S'intégrer

20 minutes de lecture

Un soir, alors qu'on est tous consignés dans nos chambres en raison du couvre-feu imposé par les militaires qui patrouillent dans la ville, Naya veut jouer avec moi et ses amies. Elle sort une bouteille de vodka qu'elle a introduit en douce. Les trois pouffiasses se lancent dans un jeu "action ou vérité". Si tu te défiles, tu bois un shot. Je choisis en permanence l'option la moins risquée, c'est-à-dire vérité. Pour me punir, elles instaurent une nouvelle règle imposant une action ou un shot toutes les cinq vérités consécutives et inversement.

Si elles croient que je ne les vois pas venir. Elles cherchent à me soûler pour tirer des informations compromettantes. Je suis plus maligne qu'elles. Je vide la plupart des verres dans le pot de la pauvre plante verte qui se fait désinfecter les racines. De toute façon, elle est déjà tellement en mauvais état que cela ne peut pas lui faire plus de mal que l'absence de lumière naturelle et d'arrosage régulier. Quand je pense qu'elle reprenait vie depuis mon arrivée, c'est dire dans quelles sales conditions elle poussait. J'ai même cru qu'elle était en plastique jusqu'à ce que je veuille nettoyer la poussière des feuilles un jour. Depuis, je l'arrose et surtout je l'emmène parfois sur le toit le matin pour qu'elle passe une journée au soleil.

Malgré ma malice, je suis forcé de boire quelques shots. Nous finissons bien éméchées toutes les quatre. Ça commence à partir en vrille. Clarissa nous avoue que sa première fois était foireuse et nous raconte tous les détails scabreux avec bruitage et mime. Pétunia montre ses seins à la fenêtre pour amuser les gars de l'autre côté ou les militaires qui regardent dans la direction. Naya chante du Britney Spears et entame une chorégraphie des plus torrides. C'est à mon tour. J'ai épuisé mon crédit de vérités. Je dois donc faire une action ou boire, ce qui ne serait pas raisonnable.

Je tire un papier avec crainte. Mon dernier gage était de faire tenir en équilibre un crayon gris sur mon doigt pendant plus de vingt secondes. Chose facile en temps normal, toutefois, l'esprit embué par l'alcool, c'est bien plus compliqué. J'ouvre le message en fermant un œil. "Embrassez une des personnes participant à ce jeu". Les filles se marrent. J'ai avoué peu de temps avant n'avoir jamais embrassé qui que ce soit. Ma grimace, pour souligner ma poisse, accentue leur fou rire.

Face à mes protestations et mes excuses foireuses, Naya se propose afin que mon premier baiser soit parfait et au moins avec une jolie fille. Je ne peux pas contester la décision votée à la majorité. Le trio de pouffes est contre moi. Avec appréhension, je m'approche alors de la grande pimbêche qui se remet du rouge à lèvres, histoire de me laisser des traces. Nous nous embrassons sous les gloussements de deux bécasses.

— Tu ne te débrouilles pas trop mal pour une première fois la grunge.

Naya se fiche de moi tandis que je reprends mes esprits. Elle a vraiment fourni des efforts pour que ce soit bien et s'est montrée très douce. Elle n'a pas bavé goulûment comme elle le fait avec l'autre crétin. Je ne sais pas si c'est l'alcool ou ce qui vient de se passer qui m'embue le plus l'esprit. Heureusement, les trois folles ne voient rien de mon manque de clarté mentale. Il faut vraiment que j'évite de boire encore un shot sinon je vais vraiment être malade. Je ne me suis jamais sentie aussi mal, même durant des gastros carabinées.

Une des bécasses, dont je ne me rappelle plus le prénom soudainement, doit m'imiter et rejouer une scène où je suis l'actrice principale. Elle choisit le moment où Musclor a tenté de rançonner les Kawai. La voilà donc à ma place, la seconde bimbo prenant celle de Jonathan et Naya faisant les commentaires du groupe de basketteurs qui voient la scène à distance. J'ai confirmation que tous avaient l'intention de nous venir en aide. C'est Blaise qui les a retenus quelques secondes en voyant le sourire complice entre ma sœur et moi. Il avait compris que je manigançais un truc louche. Ce type est vraiment intelligent et observateur. J'ai également confirmation que tous les basketteurs, y compris Maltez, ne viendront jamais se battre contre moi de peur de se prendre une sacrée trempe, ce qui me fait bien sourire.

