Pourriture

24 minutes de lecture

Je hurle un juron. Je n'ai jamais été d'une grande politesse, encore moins dans le feu de l'action. Ma jambe prisonnière des crocs se secoue brutalement pour faire lâcher prise à la charogne. De mon pied libre, je tape de grands coups vers ce qui ressemble à une tête pour me dégager. La créature m'entraîne dans le fond la pièce, là où il fait noir et où elle semble s'être fait un abri de déchets. Tandis que je bouge, je cherche une arme des yeux et des mains, mais je n'ai que mes pieds. À plusieurs reprises, je lui fais lâcher ma cheville. Elle réattaque aussitôt avec une rage anormale. Je ne me laisse pas faire et lui file quelques coups sacrément puissants. Des coups violents à étourdir n'importe quel chien ou humain.

Je lui balance les déchets que je saisis avec force et violence. Tout ce qui me tombe sous la main finit sur la tête ou dans la mâchoire de la bestiole. Le combat est intense. Je n'ai pas l'intention de me laisser faire. Je lui ai cassé un membre, le truc boite et ne recule que sur trois appuis. C'est son point faible. La tête ne bougeant pas malgré des frappes puissantes, je vise alors les membres pour ralentir sa progression. Je fais mon maximum pour le faire chuter, pour qu'il perdre l'équilibre et ne parvienne pas à m'entraîner dans sa tanière.

Bien que je lui aie dit de dégager, Maltez accourt immédiatement comme il peut. Sa grande taille et les nombreux déchets épars le dérangent pour venir l'aider. La faible lumière et les odeurs pestilentielles sont autant d'obstacles dans sa quête héroïque. Enfin, il parvient à mon niveau et aussitôt, il saisit la chose dans le dos et la fait voler au fond de la pièce. Sa force, intensifiée par l'adrénaline, transforme la bestiole en poids léger pour mon camarade qui envoie la créature s'écraser avec fracas sur le mur du fond.

Elle revient en vociférant, cependant, j'ai réussi à me relever. Je percute que j'ai mon marteau et mon couteau à ma ceinture. Je les saisis et m'interpose entre Maltez et le danger. Je suis bien plus rapide en combat et surtout, j'ai une arme valable maintenant. J'envoie un coup de marteau en plein milieu de ce qui semble être le haut de l'énergumène rugissant, ce qui étourdit enfin l'attaquant. Puis de l'autre main, je lui donne un coup de couteau au niveau de la gorge. La créature crie en se tenant le cou d'où un liquide suintant rouge foncé s'écoule. Elle recule suffisamment longtemps pour que j'agrippe la main de Maltez. Je le tire hors de la pièce au plus vite. Nous ne devons pas rester là une seconde de plus. Des rats sortent des déchets des autres pièces et se jettent sur la bestiole, nous permettant de fuir.

Les hurlements ont fait venir les autres. Il ne faut pas qu’ils rentrent. C’est trop dangereux pour eux. Je leur vocifère de dégager dehors tout en dégringolant les escaliers avec Maltez. Je dois les mettre en sécurité. J’ai reconnu la monstruosité et nous n’avons ni les armes adéquates ni les soldats entraînés. En plus, rien ne dit qu’il n’y en a pas d’autres dans les pièces restantes. Nous devons nous rassembler à l'extérieur dans un endroit avec une vue dégagée.

— BARREZ-VOUS. C'est le truc qui m'a attaqué avant Noël, dis-je au professeur et aux gars

J'ai totalement oublié le mensonge de la bête sauvage et de la fille craintive du ministère. Je les pousse vers la lumière, dehors de ce piège de déchets. Couteau et marteau à la main, je reste en dernière position pour sécuriser la fuite en tant que meilleure combattante du lot. Mon attitude farouche et guerrière est au comble de la tension. Je me prépare à me battre de nouveau, à voir des ennemis surgir de tous les côtés. Heureusement, les gars sortent très vite et nous sommes dehors, avec de l'espace et de la lumière pour me battre correctement.

