Quesako?

20 minutes de lecture

Ellipse de plusieurs mois.

Noël approche. Le froid s’installe doucement. L’ambiance au sein du lycée est plutôt joyeuse sauf pour Mélia et moi. C'est la première fois que nous allons passer ce qui devrait être un moment de joie familial sans Papinou. C’était une fête importante pour lui. Il a toujours veillé à ce qu’elle nous semble le plus magique possible.

Ce vieux ronchon devenait complétement gâteux en cette période. Il décorait notre domicile de nombreuses guirlandes lumineuses et animaux automatisés avec l’aide de ma jumelle. Ces deux tyrans avaient pour intention de transformer notre calme et paisible demeure en antre du père Noël. Le comble de l’horreur fut le jour où ils parvinrent à convaincre les chevaux, hormis Grognon le seul à se respecter un minimun, de porter des bois sur la tête pour se déguiser en rennes.

La pire torture qu’ils m’imposaient consister en une succession de musiques joyeuses de circonstance. Les mélodies les plus sirupeuses résonnaient du lever au coucher du soleil. Si ce n’était pas la radio, c’étaient les chants que beuglaient le duo d’andouilles pour me casser les oreilles. Mélia a une jolie voix très agréable, toutefois, j’ai tenté à plusieurs reprises de l’étrangler pour la faire taire lorsqu’un de ces maudits refrains sortait de ses lèvres. Fort heureusement pour elle, son niveau en combat et la protection rapprochée de Papinou ou de Richard, mon parrain, lui sauvaient les fesses.

Une chose en revanche était agréable lors des festivités de fin d’année. Le vieux ronchon, si pointilleux sur notre régime alimentaire, nous gavait de chocolat et de petits gâteaux secs qu’il cuisinait. J’engraissais et préparais des réserves pour les périodes de disette et de sport intensif qui suivraient le mois de décembre. Je n’étais pas la seule à voir son ventre s’arrondir au gré des bouchées sucrées ingurgitées coupablement lors de grignotages interdits. Papinou vérifiait un peu trop ses recettes et confondait les grammes et les kilos de beurre et sucre. On rigolait bien.

J’ai tenté de remonter le moral de ma jumelle en squattant la cuisine de la cantine pendant la nuit. Personne ne m’a vu et les quelques provisions utilisées pour confectionner mes biscuits n’ont pas été déclarés manquants à l’appel. Son sourire triste confirmait que nous étions toutes les deux en état de manque. Je n’ai même pas pu manger le fruit de mes larcins. Les colocataires de Mélia et Blaise ont fait disparaître les dernières preuves.

Je soupire en relisant la carte postale de vœux de mes parents. Ce sont les seules nouvelles d'eux que l'on a depuis la rentrée. Au vu de l’image, ils se dorent la pilule au soleil. Des mots sans aucune chaleur humaine. Un robot aurait fait preuve de plus de sentiments. Aucune demande sur notre état. Ils ne parlent que d’eux et de leur vie insipide.

Ils nous refusent tout droit à sortir de cette prison, en utilisant le coût financier exorbitant qui les empêcherait de se payer une margarita. Comme si on ne savait pas se débrouiller et marcher. Mélia et moi sommes condamnées à rester seules au lycée. Nous n'avons même pas le droit d'aller voir notre cousine et ses parents. Nos géniteurs ne daignent pas nous donner l'autorisation de sortie. Je sais que mon oncle a proposé de nous accueillir et de venir nous chercher pour les vacances. La raison financière n’est qu’un prétexte pour nous couper de ceux qui s’inquiètent pour nous.

Heureusement que mes deux abrutis de géniteurs ne nous peuvent pas nous empêcher pas d'écrire à notre cousine ou à Richard. Notre petit bébé à Mélia et moi ne cesse de nous demander de raconter nos moindres faits, gestes et pensées. Elle nous rapporte chaque information la concernant de près ou de loin, comme la naissance d’une portée de chatons chez la mamie voisine. Son innocence infantile est si agréable et met du baume au cœur à Mélia et moi.

