S'occuper

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Au bout de deux semaines, la forêt est déclarée saine. Les militaires partent en déclarant qu'il s'agissait d'un incident isolé. Tout le monde s'en va en vacances de Noël. Malgré les réticences du directeur, Mélia et moi restons seules dans les locaux. Nos parents ne sont pas venus nous chercher et ont interdit toute récupération par des tiers par peur d'une fugue. Comme si c'était ça qui nous arrêterait ou limiterait Richard si on le voulait. Quels imbéciles. Ils n'ont toujours pas compris que même un régiment de militaires surentraînés ne pourrait empêcher Parrain de faire quoi que ce soit. Nous obéissons puisque c'est lui-même qui nous demande de rester sages. Les professeurs partis, et après avoir promis de ne pas faire de bêtises, nous avons donc le lycée pour nous seules. Sur ce point, le directeur nous fait confiance et sait que nous ne sommes pas des adolescentes irresponsables. On n'est pas parfaitement saines d'esprit, je lui accorde, toutefois, nous savons agir de manière autonome et adultes sur les points essentiels. Mélia doit jurer sur l'honneur de ne pas peindre de mille couleurs les dortoirs. Moi de ne pas dévaliser la cantine ou faire exploser le labo de chimie. Je crois que ce bonhomme commence à nous connaître et à nous comprendre.

Je me demande aussi s’il n'a pas un peu de peine aussi. Il a eu un mal fou à nous expliquer les consignes parentales et semblait révolter au fond de lui. Il nous confie son trousseau de clés personnel et son numéro de téléphone privé ainsi que celui de sa femme en cas de problème. Il a failli nous emmener chez lui. Ma sœur l'en a dissuadé avec douceur. Le directeur nous promet que les enseignants et lui-même passeront tous les jours pour s'assurer que nous ne manquions de rien. Je le vois partir à reculons le vendredi soir, les yeux préoccupés.

Dès qu'il est hors de vue, nous sautillons toutes les deux. Je vais enfin être un peu tranquille. Ma jumelle ne me cassera pas les pieds avec d'inutiles questions. Je ne serais pas consignée dans une salle de classe minuscule et surchauffée remplie de crétins que j'ai envie de baffer. Je vais respirer et cesser d'avoir des idées de meurtres pendant environ deux semaines. Heureusement pour la vie des lycéens et de certains enseignants, Mélia est là pour me remettre dans le droit chemin si je pars en vrille. Quand je suis trop sur les nerfs, le père de Naya me confie les clés des écuries et me laisse m'entrainer avec Grognon tard dans la nuit.

D'ailleurs, c'est après une suggestion de sa part que, pour nous distraire pendant cette période d’enfermement, nous avons proposé de nous occuper des chevaux afin que les palefreniers ne soient pas obligés de revenir. Nous avons parfaitement les capacités physiques et le niveau de connaissances pour assurer ce petit travail bénéfique pour notre moral et notre condition physique. Nous ne faisons plus assez de sport et nous engraissons. Mélia commence à être serrée dans ses jupettes et j'ai pris deux crans de ceinture. C'est inadmissible.

Le directeur nous appelle vers vingt et une heures pour se rassurer et confirmer que nous sommes bien dans notre dortoir, au chaud et que nous avons mangé. Tous les matins au réveil, je lui envoie un texto puis je cours dans le froid et dans la neige fraîche avec Grognon qui me suit en trottinant au cas où. Je prends mon petit déj avec ma jumelle et tandis qu'elle va s'exercer à la zumba et au hip-hop dans le gymnase chauffé, je prends ma douche et lave la vaisselle. Mon canasson continue de jouer les gardes du corps et rentre dans le batiment de sport. Je le soupçonne de me trahir au profit d'un boys band. Je l'ai même vu balancer ses crins au gré du son. À moins qu'il ne squatte en quête de chaleur. C'est même plus que probable.

