Rodéo

21 minutes de lecture

Ellipse de quelques heures

Fin de la journée. Dernier cours. Option EQUITATIONNNNNNNN. Désolée pour le cri, mais c'est le seul cours de la journée qui promet d'être agréable. Je me suis ennuyée depuis le lever, si on exclut l’épisode Musclor. En plus, à midi, c’était haricots verts et quelque chose indéfinissable. Un très mince filet de viande ni blanche ni rouge, du fromage bas de gamme, une sauce rouge sans saveur, le tout entouré de chapelure. Je suppose que c’était une tentative de cordon bleu bolognese mais qui était trop salé. Moi qui espérais que la cantine serait bonne. En fait, cela dépendra du cuistot du jour. Celui du lundi fait clairement des expériences sur de jeunes adolescents innocents.

L’andouille bodybuildé a au moins eu l’avantage de me détendre un peu en sollicitant mes muscles endoloris. En plus, pour faire enrager ses potes, Blaise m’a demandé de refaire l’enchainement au ralenti sur lui. Il m’a soulevé dans les airs par les poignets avec délicatesse, me permettant de nouveau d’étirer ma colonne vertébrale. Lentement, et surtout sans lui faire mal, j’ai montré chacun des mouvements, fascinant les Kawai et quelques gars. Je ne sais pas si ce sont les mouvements à proprement parlé ou les explications de la douleur provoquée qui choquaient le plus.

Les autres élèves au loin écoutaient admiratifs ou inquiets. Ma lenteur et mes explications montraient combien je maitrise mon sujet. Je donnais des précisions sur la façon de faire et surtout sur la partie du corps à utiliser ou frapper. J’en profitais un peu pour tripoter Blaise et le chatouiller pour faire râler Sarah. Sous ses dehors timide et craintive, elle est hyper protectrice envers son grand frère et surveille les filles qui lui tournent autour. Mélia a fini par calmer la petite en lui disant que mes attentions envers Blaise étaient purement pour casser les pieds au duo, puisque que j’adorais enquiquiner le monde.

Maltez a voulu m’insulter je crois durant la démonstration. Il m’a traité de doberman avec des cheveux. Je n’ai pas relevé. J’aime bien les dobermans. Ce sont des chiens intelligents, athlétiques et élégants. Ils ont un instinct de protection très marqué qui les rend féroces quand on touche à leur famille. Cependant, ils sont très doux avec les enfants. Alors, j’ai choisi de prendre cela pour un compliment. Surtout que son ton de voix ne semblait pas sarcastique mais plutôt épuisé de mes piques incessantes envers sa personne.

De toute façon, j’étais trop occupée à enseigner mes techniques de combat à Sarah pour accorder plus d’intérêt à ce triste personnage. Avec la complicité de son grand frère, je lui montrais comment se défendre face à des sales types au cas où elle aurait des soucis et qu'un basketteur, Mélia ou moi ne soyons pas dans les parages. Lilou et Fleur écoutaient aussi très attentivement. C'était drôle de chatouiller Blaise en toute impunité pour la bonne cause en plus. Il a bien essayé de se défendre, seule Mélia et ses claques sur la tête ont fait stopper mes assauts de bêtises.

Dès que l'avant dernier cours se termine, ma jumelle et moi nous précipitons vers nos chambres en montant les escaliers quatre à quatre. C'est à celle qui ira le plus vite. Je pose mes affaires de classe rapidement sur mon lit et enfile mes guêtres. J’ai mon kit de pansage et quelques autres affaires qui peuvent être utiles. Je pense que le lycée fournira tout, toutefois, j’aime avoir mes propres affaires, nettoyées et entretenues. C’est une question d’hygiène et aussi du respect de l’animal et des autres personnes.

Mélia se change presto de son côté pour une tenue plus adéquate, toujours hyper colorée. Sa jupe courte à froufrous du jour n’est pas des plus adaptée à la pratique, même si je sais qu’elle a le niveau pour travailler dans un accoutrement de ce genre. On se rejoint dans le couloir moins d'une minute après. Elle aussi sautille d’impatience. Nous avons besoin d'un contact avec des animaux pour nous détendre et faire retomber la pression de la journée.

