PARTIE 1: Chapitre premier

13 minutes de lecture

Un millénaire après le prologue sur Saphre, à Chrymès.

« [...] Je n’eus d'autre recours que de le laisser faire et [...]»

Monsieur ! Je... Je crois que le document que vous nous avez distribué est incomplet, la phrase s'arrête en plein milieu.

Non, tous les exemplaires sont similaires, Klarysse. Ce sont des scans de vieilles archives, sans doute une partie de celles-ci a-t-elle été effacée ou bien pillée durant le Haut Moyen-Age. Ceux-ci datent des Temps Modernes et ont été récupérés durant les fouilles archéologiques il y a d'ici une centaine d'années si je ne me trompe. L'objectif pour ainsi dire est de vous faire réfléchir et vous faire prendre conscience d'où vous venez : plonger votre esprit dans le passé. Et justement, tu viens de me donner une idée !

Silence, s'il vous plaît !, cria donc le professeur en s’adressant à toute la classe. D'après la remarque de votre camarade de classe, j'ai pris la décision de vous faire travailler un petit peu pour une fois. Un travail à rendre pour la semaine prochaine: Imaginez la suite des événements manquants présents dans le document que vous avez reçu précédemment. Soyez les plus exhaustifs possible, l'adaptation est libre et la consigne non restrictive ! Bon travail !

La sonnerie de fin des cours retentit tout juste sur ces dernières paroles et les élèves se précipitèrent tous hors de la salle de classe, assez mécontents pour la plupart de se prendre une quantité de travail supplémentaire. Dans cette cohue se mêla Klarysse, grande amatrice d'histoire et élève de dernière année d'humanité. Perfectionniste sur les bords, elle se faufila parmi ses camarades de classes pour se rendre à la bibliothèque lorsqu'elle fut interpellée furtivement.

Klarysse ! Klarysse !

La jeune fille avait entendu cet appel, mais la voix de cette tierce personne ne lui était pas familière. Elle fit volte-face et se retrouva nez à nez avec un garçon qu'elle n'avait jamais vu auparavant ou du moins, elle ne le reconnaissait pas d’instinct.

Que veux-tu et comment connais-tu mon nom ?

Il faut que je te montre quelque chose.

Merci de répondre, je savais que la gente masculine a tendance à jeter la politesse à la poubelle mais là ! C'est le comble, grommela-t-elle exaspérée. J'ai autre chose de plus imp...

Suis-moi et je te répondrai, coupa-t-il sèchement, sans vraiment lui laisser l'occasion d'acquiescer ou non.

Le jeune homme entraîna tant bien que mal Klarysse à travers la foule d'élèves et se faufila jusqu'au sous-sol du bâtiment de leur année. Klarysse ne cessait de poser des questions auxquelles il ne répondait guère. Elle en avait lu des livres, entendu des histoires d'agressions et ne put s'empêcher de se monter à la tête toutes sortes de scénarios d'horreur où elle se retrouverait rouée de coups par son agresseur. Mais il n'en fut rien. Soudain, ils bifurquèrent sur un escalier en colimaçon très étroit. Lugubre, cet endroit… L'humidité coulait sur les murs, l'obscurité régnait et une brise fraîche fit frissonner la fille. Leurs pas résonnaient sur les pierres bleues de l'escalier, les mêmes présentes dans l'église au centre de la ville, une coïncidence troublante. Enfin arrivés au sommet de l'escalier, ils se retrouvèrent devant une porte en bois rongée par l'humidité et couverte de mousse. Sous cette mousse apparaissaient des gravures morcelées et indéchiffrables, et des inscriptions, en langue étrangère, semblables à des runes. Des spirales en fer forgé étaient clouées sur les coins et une serrure à peine solide condamnait son ouverture. Ce passage ne devait sans doute être utilisé que par ceux qui en avaient la connaissance.

Le bel inconnu me serrait toujours la main gauche, beaucoup trop fort, ce qui m'arracha un gémissement qui ne le perturba en aucun cas. Il restait impassible, d’une froideur étonnante qui ne se lisait pourtant pas sur son visage.

C'était comme s'il ne contrôlait pas sa force, une force brute émanant d’une énergie sombre.

Je lui demandai alors s'il avait la clef de cette porte sur quoi celle-ci ouvrait, et il me répondit froidement qu'il n'avait pas besoin de clef, que ce lieu lui appartenait. Il glissa sa main sur la poignée, tout en exerçant une pression. Le métal fuma aussitôt, comme si sa main était brûlante et le fer si glacial. Une décharge parcourut instantanément le long de son bras, traversa le reste de son corps et se transféra dans le mien ce qui eut l'infâme effet de me faire à nouveau frissonner. Mais ce courant qui venait de me traverser me laissa une sensation de froid et de chaud en même temps. Comme si je venais de me faire contaminer.