Le responsable nous fait nous rassembler dans la rue. Je leur ordonne de rester à la lumière. Cela semble être ce qui a déclenché l'attaque de la bête. Son attaque a débuté quand j'ai ouvert la fenêtre et fait entrer le soleil. Son antre est dans le coin le plus sombre, sous les déchets. L'adulte confie la surveillance de la maison à quatre mecs qui se postent aux angles et observent. J'informe qu'ils doivent se voir les uns les autres et ne pas cesser de se parler pour être certain que tout se passe bien. J'aboie mes directives, ce que je pense utile de ma formation militaire. L'enseignant ne sait pas ce qu'il faut faire dans ce genre de situation. Moi si. Alors, je gère au mieux en donnant une mission à chacun. Fort heureusement, l'enseignant n'en prend pas ombrage et m'écoute.

Maltez, Thibaut et Alex tentent de me calmer pendant que le professeur appelle la police. Je veux retourner lui exploser la face à cette saleté. Je veux d'autres armes et je vais y aller. Je vais lui régler son compte. Ils ont du mal à me retenir tellement ma fureur est forte. La meilleure défense, c’est l’attaque, de préférence avec une pelle bien tranchante. Je suis remontée à bloc, l’adrénaline ne descend pas. C'est Thibaut qui trouve l'argument pour me faire rester dehors. Je suis en terrain dégagé, à mon avantage contre la bête et au mieux de mes capacités pour protéger les autres. On aura besoin de moi si jamais la créature sort ou si d'autres apparaissent.

Nous entendons des cris déchirants comme si on torturait un animal, enfin un silence inquiétant. Tandis qu'Alex saisit une pelle et rejoint les observateurs de l'autre côté, Maltez me saisit le visage entre les mains et me gronde pour que je laisse Thibaut examiner ma jambe. Il me conjure de me calmer le temps qu'il s'assure que je vais bien. Il a besoin de contrôler que je ne suis pas blessée. J'accepte à contrecœur pour le calmer. Le blondinet retire mes guêtres et examine mon mollet en remontant mon pantalon et baissant mes hautes chaussettes. Mes guêtres m'ont protégé. Des marques de dents qui semblent humaines sont clairement visibles mais elles n'ont pas traversé l'épais cuir. Putain, mes protections sont mortes. Elles coûtent une fortune, je vais massacrer cette chose. Les multiples morsures n'ont pas su déchirer mes protections. Mon mollet est sauf. Je peux remercier Papinou de m'avoir acheté de la qualité.

Mon cœur bat la chamade. Je ne lâche pas mon marteau et ensanglanté. Je reste en posture de combat, les muscles tendus et prête à agir. Si elle sort, je la démembre à coup de pelle comme je l’ai fait pour les rats. Je ne la laisserais jamais s’approcher des autres. Maintenant que je ne suis plus en plein combat, mon esprit analyse inconsciemment toutes les informations enregistrées durant la phase d'opposition. Les coups doivent être extrêmement violents et concentrés en un point comme avec un marteau. L'équilibre semble être modifié et précaire. L'instinct, également, n'est pas habituel, pire que l'altération provoqué par la rage. Rien ne semblait parvenir à faire cesser l'envie de se battre de la bête. Je suis certaine de lui avoir brisé ce que me semblerait être les deux bras avec des coups de pieds en plein dans les cubitus et radius. Elle vit dans l'obscurité et dans la pourriture. Elle semble carnivore au vu du nombre de cadavres mais cela reste à vérifier.

Maltez me questionne. Il a entendu ce que j'ai dit au professeur. Sur un signe à Thibaut, il me conduit à l'écart des autres. Il me prend dans ses bras et me berce pour stopper les tremblements qui m'agitent, sans réel succès. Je n'ai pas peur, je veux me battre, Maltez ne doit rien comprendre. Une kamikaze dans mon genre, ça ne court pas les rues et encore moins dans ce lycée de mauviettes. Il agit comme il pense qu'il faut le faire avec une fille dans une telle situation. Je finis par le repousser en râlant pour vérifier la sécurité des garçons en surveillance. Il réalise son erreur. Je ne suis pas une fille sans défense. Je suis meilleure que lui et pourrais lui péter le nez quand je veux.