La matinée et le début d'aprèm ont été rudes pour son éternelle bonne humeur. Mis à part Monsieur Noguerra, les autres professeurs ont cherché à nous coincer avec des questions pièges. Ils n’aiment pas les enfants qui ne suivent pas le parcours « classique ». Ils se sentent dévalorisés par le fait que des personnes lambda puissent s'éduquer sans besoin de pompeux programmes. Alors déjà, je ne suis pas une personne lambda mais une alpha et en plus, leurs programmes sont faites pour les masses moutonneuses et non pour des esprits libres et curieux.

Mélia est resté discrète et polie. Tout cela lui fait de la peine. Je le vois bien. Moi, j’ai montré que Papinou était un excellent professeur et que nos connaissances valent bien celles des autres adolescents, voir les surpassent dans certains domaines. En Sciences de la Vie et de la Terre par exemple, j’ai scotché l’enseignant en détaillant parfaitement le système sanguin, les os et les muscles du corps y compris tous ceux des mains et des pieds.

Je me suis aussi amusée à terrifier mes camarades en évoquant les endroits où les gros vaisseaux sont le plus accessibles et en combien de temps une entaille suffisamment profonde provoque l’arrêt du cœur par manque de sang dû à l’épanchement. J'ai même donné les temps estimés en fonction de la corpulence d'un homme de taille et de poids moyen. Cela m’a valu une mini-claque de ma jumelle pour me faire taire. Le prof a dû aller cherche la réponse sur internet, prouvant que j'e suis plus calée que lui sur ce domaine.

Je comprends la claque fraternelle. Entre ça et mon massacre de crétin bodybuildé, je commence à effrayer mes camarades de classes les plus sensibles. Enfin non. Les Kawai étaient dégoutées des détails, cependant, je n'ai pas perçu la moindre peur chez elles. J’aurais arrêté illico mon cirque si cela avait été le cas. Je veux effrayer les cons pas les gentilles filles toutes mignonnes et trop choupinettes.

Une fois en tenue, on dégringole les escaliers aussi rapidement qu'on les a montés et on part joyeusement en direction de la carrière numéro deux, où nous attends notre professeur et les autres camarades de notre année ayant choisi cette option. Pendant qu’on s’appuie tous sur la barrière extérieure, je fais des paris avec Mélia sur le niveau de nos camarades, au jugé de l’usure de leur tenue, de sa praticité et de son confort et aussi de leur nervosité.

Le professeur arrive enfin et commence à se présenter. D’après ses paroles, c’est un ancien jockey de haut niveau. Sa tête me rappelle quelqu'un, je ne parviens pas à déterminer qui. Il est tout petit, maximum un mètre soixante. Je le dépasse de plusieurs centimètres. L'usure de ses mains, de son pantalon et de ses bottes pourtant tout de très bonne fabrication, m'indique qu'il sait de quoi il parle. Son discours aussi. Il utilise des mots techniques très précis et sait les expliquer aux novices. Tant mieux. Je n’aurais pas supporté d’être sous la direction d’un naze incompétent dans cette matière essentielle à mon équilibre mental.

Lorsqu'il nous demande un par un notre niveau, Mélia et moi lui répondons avec franchise n'avoir jamais passé les galops, ces petits examens de niveau habituels dans le milieu équestre. Nous pensons avoir tout de même de bonnes bases tant en soin à porter aux animaux qu’en pratique même de l’équitation. Mélia explique être plus douée en dressage et voltige, moi en saut d'obstacles, cross et un peu en débourrage de poulains. Je pense qu'on est les meilleures de ce groupe malgré notre absence de reconnaissance officielle. Le prof scrute nos tenues tout en nous questionnant. Lui aussi évalue le niveau en fonction des fringues. Je pense qu'il approuve celle de Mélia et la mienne.

A notre grande surprise, à l’annonce de nos noms de famille, le professeur nous annonce que nos parents ont pensé à nous faire parvenir nos chevaux. Nous ne pouvons retenir nos cris de joie et sautillons. Waouh, ils ont utilisé leurs cerveaux pour une fois. Le professeur sourit de notre bonheur montrant combien on aime nos animaux et nous fait nous calmer. D'autres jeunes ont aussi leurs propres chevaux. Toutefois, pour l'examen de niveau, tous les élèves devront passer une évaluation sur l'un des chevaux de l'école. Cela est logique. En fonction du niveau annoncé, le prof peut mettre un cheval qu'il connait bien et s'adapter au mieux.