Mon cœur se mit à battre à l'extrême, le stress m'envahissait et je crois que celui qui tenait toujours ma main le ressentit. Malgré le fait qu'il ne se retournât même pas vers moi je pressentais son regard sur le mien. Je voyais ses yeux couleur Terre de sienne se plonger dans mes iris gris, ce que j’avais apperçu en premier, c’était son regard magnifique. Instantanément, je fus arrachée de mes pensées par une nouvelle pression de sa main sur la mienne qui me signalait qu'il fallait avancer, la porte venait de céder avec des grincements perçants. Ce type était insensible ou quoi ? A la douleur, à la température, à la force… Le chemin s'offrait à nous. Lorsque je passai le pas de la porte, j’eus l'impression qu'il se fichait de moi. Nous nous trouvions dans la bibliothèque de l'école.

Ne peut-il pas faire comme tout le monde et passer par la porte d'entrée, pensai-je tout bas, mais si fort qu'il l'entendit quand bien même je n'avais prononcé aucun mot cette fois.

Je te présente la bibliothèque du lycée version revisitée ! , fanfaronna-t-il aux anges, fier de m'avoir berné.

Mais plus j'observais le décor, plus il me paraissait étranger. Paradoxal pour la fille qui fréquentait le plus ce lieu. L'agencement de la pièce était à l'identique, les étagères à leur place mais l'ambiance y était différente. Le temps y était comme suspendu dans une bulle de vide. L'atmosphère exerçait plus de pression et il était plus difficile de se déplacer dans l'air tandis que la gravité paraissait moindre.

Nous voici dans mon endroit préféré. Non, ce n'est pas une salle sur demande ou un mirage qui piège ceux qui tentent d'y entrer sans mon autorisation mais une bibliothèque privée, la jumelle de celle que tu as l'habitude de fréquenter. Ne touche à rien surtout, ces ouvrages sont précieux et très anciens. Ce sont les originaux, pas comme ceux qui figurent un étage plus haut.

Franchement, ils auraient pu s'en rendre compte que tout ce qu'ils possèdent ne sont que des copies, mais c'était sans compter sur moi !, ricana-t-il.

Attends, je ne crois pas tout comprendre... Nous sommes dans TA bibliothèque ? Qui est la même que celle du lycée... Mais dis-moi, comment as-tu obtenu ces précieuses pièces ? Et puis, comment se fait-il que personne ne soit au courant de tes fraudes ?

C'est tout ce qui t'intéresse ? Tu ne veux même pas savoir qui je suis et pourquoi je t'ai amenée toi ici ?, répliqua le jeune homme.

Il était vrai que le fait que je ne le connaisse pas m'avait effleuré l'esprit tout à l'heure mais s'était estompé à peine un pied dans cette zone. Les livres étaient rangés par centaine à travers des allées presque interminables.

Donc tu t'appelles… ? Comme tu as l'air de vouloir faire les questions et les réponses je t'en prie, railla Klarysse.

Je vais te laisser mijoter un peu pour ton manque de tact, demeura-t-il intransigeant.

Moi, peu de tact ? Tu ne sais pas à qui tu t'attaques là, mon vieux. Si tu crois me connaître, tu te trompes. Bref, tu m'expliques pourquoi je suis là ?

Je vais te le laisser le découvrir, sers-toi dans les ouvrages ma chérie, dit-il d'une voix suave en changeant alors d’avis sur ce qu’il avait prétendu quelques minutes plus tôt.

Âgé d’une petite vingtaine d’années, il la regarda avec un regard séduisant, les bras croisés et une position décontractée. Sans lui révéler son prénom, il affichait un sourire en coin narquois et amusé.

Ma chériiiie ? Pardon ? Mais pour qui tu te prends !, s'indigna-t-elle. Je déteste les gens comme toi, sûr d'eux dans le style : « Je peux avoir tout ce que je veux quand je veux tu sais ».

Je crois que tu te trompes à mon propos également, m'zelle, trancha-t-il sans conteste. Je te laisse.

