Prologue: L'éternel

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Remarque : J’ai comme objectif à l’avenir de réécrire ce prologue une fois que j’aurais terminé le tome 1. Ecris en janvier 2018, je le considère comme perdant d’un peu de style désormais… il manque quelque chose, et si vous parvenez à le déceler faites-moi savoir ! Néanmoins, le contenu demeurera; seule la forme variera.

Saphre, Chrymès

Son regard est fuyant dans la pénombre. Je ne peux le distinguer, je ne sais pas ce que je vois, je ne sais plus.

Je ne peux plus rien affirmer, mes sens s'embrouillent et mon esprit se perd.

Le temps se suspend, chaque seconde me paraît beaucoup trop longue.

Je cherche en vain qui je suis, ma mémoire me lâche et je ne vois plus que le rouge, le sang qui envahit le ciel.

Je sens un souffle sur mon cou et je sais que je suis fini.

Je suis désolé de ne pas t'avoir cru...

Un jour plus tôt.

La Terre de Thrasys se craquelait. Un mauvais signe, annonce ma mère.

Les failles se faisaient de plus en plus profondes et le sol tremblait.

On croirait à un tremblement de Terre, mais le processus était trop lent, pas suffisamment puissant pour en être un. Comme si le continent se mourait à petit feu, de manière traîtresse et subtile de l'intérieur des terres.

Cela faisait trois mois que les conditions climatiques demeuraient instables, mais encore une fois, personne n'y avait trouvé de réponse.

Malgré tout, ma mère, Lairëa, croyait aux oracles, mages, devins, mais je n'en faisais rien. La magie fut détruite il y a trop longtemps. Les gens l'ont oubliée, mais elle croyait en sa renaissance. Pour lors, qu'en penser ? Je ne savais rien d'elle, alors je ne savais rien de moi.

Avant que le voile ne recouvrât notre ciel, nous décidâmes de rentrer à la maison, perchée à flanc de colline au bord de la mer de Jērez. Je tenais une lampe à huile brûlante tout le long du trajet. Alors qu'un silence lourd s'abattait sur la ville de Chrymès, la flamme s'éteignit subitement malgré l'absence d'une once de vent. Notre maison a toujours été chaleureuse, me racontait mère quand j'étais petit, jusqu'au départ de mon père le jour même où je naquis. Mon père était la personne la plus étrange qu'elle ait connu, nul ne sait ce qu'il est devenu. Est-il décédé ? A-t-il voulu conquérir le reste du monde ? Quelle chose l'a poussé à nous quitter ? Je n'avais et n'aurai jamais de réponses à toutes ces questions. Je crois que je pensais trop... Le vent se lèva précipitamment et fracassa les vagues aux pieds de notre habitation. Il courait sur chaque mur de notre maison, provoquant un sifflement inquiétant et pourtant unique. Cela m'avait toujours fasciné et c'est encore le cas après dix-neuf ans d'existence. Mais en cette soirée, ce phénomène me laissa un goût amer, comme si quelque chose nous guettait tous. Quelque chose d'inhabituel, d'une force inexplicable. Je ne cessais de m'imaginer que cela ait une signification plus complexe, voire surnaturelle. Cependant, bien avant ma naissance, le culte des Dieux a remplacé l'attrait de la magie. Non pas par la force, la population s'en était juste lassée. Restait une partie de derniers croyants en exil sur les Îles De l'Ouest. Selon les lois du dernier Roi légitime Ciur, ils furent bannis pour corruption. Le roi actuel, Alaric, lui, n’était qu’un usurpateur du trône. On raconta que le Roi se serait donné la mort pour avoir été tant aveuglé par des chimères couvertes de mensonges qui lui ont fait perdre tout ce à quoi il tenait.

••••

Sahneart !!, appella ma mère. Il faut que je te dise quelque chose d'important, descends du jardin suspendu, pour l'amour du ciel !

Je n'avais aucune envie de bouger, je voulais rester là, étendu telle une étoile de mer à contempler les étoiles qui commençaient à apparaître dans le drapé noir.

Un de mes ancêtres avait apparemment fait construire cette maison afin de pouvoir sonder l'horizon et la ville à souhait, lors de ses insomnies.

Située en haut de la falaise, le paysage s'étendait à perte de vue c'est pourquoi je n'ai jamais cessé de vouloir scruter jusqu'au dernier faisceau de lumière de l'Astre brillant se coucher. D'un côté, on peut observer la mer, d'un bleu intense au fond et d'une teinte cristalline à la surface.