S'occuper des écuries nous fera aussi quelques sous pour nos cagnottes respectives. Nos géniteurs sont en train de dilapider l'héritage de Papinou sans vergogne. Il ne faut pas compter sur eux pour nous laisser quelque chose. Déjà qu'ils payent nos frais scolaires avec l'argent de nos comptes personnels que Papinou nous a créé… Pas un centime ne sort de leurs poches pour nos besoins. Si la loi ne les obligeait pas à s’occuper de nous, ils nous auraient abandonnées depuis longtemps dans un pays étranger hostile.

Au moins, on aurait pu faire ce qu’on voulait au lieu d’être enfermées dans cette prison scolaire. Quoiqu’avec ma débrouillardise et mes tendances à la rancune, je les aurais retrouvé à l’autre bout du monde pour me venger en les kidnappant et faisant subir le même sort. Mélia est la seule capable de me faire changer d’avis quand j’ai une idée tenace, souvent foireuse, en tête. C'est peut-être pour ça qu'ils ont eu peur de nous lâcher en pleine nature. Ils savent que Mélia sera sage dans ce lycée et me soumettra à ce supplice par amour pour elle.

Il faudra que je demande si on peut faire un procès à ses géniteurs pour détournement d'héritage. Je me contrefiche de l’aspect financier de la chose. Je veux juste leur faire payer avec des tracas judiciaires et des complications. Leur faible niveau intellectuel limite leurs capacités de réponse à mes attaques et de refuge dans des pays étrangers, non-francophones. Les demandes d’extradition seront plus aisées, à moins d’aller les chercher moi-même si je m’ennuie. Dès que je suis majeure, je les rendrais fous et les poursuivrais sans relâche jusqu'à récupérer le dernier centime de Papinou. Quitte à donner l'argent aux bonnes œuvres après.

Dès le premier matin en duo, Mélia me réinterroge avec sa douceur irrésistible. Elle sait que je mens à propos du fameux soir de l’attaque. Elle veut savoir. Alors qu'on est seules, elle vient me faire un câlin et me pose les questions qui lui brûlent les lèvres. Je lui dis tout sans attendre un instant. De toute façon, je cache rarement des choses à ma jumelle. Même ma planque à saucisson de la chambre lui est connue. Elle m'écoute attentivement, blottie dans mes bras. Ma tendre Kawai trouve étrange que rien n'est filtré aux informations. Cela ne m’étonne pas de mon côté. Le gouvernement est roi quand il s’agit de cacher des choses à la population ou de pratiquer la désinformation. Ce que je lui raconte l’inquiète et pourtant, elle n'est pas du genre craintive même si elle fait semblant parfois. Ma douce souhaite obtenir l’avis de personnes de confiance.

Nous appelons donc Richard, un ami de Papinou, un ancien militaire lui aussi. Mon parrain, adepte de la théorie du complot, mais sans être fanatique. Je n'ai jamais aimé les fanatiques. Ils gobent les informations avec crédulité ou déforment la vérité. J'aime les faits et la science, comme lui. Notre appel semble être celui de deux gamines en manque d'affection. Par code entre nous, on lui fait savoir que nous avons vraiment un problème inquiétant, au cas où nos téléphones soient sur écoute. Lui et moi, nous nous méfions du gouvernement comme d'une maladie contagieuse.

Notre appel ne le surprend guère. Il se doutait qu’on le contacterait une fois que nous serions seules. De toute façon, il a reçu mes clichés et eu vent d’un événement par des connaissances à qui il avait demandé de surveiller notre lycée. Cet espionnage était à la base plus pour me gronder si je fais trop de grabuge ou si je tente de fuguer, je pense. Il a été utile et Richard se renseigne déjà discrètement et a pu m'envoyer des personnes compétentes pour m’aider, ou m'empêcher d'étrangler un bureaucrate aussi. Il décide de venir nous voir après confirmation de ma part sur l’étrangeté des derniers jours.

