Premiers cours

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Le réveil matinal est difficile. Je ne supporte pas de partager ma chambre avec quelqu'un d'autre que Mélia. Tout me gêne. Leurs respirations, leurs odeurs, leurs manies. Je n’aime pas qu’on change mes habitudes. Je n’aime pas cette pièce. Je n’aime pas leurs manières. Elles mettent trop de temps à s’habiller. Leurs fringues sont moches et criardes. Leur parfum empeste. En plus, elles se maquillent et se disputent pour accéder au seul miroir. Ça ne sert à rien d’autre que perdre du temps de se peinturlurer quand on a des têtes aussi ravagées.

Quoique je suis mauvaise langue. Les deux bécasses sont des squelettes décharnés d'un mètre soixante-dix aux cheveux secs comme la paille à force de décoloration blonde. Leur teint est gris et le maquillage nécessaire pour leur donner figurine humaine. En revanche, Naya, la reine du lycée, est d'une grande beauté même les cheveux emmêlés. Plus grande que Mélia, je dirais un mètre quatre-vingts, ses yeux noirs sont légèrement bridés et sa peau parfaite caramel reflète des origines asiatiques. Elle est athlétique et pourvues de courbes aux bons endroits qui m'expliquent le baveux collant d'hier soir. Ses gestes, à défaut d'être élégants et gracieux, n'en sont pas moins pourvus de classe. Le plus redoutable chez elle reste son intelligence accompagnée d'un esprit vif et cinglant. Elle est potentiellement dangereuse et je dois me méfier d'elle.

Je suis de mauvaise humeur et je ronchonne en pestant dans mes dents comme tous les matins. Aucun effort de gentillesse ou de sociabilité de ma part. Fort heureusement, les trois filles se tiennent aussi éloignées que possible. Elles évitent d'être sur mon chemin. D'ailleurs, cette chipie a dû parler à mes colocataires, aucune n'ose m'adresser la parole. Elles se tiennent bien distantes de la bestiole grincheuse que je suis au réveil.

Nous entendons toquer. Naya, le sublime frelon asiatique, va ouvrir la porte avec un grand sourire, en vérifiant son maquillage au miroir auparavant. Génial, les andouilles s’invitent. Déjà qu’on manque de place avec les quatre valises de chacune de mes colocs…

— Bonjour Naya. Tiens Farmer. Pour la survie de tes pauvres colocs, me dit cet imbécile de Maltez en embrassant baveusement sa petite amie et en me jetant une brique de jus d'orange.

Je vais tuer Mélia. Là, c'est sur elle a fourni des informations à l'ennemi. Comment il sait que le premier truc que j’avale le matin est du jus d’orange ? C’est une information confidentielle. Il y a de la trahison dans l’air. En parlant d’air, son petit sourire satisfait m’irrite au plus haut point. S’il croit qu’il va s’en sortir si facilement, il se fourre le doigt dans l’œil bien profond.

— Salutations MALTEZ. Ça va, Naya ? Il n'a pas une haleine de chacal ou un goût douteux au réveil ? Dis-je avec un grand sourire.

Ils me jettent tous les deux, un regard surpris et furieux. Aucun doute, ils n’ont pas l’habitude qu’on leur parle sur ce ton et qu’on ne les vénère pas comme des dieux. Le jour où je plierais le genou devant quelqu’un, c’est qu’il m’aura foutu une sacrée raclée. Et encore. Avec mon caractère, je tenterais de le frapper sous la ceinture avant de m’incliner. Une teigne. Mélia a raison. Je souris à son surnom affectueux.

— Ne t'inquiète pas pour Naya, petit cœur. C'est une dure à cuire. Elle en a vu d’autres. Et puis, Damien s'est soigneusement lavé les dents et a même mis du parfum avant de venir pour camoufler l’odeur de la pizza aux peppéronis d’hier soir, me réponds une voix masculine rieuse.

— BLAISE. LES FILLES. Bonjour. Vous avez bien dormi ?