De l'autre, la cité semblait minuscule vue d'en haut. Elle était plongée dans une obscurité le plus totale, seule la flèche de la cathédrale tendait à toucher un au-delà inaccessible.

Je me résolus tout de même à rentrer pour me retrouver auprès de ma mère et laisser le ciel en paix avec mes regards.

Mais en jetant le dernier coup d'œil de la journée par la fenêtre, il vit ce qu'il n'aurait peut-être pas dû voir.

••••

La nuit s'était réveillée et le calme avait repris ses droits. Sahneart s'agita dans son sommeil, il n'avait cessé de repenser à ce que lui avait dit sa mère hier soir, jusqu'à ce que le sommeil gagne contre lui. Et tout à coup, il se redressa le souffle coupé, brûlant de sueur et d'angoisses. Son regard resta vide l'espace d'un instant et il replonga dans les bras de Morphée instantanément. Cet intermède n'aura duré plus d'une seconde, mais changea le court de sa vie.

Sahneart ouvrit les yeux, un voile sombre qui s'était déposé sur ses yeux lui rendit la vue trouble. Que s'était-il passé la veille ? Le jeune homme ne savait plus, ce qui l'inquiéta fortement, tentant de fouiller dans les abysses de sa mémoire, mais sans succès. Ce voile se dissipa rapidement.

Suis-je amnésique ? Non...Je sais encore qui je suis. Je suis le fils de Lairëa et d'un père qui m'est inconnu, je vis sur le contient de Thrasys dans la ville côtière de Chrymès.

J'ai dix-neuf ans et je ne sais pas ce que je veux faire de ma vie.

Il se leva péniblement de son lit, s'approcha de la glace et se scruta. Rien d'anormal hormis cette coupe de cheveux bruns impeccable qui était ruinée par un épi indomptable et le fait qu'il était plus grand que la hauteur de son miroir. Il regarda son reflet comme s'il ne l'avait jamais vu, étrange. Sahneart y voyait quelque chose de changé sans savoir ce que c'était ni pourquoi. Il se reconnaissait sans se reconnaître, « cette personne dans le miroir me ressemble sans être moi. » L'admirateur des étoiles réussit tout de même à détacher son attention de son reflet en se rappelant qu'il était temps de descendre, sa mère devait déjà s'être levée. Le garçon dégringola les escaliers à toute vitesse. Le soleil scintillait dans un ciel bleu immaculé et Lairëa cuisinait joyeusement en fredonnant.

Enfin tu es réveillé ! clama-t-elle énergiquement, je t'ai préparé ton déjeuner, comme ça tu pourras l'emporter avec toi pour aller rejoindre Agaweth.

Wouaw! Quel honneur ce matin, cela faisait longtemps que je ne t'avais pas vue d'une aussi bonne humeur. (Ce qui eut l'effet contraire qu'il avait escompté. Le visage de sa mère s'assombrit brusquement.) Je suis désolé, je te jure, je ne voulais pas... Tu sais que je serai toujours là pour toi. L'ancien temps est révolu, tu ne crois pas, tenta-t-il de se rattraper malencontreusement.

Sahneart s'approcha d'elle, l'étreignit un long moment et prit la poudre d'escampette avec son déjeuner, non pas par la porte d'entrée mais en sautant par la fenêtre. Une mauvaise habitude, mais qui avait le mérite de la faire rire. Sahneart n'était pas vraiment comme tous les autres, non pas qu'il était différent et qu'il sortait de la masse, mais il avait des pensées différentes de celles de ses amis ou connaissances. Il pronait toujours le libre arbitre de chacun, la responsabilité propre de nos actes et la quête d'une vérité non pas vraisemblable mais réelle. Ses idées s'opposaient majoritairement celles des jeunes de son époque, ce qui ne l'avait pas empêché de faire la rencontre de sa vie: son meilleur ami Agaweth habitant à l'autre bout de la cité. Ils avaient l'habitude d'aller nager dans la mer de Jērez, l'une de leur grande passion commune.

Le jeune homme avait une certaine sensibilité aux émotions des autres et aux sources infimes de magie mais, tout cela sans s'en rendre compte. Par ailleurs, Sahneart était aussi un peu artiste, mais ça, il le gardait pour lui. Il dessinait au fusain d'un coup de crayon assuré, mais les yeux fermés, en laissant ses doigts courir sur le papier, comme sur des touches de piano.