Il y en a cinq de préparés et qui attendent de travailler. Nous passerons chacun notre tour. Le professeur nous choisira une monture et nous aidera. Je m'étonne de la présence du cinquième cheval, qui piaffe d'impatience, et qui n'est jamais choisi par le professeur. Il m'a l'air assez caractériel comme canasson. En tout cas, c'est le plus nerveux. J'hésite entre un arabe et un pur-sang anglais. Il est magnifique avec ses muscles détaillés et sa robe noire de jais. Je l'observe attentivement, ne prêtant pas vraiment attention au défilé d'imbéciles heureux sans talent qui se produit à côté de moi.

Je ne reprends d'intérêt pour l'examen que lorsque j'entends le nom de ma sœur être appelé. Mélia passe sur une jument douce et travailleuse. Elle montre vite son bon équilibre et sa coordination avec le cheval. Malgré la selle western classique qui la dérange et l'animal peu habituée à se diriger seule, ma sœur parvient à faire quelques figures d'équilibre assez complexes au pas. Elle y va en douceur pour ne pas l’effaroucher. Le professeur s’excuse car les chevaux de l’école ne sont pas entrainés pour la voltige et sont donc étonnés des mouvements inhabituels. Il félicite ma jumelle pour sa facilité à s’adapter à la jument et à l’apprivoiser avec patience. Il semble admiratif de son niveau bien qu’elle n’ait pas montré le quart de son potentiel.

Afin de compliquer le niveau, Mélia lance la jument au galop, allure la plus utilisée pour cette discipline. Tout en tenant les rênes d'une main, elle prend son équilibre et fait le poirier en se servant des bords de la selle comme supports pour ses mains. Ensuite, elle utilise le porte lasso de la selle pour bloquer sa jambe droite et se place à la tête en bas, la jambe gauche en l'air. Mélia agit doucement pour ne pas effrayer sa monture.

Avec cette selle pas du tout pratique pour l’usage, il lui est plus difficile de revenir à sa position initiale. D’autant plus que la jument n’a pas un galop confortable et régulier, ce qui provoque des saccades qui feraient tomber d’autres cavaliers. Fort heureusement pour Mélia, elle a de très bons abdos et des cuisses puissantes. Même si elle galère un peu, elle parvient à faire ses figures parfaitement et revient en place juste un peu plus lentement que d’habitude.

Elle éblouit le professeur avec sa démonstration de voltige pourtant relativement simple. De tous ceux qui sont passés, c'est clairement elle la meilleure. Le professeur l'interroge sur les mouvements qu'elle sait faire avec sa propre jument et l'équipement adapté. Mélia ne connaît pas forcément tous les termes techniques, cependant, elle détaille si bien les enchainements que l'homme comprends aisément de quelle figure il s'agit.

Mélia n'est pas vantarde et elle sous-estime ses compétences. Lorsqu'elle évoque à demi-mot être en mesure de diriger sa jument sans rênes, avec juste sa voix et son corps pour expliquer ce qu'elle souhaite, le professeur est admiratif. Il semble apprécier ma petite licorne et être heureux d’avoir une élève si compétente et si humble. C’est la meilleure de tous les élèves qui sont passés ce soir alors qu’elle n'est pas au top de sa condition avec cette jument qu’elle ne connaît pas.

Je suis heureuse de constater que le moniteur d'équitation complimente ma jumelle. Il lui fournit les mots techniques et discute avec respect durant plusieurs minutes. Mélia rougit de la gentillesse et toute cette attention qu'elle suscite. Les autres élèves sont suffisamment intelligents pour la féliciter eux aussi, à part peut-être une bêcheuse qui râle dans son coin. Je pense que le cours d'équitation va vraiment être l'un de mes préférés et un moment de détente nerveuse vital pour la survie des habitants de ce lycée.