Naya traite son petit ami de suicidaire à chercher tout le temps la bagarre vocale avec moi, ce qui me fait éclater de rire. C'est vrai que nos échanges verbaux ne sont jamais des plus amicaux. Naya souligne combien lui et moi, on se ressemble, tant par les mauvais aspects que par les bons. On a tous les deux un sale caractère et une forte estime de notre propre personne. Nous sommes sur-protecteurs, avec un humour merdique, pourtant, beaucoup de monde nous apprécie. On nous respecte pour notre savoir ou pour notre gentillesse dissimulée sous des tonnes de ronchonnage. Les abrutis du genre Musclor nous craignent pour notre côté justicier et surtout bagarreur chevronné. Je ne peux que valider ses propos. Maltez est presque mon double en mec. Je suis juste très belle et lui est moche.

Nous finissons la soirée toutes les quatre ivres mortes au sol. Nous avons perdu la notion du temps et des positions décentes. Je ne me rappelle plus le quart des choses que nous avons faites ou dites. Je sais juste que je ne dois plus jamais boire une goutte d'alcool de ma vie. J'étais dans un état pitoyable. Si les bestioles avaient attaqué, j'aurais été incapable de me défendre et de protéger les filles. Cela n'est pas tolérable. Plus jamais je n'accepterais de me rendre aussi vulnérable.

Nous avons une affreuse migraine le lendemain matin quand la cloche de réveil nous vrille les tympans. Je comprends ce que doivent ressentir les bestioles qui ne supportent pas la lumière. Chaque stimulus sensoriel est un clou qui s'enfonce dans mon crâne. Les trois autres filles ne sont guère plus fraîches que moi, juste plus inquiètes pour leur pseudo-teint de pêche et les cernes valises sous les yeux. Vive les lunettes de soleil dès le réveil. Mon look n'est guère modifié. Celui des pimbêches en revanche laisse vraiment à désirer, le fond de teint ne faisant pas de miracles.

Mélia, Blaise et Maltez ne cessent de nous questionner sur notre migraine commune. Les deux premiers sont inquiets pour nous. Le dernier cherche de quoi se moquer sans trouver. Naya et moi sommes encore plus insupportables que d'habitude. Nous n'avons aucune patience et bousculons tous les intrus qui entrent dans notre espace vital. Pétunia et Clarisse chouinent lamentablement. Au moins, la reine des abeilles garde la classe même en gueule de bois. Moi, ça ne change pas beaucoup. Je grogne et émets des sons inintelligibles pour pester dans ma barbe contre le paquet de céréales qui ne s’ouvre pas ou le jus d'orange trop froid et d'autres choses extrêmement énervantes.

Le trio d'inspecteurs sont si insistants avec leur interrogatoire que j'invente un pieu mensonge pour avoir la paix. Nous avons regardé un film d'horreur en cachette et du coup, on a fait des cauchemars toute la nuit et n'a pas dormi. Maltez nous traite d'idiotes de regarder ce genre de films vu les circonstances. Comme prévu, il s'engouffre dans la brèche pour montrer toute sa supériorité. Blaise se moque gentiment de notre côté chochotte. Il veut nous rassurer et nous dire que nous sommes à l'abri, mais il n'ose pas dire que les monstres n'existent pas au vu des derniers événements.

Mélia se mord la lèvre. Elle sait que pour moi les films d'horreurs sont l'équivalent de films comiques et que je hurle de bonheur quand la bimbo se fait assassiner. Elle sait que je mens. Elle sait que je ne dirais rien, même si elle me torture. Elle savait avant même que j'ouvre la bouche que j'allais mentir. Mélia me connaît par cœur. Elle est mon double. La partie angélique du duo. Tout juste elle me taquine en demandant le titre du film ou des détails sur le scénario. Naya me vient en aide et évoque un film qu'elle connaît pour me tirer du pétrin. Je tire la langue à Mélia en douce pour confirmer ses soupçons. Heureusement que ma jumelle n'a pas connaissance de mon état d'ébriété, sinon elle m'en ferait baver un max. C'est aussi une teigne quand il le faut.

