XIV

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Confortablement installée sur un lit, Aurore revenait à elle peu à peu. Un verre à moitié rempli d'une substance jaune était posé sur une table de nuit ouvragée. Elle ne se souvenait pas avoir bu dedans, mais un goût amer dans sa bouche laissait à penser qu'elle l'avait bel et bien fait.

Aurore regarda de l'autre côté du lit. Vénior était assis auprès d'elle, occupé à tremper un chiffon blanc dans une petite bassine argentée. Lorsqu'il remarqua que la jeune fille avait repris ses esprits, il lui sourit et se rapprocha d'elle.

- Comment te sens-tu? lui demanda-t-il en lui posant une main sur le front.

Aurore ne savait pas quoi répondre. Même si toute douleur physique semblait s'être envolée grâce aux soins que lui avait prodigués Vénior, elle se sentait toujours faible et parcourue de tremblements.

- Mieux. Beaucoup mieux, mentit-elle finalement.

Vénior retira sa main, peu convaincu. Puis il prit le chiffon dégoulinant d'eau et l'essora avant de le poser sur le front d'Aurore. L'eau était tiède.

- Tu es encore fiévreuse, lui dit-il. Garde ça sur ton front un moment.

Aurore obéit et s'allongea, afin que l'eau cesse de s'écouler sur son visage. Elle essaya de se détendre, mais ses frissons l'en empêchaient. Elle avait également la nausée.

Elle ne parvenait pas à comprendre ce qui l'avait mis dans cet état-là, ni à déterminer depuis combien de temps elle se trouvait dans cette pièce. Aurore ne la connaissait pas, mais il lui fut très facile de deviner qu'il s'agissait d'une des chambres du château de Beaugard. Le lit était extrêmement confortable, mais la douleur qu'elle ressentait l'empêchait d'en profiter à son aise.

Aurore passa la main sur sa poitrine; les griffures qu'elle s'était infligées avaient laissé des marques profondes. Ici et là, elle pouvait sentir des lambeaux de peau à moitié arrachés.

- Non, n'y touche pas, lui ordonna Vénior d'une voix calme. Je t'ai fait boire une potion. Cela devrait aider les cicatrices à se refermer.

Aurore glissa ses mains sous les draps. Il n'était pas simple de résister à la tentation d'observer ses blessures de plus près. Elle voulait constater elle-même l'étendue des dégâts. D'après les quelques creux qu'elle avait pu toucher, ils étaient considérables. Aurore se souvenait du sang qui avait glissé sur sa peau, sur sa robe pour finalement se mêler à la boue humide de la forêt. Cette même forêt qu'elle avait connue toute sa vie.

Désormais, cet endroit était devenu le lieu de son horrible crime.

Cette sensation de nausée se fit plus forte encore. Elle plaqua les deux mains contre sa bouche. Elle n'arrivait plus à respirer. Son cœur battait trop vite. L'horreur pure de la situation la frappait, aussi profondément que l'eut fait un poignard, la lame tournant sans cesse dans sa chair.

Elle avait tué sa propre mère.

Aurore se rappelait à présent de la façon dont elle avait planté la dague de Vénior dans le dos d'Annabelle, de plusieurs coups secs, maladroitement assénés. Il n'y a avait pas eu de place pour la peine ou la pitié; seulement la haine et la volonté de se défendre contre son ennemi. Son comportement avait été bestial, une réaction intuitive contre la peur.

Aurore n'était pas sûre de ce qu'elle ressentait à présent. Elle avait dirigé toute sa tristesse et sa culpabilité contre son corps, lorsqu’elle s'était griffée jusqu'au sang. Désormais, elle se sentait vide, omnibulée par des pensées qui revenaient sans cesse, des images mentales à la fois insaisissables et limpides qui dansaient devant ses yeux. Aurore priait silencieusement pour que cela cesse, les yeux rivés sur le plafond. La peur et la haine était omniprésente et s'accrochait au tréfonds de son âme. Il ne semblait y avoir aucun moyen d'y réchapper.