C'est mon tour. Je suis la dernière à passer. Mélia ayant stipulé que je suis bien meilleure qu'elle, le professeur me désigne le cinquième cheval nommé Prince en haussant un sourcil. Je sens le piège. Pas grave. J'adore les défis. Je grimpe prestement tandis que le professeur tient les rênes avec un sourire qui ne cesse de grandir. Soudain, je réalise la raison pour laquelle sa tête m'est connue. Naya vient d'arriver d'ailleurs et lui fait une bise sur la joue. C’est son père. La vipère est en train de ricaner en me voyant monter sur le dos du magnifique étalon nerveux. C'est bien un coup fourré. Je ne vais pas me laisser faire comme ça, Miss Pimbêche.

Le cheval démarre au galop à peine le prof lâche les rênes. Je serre les cuisses et me maintiens sans difficulté. Tu vas voir ce que tu vas voir bourriquet. J'en ai maté des plus coriaces. Je n’ai pas l’intention de laisser cet étalon dominer. Le seul être vivant à avoir le droit de me discipliner est une demoiselle aux cheveux bariolés qui a cohabité dans le même utérus pendant neuf mois. Un rude combat débute et la force de caractère de chacun déterminera le gagnant de cet affrontement.

Le cheval fonce, s'arrête d'un coup en baissant le cou. Il fait des cabrioles, des sauts de puces. Prince se cabre et rue avec force. Il saute dans tous les sens pour m'éjecter. Un vrai rodéo. Il aurait peut-être réussi son coup si je n'avais pas une selle solidement arrimée pour m'aider. En monte à cru, le rodéo est bien moins facile. Là, il n'a aucune chance. J'ai des prises solidement arrimées à son poitrail.

Je ne lâche rien. Je resserre mes prises. En plus, j'engueule le cheval en lui disant que c'est une chiffe molle. Je lui donne des coups de talons quand il galope pour lui dire qu'il est trop lent. Bref, je l'énerve encore plus. Je veux qu'il se donne à fond. Je veux qu'il s'épuise. Je veux qu'il comprenne que je suis la plus forte et la plus têtue. Il y a une guerre physique, testant l’endurance de chacun, mais aussi psychologique, le mental du dominant faisant plier l’autre.

Le principe du domptage de bêtes sauvages, surtout les équidés et les mâles entiers, c'est de leur montrer que tu es plus fort afin qu'ils se soumettent et te placent au sommet de leur hiérarchie de troupeau. Physiquement, je suis bien en dessous de lui et de ses muscles puissants, en revanche, question acharnement et instinct de dominant, j'en tiens une sacrée couche.

Mon étalon, que je verrais bientôt, n'est pas né dans une écurie, mais au sein d'un troupeau de chevaux sauvages. Il m'a fallu l'apprivoiser tout poulain pour qu'il daigne m'accepter sur son dos. Certains parlent de domptage, je préfère dire se faire une place dans la hiérarchie. Jamais je n'ai utilisé de fouets, cravaches ou instruments pouvant blesser. J'ai juste fait preuve d'une résistance et d'un entêtement supérieur.

J'ai passé des journées et des nuits à côté de lui pour le forcer à accepter ma présence, tenant le seau de nourriture à bout de bras jusqu'à ce qu'il accepte que je le touche. J’ai passé des nuits dans un arbre, près du troupeau pour chasser les coyotes qui les attaquait. J’apportais du foin, même avec une tempête de neige qui approchait pour être sûre qu’ils aient de quoi manger au plus fort de l’hiver. Jamais je n'ai abandonné. Jamais je ne l'ai mis en danger.

Comme je soignais sa mère en même temps, blessée par un piège de trappeur, le poulain daigna, au fur et à mesure, me faire confiance. La jument avait la jambe cassée et beaucoup l'aurait tuée sans hésitation. Moi, je l'ai soignée et remise sur pieds. Plâtrant sa jambe et lui fournissant à manger puis, la faisant nager dans la rivière pour la re muscler. Je pense qu'elle provenait de chevaux domestiqués, elle semblait connaître les humains et n'en avait pas peur, ce qui facilita ma tâche considérablement. Elle cherchait mon contact, se frottant à moi après chaque soin ou apport de nourriture. Elle me laissa même venir sur son dos pour me réchauffer une nuit de chasse au coyote particulièrement froide.