Il arrête enfin de vouloir me faire un câlin et attire mon attention en secouant les mains. Il veut savoir ce que j'ai vu, ce qui s’est passé à l'écurie avant Noël. Pourquoi je suis autant prête à me battre contre cette chose. Pourquoi je ne veux pas laisser les autres gérer. Pourquoi je pense être la seule capable de faire face et que je suis autant inquiète. À voix basse, je décide de lui dire la vérité, ce qui s'est passé la première fois. De toute façon, il a vu aussi clairement que moi la créature. Il sait que j'ai menti et que je ne suis pas du genre à être terrorisée par des junkies comme le récit gouvernemental veut le faire croire. Ce qui nous a attaqué n'a rien d'un drogué, ni même d'un humain. Maltez n'est pas un froussard irréfléchi. Il est capable d'encaisser et de gérer l'information et puis j'ai besoin d'un second cerveau pour analyser les événements.

Je lui raconte en détail l'attaque dans la forêt, ce que Grognon a ressenti et toutes les choses que j'ai enregistrées. La poursuite qui suivit et les humanoïdes affamés qui voulaient défoncer la porte des écuries. Il frissonne à l'évocation du combat dans l'écurie et des bouts d'humains jonchés au sol. Il est heureux que Naya, son père et moi ayons su réagir et nous défendre. Cela correspond plus à ce qu'il connait de nos caractères. Je lui avoue le secret demandé par la police qui lui fait serrer les dents de colère, tout comme la sécurité intérieure qui m'a interrogé ainsi que Naya. En revanche, quand je lui avoue m'être confié à Richard, l'ami de mon grand-père qui se renseigne, Maltez me félicite. J'ai bien fait d'en parler avec quelqu'un de confiance qui est bien placé et saura enquêter efficacement. Vider mon sac m'oblige à me concentrer pour donner un récit clair et détaillé. Cela m'aide à me calmer aussi.

Nous discutons et décortiquons ce que nous venons de vivre, à l'abri des oreilles des autres. Maltez a noté moins de détails que moi mais parvient aux mêmes conclusions. Absence de sensibilité à la douleur d'os qui de brisent, rage inarrêtable, problème avec la lumière et régime carnivore. Les rats enragés de ce matin réagissaient eux-aussi à la lumière. Nous nous faisions attaquer quand on ouvrait une fenêtre ou qu'on enlevait un meuble ou un sac poubelle qui servait d'abri obscur. Mes questions et mon besoin d'analyse permettent aussi au grand dadet de calmer les battements incessants de son cœur. Il reconnaît qu'il a eu peur pour moi et aussi pour lui. Il n'a jamais vu une telle créature ni même entendu parler de cela dans un récit authentique.

Le grand dadet est sous le choc de l'énormité de ce qui arrive. Tout comme le vieux militaire, il ne remet pas en question mes paroles, d'autant plus qu'il a vu une de ces choses de ses propres yeux. Maltez est quelqu'un de réfléchi. Je lui demande conseil. Je ne veux pas créer de panique, mais quelque chose d'anormal se produit. Il ne fait pas partie des adeptes de la théorie du complot. J'ai besoin d'un avis objectif. J’ai tendance à émettre des idées foireuses. Il me faut quelqu’un avec moins d’imagination et qui a plus confiance en la nature humaine et dans le gouvernement. Je lui demande donc son avis. Lui aussi trouve les derniers événements plus qu'inquiétants et comprends pourquoi je suis si nerveuse. Cela n'a rien d'humain ou de connu et semble particulièrement dangereux et agressif. Si je n'avais pas été aussi bien formée en combat, et si je n'avais pas eu mon marteau, il y a des chances que je serais morte à l'heure actuelle. Ce secret étatique semble cacher une immense menace. Maltez me promet de téléphoner à son père qui occupe d'importantes fonctions au ministère de la Défense.

La police arrive dix minutes plus tard. Elle m'isole avec Maltez puisque nous sommes les seuls à avoir été "en contact direct " avec la créature et installe un cordon de sécurité autour de la maison. Des policiers armés remplacent les garçons pour la surveillance. Ils réquisitionnent mon téléphone, mon marteau et mon couteau. Même si cela est plus sûr, je suis inquiète et sur mes gardes. Je surveille du coin de l'œil les opérations. C'est trop de précautions pour une simple agression de bête sauvage comme ils prétendent. La police ne vient pas pour ça et surtout pas un tel nombre. Aucun flic n'entre dans la maison. Ils ont reçu des consignes, c'est évident. Les plus jeunes d'entre eux tremblent comme des feuilles en attendant des renforts. Même les anciens, pourtant rompus à intervenir dans des rixes de quartiers chauds, ne sont pas franchement rassuré.