La voix de Vénior lui fit retrouver un semblant de lucidité.

- La mémoire semble te revenir.

Sa voix était faible, compatissante. Il se doutait que les souvenirs de ce meurtre seraient tout sauf plaisants. Aurore hocha la tête, mettant tout en œuvre pour ne pas verser de larmes.

Vénior se pencha au-dessus d'elle et lui toucha le front une seconde fois. La jeune fille était encore bouillante de fièvre. Aurore ferma les yeux. Malheureusement, dans le noir, ses visions redoublaient de violence.

- Ne te sens pas coupable, je t'en prie, lui murmura Vénior. Tu n'y es pour rien.

Aurore ne put retenir ses larmes de couler; bien sûr qu'elle y était pour quelque chose. Elle aurait très bien pu choisir de fuir la maison, trouver une issue ou sauter du premier étage. Mais elle avait eu la dague dans la main, prête à être utilisée. Tuer Annabelle Damester lui avait paru comme une évidence.

Elle plongea son regard dans les yeux de l'héritier des Landebrune. L'expression de son visage montrait que ses paroles avaient encore une fois été maladroites.

- Pardonne-moi, reprit-il. Je ne devrais pas te dire ce que tu dois ressentir.

Vénior s'assit à nouveau sur le coin du lit. Aurore, quant à elle, eut l'envie soudaine de voir à nouveau son visage. Elle ne voulait pas rester seule avec ses pensées douloureuses.

- Ça s'est passé si vite... articula-t-elle après un long moment d'hésitation.

Vénior ne se retourna pas. Aurore insista.

- Je n'ai pas réfléchi aux conséquences. Et maintenant, j'ai du sang sur mes mains... le sang de ma mère...

La gorge nouée, les yeux écarquillés rivés sur le plafond, Aurore s'interrompit. Après un long moment de silence, elle entendit Vénior lui répondre à mi-voix.

- Je dois te raconter comment ma mère est morte.

Aurore se redressa aussi rapidement que ses blessures lui permettaient. Elle ne lâchait pas Vénior des yeux, attentive à tout ce qu'il pourrait lui dire. Assuré d'avoir obtenu l'attention de la jeune fille, l'hériter des Landebrune poursuivit son récit.

- Quand j'avais huit ans, un homme est entré dans sa chambre. J'ai été averti de sa présence lorsqu'elle s'est mise à hurler. Je suis arrivé trop tard: l'homme lui avait déjà tranché la gorge...

Vénior déglutit. La haine transformait ses traits, le défigurant presque.

- Il a eu le temps de me voir, mais il a décidé de m'épargner. Je n'ai eu aucun mal à retrouver sa trace, ni à savoir pourquoi il était venu.

Vénior dut interrompre son récit. Son poing serré était parcouru de tremblements. Aurore, cependant, voulait en savoir davantage. Persuadée que le récit de Vénior avait quelque chose à voir avec sa propre histoire.

- Qui était cet homme? Demanda-t-elle prudemment.

Vénior prit une inspiration bruyante avant de reprendre la parole, sans un regard pour la jeune fille.

- Une fois arrivé chez lui, je me suis caché pour l'observer. Je suis parvenu à le voir, lui et son épouse... Je l'ai reconnue immédiatement: elle était venue rendre visite au château pour obtenir de l'aide, parce qu'elle ne pouvait pas avoir d'enfants. Ma mère lui a proposé une potion. Une potion qu'elle avait déjà eu l'occasion d'essayer.

Aurore fut soudainement frappée par l'évidence qui se présentait à elle. Le souffle coupé, elle se plaqua la main sur la bouche.

L'assassin de Nabée Landebrune était son père.

- Elle était trop lâche pour accepter le prix fixé par ma mère, reprit Vénior. Elle a préféré triché en envoyant son mari voler la potion, et se débarrasser de ce qui lui faisait obstacle.