Le gardien de cette pièce laissa celle qui l'avait amenée seule sans explication et sortit par où il était venu. Klarysse se demandait si cette salle n'était pas criblée de pièges et marchait sur le parquet à petits pas furtifs avec une prudence sans faille. Un silence froid vint s'abattre. L'esprit vif de l'élève de dernière année refit surface et sa curiosité fut attisée à un tel point qu'elle ne put s'empêcher de s'approcher de l'étagère la plus proche pour y saisir un livre. Cet ouvrage était une chronique de légendes fondatrices du continent originel alors morcellé à l'époque de la jeune fille. Sa couverture était en cuir usé, et sa tranche gravée par pyrogravure et plaquée de feuilles d'or. Klarysse ouvrit le livre au premier chapitre et y admira l'écriture parfaitement réalisée à la plume et la lettrine colorée, qu'elle trouva magnifique. Le livre était également illustré de dessins au fusain ou de lithographies à l'encre noire. L'inconnu ne s'était pas fichu d'elle. La jeune fille décida d'entamer le premier chapitre qui narrait une partie de l'histoire qu'elle connaissait seulement en partie car en vérité, nul n'en connaissait l'entièreté à vrai dire. Il est dit que l’ensemble des terres ne faisait qu’un à la base, que l’immense étendue s’est divisée en un nombre inconnu de continent comme Thrasys, et que Thrasys s’était divisé en trois autres : Saphre, Nouth et Hė.

Les Chroniques de la Création:

~La création de Saphre~

« La fondation des terres remonte à près d'un millénaire auparavant.

Mais pour en comprendre les origines il faut voyager dans l'espace-temps de plus d'un milliard d'années d'ici.

Les contrées étaient arides tandis que les cinq principaux éléments régnaient: l'Air, l'Eau, la Terre, le Feu et l'Alchimie.

Le climat sec et chaud n’était favorable à aucune forme de vie différente que ces éléments. L’horizon s’étalait au-delà du visible.

Tous les cinq, pendant un temps qui fut indéterminé, se livrèrent bataille pour obtenir plus de pouvoir les uns que les autres. Une guerre civile des éléments aurait ainsi été la base de toute source de vie, de terres et de chaos harmonisé.

L'Eau éteignait le Feu, tandis que l'Air l'attisait, le Feu brûlait la Terre et l'Eau engloutissait celle-ci, l'Air repoussait toutes les limites mais seule l'Alchimie les contrôlait toutes et tous. Leurs démêlés ne cesseront qu'à l'instant où ils se résigneront à trouver leur place et l'accepter pour l'éternité et presque à tout jamais.

Les territoires du monde se formèrent aléatoirement au gré de leurs envies puis les frontières et les reliefs furent façonnés par leurs antagonismes. Et c'est alors que chacun des éléments décida de se forger un emblème, un indestructible immortel qui leur apporterait toute-puissance absolue.

L'Air créa un Maître de l'Air, l'Eau créa un souffle glacial de Dragon, le Feu voulant rivaliser avec elle entrepris de réaliser un souffle chaud de Dragon, la Terre choisit l'homme et l'Alchimie la Magie.

L’ensemble de l’humanité vivait dans la plus grande innocence de ces conflits d’intérêts, maintenu à l’écart volontairement par la Terre, qui n’entendait pas faire de ses créations des souffres-douleurs.

Malgré tout, les discordes parvirent tout de même jusqu’aux humains qui n’en virent pas la visée et la signification au premier abord ; ils en prirent conscience bien trop tard, lorsque l’époque des connaissances véritables s’était déjà écoulée comme de l’eau à travers les doigts.

Cela sera expliqué plus tard par la dévotion sans limite des Hommes pour le culte rendu par les Hommes aux Dieux créateurs, sans réellement les avoir vus, mais sentant leur présence immuable.

Seul l'Eau et le Feu ne réussirent à mettre leurs différends de côté au cours d’une trêve malgré leur supériorité et infériorité commune, la complémentarité des forces qui aurait dû les avantager et les aider à appréhender leur réel dessein. Ils n’ont pas su voir l’authentique essence de leur pouvoir, passant leur temps à guerroyer pour un contrôle absolu de l’incontrôlable même.

Ils se livrèrent une lutte sans merci jusqu'à se satisfaire enfin. Chaque dragon sculpta le globe comme bon lui semblait, amenant une intense chaleur sur toute la côte est et un froid paralysant sur toute la rive ouest gelant ainsi la mer.

Cependant, la Terre, furieuse qu'ils aient alors détruit sa création précieuse, se promit de se venger.

Chose fut faite, elle condamna les deux créatures légendaires à sombrer dans les abysses marines impalpables jusqu'à la fin du Premier Monde.

La Terre jugea bon de les laisser en vie, pour les punir et leur faire vivre les pires supplices, et les laisser espérer désespérément croire qu'il adviendrait une issue. La Terre savait ses geôliers dans une prison fragile et ce temps de paix restreint. Tôt ou tard, son acte de vengeance lui serait condamné.