Je fais la bise à Blaise et aux trois colocs de ma chipie chérie. Mélia me fait un gros câlin. C'est dur pour elle aussi d'être séparée. On est si fusionnelles. On se frotte l’une contre l’autre comme deux chats qui marquent leurs territoires. Elle retrouve le sourire et ma mauvaise humeur diminue très vite. J’ouvre mon jus d’orange pour enfin descendre à un niveau social acceptable tour en la gardant dans mes bras pour humer son parfum de lavande et de violette.

Blaise semble amusé de ma façon de parler. Mes sarcasmes le divertissent fortement. Il doit avoir de l’entrainement à supporter les grincheux, vu qu’il est le meilleur ami de l’autre andouille. Je ne sais pas comment il fait pour ne pas le taper ou l’étrangler avec une clé de bras pendant qu’il dort. C’est ce que je ferais si j’étais sa colocataire. Après avoir bouffé toute la pizza aux peppéronis bien sûr. On ne gâche jamais de la nourriture aussi délicieuse. Je vais me renseigner sur la provenance de ce mets illégal au sein des dortoirs. Je dois trouver le dealer local pour ma propre consommation.

Je ne m'offusque pas de son "petit cœur" matinal. Blaise est un séducteur, mais un gentil. Le genre à aimer toute la gent féminine. Il vante chacune de nos qualités tant physiques que morales ou intellectuelles. Le gars trouve ce qu’il y a de bien ou de meilleur en nous et le souligne avec douceur et un immense sourire qui fait ressortir ses fossettes. J'ai pu discuter avec lui hier soir et évaluer son potentiel de dangerosité à l'égard de ma frangine. Aucun de ses mots ou de ses gestes ne m'a paru inquiétants. Il est adorable. En plus, il est drôle et m'a fait mourir de rire hier soir.

Après le repas à la cantine, ma jumelle s'est plaint que je n'avais pas défoulé mon trop plein d'énergie. Blaise a voulu m'apprendre à jouer au basket pour m'aider à me détendre et à digérer. Mon problème de respect des règles a transformé cela très vite en balle au prisonnier. Lui et un autre pote basketteur se sont amusés avec les petites Secondes que nous sommes très gentiment. Deux Terminales contre cinq Secondes. Ils ont gagné, toutefois, la tâche n’a pas été aussi facile qu’ils auraient voulu. J'ai enragé. Je déteste perdre.

Ils ont fini par reconnaître que Mélia et moi leur avaient leur a causé pas mal de de souci. Les autres étaient trop froussardes. Moi et ma jumelle, on allait au combat, contre deux types qui font au moins dix centimètres de plus. On ne s’est jamais laissé faire par les pseudos plus forts. Mélia est moins agressive que moi, cependant, elle ne se laisse jamais marcher sur les pieds, y compris face à une sale teigne comme moi. Même pas peur, les jumelles.

Je suis certaine que si Mélia ne m'avait pas entravé à certains moments, les filles auraient pu gagner. Je n'ai pas bien compris pourquoi cette chipie m'as fait des croches pattes invisibles pour permettre aux garçons de vaincre. Il va falloir que je l'interroge davantage. Peut-être qu'elle ne veut pas montrer toute notre puissance pour le moment. Ou alors, elle voulait juste passer un bon moment amical sans que ça ne tourne à la compétition comme c'est souvent le cas avec moi. Je penche plus pour cette hypothèse puisque les filles et les deux gars sont sympas.

Le pote de Blaise s'appelle Thibaut Noguerra. Un blondinet d'un mètre quatre-vingts, très mince, plutôt du genre silencieux si on ne l'interroge pas, avec une bonne culture générale quand on le questionne. Je me suis surprise à discuter littérature et biologie avec lui une bonne partie de la soirée. Lui et Blaise se sont gentiment proposé de nous aider, les cinq filles de Seconde, pour les cours si besoin. C'est un bon élève, et d'après Blaise, il est patient et pédagogue.