Je saisis la main de Maltez pour qu'on reste ensemble. Pas par peur, mais pour m'assurer qu'il ne lui arrive rien. Lui aussi sent un truc louche et se tient près de moi pour qu'on ne nous sépare pas. Nous observons le placement des policiers et la mise en place des dispositifs. J'en profite pour envoyer un texto à Richard avec le portable de Maltez. Heureusement que je connais son numéro par cœur. Mon parrain doit savoir le plus vite possible ce qui se passe. Il pourra agir en conséquence. Le grand dadet a envoyé un message à son père et me permet de communiquer à Richard le numéro personnel de Maltez Senior afin que Parrain explique la situation et sa gravité, puisque nous, nous sommes surveillés et n'avons pas le droit d'appeler.

Moins de vingt minutes après, ce sont plusieurs commandos de l'armée qui débarquent avec d'immenses bennes. Nous hallucinons en voyant le nombre de militaires qui arrivent. Il y a au moins une cinquantaine de soldats lourdement armés. Le grand dadet me remercie de lui avoir rappelé d'envoyer un SMS à son père discrètement avant l'arrivée des soldats. Il constate qu'il se fait réquisitionner le téléphone comme tout le monde. Les militaires fouillent en premier mon téléphone, mais l’un d’eux, en citant mon nom de famille, ordonne de vérifier les téléphones de tous mes camarades. Il semble penser, à juste titre, que je me suis assurée de transmettre des informations à qui de droit. J’ai eu beau tout effacer, ils retrouvent le sms, je ne sais comment. Un grand éclat de rire et une exclamation " Mais quelle petite peste" confirment mes inquiétudes.

Deux groupes armés se forment. Les preneurs d'assaut et les désignés au tri des ordures. Ceux-là sont pourvus de tenues blanches de protection microbienne. Chaque sac, meuble ou déchet mis dans nos bennes est examiné puis déplacé dans leurs conteneurs. Mon tas de rats est soigneusement mis sous plastique scellé, un par un. Deux des cosmonautes, qui semblent être des sortes de chefs, examinent les cadavres et décident de l'emplacement de stockage morbide. Plusieurs malles aux logos de tête-de-mort sont remplies par ma chasse que l'on trie méticuleusement. Ils ne sont pas trop loin de moi et j'ai une bonne ouïe. Alors, je tente d'écouter leurs propos tout comme Maltez. Nous ne parvenons à comprendre que le fait qu'il y a trois catégories. Sains, Suspects, Atteints. Les hommes comprennent qu'on les écoute et baissent le volume. Nous ne pouvons plus rien saisir et un policier nous force à regarder ailleurs.

Les militaires encerclent la maison comme pour une prise d'otages. Trois équipes, de dix hommes chacune, rentrent dans le bâtiment par les trois ouvertures disponibles au rez-de-chaussée. Je reconnais les techniques d'assaut de troupes d'élites, pas de simples truffions. Les armes qu'ils ont sont de haute technologie, conçues pour la guerre et la précision. Plusieurs d'entre eux ont des lunettes thermiques ou de vision nocturne. Un de chaque équipe porte un projecteur surpuissant. Maintenant, c'est sûr. La bestiole vit dans le noir et craint la lumière. Nous entendons un très long silence au moment où les troupes pénètrent dans la maison. Les hommes se déplacent vite, mais sans le moindre bruit. Les quelques poubelles du rez-de-chaussée sont évacuées par les fenêtres. Pièce par pièce, ils progressent en enlevant les déchets au fur et à mesure qui sont aussitôt inspectés puis mis dans une benne par d'autres groupes de militaires. Soudain, alors qu'ils commencent la visite du premier étage, ça pétarade. De nouveaux cris déchirants, des tirs en rafale de mitraillettes. Puis un silence glacial. J'ai beau savoir que c'est bon signe si les militaires ne sortent pas, je ne peux m'empêcher de broyer la main de Maltez qui est nerveux lui aussi. De nouveaux sacs sont jetés par une ouverture haute. Une seconde ouverture est faite dans ce qui doit être une autre pièce. Une troisième. Des sacs sont jetés par chacune et sont récupérés par les hommes à l'extérieur. L'attente est interminable. Je trépigne sur place.