Dès le lendemain, nous sortons pour quelques heures du lycée et nous retrouvons au pâtissier du coin. Rien de suspect au vu des autorités. Le meilleur ami de notre grand-père vient nous rendre visite pour voir si on supporte le deuil. Version officielle. Nous lui sautons au cou dès qu'on le voit. On le couvre de bisous et il nous serre fort dans ses bras. Une démonstration d'affection sincère et réconfortante. Son contact est tellement agréable. Il me gronde un peu pour mon combat contre le professeur de sport Raoul. Il ne peut se retenir de sourire au fait que j'ai laminé un soi-disant champion de lutte senior et aussi le junior. Mélia, sans prendre ma défense, lui explique que Jonathan et ses copains de l'équipe de lutte sont des caïds qui terrorisent un grand nombre d'élèves et que son père couvre leurs agissements. Entre les basketteurs et moi, l'influence des lutteurs est en chute libre. Parrain me chatouille les cheveux. C'est sa manière de me féliciter et aussi de me gronder. J'apprends avec surprise que mon double a aussi menacé un des lutteurs, petit copain d'une des filles de son option d'esthétique. Il a voulu frapper un des gars présents, en le traitant d'homosexuel ainsi que Fleur. Mélia a planté la lime métallique entre les doigts du lutteur et lui a dit que s'il touchait à un cheveu de sa copine, elle lui enfoncerait ladite lime dans les deux yeux. Je n'ai pas vu la scène, cependant, j'imagine très bien la terreur du type. Quand Mélia se met en colère, Même Papinou et Richard n'en mènent pas large. Ses yeux deviennent glacials et refroidissent l'atmosphère. Elle n'a même pas besoin de se battre pour faire flipper. Je l'aime tellement.

Nous achetons vite nos sucreries et allons prendre l’air dans un parc voisin, loin des oreilles indiscrètes qui pourraient traîner. Nos portables sont mis dans un caisson anti-ondes et un brouilleur de micros est allumé. Aussitôt tranquille, je vide mon sac. Je n'omets aucun détail, pas avec lui. Toutes mes observations, doutes ou questions sont exposés. J'ai pensé à prendre des photos des cadavres avec mon téléphone en douce pendant que j’attendais la police. Les images ont été examinées par mon parrain aussitôt reçues. Les flics ont fouillé mon portable sans rien trouver puisque j'ai effacé immédiatement les clichés et le sms. Peu d’adolescentes sont formées aux techniques d’espionnage et aucun des policiers n’a pensé à chercher plus loin que la mémoire immédiate de l’appareil.

Cela m’a aussi sauvé les fesses plusieurs fois face à Papinou. Mélia ou Richard avaient eu le temps de dissimuler les preuves de mes crimes et le vieux n'avait pas matière à punition. Bon, il n'était pas bête et se doutait de la vérité et de mes complices. Il savait aussi qu'ils me seraient loyaux. Semper fidelis. Et puis Richard a des dossiers sur Papinou qu'il était prêt à sortir pour nous protéger, nous enfants innocentes et fragiles, face à ce vieux tyran qui tentait de nous éduquer. Je sais. Je ne suis pas crédible en innocente et fragile. C'est entièrement la faute des deux adultes en charge de notre apprentissage. Ce sont eux qui ont fait de moi un soldat.

Richard me montre les impressions des clichés et reconnaît l'aspect mutant des bouts d'humanoïdes. Il les a fait examiner par des amis biologistes de confiance. Tous ont confirmé des repères anatomiques humains. L'un d'entre eux, expert médico-légal, a même fait une estimation de la taille, poids et sexe des morceaux d'individus. La nana venue m'interroger a fait en sorte que des experts analysent l’ADN de chaque élément trouvé. C'est bien de l’ADN humain. D'autres recherches sont en cours. Il n'en sait pas plus.

Revoir ces monstruosités me révulse. Mélia est horrifiée. C'est la première fois qu'elle voit les images et malgré ma description, l'aspect sanguinolent des chairs en putréfaction est glauque, même pour Parrain qui a vu des charniers de guerre. Il nous faut malheureusement reprendre chaque image afin que je complète les informations tant en termes d'odeur, de taille, de couleur et autres infimes choses qui peuvent être cruciales. Fort heureusement, le drôle d'interrogatoire des derniers jours a fait remonter beaucoup de sensations et de souvenirs à ma conscience.

