l'océan... Parler le langage de la vague, comprendre l'énergie qui passe à travers l'espace et le temps. Il a appris ça de nous.

— On peut parler, communiquer vraiment avec un type comme ça, il y aura de l'échange et pas seulement des mots creux.

— Voilà. Avec Paul Stich, il y a cette forme d'échange. Une relation forte, qui dure. Je ne sais pas où il est aujourd'hui...

— … non, on ne sait pas où il est, mais on peut vous dire une chose : il se trouve quelque part très près de l'océan, et il poursuit la conversation.

— C'est un surfeur. Pas un grand, pas un champion, mais l'océan parle à travers lui.

— Oui, où qu'il soit, si vous le cherchez vous le trouverez en conversation avec la force originelle. Suivez la vague... »

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