Au bout d'une grosse demi-heure, les trois troupes ressortent enfin et transportent deux sacs mortuaires qui rejoignent les caisses de rats. Fort heureusement, aucun des militaires n'a l'air blessé. En revanche, j'observe quelques petits mouvements qui trahissent une sacrée période de stress. Ce n'est clairement pas une bête sauvage ou des drogués. On n'envoie pas le GIGN pour cela et encore moins trois équipes, même pour un tigre enragé. Je croise le regard de l'un des militaires qui est en train de me regarder en souriant. C'est l'un de ceux que j'ai essayé de suivre dans la forêt avant Noël. Il dit quelque chose qui fait rire ses camarades, puis il me fait un petit coucou amical et moqueur. Il se rapproche et éloigne le policier d'un mouvement de la main. En continuant de rire, il me demande si je ne suis pas un porte poisse. Je suis présente à chacune des attaques. D'une voix plus basse, il m'informe qu'il est heureux que j’aie contacté Richard. Je réalise qu'il s'agit d'un homme qui connaît Parrain. Il ne peut pas m'en dire plus et as la gentillesse de faire dégager le plancton tremblant qui me surveille. J'accepte de me faire traiter de chieuse rebelle à mettre sous contrôle étroit par un type lourdement armé. Son clin d'œil prouve qu'il n'y a pas d'insulte et juste la volonté de me laisser regarder à mon gré les opérations en cours. Très rapidement, les conteneurs à déchets des militaires sont aspergés d'essence et sont mis en feu, détruisant tous les détritus sans aucune pitié.

Les personnes présentes sont interrogées séparément. A la fin des questions, les autres repartent au lycée. Moi et Maltez, nous nous faisons examiner sous toutes les coutures par un médecin. Pour que je ne fasse pas de crise de colère, le personnel soignant nous installent de manière que je puisse entendre mon camarade et parler avec lui. J'ai besoin de m'assurer qu'ils ne le maltraitent pas. On se fait aussi réquisitionner nos vêtements jusqu'au dernier. J'exige que mon couteau me soit rendu le plus vite possible car j'y suis attachée sentimentalement. Le soldat ami de Richard me promet que je le récupérerais dans moins d'une semaine, le temps de le nettoyer totalement. Maltez et moi subissons à une douche militaire désinfectante et de beaux treillis tout neuf taille standard. Je flotte dans le mien. On dirait une petite fille qui a volé les vêtements de son papa, ce qui me fait pester et sourire Maltez. Lui au contraire dépasse de partout et est serré surtout au niveau des épaules.

Comme je pose milles questions sans relâche et cherche clairement à analyser le moindre fait pour en tirer des conclusions, les militaires promettent de nous expliquer la situation. De toute façon, ils n'ont pas le choix. Je les préviens avoir envoyé les photos à quelqu'un de sûr. Ils ricanent et évoquent Richard, puis me traitent de sale gosse pas bien méchamment. J'ai eu affaire deux fois à la chose et Maltez est le fils d'un grand ponte, les militaires accèdent à ma menace en soupirant. Ils savent que je ne lâcherais pas l'affaire. L'homme qui a chassé le policier tout à l'heure revient accompagné d'un étrange soldat. C'est Mélia. Ma sœur est venue dès qu'elle a vu les autres rentrer sans Maltez et moi. Thibaut a eu beau lui dire que j'allais bien, elle vient vérifier en se déguisant en militaire. Malheureusement, l'ami de Parrain la reconnait. Il préfère qu'elle reste avec nous plutôt que de la renvoyer, pour me garder calme. Il rigole en affirmant à ses camarades que de toute manière, les deux pestes Farmer trouveront toujours le moyen de contourner toute forme de surveillance. L'homme se moque de nous mais avec beaucoup de gentillesse. A sa demande, nous patientons sagement. Mélia commence à m'inspecter en s'agenouillant et en soulevant mon bas de pantalon pendant qu'elle interroge aussi Maltez sur les événements. Un hélicoptère arrive et se pose. Le père de Maltez descend ainsi que mon vieil ami.