Nous analysons les détails et je fais appel à ma mémoire lorsque l’image est trop floue. Mélia qui est très douée pour dessiner tente de faire des esquisses plus précises d'après mes souvenirs. Je lui donne les indications et les corrections à faire pour que ce soit le plus ressemblant possible. Mes deux compagnons me croient comme toujours. Tous les trois, nous faisons totalement confiance. Parrain est le père que Mélia et moi n'avons pas vraiment. Je n'ai rien d'une gamine fantasque et folle, ni d'une qui ferait une mauvaise blague. Il nous promet de continuer à espionner et à glaner les informations non-officielles.

Richard repart en nous ayant offert tout de même une journée heureuse remplie de gâteaux, bonbons et chocolats chauds. Sa présence et ses câlins réconfortent ma jumelle et me redonnent le sourire. Nous oublions mon attaque et nos géniteurs indignes pendant ces quelques heures de rires et de tendresse. Nous le remercions de nous avoir rendu nos chevaux. Nous le couvrons d’affection enfantine. Sa venue était motivée principalement pour nous voir et prendre soin de nous. Les derniers événements ne sont qu'un court instant dans son honteux maternage. Il nous gâte comme si on est ses propres filles.

C'est un peu le cas. Richard n'a pas d'enfant. Une blessure de guerre l'a privé de ce droit alors qu'il était un tout jeune soldat débutant. Je suis sa filleule, pourrie gâtée. Il n'a cependant jamais fait de distinguo entre Mélia, ma cousine et moi du point de vue du chouchoutage. Nous sommes traités différemment en raison de nos tempéraments, mais avec le même amour et la même attention paternelle. Il nous aime autant toutes les trois. Nous l'aimons autant que l'on aime Papinou. Même sans lien de sang, il est de notre famille, notre papa pour les jumelles, un tonton pour la petite. Un peu aussi une maman avec son coté tactile et câlin connue que de notre duo et de notre cousine.

Je sais pour avoir espionné des discussions que Richard a proposé à nos parents de nous adopter et de nous élever quand Papinou est mort. Sans aucun frais. Maman était prête à accepter. Parrain avait donné sa parole de ne pas causer de soucis et de m'empêcher d'en causer. Elle le connaît assez pour savoir qu'il tient toujours sa parole. Il est une sorte de grand frère pour elle. Pas très proche, mais de confiance et protecteur. Nous ennuyons Maman, cependant, elle n'est pas opposée à ce que d'autres personnes s’occupent de nous. Elle nous a confiées à Papinou dès la sortie de maternité sans remords.

Cependant, le gigolo qui nous sert de géniteur a craint de perdre l'héritage et a refusé la proposition. Il se contrefiche du bien-être de ses enfants. Il ne veut que l'argent. Je n'ai jamais compris ce que maman lui trouvait. Il n'est pas beau. Il n'est pas intelligent. Il n'a aucune culture ou connaissance. Il est fainéant. Il est hautain et prétentieux. Un vrai abruti dont elle est raide dingue. J'ai vraiment essayé quand j'étais enfant de trouver des qualités à mon géniteur. Je n'y suis jamais arrivée. Quelquefois, je me demande comment Mélia et moi pouvons être si géniales avec une moitié d’ADN de ce déchet humain. Je n'ai pas trouvé la réponse encore. Il faut croire que le quart de gènes de Papinou que nous possédons sont super forts et compensent.

Je sais aussi pour avoir fouillé dans les papiers de Papinou une nuit alors qu'il était souffrant que quand Maman a accouché, mon grand-père a "dilapidé" une partie de ses biens en les offrant à Parrain et à Tata. Il n'a gardé que l'essentiel pour satisfaire les goûts de luxe de sa fille aînée et du sextoy qu'elle s'était trouvée. Le plus gros de la fortune est en sécurité et ne pourra pas être gaspillé dans des choses inutiles. Je cherchais un secret de famille qui expliquerait l'absence de similitudes avec notre géniteur. Je n'ai rien trouvé en ce qui concerne notre géniteur.