En tout cas, hier soir, il a réussi à parler avec moi et à m'apprendre des choses sans que je n’aie envie de le taper. Et ça, c'est un miracle d'après Mélia. Même Papinou n'y arrivait pas. Je reconnais aussi que c’est quelque chose de rare. De si rare que c’est la première fois que j’écoutais quelqu’un m’enseigner quelque chose sans ronchonner ou exprimer le moindre mécontentement. Le pire, c’est que j’ai apprécié ce moment. Jamais ne n’avouerais même sous la torture. Toutefois, Thibaut a fait fort. Ces deux gars sont cool, pour des mecs, plus âgés et basketteurs de surcroît.

Si j'en crois les roucoulements des autres demoiselles, ils sont aussi à classer dans la catégorie des beaux gosses. Je reconnais que la peau halée, les yeux chocolat rieurs et les petites bouclettes noires de Blaise peuvent lui donner du charme. Son atout majeur reste son immense sourire et ses fossettes. Thibaut quant à lui, possède un visage aux traits fins et délicats, avec des yeux noisette expressifs, un visage tout en douceur et presque imberbe. Je comprends les minaudages sans toutefois y participer. Je me demande si mon petit ange n’aurait pas craqué pour l'un d'eux. Ça expliquerait ses entraves d'hier. Il va falloir que j'aille lui casser les pieds pour être sûre.

Mais revenons au petit déj et aux premiers cours. J’ai la dalle. Je pourrais manger une cuisse de bœuf. Pourtant hier, le repas était conséquent. Ça doit être le sport qui me fait cet effet-là. Quoique, je suis toujours affamée. Je suis un estomac sur pattes d’après Parrain. Papinou me vermifugeait régulièrement par crainte des vers. Pour mon plus grand bonheur, la cantine est fournie et ne regarde pas aux quantités, pour autant qu’on finisse son assiette. Pas de gaspillage. Cela est bien normal. Ils n'ont rien à craindre de mon côté. Je mange beaucoup certes, mais je finis toujours ce que j'ai pris.

Le choix matinal est varié, incluant aussi bien du sucré avec des pains au chocolat et des fruits que du salé avec des œufs et du bacon. Je me ressers plusieurs fois, un peu de tout. La grimace de mes congénères de tablée m'indique que le mélange œufs pâte à tartiner chocolatée n'est pas à leur goût. Je profite de l'abondance pour faire des expériences gustatives. Les saucisses au miel ne sont pas une réussite. Heureusement, entre deux morceaux de pain, le gout est acceptable. Mon double lève les yeux au ciel de désespoir, toutefois, elle n'intervient pas. Tant que je ne touche pas à son pain toasté au sirop d'érable, je peux faire ce que je veux.

On débute par le cours de mathématiques avec notre professeur principal. J'ai appris ce matin au petit déj en regardant le planning que c'est le père de Thibaut. Je comprends rapidement d'où vient l'aura pédagogue du blondinet. Son père parvient à rendre vivante une matière assez difficile. Il a dû transmettre son don à son fils. Il est vraiment captivant et dégage une prestance et une assurance incroyable. La plupart des élèves boivent ses paroles. Moi, il me laisse silencieuse, ce qui est déjà un miracle.

Aujourd'hui, il a repris les fondamentaux et nous a demandé de remplir un questionnaire pour voir nos bases. Il a insisté sur le fait qu'il voulait avoir une idée du niveau de chacun et que cela ne serait pas noté. La correction s'effectue tout de suite après. Je suis contente. Mélia et moi avons plutôt bien réussi le test. On est dans le top cinq de la classe toutes les deux. Pour un campagnard, il en avait des choses dans la tête mon Papinou. Je sais que toutes les deux, nous avons largement le niveau de nos camarades malgré nos cours à domicile. Il aurait été si fier.

Le professeur souligne nos méthodes scientifiques bien qu’elles ne soient pas celles du programme. Le raisonnement est bon. C’est ce qui compte le plus pour lui. Il compare nos deux styles si différents et pourtant issus d’un même enseignement. Mélia le corrige avec douceur. Papinou n’expliquait pas les choses de façon identique selon la jumelle. J’ai un esprit plus masculin dans mes réflexions, ce que confirme Monsieur Noguerra. Il valide les cours de Papinou. C’est tout ce qui compte.