Je suis dans la chambre de ma frangine. Allongée dans la largeur de son lit. Les pieds dans le vide. Les trois canailles Kawai s’époumonent et massacrent « Petit Papa Noël » sans que Mélia ne corrige les erreurs de paroles ou les fausses notes. Pourtant, elle connaît cette chanson par cœur dans au moins les cinq langues qu’elle maîtrise.

Je ne parle que français et anglais et quelques notions d’Espagnol. Ma jumelle s’exprime comme une native dans les trois langages ainsi qu’en chinois simplifié et arabe. Elle a les basiques en suédois ou Russe. Je ne sais plus. Sa douce voix ne se fait pas entendre et ce silence m’indique combien elle souffre. Si seulement je pouvais faire quelque chose…

Les trois chipies me tombent dessus sous prétexte que ma morosité plombe l'ambiance de leur atelier création de cartes personnalisées. Mélia en fabrique une pour notre bébé et ses parents. C’est la seule lueur de joie que je lui ai vue depuis plusieurs jours. La pièce est remplie de paillettes et de bouts de papier de couleurs criardes. On dirait qu’une licorne a vomi sur le sol.

Je sors en râlant et les menaçant que la première qui m'envoie un petit chat ou une licorne, je lui fais bouffer sa carte. Elles rient, nullement apeurées. Ma petite puce m'a déjà envoyé une carte pleine de paillettes qui a fait fondre toute ma crédibilité de terreur. Mes Kawai savent que je ne suis pas bien méchante dans le fond. Je suis juste très râleuse.

Il faut que je trouve quelqu’un d’aussi mauvaise humeur que moi. Grognon saura me bousculer pour me faire changer les idées alors je décide de le rejoindre. Quelques coups de sabots bien placés me remettront de l’ordre dans mes noires pensées. Il est le seul qui n’aura aucune pitié pour mon déballage de rancœur et dont les oreilles peuvent entendre toutes les insultes que j’ai en stock.

Je croise l'équipe de basket en me dirigeant vers les écuries. J'essaye de passer sans me faire repérer. Pas que je ne les aime pas, au contraire, ils sont plutôt sympas mis à part Maltez. Je n'ai envie de parler à personne aujourd'hui. Je sais que je suis d'une humeur de bouledogue avec une rage de dents. Pas de bol, Blaise me voit et accourt me kidnapper. Il a besoin de mon avis féminin sur un sujet capital. Je prends peur aussitôt. J'aperçois un tas de magazines de filles devant eux. Bien qu'un brin paniquée, ma curiosité prend le dessus.

— Vous foutez quoi ? Ne me dites pas que Maltez s'est enfin décidé à se relooker pour ressembler à quelque chose.

— Mais non, bécasse. Arrête de lui chercher des poux. Je vais finir par croire que tu es amoureuse, ma parole. Je suis rongé par la jalousie, petit cœur. Nan, on cherche des cadeaux pour les filles. On leur a piqué des magazines pourtant, c'est la panne sèche coté inspiration. S'il te plaît. Aide-nous mon petit cœur adoré, ma princesse Xéna, ma tigresse en peluche, s'il te plaît. S'il te plaît. S'il te plaît, me supplie Blaise en joignant les mains.

Il est si comique que je ne peux résister. Une partie de ma mauvaise humeur s'envole face à ses yeux de cocker. Il a le don de me dérider comme Mélia. Je m'assois donc sur ses genoux, à côté de Thibaut. Il me passe un bras autour de la taille. Son petit câlin me fait du bien et la chaleur de son corps réchauffe un peu la froideur de mon cœur. Le grand dadet souriant attire les magazines devant moi.

— Bon alors. Budget. Nana. Niveau d'affection. On va procéder efficacement.

Je fais mon sergent instructeur. Blaise débute avec sa sœur et un budget correct. Facile. Pyjama Kigurumi, chat ou licorne. Maltez enchaîne avec sa chérie et une somme trop importante pour cette mégère. Flacon du dernier parfum de luxe. Les gars me font leurs demandes l'un après l'autre. Je leur fournis à tous une réponse qui les ravit. J'apprends que Thibaut a un faible pour Clarissa. Je ne peux m'empêcher de grimacer sur son mauvais goût. Mais, comme une bonne amie, je lui conseille un bracelet Swarosky qui ravira la donzelle.