Son poulain, au contraire, tenait du caractère sauvage et farouche de son père. Il est de la même trempe que moi. Indomptable mais apprivoisable. C’est pour cela qu’on s’entend aussi bien tous les deux. On a un esprit fort et aussi un peu tendance au ronchonnage. Un an fut nécessaire avant de pouvoir rester plus d'une minute sur son dos. Il ne m’accepte que parce que j’ai gagné son respect et son affection avec du temps, beaucoup de temps, quelques carottes et surtout de très nombreux soins. Quelques insultes et menaces de le faire cuire au barbecue aussi.

Prince est un amateur en comparaison. Il est né dans une écurie renommée je pense. Je l’ai longuement observé pendant le passage des autres élèves. Il n’a aucune cicatrice, aucun signe de malnutrition passée. Il n’a jamais dû connaître la faim, la soif ou le froid. Encore moins les prédateurs. Je sens bien qu’il a du caractère, toutefois, il n’a pas eu à lutter et cela se ressent. Il n'a rien de sauvage, son instinct de survie est sous développé. C'est un chaton en comparaison à mon étalon.

Il est surpris par ma façon de faire. Cela doit être la première fois que quelqu’un lui résiste, lui impose sa présence. Il se débat mais sans la fougue d’un instinct de survie. Il accepte d’être monté car sa mère était montée. Pas parce qu’on a gagné son respect. Enfin, c’est ce que je suppose. Je ne suis pas douée en psychologie animale et encore moins en psychologie humaine.

Mon langage distingué et précieux fait pisser de rire toute l'assistance. je crois qu'ils sont ravis du traquenard et espèrent me voir à terre. Je ne leur ferais pas ce plaisir. Mon caractère doux et paisible s'exprime dans toute sa splendeur. Peu importe, ce n’est pas un cours de français mais d’équitation. Je parle comme je veux à ce fichu canasson. Je ne lui manque pas de respect, je l’agace et le titille. Je lui montre que j’ai encore de l’énergie et de la détermination pour qu’il flanche.

J'aperçois Naya qui me filme. J'ai l'élégance de lever mon majeur en l'air dans sa direction sans que son père ne le voie. La reine des abeilles parle avec Mélia qui secoue la tête en riant. La discussion semble amicale. Mon double sait que je ne le lâcherais pas. Je pense qu’elle prévient la vipère et son père que leur coup fourré va échouer. Ma jumelle me connait et a confiance en moi. Je ne ferais jamais de mal à un animal innocent, cependant, je ne le laisserais pas gagner non plus.

Je n’entends pas leur conversation et je ne peux pas me permettre de trop m’y intéresser. Je suis concentrée sur la respiration et les mouvements de Prince. Je le pousse à bout mais ne veut pas lui faire de mal. Quand il va trop fort et risque d’avoir le cœur qui s’emballe, je ralentis le rythme pour qu’il reprenne son souffle. Je veux l’épuiser, qu’il se soumette sans utiliser la moindre violence physique. Juste un langage de charretier et un ton goguenard bien énervant. Mes petits claquements de langue ou mes petits coups de talons pour le faire accélérer le font renâcler de rage.

Il piaffe et s’ébroue. Dans son langage, il utilise le même vocabulaire que moi. Ses oreilles plaquées en arrière montrent sa colère. Tout son corps est tendu, crispé. Il écoute la moindre de mes paroles, de mes intonations. Il réagit à toutes mes sollicitations tactiles. A notre façon, nous communiquons tous les deux. Il se rebelle, je ne cède pas. Il s’attend à un coup de cravate, je n’en ai pas. Il me parle mal. Je fais de même. Je dirais qu'on s'engueule mutuellement.

Prince est haletant. Il n’en peut plus. Enfin, il m’accepte et se soumet. Je viens de gagner son respect. Il finit par se stopper au milieu du manège. Il reprend son souffle. Prince a tenu une demi-heure. C'est un costaud. Néanmoins, j'ai gagné. Quand le moniteur me donne ordre de descendre, je m’exécute aussitôt. Je mets pied à terre avec un grand sourire et flatte l’encolure de Prince. Il est en sueur. Je donne une friandise à l'équidé, pour lui montrer que je peux être gentille.