Français puis Histoire géo et enfin Physique chimie. Ils nous ont gratinés la matinée. Le lundi matin va être difficile. Que des cours chiants et pas moyen de bouger. À midi, j'ai déjà un mal de crâne pas possible ainsi que des fourmis dans les jambes. Je déteste le lycée. Ils ne peuvent pas intercaler un cours de sport entre deux efforts intellectuels, afin d’aérer le cerveau en surchauffe ? C’est ce que faisait Papinou. Il m’envoyait courir ou couper du bois toutes les deux heures. Sinon, parait que j’étais ingérable et chiante. Je commence à comprendre certaines de ses méthodes d'éducation. J'ai mal partout à force d'immobilité.

Je suis en train de faire des étirements pour me calmer les nerfs et les muscles dans la file d’attente avant de rentrer à la cafét, devant les colocs de Mélia, un brin désespérées par mon attitude. J'ai cessé de leur faire peur je crois. Elles sont adorables et très tolérantes face à mon caractère particulier. Je n'ai pas eu le moindre signe d'impatience ou d'énervement avec elles. Ma sœur s’en fout de mon gigotage. Elle a l’habitude. Tout juste, elle me bouscule pour avancer quand il le faut. Ses trois colocs sont marrantes et super gentilles. Je crois même que je vais finir par accepter leur présence régulière.

Alors que je papote amicalement tout en essayant d’atteindre le ciel et d’évacuer les fourmis qui me tiraillent le corps, je tends mes bras vers le haut pour dénouer mon dos. Je me hisse sur la pointe des pieds, voulant attraper un papillon imaginaire. Quelqu'un dans mon dos en profite et me saisit les poignets par-derrière. On me soulève avec facilité. Une odeur de transpiration sale me parvient. Musclor.

— Filez-moi votre fric les gamines ou je la casse en deux.

Musclor et quatre potes sont derrière nous. Les trois jeunes filles sont en panique et cherchent de l’aide du regard. Nous sommes entourés que de secondes terrorisées. Je soupire d'agacement. Même pas dix secondes et j’en ai déjà marre. Mélia explose de rire. Elle sait ce qui va se passer dans les prochains instants. Elle me connaît trop bien. J’ai besoin de me défouler en plus. Je lui demande du regard le droit d'intervenir afin de remettre ce malotru à sa place. Elle me l'accorde d'un clin d'œil complice.

— Tu as encore une chance de t'en tirer indemne si tu t'excuses immédiatement, murmure Mélia d'une voix douce et calme au crétin qui ose me déranger.

Loupé. Il commence à s'énerver en bon gros butor stupide qu’il est. Il ne réalise pas l'énorme erreur qu'il est en train de commettre. Il menace Mélia en croyant lui faire peur. Il ne faut jamais sous-estimer son adversaire. Surtout quand l’adversaire est une teigne et petite fille de militaire. Ma jumelle rit de plus en plus fort, en me voyant en profiter pour m’étirer. Je fais un clin d'œil à ma licorne. Je fais un décompte silencieux du bout des lèvres. Cinq. Quatre. Trois. Deux. Un. TOP.

Talon droit dans l'entrejambe. Il hurle de douleur sous l’impact violent. La souffrance le fait se replier en deux en lâchant mes poignets. Alors que mes pieds regagnent le sol, j'envoie mon coude dans son nez pendant ma descente. J'enchaîne aussitôt en me retournant et sans lui laisser une seconde de répit, mon talon gauche lui fait un croche-pied et défonce l'arrière du genou pour le faire plier. Dans la seconde qui suit, je saute pour lui envoyer mon autre coude dans les dents puis dans l’œil.

Vive l'entraînement au combat au corps-à-corps avec un ancien soldat d'élite. Les coups, je sais les recevoir et surtout les donner. Je connais où et comment frapper pour faire un maximum de douleur et de dégâts. Musclor est en boule, par terre, la tête protégée par les mains. Je ne le laisse pas se relever. J'enchaîne les coups de pieds en direction du dos sans cesser de bouger pour qu'il ne puisse pas m'attraper. Il est en position fœtale, saignant de partout.