— Et toi, Farmer ? C'est quoi qui te ferait plaisir ?

Maltez cherche la bagarre. Clairement. Ça se voit dans ses yeux. On se lance des couteaux rien qu’en se regardant. En d'autres circonstances, je me moquerais de lui. Là, je ne suis pas d'humeur. Je lui tends la carte postale rageusement.

— D'autres parents.

Puis je m'enfuis en courant pour que les garçons ne me voient pas pleurer de rage. Je fonce vers la stalle de Grognon, ouvre grand la porte et lui grimpe dessus à cru. Pas besoin de mots, il comprend ce que je veux. Je le lance au galop. J'ai besoin d'air. Je vois les garçons qui arrivent en courant. Ils veulent s'excuser, me consoler. Ce n'est pas dans mes plans. Blaise agite les bras et ente de faire barrage. Mon merveilleux étalon leur fonce dessus et saute. Je n'ai pas envie de parler. Mélia leur a déjà tout raconté au sujet de notre famille. Je refuse de me montrer faible. Je dois m'isoler si je ne veux pas exploser de colère. Nous traversons la cour à toute allure. Nous sautons au-dessus des cartables et élèves avec aisance.

Une fois loin d'eux, dans le bout de forêt jouxtant le lycée, Grognon se met au pas de lui-même. Je lui raconte mes malheurs pendant qu'il broute les rares herbes qu'il déniche. Je cogne mes poings sur les troncs d'arbres. Je hurle ma colère. Du bruit se fait entendre. Nous dressons l'oreille tout deux. Je grimpe prestement sur mon fidèle destrier. Nous patientons, cachés derrière des arbres. Naya et Prince. Ils sont à notre recherche. Maltez a dû leur parler. Hors de question qu'elle me voit en position de faiblesse. Je donne le signal du départ à Grognon.

— Mégane. Attends. Tout va bien ?

Trop tard. Grognon réagit immédiatement. Il galope illico. J'entends Naya me poursuivre. Prince est plus rapide mais moins endurant et agile. Il a l’habitude des parcours millimétré des gosses de riches. Mon étalon est sauvage, galopant dans les forêts ou mares boueuses semées d’obstacles variés et imprévus. Je zigzague pour avoir à l'usure les poursuivants, évitant les branches basses et suivant le moindre mouvement du corps équin. Heureusement que Grognon et moi, nous sommes en symbiose, je n'ai même pas pris le temps de lui mettre des rênes ou une selle. Je lui indique la direction avec les mains et la voix. Nous gagnons le cœur de la forêt. Nous les avons semés.

Je descends pour laisser souffler Grognon. Je lui fais un câlin pour le féliciter. Il broute tranquillement ce coin de verdure épargné par la neige. Assise au pied d'un arbre, j'observe les oiseaux, renards et chevreuils qui passent pour chercher de la nourriture. Ils n’ont pas peur de moi. Je n’ai rien d’agressif dans mon attitude. La nature paisible me calme. Je finis par m'endormir. Je suis réveillé par les hennissements inquiets de Grognon et ses coups de sabots près du crâne, martelant le sol bruyamment.

C'est la nuit noire. J’ai dormi plusieurs heures, protégée du froid par mon cheval qui s’était allongé près de mon corps. Des bruits étranges retentissent au loin. Grognon et moi ne sommes pas peureux. Nous connaissons les sons normaux de la forêt. Ce n'est pas ce que nous entendons. C'est pour cela que mon étalon m'a tiré du sommeil. Il a besoin d'une seconde analyse. Des grognements étranges, inconnus à notre oreille. Des branches qui se cassent. Des bruits de lutte. Des gémissements entre le bébé humain et la bête sauvage. Un truc pas normal s'approche. Vite. Très vite. Nous devons rentrer nous mettre en sécurité par précaution. Je saute sur Grognon et nous courons vers le lycée.