Je saute au cou de Richard sans réfléchir aux gens qui nous entourent. Il m'embrasse le front comme le faisait Papinou pour me prévenir d'être attentive. Sa présence me fait quitter immédiatement ma posture de combat. Mélia se blottit contre lui comme un chaton craintif. Parrain nous câline quelques instants et fais semblant de gronder ma sœur pour ne pas être restée au lycée. Richard aborde quelques anciens collègues parmi la troupe qui vient de mener l'assaut de la maison, y compris celui qui a fait fuir le policier. Il nous présente comme ses filleules et les petites filles de Papinou alias le Général Farmer. Les militaires connaissent tous de nom Papinou et Richard. Une aura de sérieux entoure ma sœur et moi lorsque les hommes de combat ont confirmation de qui nous sommes, même si leur camarade l'avait déjà fait. L'un d'eux blague alors sur le fait que j'ai explosé le crâne d'une créature et sur mon côté soldat prêt à l'action. Un autre sur mon génocide de rats. Bien qu'ils parlent de moi comme d'une psychopathe, on les sent impressionnés. Richard est fier de moi. Il me serre contre lui comme le ferait un père et je me rapproche de lui pour finir d'apaiser mes nerfs tendus à l'extrême.

Maltez et son père se serrent rapidement dans les bras aussi, puis nous rejoignent dans la discussion. Le grand dadet est beaucoup plus calme lui aussi depuis l'arrivée de l'hélico. Il confirme que je suis une sacrée combattante et répète en détail ce qui vient de se passer aux deux adultes. Maltez senior me remercie d'avoir demandé à Parrain de l'appeler pour lui expliquer la gravité de la situation, puis il me demande de continuer à faire dégonfler les chevilles de son fils. Le grand dadet se marre et oriente la discussion sur Mélia, celle qui est civilisée d'après ses paroles. Il est très complice avec son père. Nous sommes appelés dans le lieu de haut commandement. Richard me fait signe de rester calme. Je m'assois près de lui, la tête sur son épaule. Mélia fait pareil de l'autre côté. Maltez et son père se placent à coté de ma sœur. Un homme de belle stature commence à parler. Le porte-parole militaire, regarde Richard et le père de Maltez d'un air inquiet. L'homme sait qu'il ne peut pas mentir face à de tels hommes, rompus à détecter les mensonges. Alors, pour éviter les questions, il essaye d'être le plus précis possible. Il tremble un peu, comme un élève devant faire un exposé à la classe et qui a le trac.

Les créatures trouvées lors de la première attaque ont été étudiées. Il jure que c'est la première fois que le gouvernement découvrait ces créatures et qu'il ignore tout d'elles. Il s'agit d'êtres humains, atteints d'une forme étrange de maladie. Une sorte de cancer foudroyant, jamais été vue auparavant, modifiant l'apparence, mais surtout le cerveau et le comportement. Le ministère de la Santé, la sécurité intérieure et la Défense sont sur le pied de guerre. Le père de Maltez avait été tenu à l'écart en raison du conflit d'intérêt. Ce cancer semble contagieux. On ignore ce que c'est exactement, c'est très dangereux. Pour l'instant, il n'y a eu que trois "foyers". La forêt et un immeuble à l'autre bout de la ville lors de la première vague. Cette maison aujourd'hui. Nous devons garder le secret pour ne pas créer la panique. Le gouvernement ne sait pas grand-chose et pour l'instant, cela semble limiter à cette ville et à quelques créatures isolées. La population affabulerait et créerait une terreur inutile et contre-productive. Durant tout son discours, Richard le dévisage et scrute son attitude. Il le déstabilise pour savoir la vérité.

Nous obtenons quelques informations qui confirment mes premières constatations. Absence d'instinct de survie et de réflexion. Forte agressivité. Un comportement de type animal enragé en plus violent. Résistance aux coups classiques. Apparente insensibilité aux coups et blessures sauf dans la région céphalique. La tête est le point à viser, mais tant que le cerveau est relié à la colonne vertébrale, cela reste vivant. La bestiole vit dans le noir et ne supporte pas la lumière. Transmission du cancer de l'humain aux rats possible au vu des événements d'aujourd'hui. La quasi-totalité des rats que j'ai exterminés présentait des signes de ce cancer étrange. Pour l'instant, pas d'autre transmission découverte.