— Eh Farmer, arrête de faire le ninja. Tu es vraiment barge la grunge, sort une voix de crécelle.

Miss Pimbêche est au bras de Maltez avec la bande à sa suite. Ils ont vu Musclor et ses potes de loin nous menacer. Les basketteurs rappliquent pour nous aider. Je ne leur aie pas laisser le temps de se faire ce plaisir. Les quatre camarades de Musclor ont déjà fui loin. Je m'arrête aussitôt quand j’entends la voix de Naya. De toute façon, je ne frappe pas indéfiniment un homme à terre. Juste assez pour montrer ma supériorité au combat.

Mélia vient me faire un bisou et me tapote la main comme pour calmer un enfant en pleurant de rire. Elle simule me donner un sucre en sortant un morceau de biscuit de sa poche. J’accepte d'être soumise à mon double, surtout pour rire. Les trois kawai ont la bouche ouverte, stupéfaites et n’arrivent pas encore à comprendre ce qui vient de se passer sous leurs yeux. Les mecs me regardent bizarrement, sauf Blaise qui vient me faire un câlin avec son immense sourire et sa joie contagieuse. Il me serre dans ses bras et me fait un bisou sur la joue.

— Cool. Mélia a un garde du corps très efficace.

Je ris avec lui et j'accepte son côté tactile. Blaise touche tout le monde, y compris ses potes. C'est sa façon de communiquer. En plus, il fait très attention où il pose ses mains et se montre respectueux. Et il sent super bon. Il faut dire que je l'ai bien massacré le crétin bodybuildé. Ça lui apprendra à vouloir faire du mal à des plus petites que lui. Le karma voulait qu’il me rencontre pour lui donner une leçon de vie. En plus, j’aurais pensé qu’il serait plus musclé et moins gras. C’était tendre comme de la pâte à modeler, pas comme du steak ferme. Je suis presque déçue que la chose ait été si aisée.

— Mélia a prévenu que je suis une teigne. Mais ne t'inquiète pas mon chou. À part Musclor et Maltez, vous n'avez rien à craindre de moi. Mélia m'a bien dressé.

Thibaut tend la main pour aider Musclor, alias Jonathan, à se relever. Il est en sang. Son nez doit être cassé je pense. Son œil gauche présente les prémices d’un cocard dans les prochaines heures. Sa lèvre inférieure gonfle déjà. Son œil encore intact me regarde avec terreur. Son air abruti est aussi stupéfait que les trois kawai. Lui aussi n’a pas eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait. Je me demande aussi, vu la lenteur de ses réactions, s'il a la capacité de comprendre quoi que ce soit. Le peu de parole que j'ai entendu de sa part en une soirée et à l'instant me permet de le classer dans la catégorie des écervelés de naissance comme les deux bécasses.

Il s'enfuit honteusement en boitant. Il est terrifié. Toute la cour me regarde moitié comme un super-héros, moitié comme la future terreur de la cour de récré. Maltez hausse un sourcil à ma pique. Je le regarde d’un air de défi, sans ciller. Il vient d’avoir un bel exemple de ce qui pourrait lui arriver s’il me cherche encore des poux et se moque de mes livres. Quoique je pense que ça ne sera pas aussi facile. Je gagnerais sans aucun doute, toutefois Maltez est vif et agile. Je prendrais surement quelques coups. En plus, je pense qu’il a de vrais muscles, développés mais souples. Mes coups rencontreront un obstacle aussi dur et ferme que mes sacs de frappe. C’est aussi une teigne comme moi. Il ne lâchera pas tant qu’il ne sera pas à terre avec les deux yeux aveuglés par le sang.

Il meurt d'envie de m'envoyer bouler, mais la présence du bras de Blaise sur mes épaules lui fait mordre sa lèvre. Son meilleur pote m’aime bien, donc il se retient comme moi je le fais parfois pour Mélia. Il n’a pas peur de moi malgré ma petite démonstration. Il est partagé entre l'envie de m'étrangler et une pointe de respect pour avoir mis à terre le caïd des bacs à sable. Nous nous foudroyons du regard sans un mot, nous mordant les lèvres pour rester silencieux.