Je n'aime pas indiquer la direction d'un lieu avec des personnes fragiles toutefois, il s'agit du seul abri proche à ma disposition. Je me retourne pour identifier les bruits et aperçois cinq formes humaines. J'essaye d'analyser la menace afin d'adopter la meilleure stratégie de défense. Ce que je vois n'a rien d'humain. Ça se déplace vite, trop vite et de manière anarchique. Ce ne sont pas des animaux, ni des soldats. Encore moins des soulards perdus. Pas le temps d’analyser plus. Leurs mouvements incohérents et pourtant menaçants m'indiquent qu'ils sont potentiellement un grand danger. Il faut fuir et réfléchir rapidement. Je hurle à Grognon d’accélérer la cadence afin de mettre un maximum de distance entre nous et ces choses.

Nous atteignons enfin les écuries au grand galop. Je saute aussitôt pour refermer les portes pendant que Grognon tente de ralentir avant le mur du fond. Le professeur d'équitation est là avec sa fille et Prince. Mes propos sont quelque peu aboyés. Pas le temps pour les politesses, un danger approche et il faut mettre les animaux en sécurité. Ils comprennent qu'il faut fermer les portes et qu'il y a urgence. Pas le temps d’expliquer en détail. Ils savent que je ne fais pas ce genre de blagues et ma nervosité les gagne. Je barricade l’entrée comme je peux puis je cherche une arme du regard sans perdre un instant.

Je n'ai pas le temps de respire que les trucs arrivent et tambourinent malgré la vitesse de mon étalon, ils nous ont suivis. Je peste de les avoir approchés du lycée et des innocents présents dans ces murs. Ils hurlent telles des bêtes affamées, couvrant mes jurons. Les chevaux sont en panique. Une créature casse une fenêtre et passe son bras ensanglanté pour essayer de nous attraper. Je réagis et décroche la hache d'incendie. Je lui tranche le bras sans états d’âme et continue de fouiller après d’autres armes.

Les squelettes tentent de rentrer par les ouvertures, mais nous les démembrons au fur et à mesure avec la hache (moi), une fourche (Naya) et une pelle (le professeur). Quand ils parviennent à ouvrir la grande porte, je vocifère les ordres de combat. Mon âme barbare fait voltiger la hache dans les airs et décapite deux assaillants. Le père de Naya m’imite et assassine un troisième intrus à coup de pelle dans la tronche. Prince et Grognon nous aident en ruant et éclatant le crâne d'une créature chacun que la reine des abeilles avait au préalable immobilisé avec sa fourche.

Le combat n'a duré que quelques minutes qui nous ont paru des heures. Nous sommes en nage, essoufflés et tendus. Le bruit a attiré un palefrenier qui appelle immédiatement la police. Nous attendons en tremblant nerveusement sous la décharge d'adrénaline que les voitures et leurs gyrophares nous permettent de sortir en toute sécurité. Le boucan a fini par rameuter tout le lycée. Fort heureusement, les professeurs tiennent éloignés les élèves. J'ai repris mes esprits ainsi que le professeur et Naya. Nous ne sommes pas blessés. Les chevaux n'ont plus.

Naya et moi regardons les bouts d'humanoïde au sol pendant que le cordon de sécurité policier se déploie sur la scène de crime. Squelettiques, sanglants, certains bras pendant ou manquants, yeux rouges, peau blafarde ; cinq créatures immondes dont des morceaux gesticulent encore. Des mutants. C'est le terme qui me vient à l'esprit immédiatement. Je prends des photos avec mon téléphone et j'envoie les clichés immédiatement à mon parrain avant de les effacer.

— Putain Mégane. C'est quoi ces trucs ? Me souffle-t-elle.

Je secoue la tête. Je n'en sais rien. Ce n'est pas humain ou plutôt, ce n'est plus humain. Papinou et Richard m’avait montré des images crues de la guerre, mais je ne reconnais rien. Les monstres et leurs bouts sont emmenés dans des sacs funéraires pour être disséqués par des experts en tenue anti virale. Des prélèvements de sang, entrailles et autres trucs dégueux sont soigneusement mis en tube pour subir des analyses.