Juste que Papinou a eu trois femmes, une fille avec les deux premières puis Mathilde celle que ma jumelle et moi considérons comme notre grand-mère de cœur. Maman est issue de la première femme. Tata de la seconde. Richard est orphelin de guerre. Il a commencé à faire des bêtises et a été envoyé dans des camps de redressement puis à l'armée où il a connu Papinou. Notre grand père lui en a fait baver mais l'a adopté non officiellement quand Parrain avait vingt ans. Tata a épousé un type bien et respectable qui n'a aucun attrait pour l'argent. Il est d'ailleurs plus riche que Tata. J'adore mon oncle. Lui aussi a parlementé avec nos parents pour nous adopter, quitte à signer un papier de renoncement à l'héritage. Sans aucun succès.

Parrain nous a rapporté une surprise. Nos cadeaux de Noël, de la part de Papinou qui les avaient achetés avant son décès. Une énorme peluche de panda pour Mélia. Un couteau à cran d'arrêt dernier cri pour moi. Lui nous achète des fringues et des outils en plus de notre merveilleuse journée. Robes roses à froufrous et nécessaires de couture pour Mélia. Vêtements sombres et pratiques pour moi avec l'arsenal pour installer un câble tendu entre les bâtiments et jouer au funambule. Il sait déjà que je squatte les toits la nuit pour faire des choses pas nettes. Le voir toute une journée nous a sacrément remonté le moral à toutes les deux.

Ce qui nous a fait le plus plaisir après la présence de Richard, ce sont les photos de ma cousine. Notre petit bébé nous a fait un album sous forme de journal intime de tout ce qui lui est arrivé depuis cet été. Le cahier est composé de manière hétéroclite, avec des photos, des dessins, des petits récits avec son écriture enfantine, des tas de paillettes et de gommettes colorées, des dessins de pistolet ou de grenades aussi. Notre bébé est un mélange parfait entre Mélia la Kawai et Mégane le soldat. On l'aime tellement. Lorsqu'on la voyait aux vacances chez Papinou, nous la couvions comme deux mères poule. Ses parents sont géniaux. Ils sont très présents pour elle tout en lui laissant de l'autonomie. Ils nous permettaient, Mélia, Papinou, Richard et moi, de couvrir la petite d'attentions. C'est notre chouchoute à tous.

Mon oncle et ma tante ont toujours été prévenants et attentionnés envers ma jumelle et moi. Tonton est un ancien sous-fifre de Papinou et un compagnon de régiment de Richard. Parrain et lui sont d'excellents amis. Il est beaucoup moins extrême qu'eux et plus enclins aux techniques de négociation. Il a tenté de nous les enseigner. Mélia est une bonne élève, moi le cancre assumé. J'écoute attentivement et retient ce qu'il nous apprend. Je n’ai juste pas envie de l'appliquer. La discussion non-violente ne convient tout bonnement pas à ma personnalité profonde. Tonton a fini par abandonner le cas désespérant que je suis en riant. Il préfère m'apprendre l'Histoire et les grandes stratégies militaires, domaine où je suis plus attentive.

Richard nous rapporte aussi un cadeau de la part de Tonton et Tata. Outre la découverte d'un petit compte bancaire que nos parents ignorent, ils ont racheté la ferme familiale à nos géniteurs et les documents sont fait de manière que nous en devenions les propriétaires légitimes à nos dix-huit ans. J'enrage de voir que ce qui nous aiment sont obligés de racheter ce qui nous appartient à ces deux pompes à fric. Après nos chevaux et plusieurs affaires de Papinou auxquelles nous sommes attachées sentimentalement, c'est notre maison, berceau de notre enfance. Nos géniteurs sont vraiment des êtres abjects et je bouillonne d'avoir la majorité afin de leur coller un procès.