Nous survivons à cette journée atroce et nous nous écroulons dans notre lit en même temps que le soleil se couche, épuisées par une nuit blanche et une cuite magistrale. Je prends tout de même la précaution de piéger la porte avant d'aller dormir. Je soupçonne ma jumelle de ne pas en rester là et je suis persuadée qu'elle va venir faire une visite nocturne pour fouiller notre chambre et trouver des preuves de notre crime. Si je ne veux pas me réveiller avec des dessins au marqueur sur le visage, je dois absolument l'empêcher de pénétrer dans ma cachette. Naya se fiche de moi et de notre drôle de duo. Parfois, j'ai l'impression qu'elles nous aiment bien, les cinq petites secondes et surtout les deux bizarres. Yin et Yang. Ange et diablotin. Mélia et Mégane.

Avec toutes ses conneries de couvre-feu, ils ont rajouté une compartimentation en classe pour mieux surveiller nos déplacements. Les Terminales ne croisent plus les Secondes. Nous devons rester avec Raoul en cours de sport et ne pouvons pas manger ensemble. Sarah ne voit presque plus son frère, à peine quelques heures par semaine. Ils sont fusionnels comme je peux l'être avec Mélia. Je vois mes deux amis souffrir de la situation. Cela me navre et je fais mon possible pour la protéger tandis que Mélia la couvre de câlins. Sarah est triste. Blaise ne se porte pas beaucoup mieux d'après ce que les pimbêches me racontent et ce que je vois parfois. Cette situation n'est pas acceptable. Ils commencent à me gonfler avec leurs ordres stupides.

Alors que je suis en train de bosser mes cours avec Mélia, Sarah éclate en sanglots. Son frère lui manque trop. La situation la stresse. Ma sœur se précipite pour la couvrir de câlins. J'aime beaucoup la petite souris, sa peine me touche. Je sais combien c'est dur d'être loin de quelqu'un qu'on aime. D'un regard, Mélia et moi nous nous parlons silencieusement et identifions ce qu'il faut faire. Nous allons désobéir, mais pas n'importe comment. Il faut d'abord trouver des cachettes. Je sors demander à Naya et mes autres colocs si elles acceptent d'accueillir Maltez et Alex pour la nuit dans notre chambre en expliquant brièvement mon plan. Alex, c'est le quatrième coloc de nos trois amis garçons. Les filles acceptent avec joie à l'idée d'un peu de testostérone. Naya est ravie à l'idée de passer la nuit avec son chéri Damien. Mélia n'assure que Thibaut et Blaise seront planqués sans souci dans sa chambre, Fleur et Lilou ayant donné leur accord. On se débrouillera pour les dissimuler. C'est décidé avec ma jumelle. Je pars donc chercher les garçons en mode mission exfiltration.

Je prends mon pistolet et mon couteau au cas où je croiserais une créature. J'en confie aussi à ma jumelle. Je grimpe sur le toit suivi de Mélia. La porte d'accès au toit est juste fermée à clé. Je crochète la serrure. On inspecte rapidement la surface des deux toits afin de s'assurer de l'absence de bestioles ou de militaires. Je ne peux pas utiliser mon câble pour me déplacer. Il a été retiré par les soldats et je n'avancerais pas assez vite pour ne pas me faire repérer. Je recule au fond du toit pour avoir de l'élan puis je cours et saute. J'atterris sur l'autre toit en faisant une roulade. Nous nous plaquons chacune au sol quelques minutes, pour que les projecteurs militaires au sol ne nous voient pas. Ensuite, Mélia va sécuriser la porte des filles tandis que je me dirige vers la porte des garçons.

Nouveau crochetage. Les portes sont solides, cependant les serrures sont faciles à contourner. Je pénètre le bâtiment. En mode furtif, je cherche la chambre de nos amis. La plupart des mecs dorment, ce qui m'arrange. Naya m'a expliqué où sont nos potes. Deuxième étage vers le milieu, je suis devant leur porte. 264. Je toque en surveillant les alentours. C'est Maltez, avec juste un bas de pyjama, qui m'ouvre. Surpris, il me choppe immédiatement pour m'entraîner à l'intérieur dans le but de m'engueuler. Je ne lui laisse pas le temps d'ouvrir la bouche. Je dois faire vite.