Les policiers nous auraient pris pour des fous s'ils n'avaient pas vu les cadavres. Ils ont immédiatement mis en place un périmètre non autorisé au public et fait appeler en urgence la sécurité intérieure. Nous sommes désinfectés avec des douches de biocides et examiné par des médecins qui cherchent la moindre égratignure.

Puis, nos témoignages sont recueillis avec soin par un régiment d'enquêteurs méfiants. L'un d'eux se moquant de mes réflexes, se prend une baffe à haute vitesse pour prouver mes aptitudes au combat. Ses collègues s'interposent pour me calmer et tenter de me faire reprendre le récit des dernières heures. Je récolte une fouille de mon téléphone.

Afin de ne pas créer une panique générale, les forces politiques nous ont demandé de ne parler des vrais événements avec personne. Nous devons juste évoquer une agression d'une bande de jeunes toxico, sans entrer dans les détails. Il est quatre heures du matin quand je regagne ma chambre avec Naya. Son père est coincé au commissariat pour la nuit. Un comité d'accueil nous attend en dormant à poings fermés. Blaise, Thibaut, Damien, Mélia, Sarah, Fleur et Lilou squattent notre chambre. Mélia est dans mon lit avec Lilou. Sarah et Fleur dans celui de Naya. Les garçons au sol. Je fais signe à Naya. Elle n'a aucune envie de subir un nouvel interrogatoire. Nous les laissons dormir et gagnons la chambre 326.

— Meg ?... Je sais qu'on n'est pas vraiment amie. Mais... Ce qui s'est passé ce soir... Je...

Naya me serre dans ses bras avec force et éclate en sanglots. On a eu la frousse de notre vie. Elle a raison. On n'est pas amie, on n'est pas ennemie non plus. Je lui rends son accolade et lui caresse le dos pour la calmer comme je le ferais d’un enfant. Elle tremble comme une feuille. C'est une fillette apeurée que j'ai dans les bras. Je la rassure de mon mieux.

—Tu ne pleures pas ?

— Non. Je me suis juré d'être forte et de ne plus jamais pleurer en enterrant mon grand-père. Et puis, je dois avouer que l'adrénaline n'est pas encore retombée là...

J'ai dit cela d'un air si détaché que je la fais rire. Je suis barge. Pour une fois, ce côté de ma personnalité est plutôt rassurant. Nous nous écroulons sur les lits sans parvenir à dormir. Nous n'arrivons pas à parler, juste à se sourire et à se faire un check d'épuisement et d'encouragement. Naya pleure encore un peu. Je saisis la peluche de Mélia et lui tend sans un mot. Elle évacue le contrecoup. Moi, je décortique.

Ellipse de quelques jours

Comme prévu, la bande nous est tombée dessus et nous a ensevelies sous les questions. Tout le lycée en fait. Les abrutis en quête de ragots ont rappliqué sans gêne. Naya et moi avons répété le discours conçu par les policiers. Notre ton peu convaincant les a tous laissés douteux. Le bobard fabriqué par les bureaucrates est mal ficelé. On dirait le récit décousu d'un gamin de cinq ans. Encore une bande d'incapables qui a obtenu son poste par piston. Le pire, c'est qu'ils veulent que l'on raconte qu'on était terrorisées et inactives, planquées dans un coin de la grange. Cela ne correspondant absolument pas au caractère belliqueux de Naya et moi.

Quand les questions commencent à être trop insistantes, ma mine patibulaire fait s’éloigner la plupart des curieux de ma pomme. Je n'ai même pas besoin de montrer les dents ou de grogner. Mon regard assassin suffit à dissuader à lui seul. La sale tête de Maltez protège Naya, à moins que ce ne soit le sens de la répartie de la donzelle. L'un comme l'autre savent comme moi éloigner les indésirables assez facilement.