Le jour de Noël est tristounet. On n'a même pas un appel ou un cadeau de nos deux abrutis de géniteurs. Mélia est déçue. Moi, j'enrage encore plus. Surtout que je sais que le directeur leur a écrit pour leur faire part de mon agression. Ils ne se préoccupent aucunement de nous. Nos amis ont pensé à nous et le téléphone de Mélia n'arrête pas de sonner sous les messages amicaux. Le directeur ainsi que le père de Naya et quelques palefreniers nous appellent aussi. Moi, il y a juste ma puce, ses parents et Richard. Mais c'est normal, je n'ai pas donné mon numéro aux autres. Je rigole en voyant que chacune de nous reçoit un appel personnalisé des membres de la famille. Nul secret entre nous, plus une attention pour chacune.

Il pleut, nous devons rester en intérieur, alors on fait un grand ménage aux écuries. Mélia et moi sommes travailleuses et en plus, nous adorons les animaux. En trois mois, nous avons toutes les deux sympathisé avec les palefreniers. Nous sommes très souvent fourrées à l'écurie, moi encore plus que Mélia. Quand on est là, on ne reste jamais les bras croisés. On nettoie, donne à boire, panse... Du coup, les palefreniers, mais aussi le prof d'équitation nous aime bien, ce qui nous a permis d'avoir ce job temporaire malgré notre jeune âge.

Hier, nous avons déjà réparé des petites choses par-ci par-là. Quelques tapis troués. Quelques portes qui couinaient. Une auge d'eau qui fuyait. Pas grand-chose, les palefreniers travaillant très bien. Nous avons aussi nettoyé de fond en comble chaque stalle et chaque cheval. Les boxes sont nickel, les chevaux aussi. Enfin sauf Grognon qui refuse d'être débarrassé de ses poils et de la poussière. C'est un crado ce canasson. Il me laisse juste gratter son dos avec le râteau. Il a de la chance que c'est l'hiver et qu'il fait froid sinon je l'aurais douché sans préavis.

Prince est bien mieux élevé et adore les gratouilles. Il se laisse soigner sans problème bien qu'il ait ses préférés parmi les palefreniers. Depuis le rodéo, l'étalon m'apprécie et aime travailler en compagnie de nos chevaux, de ma sœur et moi. Nous sommes désormais quatre à pouvoir le monter sans problème. Naya se moque de moi et me taquine en disant que le caractère de son étalon s'adoucit et se sociabilise à mon contact. Je pense plutôt à un effet calmant de la part de ma frangine et d'Étoile. Prince devient coquet et prend grand plaisir aux soins. Mélia lui as même tressé une partie de la queue et taillé la crinière pour les fêtes.

Aujourd'hui, on a décidé de faire un gros nettoyage et soin aux cuirs des selles, rênes et harnachements et des bottes. Le cuir nécessite d'apporter les bons produits et les bons gestes régulièrement pour qu'il reste souple et beau. Nous démontons, astiquons, graissons, vernissons toute la matinée. Ça brille comme si c'était neuf. Le matériel est assez bien entretenu au quotidien. Les palefreniers sont compétents et travailleurs. Il n'y a rien de cassé ou en mauvais état par défaut de soin. On donne juste un peu d'huile de coude pour que ce soit rutilant.

Demain, Mélia a prévu de personnaliser les tapis de selles des chevaux à l'aide de vieux chiffons et bouts de tissus qu'on a récupérés. Moi, je rangerais tout le petit matériel : étrilles, brosses, cure pieds... J'en profiterais pour le nettoyer un peu aussi et dresser un inventaire. Bref, on s'occupe. Les palefreniers vont retrouver leurs écuries dans un état de propreté et de rangement parfait. Ils vont gagner un temps fou sur les corvées de début d'année que l'on a entamée à leur place. C'est notre cadeau de Noël. Rendre heureux les autres nous permet de nous sentir utiles et nous redonnent de la joie. Les professeurs et le directeur qui passent chaque jour sont très contents de notre travail.