— Sarah ne va vraiment pas bien. Je viens chercher Blaise. Elle a besoin de lui. Je sais comment passer la surveillance des militaires. J'ai fait le mur tellement de fois que je rendais fou mon grand-père. Si vous voulez, je vous guide. Sinon, bonne nuit à demain, mais je kidnappe quand même Blaise, ce n'est pas négociable.

Le rire de Blaise et Thibaut stoppe l'élan moralisateur de Damien. Il abandonne toute tentative d'éducation. Je suis encore plus têtue que lui de toute manière et Sarah souffre. Les garçons discutent quelques instants. Alex finit par décider de rester là pour couvrir ses potes. Les trois autres vont ramener la délinquante juvénile que je suis à son dortoir. Je fais donc le chemin de retour avec les gars. Nous avançons assez rapidement dans les couloirs déserts. Je prends soin de verrouiller chacune des portes derrière moi. Mes potes me suivent docilement quelque peu amusés par mes talents de cambrioleuse et obéissent à mes consignes sans broncher.

Nous arrivons enfin dans le dortoir des filles. Mélia fait un bisou aux garçons et part en éclaireuse pour s'assurer qu'il n'y ait personne sur le chemin. Ensuite, elle rentre dans sa chambre et cache les yeux de Sarah. La petite fille croît à une surprise du genre que je me suis déguisée en clown, toutefois, elle ne pense pas une seule seconde à ce que mon double et moi avons mijoté. Je fais rentrer Blaise qui dépose un bisou tendre sur la joue de sa petite sœur. Je crois que tout le troisième étage du dortoir féminin comprend que Blaise est là au cri de Sarah.

Mélia et moi sortons tout de suite pour nous assurer de la complicité de l'étage. Naya, en tant que responsable d'étage, nous aide beaucoup. Solidarité féminine oblige, aucune ne nous trahira, surtout que les trois garçons sont très appréciés et leurs présences rassurent un peu les donzelles. La pimbêche en chef est ravie de ma désobéissance et sautille sur place en se blottissant dans les bras de son petit copain. Damien me fait une bise sur le front pour me remercier de prendre soin de la petite souris et lui permettre de passer la nuit avec sa nana. Après quelques échanges, Thibault prend mon lit finalement et je déménage. Blaise partage la chambre de cinq filles. Il dort avec Sarah qui arbore un immense sourire de bonheur. Je dors avec Mélia qui se bat avec moi pour avoir son bout de couette et d'oreillers.

Je prends l'habitude une fois par semaine d'aller chercher les garçons dans leur dortoir. Jamais le même jour, jamais au même horaire. Les autres habitants de leur dortoir s'habituent à ma présence. Je n'ai plus à me cacher d'eux, d'autant plus que je leur rapporte souvent de la bouffe ou des missives de leurs copines. Je me planque juste des militaires. Enfin non, pas tous. Certains soldats, notamment les tireurs d'élite postés sur les toits, ont parfaitement conscience de mes manigances. Ils les tolèrent voire les encouragent. Je découvre un double des clés des portes blindées des toits "oublié" puis une échelle de passage sécurisée dont le cadenas porte le code de verrou 0876, les chiffres bonheur de Parrain. Parfois, ils sont même présents et tournent le dos pour faire semblant de ne pas nous voir. J'ai clairement des complices, ce qui me fait marrer ainsi que les autres criminels. Je récompense mes amis silencieux avec des boites de gâteaux ou des thermos de café déposés dans la journée.