— Tu t'es bien battu Prince. Mais question tête de mule, je suis reine, je murmure près de l’étalon d’une voix douce. Allez, respire. C’est fini. Tu vas rentrer à l’écurie et recevoir une bonne douche. On va aller te faire boire dans peu de temps. Tu as bien travaillé. Tu es un bon cheval.

Le professeur vient me reprendre les rênes avec un beau sourire. Je crois que je viens de devenir son élève préférée. La meilleure. Certes, j’ai gagné ce rodéo mais je l’ai fait sans jamais frapper ou causer de la douleur à l’animal. A terre, je félicite l’étalon et lui donne une récompense. Le moniteur m’entend parler avec calme et douceur à Prince dont les oreilles se sont relevées pour m’écouter. Je détends le cheval et je l’apaise de la voix. Prince est étonné de mon ton doux et affectueux et ne sait plus quoi penser. Il apprécie mon contact et se tourne en quête d’une seconde friandise que je lui accorde.

Le moniteur me laisse faire. Il a compris mes actions. Je suis en train d'apprivoiser Prince. De lui montrer que je suis fière de lui. Je le flatte et lui procure le temps pour reprendre son souffle en toute sécurité. J’ai traité l’étalon avec respect sans lui céder. Papinou serait fier de moi, lui qui m’a tout appris. Il me manque tellement. Je tends les rênes au moniteur, sans lâcher l’encolure que je caresse. Naya accourt avec Mélia.

— Alors là, la grunge, tu m'as scotchée. Respect. Même moi et papa finissons par terre quand Prince est de mauvaise humeur.

Oui, on va peut-être s'entendre toutes les deux. Surtout que Prince est son cheval personnel et qu'il est en train de lui faire un gros câlin. Elle lui flatte l'encolure avec douceur. Elle aime son cheval et lui prodigue les caresses nécessaires à le calmer et l’apaiser comme je viens de le faire. Prince est un bon cheval. Il a bien travaillé. Il mérite du repos. Le cours est fini.

Sans rancune, j'aide Naya à ramener Prince à son box avec Mélia. Nous le pansons et lui donnons à boire. Son père enseigne aux autres l’entretien et les soins sur les trois autres montures. Ce moment d’attentions privilégiées est important pour gagner le respect et l’affection d’un animal. Nous le massons avec une poignée de foin et nos étrilles pour le détendre et aussi le sécher de sa sueur. Nous lui montrons qu’il est en sécurité avec nous, que nous voulons sa santé. Nous le chouchoutons. Il se détend et accepte les câlins avec plaisir. Quand il pose sa tête contre mon torse, je sais qu’il vient de m’accepter pleinement et me fait confiance dorénavant. La reine des abeilles reste, quelques secondes, muette du geste de son étalon puis me sourit. Elle aussi est en train de m'accepter.

Son père ayant été appelé sur un autre cheval par un palefrenier qui suspecte une blessure, Naya montre les box des chevaux attribués aux nouveaux avec son petit commentaire sarcastique de rigueur sur le niveau ou la tenue du cavalier. Jamais sur les chevaux. Tous baissent les yeux devant la reine des abeilles, sauf Mélia qui admire les chevaux et semble ne pas entendre les remarques désagréables, et moi. Parce qu'elle peut crever la gueule ouverte avant que je baisse les yeux, Miss Pimbêche. En plus, je m'en fiche que mes guêtres soient usées. C'est la preuve que j'ai bossé avec.

Ce sont enfin les box de nos chevaux. On se précipite à l’intérieur. Nos équins piaffent de joie et nous câline tendrement. Mélia rejoint Étoile sa jument Lipizzan blanche. Moi, Grognon mon paint horse pie. Aussitôt, et bien qu’ils soient très propres, nous sortons notre matériel pour les nettoyer. Je frotte énergétiquement le poil de mon étalon qui adore les mouvements de grattage intense. Mélia démêle et tresse les crins et la queue pour faire belle sa jument qui adore avoir des petits nœuds.