Naya sourit de mon attitude provocante. Je crois que ça l'amuse mon animosité avec son chéri. Pour une fois que quelqu’un lui fait dégonflés les chevilles à cet égocentrique narcissique. À moins que ce soit mon regard prétentieux à l'égard du reste du lycée. Je me la pète grave. J'ai conscience que cette petite démonstration de mes talents vient de me donner un nouveau statut social, ainsi qu'aux demoiselles qui me sont proches. Un nouveau caïd est dans la place !

Pour désamorcer la cocotte-minute en train de monter en pression, j'engage amicalement la discussion avec Thibaut à propos de son père. Je lui raconte le cours du matin et compare les similitudes physiques et pédagogiques entre lui et son paternel. J’exagère à peine et je suis tout en nuances aussi subtiles qu’un coup de pelle dans la tronche. Thibaut est d'une patience rare, donc je cherche à le mettre en pétard. Logique non ? Oui, je suis une chieuse et fière de l'être.

J'appuie sur tous les boutons à ma disposition. La pédagogie. Le niveau scolaire. La blondeur. Thibaut subit mes taquineries avec un sourire d'ange, sans jamais se fâcher. Il a compris que je cherchais uniquement à lui casser les pieds et Mélia me file quelques claques molles sur la nuque par instant. Je suis en train de blaguer le blondinet sur le fait que physiquement, lui et son père se ressemblent beaucoup.

— Tu te rends compte que dans vingt ans, tu ressembleras à ça ? J'éclate de rire.

— Pourriez-vous détailler un peu plus le CA, mademoiselle Farmer ? Je suis assez curieux d'avoir votre avis, déclare d'une voix calme un brin moqueuse le professeur Noguerra.

Mince, il était juste derrière moi. Je me décompose et cherche une réponse adéquate tandis que ceux qui m'entourent gloussent de ma situation délicate. Je réfléchis à toute vitesse pour trouver quelque chose à dire d’intelligent et qui me sorte de ce potentiel problème avec mon enseignant.

— Thibaut, voici ton livre d'Anglais. Tu l'as mis dans ma sacoche ce matin. Mademoiselle Farmer... Auriez-vous trouvé moyen de vous rattraper avec d'ignobles mensonges ?

Je fais un grand sourire. Il n'est pas fâché, plutôt amusé. Je respire un peu. Je décide de faire le pitre et de le faire rire davantage. Quitte à mentir, autant mettre le paquet et exagérer grossièrement la caricature. Je vais jouer l’élève amoureuse totalement en extase. Enfin si Mélia parvient à ne pas rire de mes loufoqueries.

- CA pour dire cet être magnifique et resplendissant, plein de charisme et de charme. CA qui fait craquer toutes ses élèves avec un sourire éclatant... CA pour la perfection faite homme… Votre beauté nous fascine et votre intelligence nous éblouit… J’ai tellement de chance de vous avoir comme professeur, principal de surcroît... Je vais adorer passer une année entière à vos côtés, buvant vos paroles …

Je fais la révérence et la midinette en continuant mon léchage de bottes, ce qui lui arrache un sourire. Ça pue la duperie tant j’en rajoute sans vergogne. Mélia n’en peut plus. Son fou rire cristallin me coupe la parole en plein éloge. Elle décrédibilise tout mon pompeux discours.

— Ce n'est pas beau de mentir mademoiselle Farmer. Je n'en crois pas un mot, mais merci. J’en tiendrais compte dans ma prochaine interrogation. Un dernier conseil : vous qui aimez le combat, pensez à surveiller vos arrières la prochaine fois.

Il repart en secouant la tête, amusé. Thibaut m'ébouriffe les cheveux. Lui aussi rigole. Je crois que Thibaut m'aime bien. Je suis une adorable emmerdeuse et qui ment comme un arracheur de dents avec un aplomb rare. Comme son père, il n’a pas cru un mot de ce tissu de mensonge. Il sait que mon intention première était de le faire s’imaginer en vieux. Il ne m’en veut pas le moins du monde. Ce n’est que des espiègleries pas bien méchantes de gamine un peu trop bavarde et taquine à ses yeux.