Blaise et Thibaut me taquinent quand par hasard, j'arrive à l'heure de leurs douches. Ils croient que je l'ai fait exprès pour surprendre des garçons en petite tenue. S'ils savaient combien je m'en fiche. Je les laisse dire et je rentre dans leur jeu en tapotant sur la porte et en demandant à entrer d'un air candide. Pour les embêter, je fais mine de m'extasier sur le corps de Musclor lorsque les garçons sortent. Blaise commence à me connaître et détecte vite le mensonge. Il se venge en me portant comme un sac à patates sur ses épaules dans tout l'étage. J'aurais pu éviter son attaque sans souci. Je n'en avais pas envie. Blaise est doux et tendre. J'apprécie son contact que ce soit pour un câlin ou une chamaillerie. Je fais mine d'essayer de lui enlever sa serviette. Je pourrais me libérer et lui dérober sa dernière protection aisément. Je préfère rire et faire la vierge effarouchée, absolument pas crédible. Les gars que l'on croise s'amusent avec nous. Certains font semblant d'être des preux chevaliers qui accourent à ma défense, d'autres soutiennent Blaise dans son odieux kidnapping. La tête épuisée de Maltez face à nos gamineries est à mourir de rire.

Alex, dont j'apprends qu'il est le responsable de l'étage, nous laisse faire les andouilles. Les gars sont tous tendus par le climat ambiant et un peu de plaisanterie et d'enfantillages ne pourra qu’améliorer et alléger l'atmosphère. Entre les basketteurs et les bénévoles des chantiers de construction, quasiment tous les mecs m’apprécient et sont potes avec Blaise. En fait tous, si on enlève Musclor, quelques lutteurs dont Garcia et Maltez. Ce dernier refuse obstinément de prendre parti entre les deux enfants qui se chamaillent devant ses yeux. Il repousse juste les types qui s'approchent trop près.

Je suis trimballée pendant au moins un quart d'heure dans la bataille générale. Les assaillants et défenseurs s'en prennent aux serviettes couvrant la zone dangereuse de leurs adversaires. De la connerie adolescente dans toute sa splendeur. Même le grincheux Maltez et le pacifique Thibaut finissent par se mêler au combat. L'occasion de rire est trop tentante. Leurs cris de guerre attirent quelques gars des autres étages puis un militaire en reconnaissance. Mon pouce en l'air pour signaler que je ne suis pas en danger fait sourire le soldat qui indique à la radio à ses collègues une simple chamaillerie de gamins puérils. Un brin paternel, l'homme me demande de ne pas trop martyriser mes camarades et dissimule ma présence en me prévenant que la prochaine ronde d'inspection aura lieu dans une heure, ce qui me laisse largement le temps de faire mes bêtises.

Une fois dans leur chambre, Thibaut me bande les yeux avec un foulard pendant qu'ils se rhabillent. Je joue à Colin-maillard pour me marrer. J'utilise leurs voix pour les trouver et continuer à leur casser les pieds en tentant de les chatouiller. Je leur cache que je suis entraînée à me diriger dans le noir. J'ai déjà effectué de nombreuses fois ce genre de test et mon ouïe est particulièrement fine. J'aime bien faire la gamine sans défense avec eux, puisque je me sens en totale sécurité.

Si Alex reste le plus neutre possible, Blaise et Thibaut en profitent pour me faire des bisous dans les cheveux ou me serrer fort dans leurs bras. Je les reconnais à l'odeur de leur gel douche et me laisse faire sans me défendre. Damien prend le risque de me chatouiller en essayant de se faire passer pour Blaise. Même les yeux bandés, je le reconnais avec son après-rasage boisé puant et je lui fais subir de sérieuses représailles. Il est à terre, terrassé par des guillis sur les pieds. Alex est appelé en renfort pour le délivrer. Blaise et Thibaut n'étant guère enclins à aider leur pote, ils sont en plein fou rire devant mon air triomphant.

Alex m'enlève mon bandeau et me caresse les cheveux en souriant pour que je cesse le supplice. Je sors de mes poches mon pot-de-vin de corruption pour lui, pour qu'il garde le silence sur mes kidnappings hebdomadaires. Une grosse boîte de cookies aux pralines faits en cours de cuisine. Alex est en train de devenir mon pote lui aussi. Une amitié fondée sur son estomac et quelques discussions à propos de la culture des plants de tomates illicites sur le toit de mon dortoir.