Au bout de deux heures de promesses sur l'honneur, nous pouvons sortir. Maltez, son père et Richard semblent préoccupés. Nous ne croyons guère au discours que nous venons d'entendre. Malheureusement, nous n'avons pas le choix. Je suis bien placée pour savoir qu'un militaire ne trahit pas un secret. Je ne suis pas militaire. Je n'ai donc aucun ordre à recevoir de leur part. Le père de maltez rentre chez lui après avoir serré de nouveau son fils dans ses bras et lui avoir recommandé de faire attention. Parrain nous ramène tous les trois au dortoir. Nous montons en direction de la chambre des kawai où se trouve tous nos amis. Avec l'accord de Richard, Mélia, Maltez et moi décidons d'informer en cachette nos potes de la vérité. Fleur, Lilou, Sarah, Blaise, Thibaud et son père, Naya et son père, Pétunia et aussi Clarissa par association ainsi que deux autres basketteurs sont mis au courant. Nous ne sommes pas tranquilles. Il est tard. Naya permet de Parrain reste dormir ce soir en envoyant Sarah chez les garçons et en accueillant Fleur à ma place dans ma chambre. Je partage le lit de Sarah avec ma soeur et Parrain se repose dans celui de Mélia.

Les jours suivants, nous sommes tous aux aguets et surveillons ce qui se passe en ville. Richard et quelques amis à lui se promènent et se renseignent incognito. Rien ne filtre. L'accès à la forêt, à la maison et aussi aux alentours de l'immeuble infecté sont interdits. Un couvre-feu est mis en place sur la ville. Dès le coucher du soleil, tout le monde doit rester chez lui. L'armée patrouille partout. Nous sommes sous dictature militaire, comme dans une zone de guerre. Officiellement, c'est en raison de la présence de groupes de délinquants voir de terroristes. Même les informations nationales ne parlent pas de cette mise sous surveillance. La population ignore ce qui se trame.

La nuit, nous entendons des coups de feu au loin. De mon toit terrasse, j'observe à l'abri les alentours avec la lunette de tir que me prête Richard. Des choses arrivent en direction de la forêt. Des trucs humains et des bestioles de toutes tailles. Pas nombreux, mais suffisamment pour que les militaires soient en opération toutes les nuits avec des équipements perfectionnés. Certains d'entre eux se postent aussi sur les toits du lycée, meilleur point d'observation des abords de la forêt. Des tireurs d'élite longue distance. Je me fais repérer et étrangement, ils me tolèrent à condition que je ne sorte pas de mon bâtiment. L'un d'eux, le même qui m'a traité de chieuse rebelle, me dit que les toits sont des endroits sûrs. Il s'appelle Mitchell et c'est un ami proche de Parrain. Quand il est de surveillance, on papote de longues heures avant qu'il ne m'envoie me coucher.

Si ma présence est acceptée et aussi celle de Mélia qui vient m'apporter de la nourriture ou du café aux hommes, les autres élèves ont interdiction de sortir à partir de dix-huit heures sauf pour la cantine entre dix-neuf et vingt heures. A vingt et une heures, tout le monde doit être à l'intérieur. Les garçons ne peuvent plus nous rejoindre via les toits. Les portes d'accès ont été verrouillées. Les cours d'équitation en pleine journée sont surveillés par les militaires et interdits dès le soir tombant. Maltez, Naya, son père, les chevaux et moi sommes régulièrement vérifiés par des docteurs ou des vétérinaires. Nous n'avons plus accès aux écuries en dehors des cours. J'ai essayé de faire jouer mon nom de famille pour enfreindre un chouia les règles. Le mieux que j'ai pu obtenir, c'est un entraînement au combat rapproché avec Mitchell ou un de ses collègues pour me défouler un peu. C'est d'ailleurs le seul militaire qui me parle vraiment. À moi et Mélia, pas aux autres "enfants". La plupart des hommes ont une sorte de respect ou de tendresse envers ma jumelle et moi. Cependant, ils ne nous adressent pas trop la parole.

Quand il est avec d'autres soldats, nous parlons de Papinou et Richard. Il fait semblant de nous raconter des anecdotes de missions, en tant qu’ex-collègue ou subordonné. Des souvenirs de notre grand-père, des secrets pour faire chanter Richard. Les autres soldats nous laissent tranquilles, pensant que Richard le connaissant, il a demandé à Mitchell de nous surveiller un peu. L'homme est tireur d'élite lui aussi. Parfois, il se fait surprendre par ses collègues à nous entraîner, Mélia et moi, au tir longue distance en nous montrant comment calculer le vent ou anticiper les mouvements des autres. Les autres militaires se moquent de lui, en le traitant de baby-sitter pour l'embêter gentiment, mais ils le couvrent et laissent faire puisque grâce à lui, les deux pestes Farmer restent à peu près sages.