Il n’y a vite plus que nos amis qui nous harcèlent de demandes d’explications impossibles à leur fournir. Eux, ils sont plus difficiles à intimider. Le plus souvent, c'est Naya qui les fait changer de sujet en mimant une soudaine survenue de larmes de crocodile comme elle sait si bien le faire. D'autres fois, c'est moi qui change de sujet de façon tellement soudaine, lourde et insistante qu'ils comprennent le message.

La reine des abeilles en profite un peu trop pour se faire chouchouter. Se plaindre pour attirer la compassion est l’un de ses meilleurs atouts. Les baisers et les caresses de Maltez, associés aux sucreries fournies par la bande adoucissent et font s’évaporer ses tensions et tracas. Je dois reconnaître qu'elle est une excellente comédienne et sait tirer parti de la situation sans aucun scrupule.

Moi, je fuis et me cache des autres pour ne pas avoir à leur parler. Le toit terrasse est un lieu plutôt pas mal pour les besoins de solitude. Les écuries aussi, surtout le box de Grognon qui me dissimule avec ses grosses fesses poussiéreuses. L'abord de la forêt est bien mais souvent interdit par les militaires. Quand ma frustration est trop intense, je frappe à coup-de-poing ou de pelle l’épouvantail que j’ai fabriqué pour me servir de punching-ball près des écuries. J'ai besoin d'extérioriser pour me calmer les nerfs. De m'entraîner au combat aussi. Je m'empâte depuis que je suis dans ce lycée de chiffes molles. Je dois me reprendre et redevenir une combattante.

Il n'y a pas que moi qui utilise la force pour évacuer l'adrénaline. Grognon et Prince s'amusent à ruer pour faire chuter la neige de la cime des arbres puis s'enfuir au triple galop avant d'être ensevelis. Ils font un concours de l'étalon le plus crétin. Grognon gagne haut la main avec trois palefreniers et une jument transformés en bonhommes de neige cette semaine. Étrangement, aucun des deux n'a osé essayer de me faire le coup. Je pense qu’ils n’ont pas envie de finir en steak haché. Nous avons le même style de caractère tous les trois. Du coup, il y a une sorte de respect mutuel et de pacte de non-agression. Nous avons chacun notre façon de décompresser.

Des pontes du ministère de la Défense sont venus nous réinterroger. Des soi-disant experts de l'interrogatoire cognitif. J'accepte leurs méthodes bizarres même si je doute que mon cerveau accepte d'être manipulé comme la masse des moutons. Mon nom de famille ; Papinou étant un ancien Général réputé internationalement ; et ma façon de décrire très rationnelle et carrée permettent qu'ils me prennent un minimum au sérieux. Je recadre rapidement les quelques vieux schnocks qui se moquent de mon jeune âge en utilisant des termes techniques médicaux et militaires adéquats et bien compliqués.

La nana qui dirige les questions les rabroue aussitôt également et adapte son discours un minimum à ma personnalité. Elle est plus intelligente qu'elle ne paraît, donc potentiellement dangereuse. Elle a compris tout de suite que j'ai évalué très rapidement sa capacité au combat et que le ton mielleux n'est accepté de ma part que d'une personne que je juge faible et fragile ou de mon double. En plus, elle connaît Richard pour avoir suivi une formation de gestion du stress pour tireur d'élite où il enseignait. Elle me fait rire quand elle évoque sa pédagogie froide faite de coups de pieds au cul, de remarques cinglantes et de félicitations à demi-mot.

La jeune femme sait que j'ai moi aussi reçu cet enseignement et que je maîtrise quelques techniques psychologiques de base. Je suis loin d'être une enfant douce et innocente que l'on manipule avec des bonbons. Elle joue plus subtilement avec moi. Un jeu d'honnêteté et de pseudo-complicité en me faisant parler de ceux que j'aime ou que je protège. Je coopère avec beaucoup de méfiance jusqu'à ce qu'elle rigole et appelle mon parrain en visio. Elle le félicite pour m'avoir formé à résister à l’interrogatoire et lui demande de l'aide afin qu'il me demande d'arrêter d'être sur la défensive. C'est en me traitant de pitbull qui ne veut pas lâcher son os que je reçois l'ordre. Elle a la validation de Richard. J'ouvre alors un peu la mâchoire.