J'ai dû prendre cette mesure de sécurité après que l'on m'interdit de rendre visite à la cuisine en pleine nuit ou de prendre des provisions. Mon estomac affamé réclamait de la nourriture à grands cris de gargouillis. Le toit du dortoir des filles a été décoré de quelques pots de terre où des plants de tomates, des radis et quelques salades grandissent en paix jusqu'à récolte. J'ai même voulu installer des poules pour les œufs. Les tireurs me l'ont refusé, car les volatiles auraient pu les distraire dans leur travail. De toute façon, leurs déjections auraient bien trop empesté.

Les snipers rigolent de mes bricolages et en profitent. Ils me fournissent même un peu de matériel parfois. J'ai prolongé le réseau électrique du troisième étage pour installer quelques prises pour une bouilloire et d'autres éléments de confort pour les militaires. Leur complicité a fait venir un électricien confirmé pour installer un projecteur longue distance de surveillance de forêt, qui a mis aux normes mon chantier illicite. Il m'a aussi fait un trou pour passer mes tuyaux d'eau. Avec quelques goutte-à-goutte et un minuteur, l'arrosage se fait automatiquement durant la nuit ou les heures de cours. Officiellement, mes plants de tomates sont du camouflage visuel pour dissimuler les armes aux yeux des enfants. Officieusement, ils se servent dans la surproduction quand ils ont un petit creux.

Sur le chemin pour mener mes évadés dans leur nouvelle prison pour la nuit, je prends Blaise à part. J'ai perçu quelque chose chez Sarah et Fleur. Je veux voir si le grand frère a conscience du secret de sa sœur et si comme Sarah le craint, cela lui pose un problème. Je m'aperçois vite que Blaise le sait depuis belle lurette et s'en fiche royalement. Sa sœur est sa petite princesse, elle le sera toujours, même si son âme-sœur est une autre princesse. Je lui suggère donc d'en parler avec la peureuse ouvertement. Sa petite chérie a une peur bleue de lui avouer cela. Elle nous fait des crises de panique lorsque quelqu'un d'autre que ses colocs ou moi voient un geste tendre entre elle et Fleur. Blaise me promet en souriant d'aller tranquilliser notre petite froussarde préférée. Je sais qu'il le fera dès cette nuit.

Je m'ennuie horriblement surtout le soir. Je n'aime pas rester enfermée comme une bête sauvage en cage. Je tourne en rond. J'exaspère Naya et mes deux autres colocs. Je vais papoter avec les tireurs sur le toit qui finissent par me renvoyer à l'intérieur, en sécurité. Ne pouvant m'isoler comme je le veux en fuguant aux écuries, je squatte la chambre de ma sœur. Ses colocs sont marrantes. Bien que leur univers ne soit pas le mien, je m'entends très bien avec elles. Elles sont patientes, douces et profondément gentilles. Leur compagnie apaise quelque peu mon hyperactivité, tout aussi bien que la présence de ma jumelle. Les seules qui ne m'agacent pas et qui me tolèrent sans problème.

Ce soir, elles ont décidé de m'enseigner les chansons culte et les chorégraphies de leurs boys-band préférés. Ma jumelle trouve les arguments pour me convaincre. Avec un sourire à la cantinière, elle a récupéré un carton de gâteaux et me promet de me nourrir ce soir si je lui obéis sans protester. Ce que je l'aime. Soirée karaoké et dance-machine pour moi donc. En plus, j'adore beugler et faire des mouvements anarchiques et stupides. Nous cassons les oreilles de tout le dortoir tellement on chante faux et fort. Les militaires n'auraient jamais dû nous dire que les monstres n'aimaient pas le bruit lors de l'une de leurs visites de contrôle en classe. Nous justifions notre boucan par une tentative d'effarouchement dissuasif au pauvre soldat venu faire sa ronde.

Je suis en pleine chorégraphie lorsque Naya débarque. Elle ouvre de grands yeux devant mes gestes. Je ne me démonte pas et finis mon enchaînement grotesque en rythme avec le tintamarre. Mes quatre complices de crime continuent elle aussi leur chorégraphie avec un grand sérieux. Nous nous emmêlons les pinceaux et terminons à terre les unes sur les autres dans un fou rire contagieux. Nous arrachons un soupir et surtout un sourire d'amusement à Naya. Mélia et moi aimons vraiment les trois Kawai. Avec elles, on se montre affectueuses. Un peu comme des grandes sœurs, comme avec notre cousine. Nous avons le même âge, cependant, nous sommes beaucoup plus matures qu'elles. On les materne avec grand plaisir.