Ultimement, leur alliance conclue, l'Air et le Feu forgèrent l'Astre diurne le plus brillant parmi tous et l'Eau créa celui qui n'apparaissait que grâce au reflet de celle-ci et à la puissance du premier ainsi fondé.

Mais c'est alors que trois mille ans plus tard, la brèche s'ouvrit, l'occasion idéale pour les sublimes créatures de ressurgir des terres sous-marines.

La Terre non satisfaite du comportement des Hommes qu'elle avait pourtant créés à son image, voulut sévir afin de leur donner une bonne leçon, en faisant trembler la surface sur laquelle ils vivaient.

Malheureusement, Elle en avait oublié toute la force de l'Océan qui ne pût retenir ses flots de s'infiltrer dans les craquelures et ainsi créer une pression, involontaire, telle que des fissures apparurent, plus profondes que jamais.

Symbolisées alors ici comme des blessures, ces fissures ne s'étendaient pas encore sur toute la surface de la terre, mais cela n'allait pas tarder.

Pendant ce temps, les deux dragons, observant toute l'action du fin fond des abysses, se dirigèrent alors vers les zones en battant de leurs gigantesques ailes où les rayons de lumière n'étaient pas filtrés par l'eau.

Ils saisirent évidemment leur seule chance de se libérer de leur prison et chargèrent de plus belles le dessous de la Pangée pour la morceler et enfin la faire se rompre. »

Alors ! Intéressée, mistinguette ? Ne t'avais-je pas interdit de toucher à quoi que ce soit ? chuchota l'inconnu de tout à l'heure à l'oreille de Klarysse qui ne put s'empêcher de tressaillir de surprise. Il changeait rapidement d’avis.

D'où sortait-il ainsi ? Avait-il toujours été là à m'observer ? pensa-t-elle.

À nouveau, un frisson parcourrut tout son être avant qu'elle puisse reprendre des esprits et se souvenir de la manière dont elle avait atterri ici.

Donc t'es-tu finalement décidé à me dire qui tu es ? répondit-elle en niant sa question et sa mise en garde.

Tu éludes mes propos et après tu critiques le fait que je ne réponde pas à tes questions. N'est-ce pas contradictoire comme façon d'agir ? Donc je juge que tu ne mérites toujours pas que je me présentasse, dit-il en haussant les sourcils et la regardant d'un air narquois.

Son allure était assez fière et défiante, le regard perçant et convainquant avec un brin de prétention dans la voix.

Merci pour cette petite leçon de conjugaison, imbécile ! Je crois que je vois à qui j'ai affaire. Un type, cheveux bordeaux, yeux Terre de sienne, corps d'athlète, doigts agiles et sourire en coin charmeur, tu ne peux être que Celest.

Ah je vois toute l'estime que tu as de moi !

Et j'oubliais aussi, imbu de lui-même, égocentrique, indélicat, curieux, fouineur, prétentieux,...

Ça me flatte, franchement, tant de compliments en une journée vraiment, il ne fallait pas te donner toute cette peine, déclara-t-il faussement joyeux. Pour passer à autre chose, tu as aimé la lecture ?

Non !, dédaigna-t-elle à dire.

Tu mens mal, souffla-t-il en s'approchant d'elle.

À cet instant, Klarysse eut un sursaut de raccrochement à la réalité et le stress monta à nouveau. Quelle heure était-il ? Le temps lui paraissait indéterminable dans cet environnement, était-elle restée quelques minutes ou quelques heures ? Celest sentit son angoisse et lui annonça que cette pièce possédait un écoulement du temps trois fois plus lent que la normale. L'heure de midi venait donc seulement de se terminer : personne ne rendrait compte de son absence, il s'en était assuré. Les cours de l'après-midi passèrent lentement, trop au goût de Celest, ravi que son petit plan de d'il y a quelques instants eût fonctionné comme sur des roulettes. Quant à Klarysse, son attention en cours l'avait tout bonnement abandonnée. Elle ne pouvait sans cesse se repasser le cours des événements en boucle dans sa tête pour y trouver réponse à ses interrogations, mais en vain.

N'étais-je pas tombée comme une idiote, une de plus, dans un piège tendu par un crétin ? Un crétin qui jouait à l’imbécile mais qui ne devait pas tant que ça en être un. Le seul moyen de connaître la vérité était de le retrouver ou de retrouver sa salle.

Toutefois, lorsque la jeune fille tenta de se remémorer l'itinéraire à emprunter pour retourner dans ce lieu mystérieux, elle eut beau retourner toute sa mémoire, elle ne put s'en souvenir. La journée allait enfin toucher à son terme.

Annotations

Vous aimez lire S.C ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0