La joie de nos duos s’entend à travers toute l’écurie. Les quelques palefreniers présents pour la sécurité et les soins des autres équidés voient combien notre lien est fort avec nos animaux. Les deux ne cessent de nous pousser gentiment avec leur tête, en quête de caresses. Nous les couvrons de bisous et de papouilles, indifférentes à l’odeur qui pourrait nous coller à la peau. Je suis sur le dos de Grognon, à l’envers, pour pouvoir appuyer plus fortement le long de sa colonne vertébrale pour un massage qui fait le hennir de plaisir.

Tandis qu’on prend soin d’eux, et leur montre combien ils nous ont manqué, Naya tente de se moquer de nous en décrivant l'aspect un brin misérable et sale de celui qui a amené les chevaux. Quand j'entends la description du "palefrenier", je me crispe aussitôt et comprends que ce ne sont pas mes chers parents qui ont eu l'idée. Le palefrenier miteux, c’est Richard, le meilleur ami de Papinou, mon parrain.

Il a dû les a rachetés à mes géniteurs en quête d'argent, pour nous les réoffrir. Je serre les dents, furieuse. Ils n'avaient pas le droit de les vendre. Ils sont à nous, pas à eux. Papinou nous les avait offerts. Grognon et Etoile nous appartiennent depuis des années. Ce ne sont pas des meubles ou des bibelots. Il y a un lien spécial dans chacun de nos duos.

Je rumine les mots que je vais leur dire la prochaine fois qu'ils daigneront prendre de nos nouvelles. Mélia essuie une larme de tristesse. Aussitôt, Naya arrête ce sujet pour ne pas faire de peine à Mélia. Elle a senti qu’il y avait quelque chose de pas normal et sensible. Je lui suis reconnaissante de faire attention à ma jumelle. J’ai envie de taper dans le mur et me retiens pour ne pas exploser de colère devant ma sœur ou effrayer les autres chevaux. Les nôtres ont l’habitude de mes petits coups de ronchonnages.

Naya admire nos chevaux. Ils sont en parfaite santé, muscles fins et puissants, robe éclatante. Mélia s'amuse à faire des tresses élaborées à Étoile avec Naya tandis que je démêle la tignasse ébouriffée de Grognon qui me mord les poches pour voler les bouts de carottes. Je le gronde gentiment. C’est notre jeu habituel. Mon étalon ne cache pas notre complicité et cherche querelle pour m'embêter.

J’apprends qu’il a martyrisé quelques jeunes palefreniers en leur mordillant les fesses ou en faisant mine de les écraser contre le mur. Il ne leur a jamais fait mal. Il les a juste effrayés. C’est un sale gosse. Je tente de nouveau de le sermonner mais mon ton exprime plus le rire et la satisfaction que le mécontentement. Il n’y avait que les anciens et le père de Naya qui ont pu s’approcher suffisamment pour le nourrir. Il acceptait d’être nourri mais pas qu’on le touche. Même les expérimentés n'ont pas pu poser l’étrille pour enlever la poussière.

Grognon n'aime pas les inconnus. D'ailleurs, c'est Richard qui a dû le faire descendre de la camionnette et l'installer dans le box avant d'hier, puisque c'était le seul que mon étalon autorisait à le toucher. Sur le conseil de Parrain, Etoile est placée juste à côté de lui. Tout comme Mélia et moi, c'est le seul équin capable de le raisonner quand il est de mauvais poil, c'est à dire quotidiennement. Je rigole quand l'un des palefreniers seniors avoue que la jument semblait gronder dans ses hennissements durant le cirque de l'étalon qui se calmait en hennissant de frustration. Un vrai dialogue. Le palefrenier a même sorti Etoile de son box afin qu'elle se place à la demi-porte, le temps qu'il rentre poser la dose de fourrage. Elle faisait rempart de sa tête contre le rochon mal luné.

Je souris et j'écoute les deux filles papoter dans le box voisin L'amour des chevaux est clairement visible dans les paroles de Naya. En plus, elle se montre amicale avec Mélia, presque protectrice. Elle complimente ma jumelle sur l'état de santé de sa jument mais aussi sur ses talents en voltige. Je ricane quand la reine des abeilles propose à Mélia de l'adopter pour qu'elle ait une sœur socialement fréquentable. Oui, on va peut-être éviter de s'étriper.

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