Naya est venu nous faire baisser le son un peu, en tant que responsable de l'étage. Je rigole quand elle explique que le militaire lui a demandé d'intervenir puisqu'elle avait plus d'autorité sur les cinq folles que lui. Elle tient à la main un gros rouleur de scotch gris et nous gronde gentiment, plus par indulgence pour les oreilles des environs que pour notre joyeux bazar. Naya est plutôt tolérante avec les Kawai. Elles les aiment bien, surtout Sarah et Mélia. Plusieurs fois, elle leur a prodigué des conseils vestimentaires ou bien leur a appris à se maquiller ou à utiliser les bons accessoires. Elle veille sur elles comme une grande sœur elle aussi. Aucune fille n'ose déranger les Kawai par peur des foudres de la reine des abeilles. Aucun gars ne les embête par peur des poings de Blaise, Maltez ou pire, des miens.

Un samedi, je m'ennuie tellement que j'ai même accepté un relooking avec défilé des différentes propositions. Une journée à passer entre les mains des locataires de la chambre 330 et de la chambre 326, avec pour juges les garçons et quelques autres filles du dortoir. Sept horribles robes, sept maquillages, sept coiffures soumis au vote du public. Ma seule consolation est le bras de Blaise pour défiler quand Naya me fait porter des talons. Un beau spectacle comique pour tout l'étage, surtout quand Mélia me déguise en bonbon acidulé. Un coup de pied au cul pour Maltez quand il ose dire que je ne suis pas si moche que ça finalement quand je mets des vrais vêtements de fille.

Pour me venger, je choisis personnellement ma nouvelle tenue et mon maquillage de circonstance. Treillis militaires et camouflage de feuilles et de brindilles. Je suis sale et fière de l'être sous les hurlements de colère et de rire des autres. Les gars veulent eux aussi me relooker. Ils piochent dans les affaires des filles pour me faire des tenues. Je crois que le pire moment est quand ils tentent de me maquiller à leur tour. Si Thibaut fait soft et s'en tire pas trop mal, Blaise, Maltez et Alex sont de vraies catastrophes. Ils font encore pire que moi et manquent de me crever un œil ou confondent rouge à lèvres et le fard à joues.

C'est la tenue de Fleur qui gagne tous les suffrages. Quelque chose de très féminin, mais tout en douceur et délicatesse. Je ressemble à une poupée de porcelaine. Je joue le jeu et je reste parfaitement immobile pendant quelques minutes. Ma respiration presque imperceptible me transforme en mannequin de vitrine hyperréaliste. Tout le monde est bluffé par les talents de maquilleuse de la douce jeune fille qui rougit sous les compliments. En plus, c'est le seul maquillage qui ne me donne pas envie d'éternuer ou de me gratter le nez.

Mélia prend des tonnes de photos entre deux fous rires. Lilou, qui est douée en dessin, illustre certains moments. Ma jumelle et moi faisons une sorte de journal intime commun à destination de notre cousine, comme elle l'a fait pour nous. Nous voulons lui permettre de partager nos moments. C'est notre façon de rester en contact régulier avec notre petit amour, en plus des appels tris hebdomadaires. Toute la bande participe à ce journal.

Blaise et Thibaut s'amusent à faire des commentaires de grands frères protecteurs. Alex fournit des nouvelles des plants de tomates et autres cultures illicites du toit u bien écrit des recettes de cuisine qu'il a trouvé particulièrement bonnes. Naya et ses deux copines prodiguent des conseils mode à notre bébé. Fleur, Sarah et Lilou rajoutent des images trop mignonnes de chaton ou autres trucs. Maltez se moque juste de mon côté maman poule avec ma petite puce, si différente de mon caractère quotidien. Il participe quand même au journal en émettant un soi-disant point de vue adulte. Bref, c'est un joyeux bordel regorgeant de mille détails tous rigolos et tendres.

Annotations

Vous aimez lire danslalune123 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0