Ayant soudain pris conscience de la détresse d'Aurore, Vénior lui prit la main. Plongeant son regard dans le sien, la jeune fille pouvait voir et ressentir toute la peine et la colère qu'il avait accumulée durant toutes ces années. Maintenant qu'Annabelle était morte, l'héritier des Landebrune s'autorisait enfin à se libérer du poids qui l'étouffait.

- Voilà pourquoi tu ne devrais pas te sentir coupable d'avoir tué cette femme, conclut Vénior d'un ton plus doux. Nous avons tous les deux souffert à cause d'elle. Elle ne méritait que la mort.

A ces mots, Aurore tourna vivement la tête, assaillie par ses souvenirs. Sa mère, cette femme, ne lui avait jamais montré le moindre signe d'amour. Toutes ces années de maltraitances n'avaient eu lieu que pour une seule raison: Aurore avait été un cadeau décevant et dangereux, dont il fallait qu'elle se débarrasse au plus vite. La jeune fille n'avait dû son salut qu'à l'amour que lui avait porté son père, et sa petite sœur.

Jeanne... Que se passerait-il si elle venait à apprendre son geste? Sans Annabelle, Jeanne serait totalement livrée à elle-même, ce qui était surement déjà le cas. Que se passerait-il si elle décidait de revenir à la chaumière? Cette pensée terrifiait Aurore plus que toute autre... briser le cœur de sa cadette était un crime qu'elle ne pourrait jamais se pardonner, peu importe ce que Vénior pourrait lui dire.

- Je me sentirai toujours coupable, répondit la jeune fille d'une voix faible. Ma sœur ne pourra jamais comprendre... Je ne sais même pas où elle se trouve à présent...

La tristesse envahit Aurore. Elle se mit à pleurer en silence. Vénior la serra contre lui. La jeune fille pouvait sentir les battements de son cœur sous la fine chemise en lin qu'il portait.

- Tu n'auras pas besoin de lui dire ce que tu as fait, murmura Vénior.

Aurore laissa couler ses larmes. Les paroles de Vénior se voulaient rassurantes, mais elle n'était pas certaine de pouvoir cacher la vérité à jamais. Le poids de la culpabilité était bien trop lourd. Celui de l'inquiétude s'y ajoutait.

- Je me mettrai à sa recherche demain matin, reprit Vénior. Si tel est ton désir, je la mettrai en sécurité.

Reconnaissante de cette promesse, Aurore posa affectueusement sa main sur la joue de son bien aimé. Elle se dégagea doucement de son étreinte pour le regarder et lui offrir un sourire empli de gratitude, bien que terni par une souffrance encore trop vive.

Vénior, quant à lui, ne soutint pas ce regard. Une certaine déception se lisait sur son visage. Il caressa distraitement le bras d'Aurore, puis se releva.

- Essaye de te reposer, lui conseilla-t-il.

La jeune fille le regarda partir en direction de la porte. Soudainement, un profond malaise l'envahit, comme si le départ de Vénior résulterait en une mort imminente. Sans pouvoir expliquer pourquoi, elle avait besoin de sa présence. Poussée par l'angoisse, elle se redressa vivement et cria.

- Vénior!

L'héritier des Landebrune tourna la tête, la main posée sur la poignée. Il observait Aurore d'un air grave. C'était la première fois qu'elle l'appelait par son prénom.

La jeune fille se rendit compte de ce manquement à l'étiquette. Craignant de s'enfoncer davantage dans la maladresse, elle n'osait plus prononcer le moindre mot.

Vénior referma la porte entrouverte et se rapprocha du lit. Sa silhouette imposante recouvrait la lumière du lustre. Il semblait attendre patiemment qu'Aurore reprenne courage.

- Je ne veux pas être seule... souffla péniblement la jeune fille après une longue minute d'hésitation. Je vous en prie, restez auprès de moi...

Pour toute réponse, Vénior s'assit à nouveau auprès d'elle, prenant sa main diaphane pour y déposer un baiser.

- Comme tu voudras, susurra-t-il.