Dans l'après-midi, nous mettons la touche finale à nos petits présents faits mains pour nos amis. Par mesure diplomatique, Mélia me force à m'occuper des cadeaux de mes colocataires, de Thibaut et d'Alex, le colocataire des trois mecs qui traîne parfois avec nous. Mélia se charge des trois Kawai, de Blaise et de Maltez. Je crois qu'elle craint que je fasse une crasse à Maltez et Blaise est son préféré des gars. Elle n'a pas tort. J'ai déjà fait son lit en portefeuille ou mis un serpent en plastique à l'intérieur des draps pour me venger. Il est préférable qu'elle gère le cadeau de Maltez.

Pour Thibaut et Alex, la chose est aisée. Les mecs, c'est moins compliqué que les filles et je pense souvent comme eux. Pour faire plaisir, le ventre est un excellent moyen. J'opte donc pour des sucreries comme celles fabriquées en cours de cuisine. Je fais deux énormes boîtes de petits gâteaux secs, type navettes, des pâtes de fruits et des caramels. Ils ont chacun deux bons kilos de bouffe. Pour ma douce moitié, j'ai réuni des tonnes de photos de nous deux pour faire un album de nos bêtises. Enfin un résumé, les principales et les plus importantes. Il m'aurait fallu au moins dix cahiers si j'avais tout répertorié.

Pour les filles, en revanche, j'ai séché longtemps pour trouver l'idée. Leur bazar permanent, qui me hérisse le poil et m'irrite les yeux, me fait finalement penser à des suspensions à bijoux. C'était ça ou des sacs-poubelles pour stocker les fringues jamais mises ou squattant mon territoire. Me voilà donc en train d'assembler harmonieusement des branches et de les coller sur un socle pour former un mini arbre utile pour les bracelets et colliers. Les nombreuses ramifications sont idéales et sur celui de Naya, j'ai même installé des petits crochets pour ses bagues. Un bon coup de peinture légèrement pailletée, et mes trois chefs d'œuvres orneront leurs tables de chevet. Pratique et nature pour moi, pailletée pour le trio de folles girly.

Mélia coud trois mini-peluches pour ses colocataires à l'effigie d'un dessin animé que je ne connais pas. C'est très coloré et mignon, tout à fait le style de Mélia et de ses copines. Ma sœur se fabrique une peluche pour elle également. Pour Blaise, elle personnalise un tee-shirt et une chemise avec des motifs en patchwork, en forme de tigre, comme la mascotte de leur équipe de basket. Pour moi, elle me fabrique une veste avec des tonnes de poches pour cacher des choses et de fausses étoiles et galons d'inspiration militaires.

C'est pour le cas de Maltez qu'elle a du mal. Ce type a tout. Sa famille est très riche et en plus, cet énergumène se permet d'être difficile. Après avoir suggéré mes idées foireuses de chemise avec un chaton rose paillettée ou de pantalon slim disco, je me fais virer de ma propre chambre pour qu'elle réfléchisse en paix. La copieuse finit par s'inspirer de mon idée pour les trois fashionistas. Maltez as une impressionnante collection de montres et de bracelets masculins. Elle lui construit donc un mini arbre avec de petits rondins pour ranger ses beaux bijoux. Pas de paillettes, mais un vernis incolore qui sublime le bois. Elle se donne beaucoup de mal. Il a intérêt à aimer l'autre naze, sinon je lui fais bouffer.

Ellipse de quelques jours.