Je préfère marcher le long des rues de Chrymès, cela me détend. Mon esprit divague au gré des sons que je perçois. Il m'arrive parfois de rester dehors sous la pluie. Seul. Uniquement pour entendre la mélodie des gouttes sur les toits de tuiles.

Lorsque je rejoignis enfin Agaweth, le ciel s'assombrit brusquement. Plongeant toute la population dans la pénombre tant que cela n'inquiète personne.

Si seulement nous pouvions rester éternellement jeunes mon ami, j'espère ne jamais avoir la mésaventure de te perdre, lui souffla son acolyte.

Ça s'appelle de l'utopie, ça, tu sais, répondit Sahneart, ironiquement. Non, mais plus sérieusement, tu crois vraiment qu'avoir la jeunesse éternelle est un cadeau ? Voir toutes les personnes que tu aimes mourir sous tes yeux les unes après les autres jusqu'à la fin des temps...ne trouves-tu cela pas cruel ?

Effectivement, je n'avais pas vu cette idée sous le même point de vue, mais jeunesse éternelle ne rime pas toujours avec vie éternelle. Je veux rester jeune tout en restant mortel.

Et quoi ? Tu finirais par te suicider ou te faire tuer c'est ça que tu sous-entends ?

Mais son ami n'eut pas l'occasion de lui répondre... Le sol se fracturait juste sous leurs pieds, les forçant à fuir dans n'importe quelle direction possible.

Il fallait rentrer, regagner la digue, c'était sans doute le seul endroit où les terres ne pouvaient se fendre. Des gravats d'habitations effondrées nous tombaient dessus durant notre course effrénée, nous blessant au passage. Une tuile érafla mon épaule, mais je n'y prêtai pas immédiatemment attention dans la précipitation. Mon meilleur ami connaissait tous les raccourcis de la ville, astucieux et rusé, il nous mena non loin de la rive en passant par les souterrains éclairés. Et c'est là que la mer commença à se déchaîner, le vent à se lever, le ciel à s'obscurcir de plus en plus et les éclairs à percuter la flèche de la cathédrale. Je glissai sur les algues de la plage et une vague surdimensionnée tenta de m'attirer vers la mer mais Agaweth était là pour me retenir. Ma plaie à l'épaule me faisait tellement souffrir que je ne pouvais cesser de me focaliser dessus désormais. Le sol se fracassait de plus belle, le bruit était permanent et ma tête était lourde. Je craignais de perdre connaissance.

C'est pour cela que je ne vis pas le coup arriver: un fragment de la falaise venait de se détacher de celle-ci et s'éboulait droit sur nous. Agaweth, dans un dernier sursaut d'espoir me poussa hors de sa trajectoire mais... Ce fut lui qui ne fut pas épargné, à l'impact les morceaux se dispersèrent.

Gisant, inconscient sur le sol, il pensa:

« Ce sera ma dernière action Sahneart, je n'ai pas eu le courage de te le dire explicitement tout à l'heure, j'aurais espéré que tu l'aurais peut-être compris durant notre discussion, mais c'était mon dernier jour à vivre.

Je suis heureux de t'avoir rencontré, mais à présent tu dois continuer ta vie sans moi. Ne gaspille pas le surcroît de temps que je t'ai octroyé , c'est mon seul désir. »

Non, Sahneart ne pouvait pas perdre celui qui l'avait toujours soutenu, celui qui l'avait toujours sauvé, aujourd'hui une fois de plus.

Pourquoi pourquoi, s'écriait-il, pourquoi toi ? Ne pouvais-tu pas me laisser mourir ? Ma vie n'en valait pas la peine... Sahneart pleura toutes les larmes de son corps et en oublia même la catastrophe qui était en train de se dérouler. Sa propre blessure ne lui faisait plus rien tant sa tête était remplie de tristesse et de désespoir.

Les éléments se déchaînèrent plus que jamais, mais plus rien n'avait d'intérêt pour celui qui venait de perdre une de ses raisons de vivre. Le malheureux ne ressentait plus aucune sensation physique. Il poussa malgré lui un morceau du fragment mortel hors de la dépouille de son ami pour voir son visage une dernière fois. Sahneart n'arrivait pas à réaliser la situation dans laquelle il était. Comment peut-on se libérer d'une telle souffrance ? Mais le voulait-il seulement ? D'un autre côté, cesser de souffrir ne signifie point le fait qu'on oublie.

Je décidai de lui clore les yeux doucement, pour garder une image de son visage serein comme s'il dormait et de récupérer sa bague pour la garder auprès de mon cœur.

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