Poussée par une ardeur qu'elle ne parvenait pas à contenir, Aurore tendit une main tremblante pour caresser le cou de Vénior. Sa peau était brulante. Elle pouvait sentir le sang couler dans ses veines. Il resta immobile, se contendant de serrer davantage la main de la jeune fille, comme pour l'inciter à poursuivre son geste.

Aurore se rapprocha de Vénior, plus près, encore plus près. Elle posa son autre main contre son torse, effleurant sa peau exposée du bout des doigts. Une chaleur étouffante emplissait son corps, embrumait son esprit. Sa respiration s'accéléra.

Vénior ne bougeait toujours pas. Pourtant, elle voulait qu'il la touche, qu'il fasse s'envoler la douleur à jamais.

Leurs bouches étaient toutes proches à présent. Aurore voulait retrouver ce baiser encore une fois. Sentir sa langue contre la sienne. Convaincue qu'il ne ferait pas le premier pas, Aurore le lui offrit, cherchant à lui faire avoir une réaction, elle caressait ses lèvres fines du bout de la langue.

Soudainement, la jeune fille sentit les mains de Vénior lui agripper les hanches. Ses gestes étaient fermes et précis. Il la serra plus fort, remontant ses mains pour atteindre les côtes. Enfin, il l'embrassa. Son baiser était profond, sa langue caressait celle d'Aurore, la faisant frissonner à chaque contact.

Elle eut toutefois un mouvement de recul lorsque Vénior lui toucha les seins. Ils n'étaient pas gros et ses grandes mains les couvraient entièrement.

Au milieu de leurs soupirs, Vénior murmura à l'oreille d'Aurore:

- Je te laisserai en paix, si c'est ce que tu veux.

Malgré la gêne qu'elle avait pu éprouver sur le moment, Aurore n'en voulait rien. Pour lui prouver son ardeur, elle lui embrassa le cou.

Vénior en fit de même, mordillant doucement la peau fine de la jeune fille. Elle n'avait pas mal. Elle ne se sentait plus capable de ressentir autre chose que le feu du désir qui la consumait impitoyablement.

Il releva la longue chemise blanche qu'elle portait, la dénudant entièrement. Aurore sentait le tissu soyeux des draps sous sa peau exposée.

Vénior la fit se redresser pour la mettre à genoux. Dans cette position, Aurore le dépassait d'une tête. Il agrippa ses seins et se mit à en lécher le bout, puis à les sucer délicatement.

Aurore se mordit les lèvres et ferma les yeux. Ces baisers inconnus lui arrachèrent un gémissement. Elle ressentit une chaleur moite se développer entre ses cuisses ouvertes.

Vénior se redressa, tout en défaisant sa chemise. Il embrassa la jeune fille avec passion, caressant de ses lèvres chaque centimètre de son visage et de sa gorge.

- Tu es tellement belle... souffla-t-il, ponctuant ses phrases par de courts baisers. Je ferai tout pour toi. Tout...

Son baiser se fit plus profond tandis qu'il couchait la jeune fille sur le dos, lui caressant le ventre et les hanches pour finalement atteindre sa cuisse. Tout en la regardant droit dans les yeux, il glissa lentement sa main pour atteindre son sexe.

Aurore se crispa à nouveau. Elle avait toujours considéré cette partie de son corps comme une source de honte. Et pourtant, Vénior le manipulait avec une dextérité telle que la jeune fille se mit bien vite à l'identifier comme une zone de plaisir. Un plaisir si extrême qu'elle ne pouvait l'exprimer que par un cri.

Satisfait de son effet, Vénior émit un gémissement grave, presque un grognement. Il se mit à sourire. Prenant la main d'Aurore, il la posa contre son membre gonflé.

- Me laisseras-tu te prendre? demanda-t-il.

La jeune fille ne tarda pas à faire le lien. Cette chose sous sa main l'intimidait, mais s'il s'agissait bien là de l'union ultime entre deux amants, alors connaitre cette union avec Vénior était tout ce qu'elle désirait.

Ainsi, Aurore hocha la tête, et la possession s'accomplit.

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