La situation est loin d'être aussi calme que ce que les informations disent. Le soldat ne se cache pas du fait qu'il nous protège, ni qu'il nous confie quelques armes, au cas où. En réalité, il transmet aussi des renseignements à Richard, via un code secret entre eux. Mélia ou moi envoyons des SMS à Richard avec une phrase anodine qui est en fait cryptée. L'homme obéit encore à Parrain. Richard et Papinou lui ont sauvé la vie. Ils ont fait les quatre cents coups ensemble. Il leur est dévoué à la vie, à la mort. La situation réelle est très grave. Le gouvernement met en danger la vie des civils. Alors, il estime faire son devoir de protection en renseignant Richard.

Il nous confie qu'il n'est pas le seul militaire à "faire fuiter" des informations à Parrain ou d'autres alliés complotistes ou survivalistes. Pas les extrémistes sans cerveau. Ceux qui, comme Richard, se méfient des gouvernements et sont attentifs sans être crédules. Mathilde, l'ex-femme de Papinou que je considère comme ma grand-mère, et d'autres amis de Papinou ou Richard fiables que je connais sont cités. Les soldats qui désobéissent sont ceux qui ont bien compris que la thèse d'un cancer qui se transmet aux rats est une belle foutaise. Des renards et des chats sont aussi atteints, ils le constatent sur le terrain. Alors, ils font de leur mieux pour que des personnes de confiance surveillent de loin tout ce remue-ménage.

Un des soldats raconte à Parrain qu'il a vu un de ses camarades se faire dévorer sous ses yeux lors du nettoyage de l'immeuble avant Noël. Sept créatures humanoïdes et une vingtaine de rats se sont jetées sur lui et ont déchiré ses protections avec les dents. Elles ont tenté de le manger malgré les balles qui perçaient leurs corps de toute part. Les hommes n'ont pas été assez rapides à comprendre qu'il fallait viser et exploser uniquement la tête. Leur collègue était déjà mort en moins d'une minute, les dents des rats ayant littéralement déchiqueté ses protections. C'est pourquoi maintenant, les gilets et pantalons sont doublés avec des espèces de cottes de mailles en titane, pour résister aux morsures. Lourd mais efficace. C'est également la raison de la présence d'un militaire avec un projecteur surpuissant, seul dispositif faisant temporairement fuir les agresseurs.

Les militaires sont tous sous tension. Ils dorment mal et sont préoccupés. Ils manquent de patience envers les "civils", ce qui n'aide pas à apaiser le climat de terreur qui s'instaure en ville et au lycée. Même en ignorant tout des attaques, la population perçoit qu'on lui cache des choses, que la présence militaire est trop importante pour une menace si faible que des délinquants. Certains habitants se rebellent et subissent l'énervement des soldats stressés. D'après Parrain, même les hauts gradés semblent ne pas savoir à quoi on a affaire. Il y a une panique au sein même des états-majors et du gouvernement. L'information est gardée secrète au sein du pays, toutefois, des biologistes, des épidémiologistes et des virologues de renommée mondiale ont été convoqués en urgence pour tenter de comprendre le phénomène. Personne ne semble avoir une idée de ce dont il s'agit et de ce à quoi s'attendre. C'est une sorte de bactérie ou de virus humain qui contaminent les mammifères carnivores.

Des amis dans d'autres pays frontaliers surveillent l'arrivée de tels événements dans leurs régions respectives. Quelques remous sont aperçus un peu partout dans le monde, par les guetteurs, mais rien de l'ampleur de ce que Richard observe. Quelques bestioles, un seul humanoïde. Les guetteurs ne sont même pas certains qu'il s'agisse bien du même phénomène que chez nous tant ils sont éloignés et isolés. Aucune propagation ne semble se faire au-delà de notre ville. Chez nous, nous en sommes à près d'une vingtaine d'humanoïdes, près de quatre-vingts rats et une quinzaine d'autres carnivores rien que sur la ville et la forêt.

Annotations

Vous aimez lire danslalune123 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0