Naya et son père ont confirmé mes propos quant à la partie dans les écuries. Eux aussi parviennent à donner des détails assez précis malgré le capharnaüm du combat. Ils sont très observateurs finalement et ils ont réagi rapidement et de manière intelligente pour des civils sans entraînement au corps-à-corps. Ils ont été de précieux alliés en plus des deux bourriques de canassons. La responsable les a placés dans un état de semi-sommeil, où ils ont pu vraiment décrire tout ce dont ils se rappelaient, consciemment et inconsciemment. Un état que je n'ai pas pu atteindre, mon esprit refusant de lâcher prise, même avec une personne de confiance. Un truc que je dois à Papinou et Richard d'après la jeune femme.

De toute façon, les restes humanoïdes prouvent que je n’invente rien. Ils peuvent raconter leurs bobards, Naya, son père et moi savons ce que nous avons vu. Pas d'hallucinations collectives ou de drogues dans le sang. On ne touche pas à ses saloperies et notre esprit à tous les trois est imperméable à la suggestion de fadaises. En plus, Grognon étant quasi-sauvage, il réagit à l'instinct et non à mes émotions. Il a été le premier à s'alarmer sur les bruits étranges et à vouloir prendre la fuite. Les tentatives stupides des bureaucrates pour tenter de nous faire croire leur histoire mal ficelée sont vaines. Nous ne nous laissons pas influencer et certifions nos récits.

Au moins, la nouvelle responsable ne nous prend pas pour des fous et valide pas mal de nos souvenirs. Elle reconnaît l'étrangeté des événements et nous demande de ne pas parler afin de ne pas créer une panique inutile tant qu'on ignore ce qui s'est vraiment passé. En privé, elle m'autorise à dire la vérité à Mélia qui, élevée comme moi, ne sera pas du genre à faire des théories fumeuses.

De toute façon, elle pense que je l'ai déjà fait et me révèle que Richard lui a envoyé mes photos. J'ai confirmation que Parrain garde un œil sur Mélia et moi et sur ce que se trame dans le coin. C'est la raison pour laquelle son unité spéciale est venue prendre la tête des opérations. Je suis ce qu'elle appelle un témoin fiable et ce qui arrive dépasse les capacités de simples truffions ou petits chefs stupides.

L'armée a patrouillé dans la forêt et l'a quadrillé à la recherche d'autres monstres sans nous en dire plus. La zone a été interdite au public. J'ai essayé de les suivre avec mes jumelles à partir du toit terrasse. Les arbres sont trop denses et les militaires attendaient d'être dans leurs tentes opaques avant de parler. Mes quelques intrusions à pied ou à cheval pour satisfaire ma curiosité ont été infructueuses. Soit je n’ai rien trouvé, soit un militaire moins bête que les autres a compris que je les suivais et m’ai gentiment demandé de rebrousser chemin, en me faisant souvent travailler mes compétences pour le corps-à-corps.

L'un d'entre eux a voulu me faire suivre une mauvaise piste. Du coup, je me suis vengée en modifiant leurs marques sur les arbres et en allumant un brouilleur de boussole pour les paumer quelques heures en forêt. Je les ai suivis pour m'assurer qu'ils n'aient pas d'ennuis et j'ai fini par me faire repérer. Ils ont ri de ma blague, pas vraiment fâchés contre le sale gosse que je suis. Je crois que les vrais soldats m'aiment bien. Après tout, Mélia et moi sommes presque des leurs, les petites filles et filleules de deux légendes que beaucoup admirent et respectent.

Ce sont les bureaucrates qui sont contre moi. Les grassouillets planqués bien au chaud qui se pensent plus intelligents que les autres. Tous ceux qui connaissance le terrain comprennent parfaitement pourquoi je veux savoir contre quoi je me bats. Ma volonté d'identifier l'ennemi et ses failles pour les utiliser au besoin. Ils n'ont malheureusement pas grand-chose à me dire de plus que ce que je sais déjà.

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