Reprise des cours et retour de la populace. Ma paix est finie. Les lycéens boutonneux sont de retour. Je vais devoir trouver une nouvelle façon de gérer ma colère pour ne pas commettre de crimes. Un petit mot de Parrain me fait heureusement apprendre l'installation d'un sac de frappe dans le débarras de stockage des affaires de ménage de mon étage. Je ne veux même pas savoir comment il a fait cela. Je vais illico visiter l'endroit et teste mon nouveau jouet sous le regard amusé de ma sœur et de ses copines. Blaise, qui vient d'arriver, demande à Maltez une photo afin de la coller sur le sac. L'éclat de rire et l'insulte qui suit me prouve que le grand dadet ne prend pas mal la suggestion de son pote. Les deux garçons donnent quelques coups pour tester eux aussi l'utilité d'un tel équipement. Je m'attends à une pique du capitaine qui finit par sourire de mon impatience et avoue qu'il pense plutôt à Musclor et son père qu'à moi. Frapper une fille même en pensée lui est impossible.

Naya éclate elle aussi de rire en découvrant ma cachette. Elle me promet de ne rien dire malgré qu'elle soit la responsable de l'étage. Elle me demande juste d'être discrète et de ne pas faire de bruit la nuit. Les autres filles sur notre palier m'apprécient depuis que j'ai terrorisé Musclor et elles ne me feront pas d'ennui. Chacun regagne sa chambre. Nos amis adorent leurs petits cadeaux. Les kawai nous font un nouveau gros câlin. Mes colocataires nous offrent un sourire sincère et gentil. Naya nous fait une bise à toutes les deux. Mélia et moi recevons même un bisou sur le front des garçons. Bon d’accord, j’avoue. Il faut que Blaise, Thibaut, Alex et Mélia me ceinturent pour que j'accepte celui de l'autre naze. Lui n'a besoin que du battement de cils de Sarah pour s'exécuter.

J'observe parfois ce drôle de duo. Maltez traite vraiment Sarah comme sa petite sœur. Naya et sa jalousie sont très vite réduits au silence lors des insinuations. Entre la petite souris et sa petite amie, le grand dadet a déjà fait son choix et aussi beau que soit le cul de Naya, elle ne fait pas le poids. En cherchant un peu, j'ai fini par comprendre que Maltez ne voyait pas souvent ses parents et a presque été élevé par la famille de Blaise. La maman de mon chouchou et de la petite souris est baby-sitter et a changé les couches du grand dadet. Il a connu Sarah alors qu'elle était encore dans le ventre et a grandi avec elle et Blaise. Ils sont sa famille de cœur, à tel point que lorsque Blaise n'est pas présent, il câline la petite souris. Sarah est aussi la seule à pouvoir le gronder sans qu'il ne s'énerve.

Il n'y a pas que nos amis qui soient heureux de nos cadeaux. Les palefreniers ont adoré notre boulot. Ils nous sont reconnaissants de leur avoir permis de passer les fêtes en famille. En plus des quelques sous qu'on a mis de côté, les palefreniers et les élèves ayant des chevaux se cotisent pour nous remercier et nous offrent du matériel pour nos chevaux. Même Naya, la radine égocentrique, met la main à la poche quand elle voit sur le planning que j'ai entraîné Prince tous les jours et que Mélia lui a fait un tapis de selle avec un magnifique dragon rouge. Grâce à Grognon et Étoile, son étalon progresse en dressage, en endurance et en saut depuis la rentrée. Les entrainements à trois portent leurs fruits et sont très efficaces. D'autant plus que les deux étalons sont compétitifs et cherchent à se surpasser l'un l'autre dans une rivalité puérile remplie de testostérone et surtout d'une connerie digne des adolescents les plus immatures.

Nous reprenons les cours, fières de notre petit pécule. Même si nos géniteurs dilapident l'héritage, nous trouverons toujours moyen de nous en sortir et de gagner notre croûte. Nous sommes intelligentes, débrouillardes et surtout bosseuses. Mélia a aussi l'avantage d'être hyper sociable et de faire fléchir beaucoup de monde d'un battement de cils. Même si j'ai la réputation d'être un bouledogue, tout le monde sait que je suis quelqu'un de bien avec des valeurs d'honnêteté et de respect bien ancrées. On a peur de moi, on ne m'aime pas forcément, cependant, on me fait confiance et on me respecte.

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