Blaise ayant lâché mes épaules pour celles de Sarah et de Fleur, c'est Thibaut, pas rancunier, qui passe son bras autour des miennes et de celles de Mélia pour rentrer dans la cafét. Lilou est au bras d'un autre basketteur. Les terminales ont priorité d'accès et nous devançons donc la foule. On entre en groupe conquérant dans le lieu de nourrissage tant attendu par mon estomac qui se réveille et grommelle. Ce petit kata de self défense m'a encore plus ouvert l'appétit.

Je tolère les côtés tactiles de Blaise et Thibaut. Ils sont gentillets et protecteurs. Je ne suis pas contre être prise dans les bras. Je fais des tonnes de câlins à ma jumelle et à ma cousine. Je suis moi aussi tactile avec les gens que j’apprécie. Et puis sans avoir les hormones en chaleur, ils sont plutôt beaux gosses et le regard de jalousie des autres filles me fait mourir de rire. J'en rajoute une couche par plaisir pour faire enrager un max de nanas. Entre fausses minauderies ou regard narquois, je m'éclate à faire criser les pestes sur le chemin.

— Mais tu es vraiment une peste toi, me sort Mélia.

Elle a capté que je me pavane pour faire chier les autres filles de l'école. Je ne peux rien cacher de mes mauvaises intentions à ma jumelle. Elle devine même parfois mes conneries avant même que je les fasse. On est connectée. Je lui réponds par un bisou moqueur. Naya est la seule à comprendre la phrase de ma sœur. Elle me regarde quelques secondes et voit ma parade de chieuse. Elle ricane comme une hyène.

— Damien n'a peut-être pas tort. Il est possible qu'on finisse par s'entendre toutes les deux la grunge. On a des points communs de pouffiasse et de chiantittude.

— On est attachiantes alors ? Déclarais-je d'une voix enfantine et innocence en faisant mes yeux de chien battu.

— Comme toutes les filles, mais toutes les deux, vous en tenez une sacrée bonne couche, souffle Maltez, exaspéré, avant de s'asseoir avec son plateau repas.

Bien que de mauvaise humeur, il rapproche plusieurs tables pour que les cinq filles de seconde se joignent aux basketteurs et aux pétasses. Cela confirmera leur statut de petites protégées aux yeux de tous. Enfin pour elles. Moi je n’ai pas besoin de protection. Je suis un pitbull croisé tigresse avec une rage de dents.

Pour assurer la sérénité du repas, Mélia se place entre Maltez et Thibaut, m’éloignant du deuxième ronchon. Blaise et sa sœur sont tout près de moi ainsi que les deux timides demoiselles. Les gars papotent de tout et de rien, et surtout de sport. Les basketteurs s'alternent avec les filles. Je suis étonnée d'entendre mon double bavarder amicalement avec la reine des abeilles et l'autre naze. Le blondinet et Blaise s'assurent que Sarah, Fleur, Lilou et moi ne manquons de rien. Ils nous maternent. La petite souris gronde son grand frère qui veut lui couper son repas. Il est aux petits soins pour elle. C'est adorable. Tous discutent en riant. Personne n’ose revenir sur l’incident avec Musclor.

Je tente de piquer son dessert à Blaise pour rigoler. C’est aussi un estomac sur pattes. Sa sœur le défend farouchement en riant. Elle a compris que je ne ferais pas de mal à son frère et veut juste l’embêter un peu. Je me fais taper sur les doigts avec une fourchette. Je ne me défends pas. La petite souris est inoffensive. Je préfère rire et jouer. J'insiste tellement sur mon besoin de nourriture qu'une de mes colocataires, je ne sais plus son prénom, déjà au régime, me donne généreusement le mets sucré pour ne pas se faire gronder par la cantinière et surtout me faire taire. Chaque gâchis de nourriture entraîne un blâme. C’est bien normal. Ce règlement est tout à fait justifié. Trop de gens ont faim dans le monde. Moi la première.

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